Obédience : NC Loge : NC Date : NC

Martinès De Pasqually à Bordeaux

1762 - 1772

ANNEE  1772
Rompant avec l'ordre chronologique suivi jusqu'ici, nous étudierons, dans ce bulletin, l’année 1772. En effet, nous avons découvert des documents qui éclairent d’un jour nouveau cette période. Ils nous paraissent suffisamment importants pour être présentés sans plus attendre. Il s’agit, d’une part, d’un acte notarié dressé à la demande de Martinès, et, d’autre part, d’un procès, peut-être à l’origine de son départ pour St Domingue. 


            DATES                                    EVENEMENTS                                    REFERENCES
            13 - 01             Lettre de Martinès à Willermoz écrite par Saint-               VR II p. 157
                                    Martin: conseils, instructions et date du travail
                                    d'équinoxe
            18 - 01                        Lettre de Saint-Martin à W: reprise de la rédac-   Papus SM p.110
                                    tion du Traité de la Réintégration par Martinès.
            27 - 01                        Lettre de SM à W: instructions pour le travail          Papus SM p.111
                                    d'équinoxe.
            14 - 02                        Lettre de SM à W: travail maintenu à  la date          Papus SM p.114
                                    prévue malgré la demande de W.
            27 - 02                        Des fruits confits expédiés de Saint-Domingue            Nos recherches,
                                     par le beau-frère de Martinès et destinés à                     A.D. de la Gironde
                                     Mme Adelaïde de France arrivent avariés.                        3E 15481.
                                    Constat devant notaire.
            27 - 02                        Jean-Frédéric Kuhn, négociant, originaire de        Coutura p.66
                                    Strasbourg, élu-coën depuis 1770, s'affilie à
                                    "l'Amitié" de Bordeaux.
            29 - 02             Dénonciation par un élu-coën d'un certain                        Nos recherches
                                    Mr de La Beaume.                                                          A.D. G.  12 B 344
                                                                                                           
            01 - 03            Arrestation de de La Beaume et de sa femme.                   Id
            03 - 03 et jours suivants : interrogatoire des témoins dont                          Id.       
                                    3 élus-cohens 
       
            s. d.                 "Brûlure de papiers un mardi-gras lors de                          SM p.158 n° 294
                                    l'arrestation de Monsieur de Labeaume".
            05 - 03              Début du travail d'équinoxe pour les élus-coëns              Réf. dans la lettre du 13-01 VR II p.157
            24 - 03             Lettre de Martinès à W écrite par SM après                     VR II p.158
                                    l'échec du travail de W.
            02 - 04              Annonce de départs de navires à destination                    Nos recherches
                                    de Saint-Domingue dont le “Duc de Duras”.                      A.D.G. 4 L 1369
                                    Départ prévu entre le 12 et le 15 avril.
            10 - 04             Martinès dépose chez un notaire des documents            Marcenne p.18
                                    attestant qu'il a été militaire.
            17 - 04            Martinès ordonne Réaux-Croix Desserre et Saint-Martin. VR II p.159
              29 - 04             Inscription de Martinès sur le registre des pas-                 Brimont p.53
                                    sagers du “Duc de Duras” à destination de
                                    Léogane à St-Domingue.
            s.d.                  mais lettre datée du 30 avril par Papus et reçue                Papus M de P p.57
                                    le 7 mai par W. Martinès lui annonce son                        VR II p.160
                                    départ pour Saint-Domingue.
            01 - 05             Procuration de Martinès donnée à sa femme.                  Réf. communiquée
                                    Pendant son absence, elle sera sa "procuratrice                par M.Marcenne
                                    générale et spéciale".                                                       AD 3E 17592
            05 - 05             Date probable du départ de Martinès.                             VR I p.31.

BIBLIOGRAPHIE :
BRIMONT (Renée de), "Le mariage de Martinès de Pasqually", le Voile d'Isis, n°121, janvier 1930, 35e année.
COUTURA (Johel), Les francs-maçons de Bordeaux au 18e siècle, Marcillac, 1981.
MARCENNE (Christian)"Martinès de Pasqually militaire", Bulletin de la Société Martinès de Pasqually, n°6, 1996.
PAPUS, Louis-Claude de Saint-Martin, Réimp.,Editions Déméter, Paris, 1988.<Papus SM>
PAPUS, Martinès de Pasqually, Réimp., Paris, Dumas, 1976.<Papus M de P>
SAINT-MARTIN, Mon portrait historique et philosophique, Paris, Ed. Julliard, 1961 <SM>
VAN RIJNBERK (Dr Gérard), Un thaumaturge au XVIIIe. Martines de Pasqually, Réimp. Plan de la Tour, 1980. <VR>.
Rappelons brièvement le contexte de l'année précédente, l'année 1771.
Martinès a fait deux longs séjours à Paris, de février à mai et d'août à novembre. Il s'est occupé du Tribunal souverain, d'instructions aux élus-coëns et de l'installation du temple de Versailles[1]. En juillet, à Bordeaux, il a commencé à rédiger le Traité de la Réintégration, avant son second séjour à Paris.
Saint-Martin, qui a quitté le régiment de Foix au début de l'année 1771, est à Bordeaux auprès de Martinès et s'occupe du secrétariat.
Enfin, le 31 mai, alors que son mari est absent de Bordeaux, Mme de Pasqually donne naissance à leur second fils, Jean-Jacques [2].
           
Le dernier document concernant l'année 1771 est une lettre en date du 24 décembre. Elle est rédigée par un élu-coën du régiment de Foix, Grainville, à l'attention de Willermoz. Il dit qu'il tient à l'Ordre à cause de la Chose, même s'il a pris conscience de certaines faiblesses ou limites de Martinès [3] .
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*      *
En ce début d'année 1772, Martinès semble se consacrer aux instructions et à la rédaction du Traité si on en juge par les lettres écrites à Willermoz et par la fréquence du courrier. En un mois, quatre lettres partent de Bordeaux, entre le 13 janvier et le 14 février. Ces lettres précisent les instructions de façon très détaillée pour le travail d'équinoxe car la date du  5 mars - choisie par Martinès selon des critères lunaires- rassemblera dans un travail simultané des élus-coëns, là où ils seront. Elles nous apprennent que Martinès continue à rédiger le Traité, ce qui retardera les instructions pour la réception des femmes.
            La lettre suivante datée du 24 mars est consacrée au succès relatif obtenu par Willermoz lors du travail d'équinoxe et à différents conseils et encouragements de Martinès à cet élu-coën déçu. Dans cette lettre, aucune allusion aux  événements qui ont troublé la vie de Martinès, juste avant les travaux d’équinoxe, et dont nous avons retrouvé la trace aux Archives départementales de la Gironde.
Le premier se situe en février. Par acte notarié, en date du 27, Martinès fait constater, chez lui, rue Judaïque, par le notaire Morin, que deux quarts de barriques contenant des fruits confits, l'un des ananas, l’autre des citrons, expédiés par bateau, depuis St Domingue, par son beau-frère, Collas de Maigné (ou Magné) sont arrivés avariés. Détail domestique, penserez-vous, sans grande importance, qui ne mérite pas un acte notarié mais le destinaire de l’envoi n’est pas Martinès, c’est Madame Adélaïde de France, fille de Louis XV. Comment se fait-il que Martinès réceptionne, à Bordeaux, des produits destinés à Versailles ? Et pourquoi cet envoi ? Veut-il faire un cadeau à la Cour pour remercier d'une faveur ou en obtenir une ? Dans sa lettre du 1er novembre 1771, il dit qu'il a obtenu, pour son beau-frère, la Croix de St Louis ... Est-ce un  élu-coën ou une personnalité bordelaise qui, sachant que Martinès a un beau-frère à Saint-Domingue, a passé commande par lui ? Mais cette personne est alors en relations avec Mme Adelaïde ... Nombre de personnalités bordelaises peuvent être proches de la Cour: le Prince de Rohan, Ferdinand Maximilien de Mériadeck, archevêque de Bordeaux, qui apprécie beaucoup Martinès et "le comble de bontés" (lettre de Saint-Martin datée du 8 juin 1771[4]), le Maréchal de Richelieu, gouverneur de Guyenne, courtisan assidu et Franc-Maçon, que connaît Saint-Martin[5] et sans doute Martinès.
Les faits actuellement connus ne permettent pas de répondre à ces questions. Ce qui est sûr, c’est que Martinès est très ennuyé par cet incident. Il avait envoyé la veille, à la douane, deux élus-coëns, Saint-Martin et Duroy de Hauterive, récupérer les précieux quarts. Les deux hommes s'aperçurent de la légéreté des barils et avertirent immédiatement Martinès qui les fit alors ouvrir devant témoins, deux autres élus-coëns, l'abbé Fournié et Schild, un négociant de Bordeaux. Les barils étaient aux trois quart vides et les fruits confits qui restaient étaient avariés. C'est pourquoi, troisième étape de cette affaire, Martinès fait constater l’état des barils par le notaire Morin et lui demande de se retourner contre Jean Sorel, capitaine et commandant du navire “ l'Union de Bordeaux ” qui a transporté la marchandise.
Le notaire dresse le procès-verbal à 8h du matin, rue Judaïque, en présence de Martinès, bien sûr, et des quatre élus-coëns, témoins, qui ont signé. Le lendemain, l'acte est notifié au capitaine. Pourquoi tant de précautions de la part de Martinès ? Seulement à cause de la destinataire ? ou bien ces barils contenaient-ils autre chose que des fruits confits ? argent ? papiers ? documents concernant l'Ordre ? N'oublions pas que Caignet qui sera le successeur de Martinès est récemment parti à Saint-Domingue, chargé des patentes et constitutions[6].
Ce même jour, Jean Frédéric Kuhn, élu-coën depuis 1770, s'affilie à une autre loge que celle de Martinès, celle de l'Amitié. Pourquoi ? Joël Coutura signale ce fait sans le commenter. C'est une loge composée presque exclusivement de négociants voyageurs et Kuhn est un négociant. Mais est-ce une raison suffisante ? S'éloigne-t-il de Martinès ? Il est connu parce que le Traité qu'il possédait n'a pas été perdu mais on sait peu de choses sur sa période bordelaise d'élu-coën. Sa conduite aurait-elle un rapport avec le troisième événement que nous allons  relater maintenant, événement qui jette, peut-être, un nouvel éclairage sur le départ de Martinès pour St Domingue ?
Le samedi 29 février, Arnaud-Mellon Fatin, conseiller du roi, notaire à Bordeaux, dépose une plainte auprès du Procureur général au Parlement de Bordeaux accusant un certain marquis de Labeaume d’attirer chez lui des personnes de qualité et de leur extorquer de l’argent sous prétexte d’alchimie (transmutation des métaux), de réception et d’initiation de type maçonnique (“la Maçonnerie de Salomon”) et de magie (évocation d’esprits gardiens de trésors cachés)[7]. Le lendemain, le dimanche 1° mars, l’enquête est confiée aux Jurats qui font arrêter Labeaume et sa femme[8]. Le mardi 3 mars, “brûlure de papiers un mardi-gras, lors de l’arrestation de Monsieur de Labeaume” écrit Saint-Martin sans autre commentaire[9].
 Il n'est pas question, dans le cadre de cet article, de rapporter les étapes de l'affaire de Labeaume avec les réseaux d'influences qui semblent graviter autour du procès, d'analyser le cas de toutes les personnes qui y sont plus ou moins impliquées. Il s'agit d'essayer de démêler les rapports de cette affaire avec Martinès.
Parmi les nombreux témoins qui sont très rapidement convoqués, trois nous intéressent : Fatin, Joseph Laborie et Bernard Raymond Blanquet.
Fatin, qui n’est pas répertorié jusqu’ici comme élu-coën, mais dont Saint-Martin parle[10], rencontre le couple en septembre 1771 alors que Martinès est à Paris. Il est sensible à leur position sociale, à leur train de vie, à leur “science” ainsi qu’aux discours plein de sagesse qu’ils tiennent. En décembre, il commence à douter et cherche à se renseigner car il a l’impression que le couple essaie de l’escroquer.
En novembre, Fatin leur a présenté Joseph Laborie, un négociant des Chartrons ; sans doute, l’élu-coën qui accompagne Martinès lors de son second séjour à Paris[11]. Labeaume lui a prêté des livres.
Parmi les familiers des Labeaume, il y a Bernard Raymond Blanquet aîné, avocat, ancien élu-coën, qui s’est éloigné de Martinès depuis 1766, et, est même devenu son ennemi[12] Parmi les objets saisis chez les Labeaume, il reconnaît[13]:
 un cordon noir, deux cordons rouges, un autre bleu, un tablier rouge doublé de peau  blanche et ..... divers bijoux ..... faisant partie des bijoux de maçonnerie à lui qui depose appartenant les ayant laisses ches lesdt Sr et dame de labaume ainsy que trois differents lettres par lui ecrites audits sr ..... et un livre intitulé “La phisique de Listoire Sainte.....
Ces derniers points confirment les activités maçonniques auxquelles se livrent Labeaume et sans doute aussi Blanquet.
Mais qui est donc ce Labeaume ? Au cours de l’interrogatoire, il se présente ainsi :
Jacques Christophe didier La porte de Berry de labeaume natif de Chambrilan, parr de St pierre En dauphiné, diocese de valence, agé de quarante cinq ans ou environ ..... à Bordeaux depuis environ deux ans ... que ses pêre et mere sont décédés, son pere etant mort  à paris, à lage de soixante deux ans, secretaire du Cabinet et des secrets du roy et de Monseigneur le dauphin, et qu’il avoit eté embassadeur plenipotentiaire aux Conferances, qui se teinrent à aix la chapelle  en 1744 ; que sa mere est morte ensuitte à Labaume en 1762 où 63 ; qu’il à  actuellement sept frères vivants ..... [qu’il quitta sa famille] en l’année 1754 où 55 temps auquel, il alla servir en qualité de Lieutenant dans le regiment de vermandois, dont Mr de gramont son parrein, etoit colonel ; qu’il continua son service dans ce regiment jusques après la prise du por mahoun, temps auquel il alla à paris, où il fut employé dans lambulance, et fut incorporé, et obtint une comission dans la briguade de Lovendal, ensuite incorporé dans celle de Lamarke, en qualité de chirurgien major, où il servit jusques en lannée 1761, qui fut  reformé ; quen quitant le service, il retourna chés ledit sieur son pere d’où il sortit sept à huit  mois aprés pour aller à aix, où il exerça la proffession de medecein chimiste sans neanmoins en recevoir aucun salaire[14]...
Plus tard, il ajoutera que sa mère a accouché accidentellement à Chambrillan mais que la résidence ordinaire de son père était Grenoble.
Que de similitudes avec ce que nous savons maintenant de Martinès. Ils sont tous les deux militaires, ont servi dans l’armée aux mêmes époques et dans les mêmes campagnes. Ils ont  créé, semble-t-il, l’un et l’autre, un mouvement maçonnique à l’intérieur de la maçonnerie ; ils sont originaires de Grenoble et ont à peu près le même âge ; Labeaume dit posséder une maison à Aix-en-Provence, ville où le père de Martinès était vénérable..... Les deux hommes se connaissent-ils ? Devant les doutes de Fatin, Martinès a-t-il provoqué la dénonciation de Labeaume ?
Tout au long des mois de mars et avril, les témoignages et les contre-interrogatoires se poursuivent. C’est durant cette période que Martinès dépose des documents concernant sa qualité de militaire et part pour St Domingue.
L’instruction se poursuit, elle est rondement menée et la sentence tombe le 13 juillet : Labeaume est condamné aux galères et sa femme à la prison à vie[15]. Il faut remarquer, dans ce procès, que Labeaume n’a pu faire la preuve d’aucun des faits qu’il avançait, que ce soit sur son nom, ses qualités, son lieu de naissance ou sa carrière militaire ...Les Labeaume font aussitôt appel auprès du Parlement de Bordeaux[16]qui casse le premier jugement et les condamnent au bannissement hors de France[17].
C’est seulement dans cette deuxième période du procès que le nom de Martinès apparaît. Son nom n’a jamais été cité pendant l’instruction des Jurats ni prononcé par les témoins. Il apparaît dans un document intitulé “Mémoire pour le Sieur Laporte de Berry de Labeaume, Ecuyer et la dame son épouse ; appelant d’une sentence rendue par les Sieurs Maire et Jurats”[18].
Ce mémoire est “imprimé et répandu dans la Ville et dans la Province” nous apprend Fatin qui réagit dans une supplique adressée au Parlement datée des 27 et 28 août. Il le considère comme “un libelle diffamatoire, dont l’unique objet a été de calomnier, de décrier et déchirer le Suppliant”, et demande au Parlement la condamnation publique et la destruction de ce mémoire qui dit, en particulier, ceci :
                                                           
Venant aux dépositions, attaquons d’abord ce témoin, que le public désigne hautement pour dénonciateur. C’est Fatin jeune, Notaire, déjà connu par quelques anecdotes assez publiques, éleve d’un certain Martine Pasqualis, prétendu Franc-Maçon, mais chassé comme imposteur de toutes les loges, noté, dans tous les lieux où il a passé, flétri, & qui vient de s’enfuir au-delà des mers.
Fatin ne sçaurait nier son intimité avec cet homme ; mille voix s’éleveroient pour arrester que Pasqualis étoit son idole. Fatin avoit d’ailleurs porté sa déposition, qui est sans fin, toute écrite, avec cette circonstance, que ce n’est point son ouvrage, mais du Pasqualis tout pur .....
Martinès est, ici, formellement désigné comme le dénonciateur peu recommandable de Labeaume. Mais pourquoi avoir attendu la fin du procès pour attaquer ? Est-ce parce que Martinès est loin et ne peut répondre à cette accusation ? ou parce qu’il est à l’abri, à St Domingue ? En d’autres termes, Martinès s’est-il senti menacé et a préféré fuir avant la fin de l’instruction ? Dans ce cas, soit il a bien dénoncé Labeaume avec l’aide de Fatin, mais pourquoi fuir si tôt alors que rien ne laisse supposer que Labeaume sera épargné ? Soit Fatin a agi seul et Martinès comprend qu’il lui faut s’éloigner car on peut utiliser l’affaire contre lui ? La phrase de Saint-Martin le laisse à penser. Il est certain que Fatin n’avait pas prévu que l’affaire tournerait ainsi. Soit Labeaume bénéficiait, à Bordeaux, de puissants appuis qu’ignorait Fatin, soit ce procès permettait des règlements de compte à l’intérieur de la Maçonnerie ainsi qu’entre les forces politiques en présence à Bordeaux, les Jurats, le Parlement, l’Intendant et le gouverneur, le duc de Richelieu.
La découverte de ce procès pose plus de questions qu'elle n'en résoud, mais ce qui est étonnant, alors qu'il a dû avoir un impact très important sur la ville, il semble, ensuite, avoir été occulté, effacé, comme s'il avait mis au jour des choses tenues secrètes qu'on s'est empressé ensuite de cacher de nouveau et d'oublier. Même Lamontaigne, pourtant rapporteur du mémoire de Labeaume auprès du Parlement, n’y fait pas allusion dans sa chronique[19].
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Une autre source peut nous donner quelques indications sur les derniers mois de Martinès à Bordeaux. Ce sont les dernières pages du Traité[20] qui est resté inachevé, brutalement interrompu. Martinès va-t-il faire allusion à ce qu’il vit ou ressent dans sa vie quotidienne tout en tranmettant à ses disciples son interprétation des textes de l’Ancien Testament ? Peut-être pouvons-nous, en effet, considérer comme des références  aux événements en cours, les remarques sur les opérations et les habitudes scandaleuses qui pervertissent l’homme et sur le seul conseil qui peut guider les élus, celui de l’Eternel (p. 230). Il fait dire à la Pythonisse “Ils (les hommes méchants et impurs) t’avaient persuadé de me faire mourir ... mais apprends, Seigneur-roi, que le Dieu d’Abraham protège les justes...” (p.231). Il insiste sur le danger de la croyance dans les devins, magiciens et sorciers, hommes ou femmes. “Reconnais que tout être de cette espèce ne peut mériter de confiance puisque l’homme ne peut être instruit dans aucune connaissance des opérations de l’univers qu’en subissant de pénibles et formidables travaux” (p.232) et, presque à la fin du texte, il ajoute “ Quiconque donne le nom de devin au Créateur ou à sa Créature insulte l’un et l’autre, péche contre l’esprit et sera horriblement puni” (p.234).
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Un mémoire de l’Amitié[21] conservé à la Bibliothèque de Bordeaux et signalé dans ce bulletin par  Jean-Claude Drouin pourrait faire allusion à Martinès et à son départ. Seule l’initiale M est donnée mais dans les faits rapportés, on pourrait reconnaître le récit du séjour de Martinès à Bordeaux.
Dans ce mémoire, l’Amitié souligne qu’elle s’est toujours opposée à l’établissement de nouvelles loges, en accord sur ce point avec la Loge Française, ce qui l’a conduit encore une fois à exclure des membres.
Elle décrit le cas d’un M. comme l’exemple des malheurs qui frappent ceux qui veulent transgresser sa décision : “ Il erre dans le monde qui n’est plus pour lui qu’un affreux désert, rebuté par tout, par tout démasqué”.

M\ N\ et  M\ F\



[1]                <THOMAS (Albéric)>,"Nouvelle notice sur le martinésisme et le martinisme", dans VON BAADER (Franz), les enseignements secrets de Martinès de Pasqually, Réimp., Paris, Dumas, 1976, p. XXXVIII.
[2]              NAHON(Michelle), FRIOT (Maurice),"Les domiciles bordelais de Martinès de Pasqually (1762-1772) dans Revue archéologique de Bordeaux, tome LXXIX, Année 1988, p.163-166.
[3]              JOLY (Alice), Un mystique lyonnais et les secrets de la Franc-maçonnerie Paris, Demeter, 1986, p. 32.
[4]              PAPUS, op. cit.,p. 100
[5]              SAINT-MARTIN, op.cit., p. 157, n° 294
[6]              VAN RIJNBERK, op.cit., II p. 154, lettre du 1er novembre 1771
[7]              A.D.G. 12 B 344
[8]              A.D.G. 12 B 134 Registre d’écrou
[9]              SM p.158 n° 294
[10]             idem
[11]             <THOMAS Albéric>, op.cit.pXXXIII
[12]             Notre article “le départ de Martinès de Pasqually pour Saint Domingue” dans Bulletin Martiniste, n° 2
[13]             Interrogatoire du 4 mars
[14]             Interrogatoire des 13 et 15 mars
[15]             A.D.G. 12 B 15 Hôtel de Ville sentences
[16]             Le 22 avril, Labeaume avait adressé un “factum” au Conseiller de Lamontaigne qui était le rapporteur de l’affaire auprès du                                    Parlement. A.D.G. Fonds Lamontaigne Ms 1696/2 (113) (cf. en annexe).
[17]          7 septembre 1772. Archives municipales de Bordeaux, FF 5c
[18]          M. Christian Marcenne, à qui nous avions parlé de nos recherches sur l’affaire Labeaume, nous a indiqué les références IX
                                  h 801 Mémoire du Sieur Laporte de Berry de Labeaume et IX h 802 supplique de Fatin à l’attention du parlement en date                                        du 22 août 1772 aux Archives municipales de Bordeaux. Nous tenons le remercier chaleureusement ici.
[19]          Chronique bordelaise de François de Lamontaigne, conseiller au Parlement, texte inédit publié par la Société des                                             Bibliophiles de Guyenne, Bordeaux, Delmas, 1926.
[20]          MARTINES DE PASQUALLY, Traité de la Réintégration des Etres, Réimp. Ed. Traditionnelles, 1977 p. 228.
[21]          Bibliothèque de Bordeaux, D 69508 S, sans date mais très certainement écrit fin 1773.

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