GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1974 |
Propos sur la fraternité On définit toujours
un être, une chose, une action, un sentiment en faisant référence à un autre
être, à une autre chose, une autre action, ou un autre sentiment. Et l'on procède
alors : soit par analogie, soit par opposition. • AMITIE, • CHARITE, • SOLIDARITE, • FRATERNITE. L'AMITIE Quand on parle de l'amitié,
on se souvient vite des très belles pages que MONTAIGNE a écrites, inspirées
par l'amitié profonde qui le liait à Etienne de la BOETIE. Cette • amitié »
était plus proche de ce qu'est — ou ce que doit être — la FRATERNITE des
Francs-Maçons que des amitiés communes d'aujourd'hui. L'amitié, de nos
jours, est plus en surface et plus fortuite. L'occasion l'a créée, l'intérêt
peut-être ; le temps peut l'estomper ou la faire disparaître... Elle est
pratique, légère, mondaine souvent, sincère et solide parfois... Tous comptes
faits, elle s'engage à peine et le coeur se donne encore moins. L'amitié peut être
déçue, c'est-à-dire, si elle a l'espoir d'être payée en retour. Et là,
vraiment, que de déceptions Ne faisons surtout
pas un tableau pessimiste de l'amitié — c'est quand même une chose bien douce
—, insistons seulement sur sa fragilité, son instabilité... et l'amertume
qu'il arrive qu'elle laisse... LA CHARITE La charité est une
notion infiniment attachante... qui peut toutefois devenir assez vite odieuse
en fonction de certaines motivations. Attachante, la
Charité l'est à coup sûr quand elle est un simple et merveilleux don de soi :
quand, spontanément, elle atteste sa Foi, en un Dieu ou dans les Hommes. Oui, la Charité est
attachante quand, au milieu des barbelés de la vie moderne, l'Homme renonce à
son égoïsme et fait une large trouée afin d'être bon toujours, en dépit de tout
: d'être secourable avec ceux qui en ont besoin, tous ceux qui en ont besoin. C'est cette
filiation morale — d'ailleurs souvent d'origine chrétienne — à la notion du
Devoir qui distingue cette charité — pourtant ô combien attachante — de la
Fraternité. Nous avons dit
aussi : parfois odieuse en fonction de certaines motivations. Il existe une sorte
de Charité qui n'est pas un acte obligatoirement pur, un acte ne relevant pas
de ces « raisons du cœur « dont parle PASCAL et la bienveillance envers son
prochain n'est pas toujours altruiste. On cherche parfois son semblable... mais
surtout pour y trouver sa propre récompense ! L'odieux réside
alors dans une sorte de comptabilité des actes généreux. Nous avons indiqué
tout à l'heure l'extraordinaire acte de Foi que pouvait être la Charité :
souvenons-nous à présent de ce salubre bouleversement dans la Chrétienté causé
par la Réforme qui mettait justement au pilori cette comptabilité avec Dieu des
actes généreux. — « J'ai fait ça, alors, Seigneur, tu me dois ça. C'est là que cette
prétendue Charité, celle qui vise un salaire, devient vite odieuse. De même, encore,
lorsqu'elle s'adresse à ceux-ci et jamais à ceux-là, opère en de telles
circonstances et pas en telles autres, avec une limite plus ou moins serrée.
Elle se trouve alors de mauvaises plutôt que de bonnes raisons... pour
justifier ces discriminations. Mais au moins la
Charité joyeuse, la vraie, même si elle procède d'une obligation morale ou
spirituelle, est incontestablement imprégnée de Fraternité. LA SOLIDARITE La Solidarité,
elle, est un fait social et non moral. C'est un sentiment en plusieurs
dimensions qui nous lie à la fois aux Hommes, au Cosmos, à la Cité, au Créateur
aussi, que nous désignons sous le nom de Grand Architecte de l'Univers. « L'Ame est fille
de la Cité », disait le philosophe. Imaginons une seconde la Cité détruite :
que subsisterait-il de notre âme et pendant combien de temps ? Comment nos
facultés s'exprimeraient-elles, nos virtualités se révèleraient-elles ?
Comment notre esprit pourrait-il s'épanouir ? Qu'adviendrait-il des générations
suivantes ? Nous devons donc —
pour une large part, et notamment à nos semblables — d'être ce que nous
sommes, de valoir ce que nous valons. Mais si la
Fraternité inclut la Solidarité, celle-ci n'implique pas nécessairement la
Fraternité. Alors, maintenant, voyons : la Fraternité, la Fraternité tout court, qu'est-ce ? Dans l'Antiquité, la Fraternité était considérée comme le sentiment le plus noble, le plus élevé. Même avant la Sagesse. Contrairement à l'amour, aux affections ou aux obligations morales, la Fraternité s'établit par une décision de volonté personnelle. Contrairement encore, la Fraternité n'inclut aucune passion, aucun sentiment de possession ou de domination. La Fraternité, c'est un souffle heureux qui fouette le cœur autant que La FRATERNITE, • c'est quand le Moi pense à l'Autre, • quand ce Moi ne pense plus Moi, mais l'Autre, • quand penser à Soi, c'est d'abord penser à l'Autre. Voilà donc
pourquoi, aussi : tout commence et se poursuit par l'Autre. L'Homme social
n'est heureux que lorsqu'il peut être librement, pleinement, également un
homme parmi les autres hommes, un homme avec les autres hommes. C'est cela la
FRATERNITE HUMAINE : et c'est sans doute pour la trouver plus vite, en la
construisant de toutes pièces, de leurs propres mains et de leurs propres
coeurs que des profanes ont voulu, un jour, devenir Francs- Maçons I... LA FRATERNITE
MAÇONNIQUE « ETRE » est
toujours plus que « CONNAITRE » et « AGIR » est toujours plus que «
PENSER ».. Alors la Fraternité
Maçonnique, telle que nous la concevons à la Grande Loge de France, c'est une
façon non seulement de démontrer sa foi en l'homme, mais de la rendre agissante
et de la concrétiser. La Fraternité
Maçonnique, ce n'est plus un sentiment, plus une attitude, ni même un réflexe,
c'est une action permanente, après un choix fait une fois pour toutes. ... Et choisir
d'aimer, n'est-ce pas après tout faire le plus beau des choix ?... Bien sûr, dans le
monde profane, il y a de très réels et sincères élans de fraternité — plusieurs
religions, notamment, en donnent de magnifiques exemples — hélas ! bon nombre
de ces élans semblent se briser contre un mur. Oh I pas toujours un mur d'égoïsme
ou d'indifférence, mais un mur que n'a pas équilibré l'harmonie la plus
parfaite... Fait des hommes, des institutions ou des circonstances ?... La grande
équivoque, c'est que la Fraternité profane, sauf peut-être dans certains cas
particuliers de vie communautaire, ne va pas jusqu'au bout d'elle- même, ne
sait pas refuser les étroitesses doctrinaires et se contente souvent d'une vie
côte à côte, d'une fraternité de côtoiement I Alors que le
Franc-Maçon, lui, comprend que la véritable joie fraternelle c'est de vivre non
pas côte à côte, mais avec, de vivre ensemble ; d'être soi, certes, mais de
vivre en pensant aux autres, en construisant sa vie en fonction de celle des
autres, de chercher sa vérité en retrouvant celle des autres... 'Mais penser aux
autres, signifie-t-il : « s'oublier soi-même » ? Ne craignons pas de
le dire : « s'oublier soi-même » ne serait pas maçon- nique. • si l'on n'est pas d'abord redescendu en soi, • si l'on ne s'est pas : cherché soi-même, « apprécié » au sens propre du terme et, finalement, maîtrisé, comment pourrait-on alors s'approcher des autres ? La Fraternité Maçonnique suppose donc qu'on ait établi ou qu'on cherche à établir : • la paix et l'équilibre en soi, • le gouvernement de soi-même. C'était déjà l'une
des grandes attentes de SOCRATE : que l'autre soit son semblable par le
gouvernement de soi. Et c'est d'ailleurs en cela que l'Autre est égal à Soi. • non seulement connaître, mais être certain — sans arrière-pensée — de son environnement, • savoir que d'autres Frères sont là, non seulement autour de soi, mais sur toute la terre : qui ont une existence propre, marchent librement, font des efforts joyeux, construisent patiemment dans le même sens, pour le même Temple. Alors tout est
possible. Possible de croire et
faire confiance, possible d'entreprendre et
de prolonger, possible d'être soi... et d'aimer les autres, en même temps,
possible de tout dire et de tout écouter... La Fraternité
maçonnique, c'est un pacte
contre l'égoïsme, l'indifférence, l'incompréhension, c'est un pacte de
foi et d'espérance déjà sur la terre : en soi et dans les autres, en l'humanité
tout entière, en la paix et la vie, c'est aussi un
pacte de disponibilité permanente, d'inspiration et d'action toujours prêtes à
intervenir. En fait, la
Fraternité maçonnique : l'Homme, son frère, dans sa personnalité, son égalité
et c'est vouloir, soi, vivre avec comme tel. Nous sommes nos
propres héros, « nos héros réciproques » puisque nous croyons en nous-mêmes et
que notre Fraternité l'atteste. ** C'est ALAIN qui
fait dire quelque part à son « Misanthrope » : « Ce n'est pas que je méprise les
hommes, mais, plutôt, que j'en cherche et que je ne trouve guère... Ici, en Maçonnerie,
les Hommes ont retrouvé les Hommes. Ce n'est pas qu'ils soient tous semblables.
Chercher son semblable ne signifie pas que l'Autre soit semblable à soi ! Au
contraire ! Comme l'écrivait Paul VALERY : « Nous nous enrichissons de nos
mutuelles différences », mais chacun est soi, exprimé, réalisé ou en passe de
l'être. Oui, c'est en
Maçonnerie que des hommes sont devenus des Hommes et, dans la Lumière, ont
retrouvé d'autres Hommes, c'est là, dans cette prise de conscience, qu'est le
fondement de la solidarité qui lie les Francs-Maçons, cette solidarité, partie
intégrante et ciment de la Fraternité Maçonnique. Comment être comblé
davantage, au moins sur cette terre, que par cette Fraternité chaleureuse dont
les Francs-Maçons donnent l'exemple ? Des hommes sont là,
de leur propre gré, qui cherchent ensemble la Lumière et avancent dans la voie
de l'Initiation. Pour la première fois ces hommes sont réellement libres avec
d'autres hommes libres. Ils peuvent parler : ils sont écoutés. Ils peuvent
parler : ils ne seront ni jugés, ni condamnés, ni offensés, ni humiliés. Le
réflexe sera de vouloir les comprendre. Tout cela parce qu'ils auront décidé,
une fois pour toutes, de s'aimer fraternellement. Et c'est dans l'usage qu'ils
feront de cet amour et de cette liberté qu'ils montreront qu'ils sont vraiment
des Francs-Maçons. C'est la
ressemblance de nos aspirations et de nos moeurs qui constitue notre lien à la
fois le plus doux et le plus indestructible. Rien ne peut nous offrir de plus
grande sécurité. En d'autres termes
encore, la véritable attitude fraternelle ne consiste- t-elle pas à être
soi-même, en toute simplicité, avec d'autres hommes, devenus Maçons, qui ne
demandent également qu'à être eux-mêmes, en toute simplicité ? L'un des grands
bonheurs du Maçon, c'est justement la saveur de cette fraternité fondamentale
dont il sait exprimer et faire jaillir toute la rareté. C'est comme un chant
qui aurait choisi volontairement sa propre musique et qui courrait sur des
notes joyeuses vers la grande Lumière. Le tableau de la
Fraternité Maçonnique que nous venons d'esquisser est-il une représentation
idéale, trop chargée d'illusions ? 'Comment pourrait-on parler « d'illusions »
quand nous, les Maçons, avons le cœur gonflé d'espoir parce que nous croyons en
la perfectibilité de l'homme ? La 'Maçonnerie n'a
pas le privilège de la Fraternité, la Grande Loge de France non plus. Il existe
des oeuvres ou des sociétés, laïques et religieuses, d'une communion et d'un
dévouement exceptionnels —. Mais nous donnons l'un des plus chaleureux exemples
que beaucoup nous envient... sans d'ailleurs le comprendre I Nous ne voulons
rien gâcher de la vie, ni pour nous-mêmes, ni pour les autres : nous voulons
vivre au maximum des possibilités de la vie. En paix avec nous, joyeux avec les
autres. Voilà pourquoi nous nous aimons. Répétons-le : notre
Fraternité 'Maçonnique n'est pas qu'une attitude, de bonheur de vivre ; c'est
surtout une volonté : de bonheur d'agir... C'est ainsi que la
Fraternité est la clef de voûte de notre vie maçonnique, donc de notre Temple. « 0 mes amis, il
n'y a que des amis » disait le philosophe... Parce que nous
sommes Francs-Maçons, nous dirons : « 0 MES FRERES, IL N'Y A QUE DES FRERES »... pour tous ceux qui le veulent vraiment. |
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