GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1977
                                                                                       P026-1-1
Au sujet de cet article, un F a fait parvenir ce texte à l'Edifice.
Ce qui attire mon attention dans ce tableau, c’est la direction de son doigt. Il nous indique le chemin à suivre (le chakra thyroïdien – la pomme d’Adam, qui avec un « Mem », devient « Madame »). Le Mem correspond à la treizième lame du tarot, soit, à la seconde mort, ou mort du Vieil Homme, qui ouvre la prise de conscience du Maître Intérieur. Ce qui a attiré mon attention dans le texte, c’est le mot « I-O-N-A » (Youd-Hè-Noun-Alpeh), à mettre en parallèle avec le « YONI », de l’hindouisme. Si l’on remplace le « Youd » par le « Aleph », on passe de Jean le Baptiste, à Jean l’Evangéliste. On retrouve le même symbolisme dans la Tradition hébraïque. L’Homme pré-adamique s’appelait « ISH » (Youd + Shin) ; la femme pré-adamique s’appelait « ISHA » (Youd + Shin + Alpeh). Elle fait le « Huit » des Templiers. (par l’Ouroboros). Shin est le trait d’union entre le Youd (colonne Jakin, descendante), et le Aleph (colonne Boaz, remontante). Ma question était donc : « comment permettre à notre conscience de passer de « ISH » à « ISHA » ? Par l’initiation ionienne, bien sûr, mais, qui délivre, aujourd’hui, en Occident, l’intégralité de cette Voie ? (perdue par les Occidentaux, selon René Guénon). Ce qui à mon avis est faux, puisque cette Voie est, par excellence, celle de Saint Jean : « Le Verbe s’est fait Chair, mais les hommes ne l’ont pas reconnu ». Nous allons le « reconnaître » grâce à la Parousie. Il me semble que la Maçonnerie authentique a son rôle à jouer dans cette « re-co-naissance », qui correspond à celle de la « re-naissance d’Hiram ». (Tant attendue).

Saint Jean d’Eté

Pour tenter d'approcher la figure rayonnante de celui que tous les Francs-Maçons traditionnels du monde honorent à cette époque — et cela après tant d'autres plus éminents, plus qualifiés que moi — j'ai fait appel à la voie intime, la plus proche du cœur, celle de l'art.

J'ai tenté de voir Jean le Baptiste à travers les peintures et les statues, les icônes et les vitraux qui, dans le monde chrétien, ont été dédiés au Précurseur. Et puis aussi à travers la tradition populaire, à travers la légende car l'une et l'autre sont souvent porteuses de messages secrets, venus de la nuit des Temps, et qui s'éclairent à la lueur de la science sacrée.

Si quelquefois le Baptiste est vêtu d'une robe de couleur rouge — le rappel de son martyre, lui qui, né six mois avant Jésus au solstice d'été périt comme Jésus de la main des hommes à 33 ans - le plus souvent tous les artistes l'ont représenté ceint d'une peau de bête, de bélier, d'agneau ou de chameau. Or le Bélier est symbolisé par la lettre Gamma et en hébreu chameau se dit « Ghimmel », image de la lettre « G » que le compagnon apprend à discerner au coeur de l'étoile.

Dans l'église Saint-Jean de Latran à Rome on peut voir une splendide statue en argent massif, entourée de sept cerfs, égale­ment en argent, images des sept dons de l'Esprit-Saint du Bap­tême et préfiguration des sept Maîtres-maçons qui dans une Loge de Saint-Jean sont requis pour accueillir l'initié.

A Sainte-Marie aux Fonts de Liège on voit le Précurseur bapti­ser le philosophe Craton dans une cuve qui repose sur 12 bœufs, images à la foi des Prophètes et des Apôtres. Ici nous avons, réunis par le symbolisme, l'Ancienne et la Nouvelle loi, l'ancien et le nouveau monde.

A Saint-Rémy de Reims il existe un vitrail « unique » car le Précurseur et l'Evangéliste ne font qu'une et même personne et au-dessus de la tête de ce Jean « unifié », de ce Janus chré­tien, flamboient deux tournesols, images des solstices, tournant bien sûr en sens opposé. Quelle plus simple et quelle plus belle figuration de ceux qui détiennent la clef des portes de la déli­vrance, opposés à Pierre dont la clef ouvre la porte du salut. Car si les religions mènent au salut, l'initiation, elle, a toujours et partout promis de conduire les élus sur le chemin de la délivrance.

L'union du Baptiste et de l'Evangéliste n'est nulle part mieux figurée à cet égard que dans la cathédrale d'Heracleion en Crête, où l'on voit deux Jean exactement semblables, vêtus tous deux de la même peau de bête, mais le premier, le Baptiste tenant sa tête sur un plateau tandis que le second, l'Evangéliste porte en sa main gauche le Livre et en sa main droite le bâton du Baptiste. Sans le bâton du Précurseur point de Livre et sans son sacrifice la voix aurait clamé en vain dans le désert.

Et puis il y a l'admirable tableau de Léonard, le sourire mys­térieux du saint Jean de Léonard. Dans « La Vierge aux rochers » le grand peintre initié marque bien la priorité de Jean sur Jésus jusqu'au baptême et l'on y voit le Nazaréen recevoir la bénédiction de Jean, en position de néophyte, un genou en terre. Dans « La Vierge à la source » le même Jésus reçoit le baiser initiatique sur les lèvres. Alors la colombe, l'esprit du démiurge — car Jean, ne l'oublions pas, est l'homme du Démiurge ce qui l'a fait rejeter des cathares (« quod non fuit homo carnalis, disaient-ils, parce qu'il ne fut pas homme de chair) et c'est ce qui nous distingue radicalement de la philosophie cathare à laquelle trop souvent avec quelque hâte et quelques inconsidérations on a voulu nous rac­crocher — alors, la colombe descend en Jésus. C'est le moment où le Christ cosmique, le Verbe solaire prend possession de l'initié longuement préparé, et qui a reçu la grande purification par l'eau. Dès lors le grand jeu est accompli, l'initié consent à mourir pour incarner l'être sublime.

Or la colombe est lonah, l'éternel féminin céleste, IONAH où sont les lettres, capitales pour les gnostiques, de I, O et A, dont le nombre est 81, manifestation de la Trinité. Et Jean se ratta­che précisément en grec à la racine ion qui a donné son nom à l'Ionie. Et puis, mieux encore : au nord-ouest de 'I'Ecosse, il existe une petit île évangélisée par Colomban lui-même et qui est consi­dérée comme le berceau de la chrétienté nordique. Son nom est lona et les deux saints Jean y possèdent depuis le Xe siècle cha­cun leur croix.

Mais approfondissons, si vous le voulez bien, le sens caché du Baptiste, lié aux deux éléments de l'eau et du feu. Contraire­ment aux Esséniens dont pourtant il était très proche — nous dirions aujourd'hui qu'il était dans la « mouvance » de l'essé­nisme — Jean baptisait dans l'eau vive, cette eau dont on retrouve le signe sous forme de traits ondulés dans toutes les sculptures mégalithiques. Cette eau qui régénère et recrée l'être. Celui qui naît de l'eau devient « fils de la Vierge » et donc frère du Christ et cohéritier du royaume de Dieu, comme le soulignait René Gué­non. Il est inutile d'insister sur l'importance de l'eau qui émane des profondeurs de la Mère et à quel point les ablutions rituelles ont compté et comptent dans toutes les initiations, tous les cultes ésotériques. Le brahmane s'immerge trois fois par jour. A Delphes les pèlerins se baignaient dans la fontaine Castalie. Pratiquement toutes les initiations connaissent la présence de l'eau.

Mais l'eau et le feu sont intimement liés ; l'aigle, oiseau du feu, n'est-il pas né de l'eau ?... Et c'est pourquoi le Baptiste est aussi associé au feu. Il est « la lumière ardente et brillante » qui annonce la « lumière intellectuelle pleine d'amour » dont parlait Dante. Il est l'âme de ces feux du solstice que, suivant la tra­dition millénaire, les Maçons de la Grande Loge de France allume­ront ce soir sur la colline de Presles.

Les bûchers de la Saint-Jean doivent être faits de sept essen­ces sacrées (chêne, hêtre, pin, frêne, bouleau, orme et tremble). Dans la tradition celtique, le bûcher était entouré de neuf pierres qui recevaient le nom de cercle de feu. Jeunes gens et jeunes filles devaient en faire trois fois neuf tours (le chiffre 27 qui par­lera à certains d'entre vous comme le chiffre 81 cité tout à l'heure) les jeunes gens porteurs de torches et les jeunes filles tenant une baguette d'orpin à la main. Et les garçons devaient balancer neuf fois les filles au-dessus du feu en criant « An nao » selon un très vieux rite de fécondation de la terre. Les tiges qui avaient été pas­sées ainsi dans les flammes, les filles les suspendaient aux pou­tres de leur maison, afin que, sans terre et sans eau, elles puis­sent croître et fleurir. On retrouve aussi ces vestiges de l'antique culte solaire et solsticial dans l'herbe de la Saint-Jean qui, dit-on, passée par le feu, et posée sur la face, peut donner la clairvoyance, fortifier la vue... Dans le Morbihan il n'y a pas si longtemps encore on amenait le bétail autour des feux rituels afin de le préserver de la maladie et des loups.

Faut-il ajouter que dans le nom de Jean : Jehoh Hanan il y a Jehoh qui est le nom du soleil et il y a Hanan qui signifie bienveil­lance, merci, miséricorde. Les deux saints Jean entourent ainsi le Soleil de Justice et aux points de tangence ils se confondent à lui éternellement.

Mais il y a encore autre chose. Au Solstice d'été, le soleil entre dans le signe du Cancer, domicile de la Lune, luminaire de la colonne Boaz. Or la lune est la planète de la Mémoire. N'est-il point étrange que le nom de Jean-Baptiste a permis à son père de retrouver l'usage de la parole qu'il avait perdue ? Alors si nous connaissons » Jean, saurons-nous, nous aussi, retrouver la parole que nous avons perdue ?... Peut-être, mes Frères, devrions- nous méditer sur cet enseignement, un peu méconnu, du Précur­seur...

Un autre enseignement du Baptiste est très important pour nous. Le premier il a rompu d'une certaine manière les secrets de la secte de Qumran en baptisant qui venait à lui dans le désert — pourvu qu'il ait le cœur pur et une soif ardente. Ce pas vers l'égalité — et l'eau n'est-elle pas aussi l'expression vivante du niveau ? — était un acte d'amour... impardonnable. D'où la haine suscitée contre Jean et la même haine plus tard contre Jésus qui élargira encore l'égalité voulue pas le Baptiste et prophétisée par Esaïe lorsqu'il disait : « Aplanissez les sentiers, toute colline et toute montagne seront abaissées ».

Mais oublions, si vous le voulez bien, tous ces enseignements, toutes ces richesses symboliques de Jean le Baptiste, de Jean fait d'eau et de feu, de Jean qui est au début et à la fin de toutes choses. Et nous qui nous proclamions jusqu'en 1440 « Frères de Jean », nous qui appartenons encore et pour toujours à la Loge de Saint-Jean, essayons pour conclure de comprendre, en notre temps et dans ce lieu, la leçon éternelle du Baptiste.

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Souvenez-vous. C'était la voix clamant dans le désert et c'était le coq qui devait éveiller les hommes et leur promettre l'aube nouvelle, l'oiseau de Mercure-Hermès, patron des alchimis­tes, le coq que nous retrouverons au sein du cabinet de réflexion et qui représente aussi bien la fin de l'ceuvre au rouge que le côté pénitentiel, sacrificiel de Jean. Or cette voix clamant dans le désert n'est-ce pas celle de maints initiés qui tentent en vain d'éveiller les hommes, n'est-ce pas celle des Maçons qui, de par le monde, s'épuiseront toujours, jusqu'à leur dernier souffle, à leur apporter une part de la vérité qu'ils ont entr'aperçue, de la Lumière qui, un jour de grâce, les a éclairés jusqu'au tréfonds de leur âme ?...

Quel exemple aussi pour nous, mes Frères, que celui de l'humilité et de l'effacement du Baptiste, qui ne travaille pas pour lui mais « pour celui qui doit venir »... N'est-ce pas en effet tou­jours, à l'image de nos Frères du Temple — non nobis Domine, non nobis... — non pour nous-même que nous travaillons, que nous œuvrons, mais pour ceux qui demain prendront notre place ?... Pour que nos Frères de demain soient plus forts, mieux armés, plus rayonnants que nous. Car notre oeuvre, comme celle du Bap­tiste, n'est jamais terminée. Car l'initiation, à un certain degré, est aussi collective et elle doit aboutir à la transformation spi­rituelle de l'Humanité à l'image de la transfiguration sacrificielle du « Serpent vert » qui, nous apprend notre Frère Goethe, se métamorphose en un amoncellement de pierres précieuses...

Car il est toujours une heure, un jour où, sur le chemin rude de l'homme, le dépouillement doit venir. Une fois le Verbe solaire descendu dans Jésus, Jean pouvait bien mourir. Et nous-même devons-nous nous souvenir qu'il vient toujours après nous quel­qu'un qui nous devance, quelqu'un peut-être qui marchera dans le temps à pas d'éternité...

Faisons en sorte, comme l'a dit le poète, que nos pas soient brûlants dans les traces de ses pieds !...

Publié dans le PVI N° 26 - 4éme trimestre 1977  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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