GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1975 |
Allocution du Sérénissime Grand Maître Pierre SIMON en réponse à Monseigneur PEZERIL (Juin 1971) De nombreux frères nous ont demandé de reproduire dans nos Points de Vue Initiatiques », le texte de l'allocution prononcée par le Sérénissime Grand Maître Pierre Simon, lors de la réception de Monseigneur Pezeril à la Grande Loge de France. Nous reproduisons bien volontiers ce texte qui marque une date dans les rapports (parfois difficiles) entre l'Eglise catholique romaine et la Franc-Maçonnerie et qui témoigne d'une volonté d'universalisme dans la tolérance réciproque et l'amour fraternel et, sans compromission de part et d'autre. * * * Votre conférence,
Monseigneur, comme les réponses que vous avez bien voulu donner aux questions
posées par mes frères, m'incitent à rappeler l'article ler des Constitutions
du pasteur Anderson, constitutions faisant autorité dans toutes les Obédiences
maçonniques régulières du monde. Concernant Dieu et
la religion, celui-ci écrit « Un Maçon est
obligé par sa Tenure d'obéir à la Loi morale et s'il comprend bien l'Art, il ne
sera jamais un Athée stupide, « ni un Libertin
irreligieux. Mais, quoique dans les Temps anciens les Maçons fussent astreints
dans chaque pays d'appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation,
quelle qu'elle fût, il « est cependant
considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette
Religion que tous lies Hommes acceptent, laissant à chacun son opinion
particulière, et qui « consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes
d'Honneur et de Probité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui
puissent les distinguer ; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d'Union et le
Moyen de nouer une véritable Amitié parmi les Personnes qui eussent dû demeurer
perpétuellement éloignées. » Après les guerres
civiles et religieuses qu'avait subies l'Angleterre un pareil texte fondant la
société des francs-maçons, constituait à n'en pas douter un signe d'espérance,
un signe de recherche du règne de l'amour parmi les hommes et de paix sur la
terre. Ne croyez-vous pas,
Monseigneur, ne croyez-vous pas, mes frères, que ce texte revêt ce jour une
actualité particulière ? Les hommes ne sont-ils pas toujours divisés ? Ne
sont-ils pas toujours prêts, au nom de leur idéologie particulière, à
s'attaquer à leur semblable ? II est vrai qu'un certain nombre de fanatismes
ont disparu, ou presque, et que même certains interdits peuvent être surmontés.
Votre présence parmi nous ce soir, le cadre dans lequel nous avons voulu vous
recevoir, le nombre de frères présents, leurs questions enfin, tout cela
constitue autant de signes de réconfort pour l'avenir de l'humanité et de
promesses pour qu'un dialogue sérieux puisse, sans compromission, s'établir
entre ces deux puissances spirituelles que sont l'Eglise catholique romaine et,
par la Grande Loge de France, l'Ordre maçonnique. Et je crois pouvoir ajouter,
au nom de tous les frères ici présents, même si d'aventure quelques-uns parmi
eux désapprouvaient cette cérémonie, que tous, sensibles au courage, nous
voulons saluer tout particulièrement en vous l'évêque qui a osé accepter de
renouer officiellement le dialogue avec la Franc-Maçonnerie. Cependant, ces
signes d'espoir et ces promesses dont je parlais il y a un instant, ne doivent
pas nous faire oublier les menaces qui pèsent sur notre monde et sur l'homme
en particulier. Et ici,
entendons-nous bien, il ne s'agit pas de faire l'union sacrée de la peur devant
telle ou telle menace. Il s'agit simplement d'être logique et de faire en
sorte que deux puissances spirituelles, qui ont en commun le trésor de la
pensée judéo-chrétienne, puissent aujourd'hui actualiser cette pensée pour un
monde qui en a tant besoin. Ce n'est pas à vous
qui êtes théologien, que je rappellerai qu'un des thèmes essentiels de la
pensée judéo-chrétienne est le respect de la vie, le respect de la personne
humaine. Dans les civilisations de masse vers lesquelles nous allons, nous ne
serons pas trop nombreux à rappeler les droits de l'homme en tant que personne,
en tant qu'individu. A tous les fanatismes, à tous les systèmes qui veulent
broyer les individus et les personnalités, nous avons, je crois, ensemble, à
opposer l'éthique du respect de la Vie. Et c'est bien ce que voulurent faire le
pasteur Anderson et ses amis quand ils proclamèrent que le maçon devait être un
bon noachite, c'est-à-dire un homme sachant vivre l'Alliance de Dieu avec Noé,
alliance universelle, basée sur le respect de la Vie. Aussi le dialogue qui
commence ce soir n'est-il pas contre nature. Nous avons en effet à travailler
ensemble sur nos sources communes et il est temps que nous le fassions
effectivement. Certes, cet oecuménisme est d'un genre particulier, car nous ne
constituons pas une église, nous n'avons pas de doctrine. Nous représentons
plutôt un mode de pensée, une méthode de réflexion qui, dans leur manière
d'appréhender les choses de ce monde peuvent quelquefois se heurter à un
certain esprit dogmatique. De cela nous devons rester conscients. Mais, vous le
voyez, du même coup nous ne voulons pas nous situer sur le même plan qu'une
église, et c'est finalement là qu'est une des raisons majeures qui doit nous
pousser au dialogue. Celui qui travaille à la Gloire du Grand Architecte de
l'Univers n'a pas à combattre celui qui confesse sa foi en un Dieu révélé
pourvu que ce dernier n'ait pas un comportement de sectaire. Et cette mise en
garde n'est pas à sens unique. Enfin, sachez aussi
que nos temples ne sont fermés à personne, qu'il suffit d'être libre et de
bonnes mœurs pour pouvoir y entrer et que rien n'y est jamais dit qui puisse
heurter les convictions profondes d'un croyant sincère ; ainsi la Maçonnerie
peut-elle être un véritable « Centre d'Union », comme le disent les
Constitutions d'Anderson. L'Alliance
noachite, en effet, à laquelle les francs-maçons réguliers veulent se référer,
est vraiment universelle. Ayant le privilège de l'ancienneté, elle ne
contredit aucune autre alliance, que ce soit celle d'Abraham, de Moïse, de
Jésus ou de Mahomed. Et cette vocation oecuménique qui en découle nous fait
reconnaître comme frères tous ceux qui ne veulent participer à aucune alliance
particulière mais qui, suivant les seules lumières de la raison, adhèrent à
l'Alliance noachite. Car ils peuvent se placer dans cette Alliance, en suivant
ce qu'Anderson appelait la Loi Morale, loi naturelle et raisonnable, puisque
cette alliance veut définir l'homme dans son rapport avec la nature et le
conduire à la notion du respect de la vie. Ainsi, vous le voyez, il ne peut
être question pour nous d'exiger comme préalable à une entrée dans notre Ordre
la foi en un Dieu particulier et en sa volonté révélée, car ce serait trahir
l'universalisme total de l'Alliance noachite et risquer de se substituer à
l'Eglise. La Grande Loge de
France veut donc rester fidèle au rationalisme, mais elle veut l'être selon la
tradition philosophique, classique, comme Descartes, Malebranche, Spinoza et
Leibniz l'ont été. Tout à l'opposé d'un certain scientisme, le rationalisme maçonnique
sait, d'autre part, que la raison s'applique à des niveaux variés, selon des
modalités différentes et qu'en ce sens, l'imagination même s'y peut associer,
voire en relever. Il vous suffit de regarder autour de vous pour voir que notre
méthode est symboliste ; et vous savez que c'est en contemplant ces symboles
et en évoquant des mythes que nous réfléchissons et travaillons. Ce pouvoir de
travail, de construction, nous le tirons de notre croyance en l'existence d'une
raison universelle dans le monde et dans l'homme. A l'inverse de l'athée
stupide dont parlait Anderson, athée auquel l'absence de raison voile la
perception d'une loi d'ordre, le franc-maçon apprend à connaître cet Ordre
Universel, et il l'affirme en travaillant à la Gloire du Grand Architecte de
l'Univers. Dans ce siècle, qui
voit tant de valeurs menacées, la raison bafouée ou mutilée, la
Franc-Maçonnerie Ecossaise veut rappeler le message de l'Arc-en-ciel apparu à
Noé, en défendant les valeurs fondamentales contenues dans l'Alliance mais
aussi en appelant à une nécessaire union tous ceux qui croient en la raison
universelle, au plan du Grand Architecte de l'Univers et qui veulent vivre en
harmonie avec la Loi morale qui est aussi la loi naturelle. Ce soir, une étape
historique est franchie, celle de la rencontre. Nous ne savons pas de quoi
demain sera fait mais parce que nous nous sommes vus, nous pouvons espérer que
certaines incompréhensions pourront tomber et que même si des oppositions
devaient apparaître ici ou là entre nous, elles n'engendreraient plus ni haine
ni mépris, mais qu'elles seraient, au contraire, surmontées parce que nous
avons su, au-delà de nos différences, nous connaître, nous respecter et
apprendre à nous aimer. C'est pourquoi les francs-maçons de la Grande Loge de
France gardent une profonde reconnaissance à l'Évêque auxiliaire de Son Eminence
le Cardinal Archevêque de Paris, pour la visite et les propos dont il les a
honorés ce soir. Ils souhaitent qu'avec l'Eglise catholique romaine, selon les
signes qui viennent d'en être annoncés, de même qu'avec les autres églises,
les autres confessions, les autres philosophies, tous les hommes de raison
véritable s'enrôlent dans le parti du sens contre celui de l'absurde, ce qui
revient à dire, dans notre langage maçonnique, travaillent à la Gloire du Grand
Architecte de l'Univers. |
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