GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1977 |
Le GesteLe geste, le geste
rituel, rompt avec l'automatisme inconscient du geste quotidien. Nous voulons
parler du geste qui puise son expression dans la pensée traditionnelle, un
geste qui accompagne et confirme la pensée ésotérique et dont la main doit
activer la force lovée des symboles. Car la main,
prolongement du geste, irradie de son pouvoir. Cette main large et étendue,
cette main bénisseuse qui figure sur de nombreux tympans, nous la connaissons.
C'est la main de la Vierge Noire médiévale, c'est la main qui guérit car par
son imposition elle communique son influx, soit pour soulager, soit pour
introniser dans un monde nouveau. Une véritable main de Fatma qui peut même
éviter les embûches du mauvais sort. Mais lorsque l'on
veut se protéger, lorsque l'on veut tamiser cette force que l'on a en soi,
alors on se gante ; des gants de peau. Alors moins que la puissance de la main
nous voici devant le geste magique. Bien entendu ce ne
sont pas les simples gestes de prendre quelques instruments pour
tailler la
pierre qui nous mettront sur le chemin de l'Eveil. Pour que toute la
signification apparaisse, il faut qu'il y ait une mise en condition
posture du
candidat qui doit être pénétré de sa misson,
répétition des mêmes gestes accomplis
rigoureusement avec l'assentiment conscient des individus
présents. Ce geste rituel
demande de la rigueur, de la sobriété, et celui qui l'exécute doit être pur,
conscient de la force qui est en lui, de ce dépôt du sacré que tout homme porte
inconsciemment en lui. Nous concevons que
nous ne pouvons ainsi envisager la valeur du geste que grâce à une sélection ;
par contre le geste désordonné, fait sans intention, devient inefficace et perd
toute signification. Si l'on vient à la
pensée compagnonnique la loge s'établissait autrefois sur le lieu du travail,
près de l'édifice en construction. Dans ce local, on étalait les plans, on
organisait et on définissait l'avancement des travaux. De ce centre vivant
partait la vie du chantier : les compagnons étaient bien entre eux dans ce lieu
d'élection où ils passaient le meilleur de leur temps, car ils étaient loin de
chez eux, de leur famille, et que là ils retrouvaient une fraternité puisée
dans la réalisation de l'art royal. Dans ce lieu du
savoir par excellence, on apprenait à ceux qui en étaient dignes, les procédés
de métier. Le sacré imprégnait alors tout acte matériel ; l'habileté manuelle
se liait à la valeur sacrée du geste. A l'origine le
travail manuel de la taille de la pierre se doublait d'une acte mental, d'un
pouvoir spirituel. Ce rite professionnel se sublimait et sa maîtrise
conduisait à une discipline intérieure, donc à une prise de conscience ; « les
tailleurs de pierre ont inscrit l'écho de la Parole Perdue dans le séculaire
silence de la pierre qu'entendront les prédestinés », écrit Victor-Emile Michelet. N'oublions pas que
d'après Le Songe de Jacob la pierre est la maison de Dieu et ce caractère divin
apparaît encore avec la pierre angulaire du grand oeuvre, cette pierre à
laquelle se compare Jésus. Par ce geste on
crée la pierre qui va prendre place parmi toutes les autres pierres de la
construction ; l'homme vient de l'imaginer en la traçant, et lorsque l'angle
doit être calculé, lorsque ce bloc doit s'intégrer dans une forme plus complexe
il s'est servi de ce fameux « art du trait ». Ainsi tous les
hommes de la même corporation, qui accomplissent les mêmes gestes et qui vont
les pratiquer avec amour, communient entre eux. Cette répétition entraîne une
cohésion de l'esprit et le geste bien fait influe alors sur la pensée de celui
qui rêve son acte. Ces hommes entraînés à se servir des mêmes outils, et à bien
s'en servir, se comprennent alors plus intimement. On peut ainsi trouver la
sacralisation de l'outil qui transforme la nature, l'objet, et lui donne son
sens révélé. Les hommes qui se
servent des mêmes outils sacrés, qui accomplissent les mêmes gestes, qui
reçoivent les mêmes impulsions venant de la main au mental, participent à la
même fraternité du métier. C'est aussi vrai pour le tailleur de pierre que
pour le semeur, celui qui va permettre l'éclosion. Mais ceux qui prennent le
même repas, qui mangent les mêmes aliments, qui rompent le même pain, qui
boivent le même vin, participent aussi à la même communion de pensée, à la même
recherche mystique ; une sorte de chaîne d'union qui met tous les participants
au même rythme et nous reconnaissons aussi bien là le pouvoir des mains
enlacées que la communion mystique, la Cène. Grâce à cette
conscience on assiste à la lente transformation de l'individu qui accède à un
nouveau niveau de connaissance et d'amour. Ce geste entouré de mystère, cette
attitude particulière agissent sur la nature même de l'être et sur son sens
secret. Mais l'idée rapportée reste incommunicable, cette nature profonde est
inexprimable ; il y a ici notion de silence. C'est dans le
silence que le geste crée. Cela va de la pierre qui prend forme pour s'adapter
à notre vie aux rites de la chevalerie, ou à ceux du compagnonnage, de la
franc-maçonnerie. On impose les mains et, par ce geste symbolique, le caractère
sacré pénètre le néophyte qu'il soit essénien, catholique, cathare ou
chevalier. On concilie des forces bénéfiques. Aussi celui qui
transmet cette influence doit-il avoir une attitude initiatique ; l'officiant pour
bénéficier de toutes ces radiations est orienté suivant le rite solaire, car
la marche du soleil valorise tant l'espace que le temps humain. L'espace dans
lequel se déroule le geste est donc sacré. Le geste n'est plus
seulement un signe de reconnaissance entre gens d'une même catégorie, d'un même
esprit, il acquiert une portée psychologique et physiologique. Dans les danses
rituelles, expression de la joie sacrée de l'homme qui chante et vibre au
rythme de l'univers, les gestes sont minutieusement respectés. Les Mudras, ces
expressions des doigts, sont répétées durant de longues années ; l'acteur se
hisse au niveau d'un prêtre car nous sommes devant une représentation sacrée,
et une partie de ce rituel est encore présente dans le théâtre Nô japonais. C'est
un langage de mouvements. Le Tantra asâna, science des postures, conduit à la
parfaite maîtrise de toutes les ressources physiques, psychiques et mentales.
Grâce au geste on parvient à l'illumination spirituelle. Alors ces gestes
rituels deviennent automatiques, car l'homme s'intègre dans une équipe, une
confraternité ; rattaché moralement, spirituellement à un groupe il n'est plus
qu'un maillon dans une chaîne indestructible. René Guénon dans Aperçus sur
l'initiation dit que les « rites sont des symboles mis en action et tout geste
rituel est un symbole agi. » Nos gestes
correspondent à des centres psychiques ; on peut modifier la totalité du moi
(corps, mental, esprit), en agissant sur les forces qui sont en nous. D'après
la tradition tantrique il faut éveiller « le lotus aux mille pétales » à partir
des sept chakras, qui, stimulés, dégagent des énergies. Les chakras sont en
fait les centres de force qui se trouvent dans l'homme ; ils peuvent être mis
en action à partir de positions définies et ils peuvent agir sur le
comportement de l'homme. On peut songer à une sorte de stimulation par
acupuncture. D'après le tao, le
Ki est la force fondamentale de toute vie matérielle ; elle circule à
l'intérieur et le long du corps en empruntant des chemins précis, nommés
méridiens. Les gestes du
Franc-Maçon ou du compagnon intéressent des positions localisées et
parfaitement déterminées qui appartiennent en général aux sept chakras. Ces
centres en état de rotation rapide seraient de matière ethérique. En réveillant
ces énergies internes on crée le « serpent de feu », ou Kundalini, une énergie
divine, une puissance cosmique, un feu liquide, qui s'élance au travers du
corps suivant une spirale analogue aux anneaux d'un serpent. Ce trajet
s'effectue dans le plan de l'épine dorsale et on le nomme le bâton de Brahma ;
c'est donc un axe vertical, l'axe du monde, qui a beaucoup d'analogie avec le
bâton du caducée et autour duquel s'enroulent en sens inverse en général deux
lignes hélicoïdales. Mais en fait c'est la double action de la force unique,
l'androgyne. Le développement de
la vie secrète et nerveuse ne conduit pas fatalement à l'initiation, à l'état
supérieur. Les gestes du Franc- Maçon ne conduisent pas à réveiller des états
psychiques qui restent sur un plan humain, alors que la connaissance
spirituelle doit l'élever sur un plan divin. Mais l'homme qui
parvient par son geste à maîtriser sa nature s'élève au-dessus de toutes les
contingences terrestres : il peut faire face à n'importe quelle situation, car
grâce à son geste, il devient exempt de passion jusqu'à paraître insensible.
L'homme qui a ainsi gagné le calme, la sérénité, devient un initié qui a su
s'Eveiller. C'est que le geste est bien un symbole en action. |
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