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Le Symbolisme chez Jérôme Bosch

V\ M\ et vous tous mes Ss\ et mes FF\ en vos grades et qualités, j'ai choisi de vous proposer un travail sur le thème « Le symbolisme chez Jérôme Bosch » pour diverses raisons ; tout d'abord, parce que, visuellement, j'aime Jérôme Bosch et que je voulais partager cette attirance avec vous –mais ceci n'est guère original -. Deuxième raison de ce choix, je n'y connais pratiquement rien en peinture, et c'est donc l'occasion, sous votre regard compréhensif, d'essayer d'aborder une réflexion nouvelle. Troisième raison, c'est la prise en compte des réflexions légitimes sur mon attitude un peu désinvolte à l'égard du symbolisme, en raison de mon expérience maçonnique ; le choix d'un thème difficile, le symbolisme chez un peintre du XVe siècle, est ainsi l'occasion d'approfondir cette notion de symbole. Quatrième raison, j'ai trouvé dans la peinture de Jérôme Bosch de quoi nourrir une réflexion purement maçonnique sur les trois points que sont la sagesse, la force et la beauté.

Ma planche comportera trois parties :
1. la notion de symbole : sens général, sens maçonnique et caractéristique du travail de Jérôme Bosch.
2. inventaire non exhaustif des symboles dans les tableaux de Jérôme Bosch, et tentative de synthèse sur l'approche symbolique de ce peintre.
3. Jérôme Bosch et le symbolisme maçonnique : le pavé mosaïque derrière les couleurs picturales ; la sagesse, la force et la beauté.

Avant d’entamer ce travail, je voudrais remercier pour leur aide notre F\ Freddy et notre S\ Valérie, ainsi que les Ss\ et les FF\ de l’At\ Mosaïque, un At\ maçonnique virtuel et international sur Internet.

1. la notion de symbole : sens général, sens maçonnique et caractéristique du travail de Jérôme Bosch.
1.A. : sens général du symbole : Écarté comme un danger au cours de la période qui va du cartésianisme au positivisme et au scientisme, le symbole retrouve dans la période contemporaine un fabuleux regain d'intérêt à la suite, notamment, de la psychanalyse et de l'anthropologie. Ces deux secteurs lui redonne ses lettres de noblesse et l'élève au rang de fondement de l'équilibre psychosocial de l'être humain. Se développe alors une science du symbole, la symbolique, qui touche à des domaines aussi variés que l'art, la littérature, les sciences humaines ou la philosophie.
Cette science tente de définir le symbole et d'en rechercher les propriétés. Le symbole est enfin, et surtout, l'élément clef de toute tradition initiatique.

Approche psychosociale du symbole
Le rationalisme auquel nous amène la société actuelle assèche l'être humain en le coupant d'une part de son inconscient et d'autre part des traditions morales et spirituelles qui l'aidaient à vivre : L'inconscient n'est plus vu que comme le siège d'une libido sexuelle refoulée qui s'exprime à travers des pulsions incontrôlables que les « bonnes mœurs » censurent et dont le seul intérêt s'exprime en termes d'impact publicitaire ! La perte des traditions a fait disparaître le sens du sacré et le mystère des choses. L'homme est ainsi séparé de l'univers qui l'entoure et il est incapable de trouver un sens à sa vie. Cet état de dissociation d'avec lui-même et d'avec le monde qui l'entoure l'amène à vivre dans la peur et l'ignorance. Seuls les rêves peuvent assurer un certain équilibre, mais nous avons tendance à les rejeter car le langage symbolique qu'ils utilisent reste incompréhensible à notre raison.

Des psychanalystes, comme C.G. Jung, et des historiens des religions, comme M. Eliade, ont montré l'importance du symbolisme comme nécessaire réponse à ces problèmes : Le travail sur les symboles permet d'instaurer un dialogue avec son inconscient, de se réapproprier son monde intérieur nocturne par la fonction de l'imagination, et ce, afin de retrouver « l'esprit originel de l'homme », sa « psyché primitive » (C.G.Jung).

Le symbole raccroche l'humain à son espèce, à sa culture et à son histoire. Il l'aide à retrouver sa place dans le cosmos et redonne un sens à sa vie. L'imagination symbolique, en permettant la création, équilibre ainsi la fatalité de la mort biologique.
Le symbole assure ainsi le rapprochement entre les hommes et la connaissance de son propre mécanisme intérieur invite à accepter la pensée de l'autre et développe la fraternité, ciment de la vie sociale.

Approche symbolique
G. Durand différencie le symbole des signes arbitraires et des signes allégoriques lorsque la réalité représentée n'est plus du tout présentable. Il n'est pas, comme les autres signes, un « subterfuge d'économie », le « signifié est incarné dans le signifiant » (C.G.Jung). On peut reprendre la formule de A.Lalande : « signe concret évoquant, par un rapport naturel, quelque chose d'absent ou d'impossible à percevoir », ou celle de G.Durand : « le symbole est une représentation qui fait apparaître un sens secret, il est l'Épiphanie d'un mystère ».

Comme l'indiquent les noms mashal en hébreu et sinnbild en allemand, le symbole est sumbolon, il rassemble les deux moitiés que sont le signifiant et le signifié, le saisissable et l'insaisissable (R. Alleau), il « rassemble ce qui est épars ». Il est le médiateur entre le conscient (le sens) et l'inconscient (l'image) ; le sens ordonne la libido, tandis que celle-ci charge le conscient de l'énergie de l'image (G.Durand). Il n'est pas un simple signe chargé d'un sens statique, ce que R.Alleau appelle un synthème, mais se charge de sens de façon dynamique : « le synthème devient symbole lorsqu'il apporte une compréhension nouvelle, par une invention, une création, une vision ».
A ces tentatives de définition du symbole, il faut rajouter pour en préciser le sens un certain nombre de caractéristiques importantes qui le différencie du signe : Il est fondamentalement multi-sens.

Contrairement à la science, il procède tout d'abord par « éclatement de l'un vers le multiple » (J.Chevalier). Il admet les contraires apparents (la dualité) et constitue un système dans lequel les polarités antagonistes restent intactes et sont sources de dynamisme et de liberté. Par opposition au signe scientifique, le symbole répond à la logique du tiers-inclus (S. Lupasco, cité par G.Durand).

Il possède le caractère de redondance (G.Durand), et c'est par le pouvoir de répéter qu'il perfectionne par accumulations (ex. des symboles rituéliques)... Le travail symbolique ne peut être purement rationnel, mais un mélange de raison, d'intuition et d'imagination créatrice. « Analyser intellectuellement un symbole », dit P.Emmanuel (cité par J.Chevalier et G.Durand), « c'est peler un oignon pour trouver l'oignon ».

Le symbole possède un pouvoir d'évocation et d'expression qui permet de transmettre, non des connaissances, mais une dynamique de découverte du Soi. Il est source du langage symbolique qui n'est pas « simple communication de sens, mais convergence d'affectivité » (J.Chevalier), ce qui fait de lui le vecteur principal de la tradition.

1. B. : le sens maçonnique du symbole se comprend par l’approche initiatique qu’est le travail symbolique. H.Corbin nous dit que « le symbole n'est jamais expliqué une fois pour toutes, mais toujours à déchiffrer de nouveau, de même qu'une partition musicale appelle une exécution toujours nouvelle ».

Cela nous ramène à nous-mêmes au sens où le symbole nécessite une interprétation subjective et non une traduction objective. Non utilisé, il meurt et redevient un simple synthème. Le signifié ne pourra être découvert que par soi-même et pour soi-même. Pour vivre et permettre la création, le symbole doit entrer en résonance avec soi, il est l'expression de ce qui est pressenti, mais non encore reconnu (J.Chevalier).

Ce travail symbolique s'appuie sur une confrontation de plusieurs symboles qui s'éclairent les uns, les autres, de façon cohérente et harmonieuse. Ce système de symboles est lié au social ; il a son histoire, sa tradition, et ce n'est que par la proximité culturelle et spirituelle de cet ensemble symbolique et grâce à sa transmission fidèle que l'on peut espérer réaliser pleinement son initiation.

Il met alors en oeuvre l'Etre dans son intégralité, son conscient et son inconscient, sa raison et son imagination, dans un état de « rêveur éveillé » cher à G.Bachelard, et permet ainsi d'accéder à des niveaux de conscience différents du rationnel pur. Le signe travaille sur un plan, tandis que le symbole donne accès à une dimension verticale. Il relie sur l'axis mundi les domaines de l'inconscient, du conscient et du surconscient, les mondes inférieur, terrestre et céleste. Il associe l'image et le sens, la transcendance et la réalité objective, l'éternité et le temps; il est « médiation de l'éternel dans le temporel ». C'est l'état de tension permanent entre ces deux pôles qui engendre l'équilibre du sage et le pouvoir de création de l'initié.

1. C. : le symbole, caractéristique du travail de Jérôme Bosch.
2. inventaire non exhaustif des symboles dans les tableaux de Jérôme Bosch, et tentative de synthèse sur l'approche symbolique de ce peintre.
2. A. : les symboles d’après les toiles.
2. B. : les principaux symboles chez Jérôme Bosch

Après cet inventaire à la Prévert des symboles d’après une promenade de l’œil sur les toiles, il convient de citer les principaux symboles fondamentaux, les symboles clefs, de cette œuvre picturale ; je me suis appuyé pour la détermination de ces symboles essentiels sur un ouvrage de Mia Cinotti qui en a dressé une liste, que j’ai classée en plusieurs catégories, les symboles alchimiques, les symboles religieux, les symboles populaires, les symboles magiques et fantastiques, et enfin les couleurs symboliques.

Les symboles alchimiques :
- l’alambic et le creuset, où s’accomplissent le grand oeuvre de l’alchimie c’est-à-dire l’union du mercure et du soufre, dont naît l’enfant alchimique, qui est lui-même le fruit de la génération contre nature.
- l’arbre creux, qui est également une allusion au creuset alchimique, mais aussi un symbole de mort ; l’arbre creux est une allégorie de la nature, à laquelle il faut ravir le secret.
- le corbeau, symbole de l’incrédulité pour les mystiques (c’est-à-dire le magicien nourri de fausses doctrines par le diable). En alchimie, le corbeau apparaît à deux stades, l’albedo, qui est le blanchiment du corbeau, et la nigredo, qui est le stade initial de la cuisson, dans lequel naît l’androgyne (ou tête de corbeau), de l’union du soufre et du mercure.
- le couteau et la flèche, le sexe masculin ou encore le feu du creuset alchimique.
- la cucurbite du sage, le creuset alchimique.
- le pied coupé, la fixation du mercure en alchimie ; ou encore, la mendicité dans le folklore.
-Le soufflet, le souffle du feu en alchimie ; représente les charlatans pseudo-alchimistes.
 
Les symboles religieux :
- le cerf, emblème du Christ ou de l’âme pure.
- la chouette et le hibou, symbole de la sagesse dans l’oniromancie ancienne, puis symbole de l’hérésie.
- le crapaud, signe du diable ou du sortilège. Également le soufre en alchimie.
- la grenouille, la crédulité, source d’hérésie.
- le hérisson, l’hérésie. Pour les Cathares, il représente la double nature du Christ.
- la cruche, le sexe féminin ou encore le diable (qui durant le sabbat, saute hors d’une cruche).
- la demi-lune, la vanité ou le diable.
- l’eau, la pitié, l’eau glacée, l’enfer. En alchimie, le mercure, élément féminin.
- l’escargot, la résurrection ; en alchimie, le grand oeuvre.
- la huppe, l’âme qui accepte les fausses doctrines.
- le feu, attribut de St-Antoine. En alchimie, c’est le soufre, élément masculin.
- la nausée ou le vomissement, une caractéristique du démoniaque, par le rejet des choses non assimilées, la séparation de l’être.
- l’œuf, emblème de la magie noire et du diable. En alchimie, correspond à l’alambic. L’œuf percé est une allusion à des naissances monstrueuses.
- le pélican, symbole de l’amour du prochain (il nourrit ses petits de son propre sang), ou du Christ rédempteur (qui fait revivre ses fils en les lavant de son propre sang).
- la pomme, fruit initiatique (la pomme d’Eve), ou, dans le folklore, les seins de la femme.
- le rat, la fausseté, en particulier les doctrines que repousse le christianisme.

Les symboles populaires :
-la cerise et la fraise, symboles de la volupté (d’après les anciennes clefs des songes).
- la cigogne, symbole de la chasteté.
- le lièvre, la volupté unie à la terreur de la mort.
- le cygne, l’hypocrisie ; chez les mystiques, il représente la débauche ou l’oubli de la parole divine.
- la clef, symbole de la connaissance, ou encore, dans l’interprétation des songes, du sexe.
- la corne, sexe masculin ou, si elle est renversée, sexe féminin. Idem pour la cornemuse.
- la valve de mollusque, le sexe féminin dans le jargon populaire.
- l’échelle, l’acte sexuel.
-l’entonnoir représente le savoir, ou le dérèglement, ou le sexe masculin. S’il est renversé, la tromperie ou le faux savoir.
- la fleur de cardon représentent les tentations qui assaillent l’esprit du paresseux.
- l’ibis, la mémoire.
- l’ours, la mémoire ou la luxure.
- le paon, la vanité.
- le papillon, l’inconstance ou la résurrection.
- le poisson avec écailles, la pureté ; d’après les clefs des songes, la volupté ou l’angoisse ; dans le symbolisme freudien (issu du folklore), le sexe masculin. Si le poisson est mort, notamment sans écailles, il représente le péché.
- le rouge-gorge, la luxure.
- le singe, l’inconstance ou le mensonge (parfois le diable).

Les symboles magiques et fantastiques :
- le bateleur : c’est le premier arcane majeur des tarots, qui représente un jeune homme tenant en main une baguette magique, et qui se trouve devant la table qui comporte les emblèmes de la vie :
- l’épée ou l’allène (signe de la lutte), les deniers (signe du profit), la coupe (signe de la passion). Le bateleur est le symbole de celui qui veut créer, à l’égal de Dieu.
- le chariot, septième arcane majeur des tarots ; deux sphinx (ou chevaux) sont attelés à ce chariot, qui porte des emblèmes phalliques. Il symbolise le chemin parcouru par l’homme durant son existence.
- l’ermite : neuvième arcane majeur des tarots, qui symbolise le sage se protégeant du mal.
- le tau, la perfection dans les tarots. C’est également un exorcisme contre les tentations diaboliques, et l’emblème des Antonites.
-le fou, vingt-deuxième arcane majeur des tarots, qui représente la fin du jeu (et de la vie), le degré suprême d’initiation et, à cause du chien qui mord, l’expiation.
- le grylle, qui est un petit monstre en forme d’homme-oiseau, ou d’homme-insecte, etc. Il peut avoir un ou plusieurs visages, ou encore un nez sur le dos.
- la sirène, les enchantements maléfiques.

Les couleurs symboliques :
- le blanc, symbole de la puissance de l’esprit contre les forces naturelles. En alchimie, le blanc est le second stade de la cuisson.
- le bleu, symbole du mal et de la tromperie.
- le vert, couleur de l’eau purificatrice, mais aussi du regard maléfique de Satan.
- le rose et le rouge, la couleur de l’amour et de la création. En alchimie, le stade final de la.2.C. : tentative de synthèse sur l’approche symbolique de ce peintre.

L’Avare
Le tableau. La mort de l'avare nous montre un individu, qui, même à l'heure de sa mort, alors qu'il y va pour lui du ciel ou de l'enfer, persiste dans sa folie. Le mourant est allongé dans une chambre à coucher, haute et étroite ; sur la gauche, la mort a déjà pénétré dans la pièce. Un ange gardien protège le mourant et essaie d'attirer son attention vers un crucifix accroché au dessus de la fenêtre mais les trésors terrestres qu'il doit abandonner l'en empêchent. Aussi, d'une main, il essaie d'attraper presque inconsciemment une bourse d'or que lui tend un petit démon à travers le rideau.

Au premier plan, on voit un petit démon avec des ailes qui s'appuie sur une balustrade sur laquelle se trouvent de riches tissus et des armes de chevalier. Ces accessoires désignent vraisemblablement l'état séculier et le pouvoir terrestre que l'avare doit également quitter. Le combat entre l'ange et le diable autour de l'âme du mourant est représenté également sur le dessus de la table du Padro, où l'on voit aussi la forme traditionnelle de la mort, armée d'une flèche. Ces deux scènes sont vraisemblablement inspirées d'un livre de piété très connu au XVe siècle : « Ars Moriendi » ou « L'art de mourir ». Il fut à plusieurs reprises réédité en Allemagne et aux Pays-Bas.

Ce petit manuel étrange décrit les diables qui entourent le lit du mourant et essaient de l'induire en tentation pendant qu'un ange, à chaque fois, essaie de le réconforter et de lui donner la force de vaincre le combat avec la mort. Dans ce manuel, l'ange finit par gagner et emporte triomphalement l'âme au ciel, tandis que résonnent dans le fond, les hurlements désespérés des diables. Par contre, sur le tableau de Bosch, le dénouement du combat n'est pas du tout certain. Au pied du lit, on voit un coffre ouvert, empli de choses précieuses; un diable est assis dedans et tient ouvert une bourse d'argent dans laquelle un vieil homme, penché au dessus du coffre, glisse des pièces d'or. Il est vraisemblable que cet homme représente également le mourant qui ne semble pas du tout s'intéresser au chapelet qu'il tient dans la main gauche.

La Tentation de St-Antoine
Huile sur bois, 131,5 X 225 cm (Aile de gauche (L'Envole et la chute de St Antoine) et de droite (St Antoine en contemplation) : 131,5 X 53 cm et Aile du centre (La Tentation de St Antoine) : 131,5 X 119 cm) Lisbonne, Musée National de Arte Antiga.
Les petits tableaux sur la vie des saints étaient vraisemblablement destinés à être contemplés dans le calme des cloîtres et des chapelles privées. Ils montrent- conformément à l'interprétation monastique – le chemin laborieux par lequel doit passer tout pèlerin religieux pour regagner son pays natal perdu et trouver enfin l'union avec Dieu. Par contre, nulle part ailleurs, on ne peut mieux découvrir les dangers de la vie spirituelle que sur le tableau si vivant et si émouvant de Saint Antoine, l'ermite fondateur d'une vie monacale chrétienne, que Bosch a peint sur un retable, aujourd'hui à Lisbonne. Bosch a souvent peint Saint Antoine. On le voit sur l'aile gauche du triptyque « l'Ermite » ; ce personnage est aussi représenté plusieurs fois sur une esquisse méditant dans un paysage ensoleillé; la plupart des critiques attribuèrent ce tableau à Bosch, bien que plusieurs détails soient différents de son style habituel. Il n'en reste pas moins vrai que le triptyque de Lisbonne « La tentation de Saint Antoine » traite ce sujet dans tous ses détails, avec bonheur.

Comme nous l'apprennent les manuels du Moyen Âge sur la vie des saints, Saint Antoine passa la plus grande partie de sa vie (de 251 à 356 environ) dans le désert d'Egypte. Son extraordinaire piété, lui valut l'attention de Satan. Une fois, alors qu'il était en train de prier à l'abri d'une vieille tombe, Saint Antoine fut attaqué par une bande de diables qui le rouèrent de coups sans aucune pitié, à tel point qu'ils le laissèrent finalement allongé par terre ; ils le crurent mort, mais, après que quelques frères-ermites l'eurent sauvé en le réanimant, il retourna vers sa tombe, où les diables l'attaquèrent une deuxième fois. Cette fois-ci, ils le lancèrent en l'air. Cette deuxième torture se termina lorsqu'une lumière divine éclaira la tombe et chassa les diables. C'est alors que Satan apparut à Saint Antoine, sous la forme d'une belle reine pieuse, se baignant dans un fleuve. Cette diablesse emporta l'ermite dans sa ville et lui montra toute une série de ses prétendues œuvres charitables. Ce n'est que lorsqu'elle essaya de séduire Antoine complètement déconcerté, qu'il reconnut enfin sa véritable nature et ses intentions réelles. Bosch a représenté deux de ces épisodes sur l'aile intérieure gauche du retable de Lisbonne. Au premier plan, on voit Antoine, sans connaissance, porté par deux de ses compagnons, vêtus de l'uniforme de l'ordre de Saint Antoine. Ils traversent un pont, accompagnés d'un personnage en habit de laïc, qui pourrait être l'autoportrait de Bosch, ce qui semble tout à fait plausible.

De plus, on peut reconnaître Antoine également dans le ciel : des diables l'emportent vers les hauteurs et d'autres monstres l'entourent, en bourdonnant comme de méchants insectes. Cette représentation se rapproche du texte légendaire, mais comme d'habitude, Bosch là aussi, a enrichi l'histoire originale d'une somme exubérante de détails dramatiques étonnants. Sous le pont, trois monstres entrain de se consulter sont rejoints par un facteur sur patins à glace, également assez étrange ; sur le bord du lac, un oiseau très fier de lui est entrain de dévorer ses petits à peine nés ; devant Antoine et ses samaritains, une bande de diables se dirigent vers un personnage masculin à genoux dont le corps forme le toit d'un bordel par où on pénètre en passant par ses cuisses écartées ; un phare trompeur attire le regard sur le large pour induire en erreur des bateaux qui naviguent sur la mer ; un tas de cadavres gît sur la plage.

L'aile droite du triptyque offre l'évocation, non moins puissante, du monde corrompu et décadent. Bosch s'est servi de l'histoire de la reine diablesse qu'il avait déjà traitée sur le retable « l'Ermite ». La diablesse, entourée de sa cour infernale, dans une attitude de fausse pudeur, est debout, toute nue, dans les flots du fleuve, aux pieds de l'ermite. Antoine se détourne de ce groupe obscène, mais son regard tombe sur le diable Hérolde, non moins suspect, qui semble vouloir l'inviter à la fête diabolique se déroulant au premier plan. La table en plein air, l'étoffe rouge, jetée au-dessus de la souche d'un arbre à côté de la séductrice ainsi que les serviteurs, occupés à verser du vin forment une parodie grotesque du traditionnel jardin d'amour.

Sur le tableau central, l'enfer déploie tous ses atouts. Des diables de toutes sortes, aux formes humaines ou grotesques, arrivent de toutes les directions, de la terre, des eaux, de l'air et convergent vers une tombe en ruine, située au milieu du tableau. Un couple, habillé élégamment, a mis le couvert sur une plate-forme devant cette tombe et offre à boire à toute la société réunie un breuvage à une vieille femme, se tenant un peu à l'écart. A côté d'elle, au milieu de toutes ces activités démoniaques, Saint Antoine est là, à peine visible ; il regarde, au-dessus de toute cette animation, le spectateur et lève la main droite comme pour bénir l'assemblée. Au fond de la tombe qu'Antoine a transformée en chapelle, le Christ, à moitié caché, dans l'ombre, lève également la main pour donner sa bénédiction. Le mur de droite de ce sanctuaire aboutit à une tour complètement en ruine, dont les parois extérieures sont couvertes de tableaux monochromes.

Deux de ces tableaux, l'un ayant pour sujet l'adoration du veau d'or et l'autre, le sacrifice d'un groupe d'hommes devant un singe triomphant, symbolisent le culte des idoles. Le troisième, qui représente les juifs revenant de Canaan avec une immense grappe de raisins, sert de préfiguration à la représentation du Christ portant la croix qui se trouve sur la partie extérieure du triptyque.

Tous les diables rassemblés autour de Saint Antoine sont de formes étranges et complexes, si inhabituelles qu'elles étonnent, même sorties du pinceau de Bosch. Dans le groupe, au loin, à droite, à côté de la tour, une souche d'arbre écrasée sert de coiffe, de buste et de bras à une femme, dont le corps se termine par une queue de lézard couverte d'écailles; elle porte un bébé et est à cheval sur un immense rat. A côté d'elle, une grande cruche s'est transformée en monture, dont les cavaliers également creux, ont un chardon en guise de tête. En bas, dans l'eau, un poisson en forme de gondole, vient d'avaler un homme, dont les mains, cherchant secours, ressortent des côtes du poisson. En bas, à gauche, un diable, portant une armure, joue du luth avec le crâne d'un cheval,- il est assis à califourchon sur une oie déplumée, à tête de mouton, qui porte des chaussures. Toutes ces formes aux contours bizarres sont, en plus, rehaussées par de somptueuses couleurs, qui donnent une certaine beauté aux figures les plus horribles et les plus écœurantes. Un nettoyage récent de ce tableau, qui fait partie des oeuvres de Bosch les mieux conservées, a fait ressortir encore bien davantage les tons rouges et verts resplendissants, alternant subtilement avec d'autres parties peintes dans des tons bruns et gris-bleu. Suivant la légende, il doit s'agir de l'assemblée infernale qui s'acharna sur Antoine lors de la deuxième attaque de Satan. La lumière merveilleuse qui, finalement, fait fuir le diable, brille à travers une fenêtre de la chapelle. Cependant, comme le raconte une autre version de la légende, cette lumière ne disperse pas les diables, comme la poussière dans le vent, puisqu'ils continuent à agresser Antoine physiquement. Cependant, ses tourments sont plutôt d'ordre spirituel. Comme les créatures monstrueuses que le pèlerin Deguillevilles rencontre sur son chemin, les diables représentés sur ce tableau sont l'incarnation même des désirs fautifs contre lesquels Saint Antoine lutte dans la solitude du désert. Bax a pu identifier un certain nombre de péchés, symbolisés par les diables peints par Bosch ; la luxure y occupe une place essentielle. La luxure apparaît à nouveau, de manière très nette, sur les bâtiments du fond à droite, où l'on voit un moine et une prostituée en train de boire ensemble un breuvage sous une tente. Le diable noir du groupe central pourrait être l'incarnation du démon de la tentation.

Le Chariot à foin
Huile sur bois, 147 X 232 cm (Aile de gauche (Chute des anges) et de droite (L'Enfer) : 147 X 66 cm et Aile du centre (Le défilé triomphal du chariot à foin) : 140 X 100 cm) El Escorial, Monastère de San Lorenzo.
Les représentations traditionnelles du Jugement dernier répartissaient généralement les ressuscités de l'humanité devant la justice divine. Le triptyque de Vienne montre bien qu'il comptait sur des circonstances peu avantageuses. Le péché et la folie représentaient pour Bosch les conditions générales de l'existence humaine et le feu de l'enfer était la destinée habituelle de l'homme. Bosch a développé cette conception profondément pessimiste de la nature humaine dans deux autres triptyques « Le Chariot à foin » et Le Jardin des plaisirs. Ces deux tableaux qui furent vraisemblablement créés après le Jugement dernier de Vienne, lui ressemblent cependant, par leur taille.

Il y a deux versions du triptyque « Le chariot à foin » : 1'une d'elle se trouve au cloître de l'Escorial, l'autre au Prado. Ces deux tableaux sont en très mauvais état et furent souvent restaurés; les critiques d'art n'arrivent pas à discerner lequel des deux est l'original. Dans les deux cas, on peut dire malgré tout qu'il s'agit bien de travaux d'atelier, d'exécution assez maladroite en ce qui concerne les ailes extérieures du triptyque ; nous y reviendrons plus tard. Comme sur le Jugement dernier de Vienne, la face interne de l'aile gauche montre la création et la chute. Ici, les événements se déroulent à l'envers c'est-à-dire de l'arrière-plan vers le premier plan. La face interne de l'aile droite offre, elle, une vue sur l'enfer. Le tableau central par contre montre une image peu courante, presque insolite : ainsi, un grand chariot à foin roule à travers un paysage étendu, suivi par les Maîtres du monde à cheval, parmi lesquels se trouvent un empereur et un pape, sans doute Alexandre VI. Ceux qui appartiennent aux couches sociales inférieures, paysans, roturiers, religieuses et ecclésiastiques essaient d'attraper à pleines mains le foin de la charrette ou bien ils se disputent leurs biens. De même que sur le tableau « Le péché mortel », sur le dessus de table au Prado, Bosch nous offre là une variation du motif représentant le Christ qui observe l'agitation frénétique des hommes; il reste cependant résigné, détaché de ce spectacle devant une lueur dorée.

Personne, à part l'ange agenouillé dans sa prière, sur le tas de foin de la charrette ne semble remarquer la présence divine, de même que personne ne voit que des diables poussent la charrette vers l'enfer et la damnation.
Ce véhicule bizarre peut nous rappeler le bateau, dont s'est servi Brant dans sa parabole de « La nef des fous » ; cependant le transport dans la charrette à foin de Bosch est bien plus qu'un simple moyen de transport agréable vers l'enfer. La charrette symbolise également la faiblesse humaine et son instabilité, que l'image de l'herbe coupée a, de tous temps, représentées. Les paroles d'un cantique hollandais de 1470 environ, rappellent que Dieu a amoncelé toutes les bonnes choses terrestres dans un tas de foin pour le bien-être des hommes et c'est de la folie pure que de vouloir garder pour soi tout le tas de foin. De plus, le foin n'étant pas cher, cette comparaison souligne la valeur insignifiante des bonnes choses terrestres. C'est certainement ainsi qu'il faut interpréter l'allégorie des charrettes à foin, qui, après 1550, apparaissent de plus en plus fréquemment dans les gravures flamandes.
En 1563 une charrette à foin faisait partie de toute procession à Anvers. D'après une description de l'époque, un diable portant le nom de « trompeur, imposteur », était assis sur le tas de foin. Une foule humaine disparate suivait la charrette et arrachait le foin à pleines mains, pour bien montrer que tous les biens de ce monde ne sont que « al hoy », c'est-à-dire ne valent rien.

C'est ainsi que « Le chariot à foin » et « Les péchés capitaux » décrivent une humanité livrée au péché, totalement insouciante des lois de Dieu et du destin. Toutefois, Bosch s'attache surtout à dépeindre un des péchés capitaux, celui de la convoitise des biens matériels ou encore celui de l'avarice dont les formes multiples se révèlent d'une manière très détaillée dans les nombreux groupes de figures humaines à l'instar des anciens manuels d'analyse des vertus et des vices.

Comme le « Rêve du roi » de Laurent Gallus de 1279 nous en avertit, l'avidité conduit à la dispute, à la violence et même au meurtre, autant de péchés, que nous pouvons voir sur l'espace libre devant la charrette. Si les princes et les prélats se tiennent plus tranquilles derrière la charrette et ne veulent pas participer à la dispute, c'est parce que le chargement de foin leur appartient pour ainsi dire déjà ; ils ne commettent pas le péché d'orgueil. La cupidité conduit aussi l'individu à la fraude : l'homme au grand chapeau accompagné d'un enfant sur le coin gauche, en bas du tableau, est très vraisemblablement un faux mendiant, comme ceux de Deguillevilles du « Pèlerinage de la vie humaine » qui profitent de la Vieille Avarice. Au centre du tableau, un charlatan s'est installé et décoré son étalage avec des jattes d'onguent et des écrits pour impressionner ses victimes.

La bourse pleine de foin, attachée à sa ceinture, révèle qu'il profite pleinement de son commerce malhonnête. En bas, sur la droite, des religieuses sont en train de remplir un grand sac de foin tandis qu'un moine assis dont le gros ventre trahit son penchant nullement pieux pour la voracité les observe.
La signification de quelques autres groupes reste peu claire, et on se demande par exemple ce que le couple d'amoureux assis sur le tas de foin en haut, peut bien signifier. Il est possible que cette présence illustre le péché de la volupté, car on peut voir de semblables personnages sur le dessus de tableau Prado.

On pourrait cependant affirmer également que le plaisir de la chair ne sert guère l'avidité car il entraîne plutôt des dépenses. Peut-être peut-on trouver une différence de classe sociale entre le couple de paysans, s'embrassant dans le buisson, et, l'autre couple, habillé richement, en train de jouer de la musique ; cependant le péché commis par les jeunes gens distingués est également celui de la chair car le diable à côté d'eux qui leur souffle par le nez une mélodie voluptueuse, a depuis longtemps distrait leur attention de l'ange en prière, situé sur leur droite.
Le paysage de l'enfer sur l'aile droite du « Chariot à foin » prend place entre le panorama immense et très détaillé du Jugement dernier à Vienne et la simplicité monumentale du tableau de l'enfer à Venise. La ruine, à moitié démolie, s'élevant sur les hauteurs sur un arrière-plan de flammes, rappelle ce tableau de même que les âmes se débattant en vain dans le lac, en bas du tableau.

Un nouveau motif domine le premier plan : il s'agit d'une tour ronde encore en construction qui permet à Bosch de présenter dans tous ses détails le processus de construction d'un bâtiment infernal. Un démon monte sur l'échafaudage par une échelle vers les maçons démoniaques ; il a du mortier frais dans les mains, tandis qu'un collègue à peau noire monte une poutre du plancher à l'aide d'une poulie. La signification de toute cette activité fiévreuse n'est pas très claire. Certaines représentations médiévales de sont tellement appliqués au travail de torture de leurs victimes qu'ils n'ont pas le temps de s'occuper de travaux architecturaux. Cependant, il existe une description d'une vision céleste de Saint Grégoire, qui raconte que l'on construit au paradis des maisons avec des briques d'or qui servent de logis aux âmes des justes- chaque brique est l'aumône ou la bonne action d'un vivant sur la terre. Il est tout à fait possible que Bosch ait voulu représenter exactement le contraire de ces constructions célestes -. Une oeuvre diabolique créée avec les pierres de l'avidité. D'un autre côté, il peut s'agir, dans la tour de Bosch, d'une parodie de la tour de Babel, avec l'aide de laquelle les hommes pensaient pouvoir affronter les portes du ciel. Dans ce cas, la tour symboliserait le péché d'orgueil qui entraîna la chute des anges rebelles, comme nous l'avons déjà vu. Ces anges induisent en erreur les princes et les religieux, que l'on voit chevaucher derrière la charrette à foin au centre du tableau. Au centre du tableau, on peut voir aussi d'autres châtiments, se rapportant à d'autres péchés. Sur le pont qui conduit à la tour de l'enfer, une bande de diables martyrise une pauvre âme dénudée assise à califourchon sur une vache. Ce triste personnage vient sans doute de la vision de Tundale. Pendant sa visite aux enfers, puisqu'il avait volé la vache de son voisin, il devait conduire une vache sur un pont très étroit. Sur le pont, il rencontre ceux qui ont volé des objets de culte dans les églises ou qui ont commis d'autres actes sacrilèges. On peut reconnaître dans le calice de la sainte cène que le personnage de Bosch tient dans sa main, un rappel de cette rencontre sur le pont. L'homme à terre, dont les organes génitaux sont mangés par un crapaud, subit le destin des débauchés tandis qu'au premier plan, un monstre ressemblant à un poisson, punit comme il se doit un concupiscent. A sa gauche, un diable souffle dans son cor de chasse tandis que sa proie humaine dépecée pend de sa lance, comme un lapin, la tête en bas. Ses chiens courent devant lui pour attraper deux autres déserteurs sous le pont. Aussi compliquées que les ramifications de ce thème puissent être, la signification primordiale du « Chariot à foin » est relativement simple.

Même celui qui ignore l'utilisation métaphorique du foin au XVIe siècle comprend facilement qu'ici, Bosch veut blâmer un aspect peu glorieux de la nature humaine. Par contre on ne peut pas du tout dire la même chose du triptyque connu sous le nom du Jardin des Plaisirs.
Le Jugement dernier
Huile sur bois, 167,7 X 247 cm (Aile de gauche (Chute des anges) et de droite (L'Enfer) : 167.7 X 60 cm et Aile du centre (Le Jugement dernier) : 167,7 X 127 cm) Vienne, Collection de l'Académie des Beaux-Arts.

Le péché et la folie jouent un rôle important dans l'art de Bosch, mais on ne comprend vraiment leur signification que si, comme c'était le cas au dernier. Le Jugement dernier est le dernier acte de la longue et turbulente histoire de l'humanité qui commença par le péché d'Adam et d'Eve et leur bannissement du paradis. Ce jour-là, les morts ressusciteront de leurs tombes et le Christ reviendra pour juger tous les hommes et donner à chacun d'eux la récompense qu'il mérite. Comme le Christ lui-même l'a prédit. Les élus du salut éternel recueilleront les bienfaits qui leur sont dus depuis la création du monde tandis que les damnés se précipiteront dans le feu éternel, préparé par le diable et ses anges. Le temps s'arrêtera et l'éternité commencera.

La préparation du Jugement dernier faisait partie des prières les plus importantes de l'église du Moyen Âge. Elle apprenait aux pratiquants le chemin à suivre pour gagner le salut éternel ; elle mettait en garde les pécheurs et les indifférents contre les châtiments terribles qui les attendaient, s'ils ne faisaient pas pénitence. C'est ainsi qu'un grand nombre de livres et de sermons décrivirent, avec des détails effrayants, les tortures sans fin qui attendaient les damnés. Des méditations sur le Jugement dernier et l'enfer jouèrent un rôle très important dans différents exercices spirituels.

La crainte du Jugement dernier était d'autant plus terrible chez les contemporains de Bosch que beaucoup d'entre eux étaient persuadés que ce dernier jour allait arriver d'un moment à l'autre. Il y a eu depuis toujours des prophètes pour annoncer la fin prochaine du monde, mais de tels prophètes n'ont jamais été aussi écoutés que vers la fin du XVe siècle.
Sébastian Brant était persuadé que, les péchés de l'humanité s'étant tellement multipliés au cours des derniers temps, le Jugement dernier aurait lieu prochainement. D'autres auteurs décrivirent le monde au seuil de son dernier siècle, c'est-à-dire au moment où les prophéties de l'apocalypse se réaliseraient. Épidémies, inondations et autres catastrophes de la nature furent interprétées comme la manifestation de la colère de Dieu, et l'on cherchait anxieusement dans les événements politiques du jour les signes qui permettraient de reconnaître le dernier empereur et l'Antéchrist.

Nulle part ailleurs que sur le triptyque du Jugement dernier aujourd'hui à Vienne, on ne reconnaît mieux l'angoisse de cette époque. Sur les parties extérieures des ailes du triptyque, on voit les formes humaines de Saint Jacques de Compostelle et de Saint Bavo peintes en grisaille. Or, même si Saint Jacques parcourt un paysage ténébreux et menaçant, ni lui ni son compagnon ne semblent vouloir nous préparer aux scènes apocalyptiques qui se déroulent au centre de l'autel : là, on voit sur trois tableaux les tous premiers et tous derniers événements de ce monde, à commencer par le péché d'Adam et Eve sur l'aile gauche. L'histoire racontée dans le livre de la Genèse au deuxième et troisième chapitre a lieu ici dans un jardin somptueux- au premier plan, on voit la création d'Eve, et, un peu en arrière, la tentation du premier couple humain. Au centre, un ange les Le bannissement du Paradis d'Adam et Eve correspond à la chute des anges rebelles qui, en tombant du ciel sur la terre, se transforment en démons. La rébellion du fier Lucifer et de ses disciples n'est pas citée dans le livre de la Genèse ; cependant elle apparaît dans la légende juive et elle faisait partie depuis longtemps déjà du dogme chrétien. Ainsi, les anges péchaient et Lucifer qui était leur prince, entraîna Adam également à pécher, car ce n'est pas sans raison qu'il était jaloux de lui. On croyait justement que Dieu avait créé Adam et Eve, afin que leurs descendants puissent prendre la place que les anges, tombés du ciel, avaient dû quitter. C'est ainsi que, sur la gauche du triptyque, Bosch décrit l'entrée du péché dans le monde et la nécessité du Jugement dernier.

Le fait d'inclure la chute d'Adam et Eve après le péché originel dans une représentation du Jugement dernier est assez peu commun, même inhabituel pourrait-on dire. Les deux autres parties du triptyque viennois s'écartent encore davantage de l'iconographie traditionnelle. Le plus souvent dans de tels tableaux, le ciel jouait le rôle principal dans la scène du drame eschatologique. Comme on peut le voir sur les tableaux de Rogier van der Weydens à Beaune, l'intérêt principal du peintre s'attachait avant tout au tribunal. La description des accusés venait au second plan, la joie suprême des innocents était très souvent traitée dans tous ses détails, autant que les supplices des condamnés. Par contre, Bosch présente un tribunal divin très restreint et sans importance en bordure supérieure du tableau du milieu. Le nombre des âmes élues est insignifiant alors que la majorité de l'humanité est engloutie dans la catastrophe universelle qui s'étend en bas, sur toute la profondeur du paysage lugubre.

Ce panorama effroyable et puissant nous présente la terre dans les derniers soubresauts de son agonie sa destruction ne vient pas par les eaux comme Dürer et Leonardo l'ont cru, mais par le feu, comme l'indiquent les paroles d'un cantique du XIIIe siècle. « Le jour de la colère l'emportera, jour où le monde sera englouti dans des cendres ardentes. » L'interprétation de Bosch était vraisemblablement influencée également par la description de la Révélation de Saint Jean ; l'apocalypse, fut en effet étudiée très attentivement dans de nombreux lieux vers la fin du XVe siècle. Les célèbres illustrations de Dürer datent de 1496-97. La large plaine qui s'étend sur tout le milieu du tableau de Bosch, représente peut-être la plaine de Josaphat, où devait se dérouler, comme on croit le savoir d'après différents détails tirés de l'Ancien Testament, le jugement dernier. La ville en flammes dans le fond du tableau serait, d'après cette supposition, la ville de Jérusalem. En tout cas, il n'y a plus de différence entre la terre et l'enfer sur l'aile droite du triptyque. Le diable bondit pour attaquer les condamnés ; les supplices éternels ont déjà commencé. Les mystiques affirmèrent que le supplice le plus terrible que les condamnés devaient subir en enfer, était la certitude qu'ils seraient à jamais privés du regard étaient surtout corporelles, à tel point que - comme il fut dit au cours d'un sermon médiéval - les douleurs de la vie, comparées à celles de l'enfer, ont la douceur d'un onguent. Et pour Bosch, les douleurs de l'enfer ne sont que corporelles : les corps nus et blanchâtres des condamnés sont coupés en morceaux, mordus par des serpents, brûlés dans des fours pleins de flammes et attachés à des appareils de torture diaboliques.

Le Jardin des Délices
Huile sur bois, 220 X 389 cm (Aile de gauche (Le paradis) et de droite (L'enfer) : 220 X 97 cm et Aile du centre (Le jardin des plaisirs) : 220 X 195 cm) Madrid, Museo del Prado
Au premier coup d’œil, sur le panneau central de ce triptyque, on se rend compte qu'il s'agit d'une oeuvre idyllique, unique dans l’œuvre de Bosch. On voit un vaste paysage semblable à un parc grouillant d'hommes et de femmes nus qui goûtent à d'énormes fruits et se mêlent aux oiseaux et aux animaux. Ils se divertissent dans l'eau et surtout jouissent pleinement et sans aucune pudeur de tous les plaisirs érotiques.

Un groupe de cavaliers masculins se déplace, en tournant comme dans un grand manège autour d'un étang rempli de jeunes filles. D'autres personnages s'élèvent vers le ciel sur des ailes délicates. Ce triptyque est beaucoup mieux conservé que la plupart des grands autels de Bosch et l'atmosphère insouciante du tableau central est encore accentuée par un éclairage régulier, pur et sans aucune ombre ainsi que par des couleurs très claires.

Les corps blanchâtres des habitants parmi lesquels se détache parfois un personnage tout noir, rien que pour y apporter une note qui tranche, luisent à travers l'herbe et les feuilles comme des fleurs rares. Derrière des fontaines et des pavillons aux couleurs joyeuses se détachant sur un lac à l'arrière-plan, on aperçoit, au loin, une chaîne de collines douces. Les personnages minuscules et les grandes plantes aux formes fantastiques apparaissent aussi inoffensifs que l'ornementation médiévale, qui les a inspirés sans aucun doute. Si l'on observe ce tableau, il n'est pas facile de contredire l'affirmation de Fraenger selon laquelle les amoureux nus qui s'adonnent dans le jardin tranquille à des jeux paisibles, inspirés par une sexualité délirante, connaissent une joie pure et une bénédiction sans limite. Les êtres humains, dans leur innocence végétative, se sont, à nouveau, unis à la nature. C'est un fait que, devant ce tableau, on a l'impression de découvrir l'enfance du monde, l'âge d'or décrit par Hésiode, où hommes et animaux vivent en paix les uns avec les autres alors que la terre produit sans effort et en abondance ses nombreux fruits. On pourrait aussi, dans le langage d'aujourd'hui, donner à ce jardin le de nom d'un « love-in » universel puisse vouloir signifier l'apothéose d'une sexualité innocente. L'acte sexuel, que le XXe siècle considère comme une fonction naturelle de la nature humaine, fut au Moyen Âge bien souvent considéré avec une profonde méfiance, au mieux comme un mal ou un accident indispensable, au pire comme un péché mortel. Nous pouvons être sûrs que Bosch et ses commanditaires partageaient cette opinion, comme l'attestent d'autres tableaux, sur lesquels se trouvent des couples d'amoureux. On peut également affirmer que ce jardin, de même que la charrette à foin, se trouve sur le triptyque entre le jardin d'Eden et l'enfer - donc à l'origine du péché originel et du châtiment. Ainsi, tandis que « Le chariot à foin » décrit la cupidité et l'attrait des biens terrestres, Le jardin des plaisirs, lui, décrit le plaisir des sens et tout particulièrement le péché mortel qu'est la sexualité.

Le péché de la chair est commis à divers endroits, sans aucune gêne, comme par exemple par le couple en bas à gauche, enfermé dans une bulle ou bien par un autre couple, pas très loin du premier, qui se trouve dans un coquillage. D'autres personnages semblent plongés dans des jeux amoureux très pervers, comme l'homme qui, la tête dans l'eau, cache son sexe dans ses mains ou en bas à droite, le jeune homme qui enfonce des fleurs dans l'anus de son compagnon. Mis à part ces images relativement précises, on trouve également la représentation du plaisir de la chair sous de nombreuses formes métaphoriques et symboliques. Les fraises, qui apparaissent d'une manière très frappante dans tout ce paysage, à tel point que les Espagnols nommèrent ce tableau « Le jardin des fraises », symbolisent vraisemblablement la fugacité du plaisir charnel. Sigüenza était du même avis lorsqu’ « il parle » de la futilité et de la fugacité du goût des fraises, « dont on sent à peine l'odeur, quand elles disparaissent ». Les fraises correspondent donc à la même chose que le foin dans le « Chariot à foin ». Bax a étudié très scrupuleusement la signification du Jardin des plaisirs, ce qui lui était possible, grâce à ses connaissances approfondies de l'ancienne littérature hollandaise. C'est ainsi qu'il a pu identifier de nombreuses formes du tableau central : les fruits, les animaux ou bien les structures minéralogiques exotiques visibles sur le fond du tableau sont des symboles érotiques inspirés des chants ou des cantiques de cette époque ou encore des proverbes, des dictons, ou même des gros mots. Ainsi, beaucoup de fruits que les amants sont en train de grignoter servaient de métaphore pour les organes sexuels ; les deux poissons qui, au premier plan, émergent, deux fois de suite, à la surface symbolisent, d'après de vieux dictons ou proverbes hollandais, le sexe de l'homme. Le groupe de jeunes gens et de jeunes filles, qui, sur la droite cueillent des fruits, illustre un acte beaucoup moins innocent car « Cueillir des fruits » (ou des fleurs) était, à l'époque, un euphémisme pour l'acte sexuel. Les grands fruits creux et leurs écorces, dans lesquelles se glissent quelques personnages sont peut-être les symboles les plus intéressants. Bax pense qu'il s'agit d'un jeu de mot car « schel » ou « schil », signifie aussi bien l'écorce d'un fruit qu'une rebuffade ou une « schel », était peut-être en train de se disputer avec un autre, ce qui pouvait à la rigueur, être interprété comme une lutte amoureuse. L'écorce vide par contre, signifie le manque de valeur et Bosch n'aurait pu choisir un autre symbole plus significatif pour représenter le péché car finalement, c'est bien un fruit qui causa la chute d'Adam.

Bien que Le jardin des plaisirs correspond sous plusieurs aspects aux jardins d'amour traditionnels, leurs habitants, par contre, se comportaient en général de manière beaucoup plus discrète. On ne les voyait que très rarement se promener complètement nus ou bien s'adonner à des jeux d'amour dans l'eau. Notons pourtant que l'association de l'amour et de l'eau existait déjà très précisément à l'époque de Bosch. C'est ainsi, par exemple, que l'on peut voir dans certaines représentation des travaux des divers mois de l'année sur les calendriers de l'époque, un couple d'amoureux illustrant le mois de mai, mois de l'amour par excellence de la façon suivante : Le couple se tient dans un tonneau rempli d'eau et s'embrasse.

D'ailleurs, les représentations de fontaines ou de puits de jouvence sont souvent considérées sous un aspect érotique. Même si Bosch ne représente pas réellement une fontaine de jouvence - personne ici ne va être rajeuni– de telles représentations, néanmoins, l'ont sans aucun doute inspiré lorsqu'il a peint les jeux aquatiques de son jardin.

Un troisième thème majeur vient s'ajouter au Jardin des plaisirs à la fois jardin d'amour et bain de Vénus. Dans le lac au fond, hommes et femmes nagent ensemble alors qu'au centre les deux sexes sont soigneusement séparés. Dans le petit étang rond, il n'y a que des femmes alors que les hommes, à cheval sur des animaux de toutes sortes, tournent autour d'elles, les jeux acrobatiques des cavaliers - l'un fait un saut vertigineux sur le dos de sa monture - laissent supposer qu'ils sont excités par la présence des femmes dans l'une est déjà en train de sortir de l'eau. Bosch se sert de ce moyen pour montrer l'attrait sexuel entre les hommes et les femmes et ce n'est pas un hasard si l'étang et les cavaliers autour se trouvent exactement au milieu du jardin, origine et commencement des jeux amoureux qui se déroulent à d'autres endroits. Pour les moralistes du Moyen Âge qui n'étaient spécialement galants, c'était toujours la femme qui séduisait, puis entraînait l'homme au péché et à la concupiscence, suivant l'exemple donné par Eve. Cette puissance féminine néfaste était souvent représentée sous la forme d'une femme au milieu d'admirateurs, tournant autour d'elle.

Chez Bosch, par contre, les admirateurs à cheval tournent autour de l'étang, au lieu de danser. Les animaux symbolisent, de par leur origine, les envies bestiales de l'homme et les personnifications du péché sont souvent     traduites par toutes sortes d'animaux en train de cavaler. Finalement, autrefois comme de nos jours, le sport équestre servait souvent de métaphore à l'acte sexuel.
Ainsi Bosch, pour établir un panorama de la luxure dans « son » jardin que Brant s'était servi du navire pour y rassembler tout ce qu'il blâme de la folie humaine. Bosch était loin d'être le seul artiste à interpréter la luxure sous la forme de jardin d'amour.

On peut donc conclure que la signification du Jardin des plaisirs ne diffère pas de beaucoup des autres compositions de Bosch. Tout comme « La nef des fous », La mort de l'avare et « Le chariot à foin », ce tableau nous offre le reflet de la folie humaine. Il est évident que, pour nous, il est assez difficile de vraiment croire que ces hommes et femmes qui s'adonnaient, sans aucun remords, aux plaisirs de l'amour soient coupables de péché mortel.

Comme Fraenger, on pourrait affirmer que Bosch n'aurait pas utilisé des couleurs et des personnages aussi ravissants, s'il avait voulu n'en montrer que le caractère condamnable. Par contre, la beauté physique paraissait à l'homme de la fin du Moyen Âge beaucoup plus suspecte qu'à nous. On apprenait dans le temps que le péché rôde autour de sa victime et que, très souvent, derrière la beauté physique et les agréments du plaisir des sens, la mort et la condamnation guettent. Bref, tout le monde visible ressemblait à l'époque de Bosch, à ces petites statuettes d'ivoire très appréciées qui montrent de devant un couple s'embrassant ou bien une femme nue voluptueuse et qui, de dos par contre, montrent un cadavre décomposé. Bosch montre, dans son Jardin des plaisirs, un faux paradis où la beauté passagère conduit les hommes à la corruption et à la damnation, idée que l'on retrouve très souvent dans la littérature médiévale.

Les Sept Péchés Capitaux Huile sur bois, 120 X 150 cm Madrid, Museo del Prado.
Ce dessus de table, qui se trouve aujourd'hui au Prado, nous offre une étude de grande précision sur la destinée de l'humanité. Les tableaux des péchés sont disposés en forme de cercle ; ce cercle représente l’œil de Dieu; de la pupille, le Christ sort de son cercueil et montre ses plaies à ceux qui l'observent. Autour de la pupille, sont écrits les mots suivants :
« Cave cave deus divet » - « Fais attention, prends garde, Dieu te voit » ; ce que Dieu voit se reflète dans le cercle extérieur de l’œil. Le nom latin de chaque péché est inscrit en bas de chaque petit tableau, mais ces inscriptions sont aussi superflues que celles de l' « Ecce Homo » à Frankfort.

Personne n'a besoin de nous expliquer que les hommes qui avalent avidement tout ce que la femme apporte sur la table, commettent le péché de l'intempérance ou bien que l'homme bien rassasié, somnolant auprès du feu, personnifie la paresse. Une femme entrant à gauche dans la pièce, tenant bien visiblement un chapelet dans ses mains, s'adresse au paresseux et lui reproche de manquer à ses devoirs spirituels. L'attitude de différents couples sous une tente dénonce la luxure ; on reconnaît les manières de courtisane d'une dame coquette qui s'admire, coiffée de son nouveau chapeau, miroir. Des scènes de genre similaires illustrent la colère (la querelle de deux hommes devant une auberge), la cupidité et l'avarice (un juge corruptible), l'envie, la jalousie (un prétendant éconduit qui observe jalousement son rival plus heureux). Les décors où se déroulent ces petits drames sont la plupart du temps des paysages hollandais ou bien des intérieurs de maisons bien bâties et décorées avec beaucoup d'amour.

Les petits personnages trapus et gauches sont tout à fait différents des personnages de Bosch connus jusqu'à présent. De la même façon, les surfaces dures, les contours sombres et les couleurs plates et brillantes – en particulier le vert et l'ocre - ne correspondent nullement aux caractéristiques typiques de l'art de Bosch. Du fait de cette réalisation plutôt primitive, on pensa au début pouvoir classer ce tableau parmi les toutes premières oeuvres de Bosch, mais on fut obligé de changer d'avis lorsqu'il fut prouvé que les costumes peints présentent des caractéristiques qui n'apparaissent pas dans la mode avant 1490. Il est donc plus vraisemblable qu'il s'agit sur ce dessus de table d'un travail sortant de l'atelier de Bosch, exécuté au milieu de sa carrière, environ entre 1485 et 1500. Cependant, il n'en reste pas moins vrai que le maître en porte sans aucun doute la plus grande responsabilité. Certains détails de grande qualité pittoresque, comme l'expression de l'avarice et de la cupidité, ou bien certains personnages peints dans le tableau de la jalousie laissent croire que, dans l'exécution finale, il mit lui-même la main à la pâte.

La disposition en forme circulaire des sept péchés capitaux correspond à un schéma traditionnel. Comme beaucoup d'auteurs le supposent, cette disposition en forme de roue des tableaux représentant les péchés capitaux signifie vraisemblablement l'omniprésence du péché dans le monde ; cependant Bosch apporta un enrichissement majeur dans ce motif en transfigurant cette forme circulaire pour en faire l’œil de Dieu, dans lequel se reflète tout ce qu'il voit. Bien entendu, il y avait déjà eu d'autres exemples de ce genre. La comparaison de la divinité avec un miroir se retrouve souvent dans la littérature médiévale.
Les inscriptions qui se trouvent en bas et en haut par rapport au centre du cercle que forme ce tableau confirment la peur de ceux qui ont abandonné Dieu et qui fuient son regard à juste titre. Sur la partie du haut, on peut lire : « Car c'est un peuple à qui l'on ne peut donner de conseil et qui est dépourvu de toute intelligence. Oh, puisse-t-il retrouver sa sagesse, percevoir et comprendre ce qu'il adviendra de lui plus tard ! ».
Sur la partie d'en bas, on peut lire : « Je veux dissimuler mon visage devant eux, Je veux voir, ce qui leur arrivera à l'heure dernière. » Cette fin est représentée de manière évidente aux quatre coins du tableau. On y voit quatre cercles plus petits représentant la mort, le jugement dernier, le ciel et l'enfer : les quatre dernières étapes humaines telles qu'elles, est encore plus simple que celle des sept péchés capitaux. Il s'agit bien là d'un travail d'atelier.

Imaginer que l’œil de Dieu observe l'humanité du haut du ciel peut nous paraître peu confortable ; cependant l'humanité médiévale était consciente de cette surveillance divine et l'acceptait ; elle l'interprétait même comme un obstacle bienfaisant destiné à aider l'homme à combattre ses propres faiblesses. L’œil de Dieu représenté par Bosch devait avoir par la suite une influence semblable, car en reflétant les sept péchés capitaux, il agit sur l'être humain comme son propre miroir et lorsqu'il s'y regarde, il découvre l'état réel de son âme, enlaidie par le vice. Parallèlement, par contre, il voit dans l'image du Christ, qui apparaît dans la pupille de l’œil, le remède à cette laideur. Le cadre des sept péchés capitaux dans la représentation de Bosch inclut toute l'humanité et toutes ses classes sociales. L'image de l'avidité par contre, s'adresse à une classe très précise : le personnage avide, cupide est représenté comme un juge injuste, car les juges semblent commettre particulièrement ce péché-là.

De telles critiques à l'égard de certaines classes sociales se retrouvent dans d'autres tableaux de Bosch. C'est ainsi qu'il blâme les charlatans et guérisseurs ainsi que leurs victimes trompées, aveuglées ; il fustige l'immoralité des moines et des religieuses, le riche qui préfère ses trésors à son âme... Tous ces thèmes se retrouvent dans beaucoup de sermons ou d'écrits satiriques de l'époque.

3. Jérôme Bosch et le symbolisme maçonnique : le pavé mosaïque derrière les couleurs picturales ; la sagesse, la force et la beauté.
3. A. : le pavé mosaïque derrière les couleurs picturales.
L’étude du symbolisme chez Jérôme Bosch révèle donc a priori une richesse imaginative considérable, mais les symboles utilisés par le peintre évoque pour nous peu de choses du point de vue maçonnique, puisqu’à ma connaissance bien peu de symboles chez Bosch trouve un écho dans notre propre appareil symbolique ; je ne vois guère que le Pélican, qui n’est pas un symbole du premier grade et que je ne développerai donc pas ici, et la coupe, cette coupe si passionnément étudiée par notre S\ Valérie. Alors, pourquoi choisi ce sujet dans une planche maçonnique ? Ma réponse se fera en trois temps, et tout d’abord le pavé mosaïque noir et blanc que je vois derrière les couleurs picturales. Voici en effet un artiste du XVe et XVIe siècle qui a poussé très loin la réflexion sur le bien et le mal, dont toute l’œuvre a consisté en une quasi-caricature de ce qui était alors les fondements de la morale dans la société où il vivait. Démarche extrêmement forte et courageuse qui est à mes yeux l’essentiel du mérite de Bosch, au-delà de l’émerveillement devant les toiles ; et à ce titre, il est également intéressant de noter à quel point il était apprécié par ses toiles, ne suscitait aucun trouble, au contraire les commandes de tableaux affluaient, et Jérôme Bosch était considéré comme un parfait honnête homme au sens de l’époque. Voilà qui donne à réfléchir sur la notion de tolérance dans le regard social (n’oublions pas que nous parlons du XVe et du XVIe siècle).
Le bien et le mal vu par Jérôme Bosch, donc, pour moi qui suis athée, qui n’ai aucune éducation religieuse, sont un voyage visuel tout à fait passionnant mais aussi amusant (même si je veux bien admettre un peu de malice de ma part), car je crois qu’il est essentiel de retenir l’humour de cet artiste.

3. B. : sagesse, force et beauté.
Si l’appareil symbolique de l’œuvre de Bosch est donc à première vue assez distant de notre symbolisme maçonnique, nous pouvons poursuivre le rapprochement du point de vue moral de trois notions que j’apprécie énormément chez nous, en particulier dans le rituel du R\ E\ A\ A\, je veux parler bien entendu de la sagesse, la force et la beauté. En effet, en portant mon regard sur les reproductions des différentes oeuvres du peintre, j’ai bien vu passer ces trois qualités, le fil de la sagesse au milieu de la représentation exacerbée du bien et du mal, la force des sentiments dans le caractère onirique et fantastique des visions reproduites sur les toiles, et enfin la beauté d’un regard sur la condition humaine. Et j’en arrive au troisième point du fondement de mon choix pour ce travail.
 
3. C. : Ecce homo.
L’une de mes toiles préférées s’intitule « Ecce homo », qui est la première des compositions sacrées à personnages nombreux : représentation forte et simple du bien et du mal, vision dépouillée de la nature humaine.
Le choix de la toile, évidemment, est aussi un clin d’œil à Nietzsche, même s’il serait hasardeux d’établir une filiation entre le peintre et le philosophe pour annoncer la mort de Dieu et la libération de l’esprit humain.

J'ai dit.

Bibliographie sur le symbole établie par le F\ Renaud Mormesse :
- Le Symbole. B.Decharneux, L.Nefontaine. PUF. Que Sais-Je ? 1998
- La voie symbolique. R.Berteaux, Edimaf.1975
- L'homme et ses symboles. C.G.Jung et élèves, Laffont. 1964
- L'imagination symbolique. G.Durand, PUF/Quadrige. (1964) 4ème édition 1998.
- Dictionnaire des symboles : Introduction. J.Chevalier, Laffont. Coll.Bouquins. 1982
- De la nature du symbole. R.Alleau, Flammarion. 1958
- L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi. H.Corbin, Flammarion 1958
- La poétique de la rêverie. G.Bachelard, PUF. 1960
- Vocabulaire critique et technique de la philosophie : article « symbole sens » N°2. A.Lalande.

Bibliographie sur Jérôme Bosch :
- Encyclopédie Hachette Multimédia sur CD-ROM
- Mia Cinotti, _Tout l’œuvre peint de Jérôme Bosch_, Éditions Flammarion, 1967.
- Claire Léonard et Yvette Contempré, _La Tentation de St-Antoine racontée aux enfants_, Éditions Duculot, 1979.

Sites Internet sur Jérôme Bosch :
1. Bosch, Jérôme (1450-1516)
Analyses de tableaux.

2. Jerome (Hieronymus) Bosch
Jérome (Hieronymus) Bosh. Jérome Bosch né autour de 1450 et meurt début Août 1516. Ces reproductions sont toutes en 3 versions : celle notée « highres » est tout droit issue du scanner ; elle n'est pas forcément dans le bon sens et a été sauvée sous...

3. Jerome (Hieronymus) Bosch
Jérome (Hieronymus) Bosh. Jérome Bosch né autour de 1450 et meurt début Août 1516. Ces reproductions sont toutes en 3 versions : celle notée « highres » est tout droit issue du scanner; elle n'est pas forcément dans le bon sens et a été sauvée sous...

4. 2. WebMuseum : Bosch, Hieronymus 89%, b. c.1450, d. August 1516, spent his entire artistic career in the small Dutch town of Hertogenbosch, from which he derived his name. At the time of his death, Bosch was.

5. Hieronymus Bosch 
Hieronymus Bosch  

6. WebMuseum: Bosch, Hieronymus.Gustav Jung, on Hieronymus Bosch Hieronymus, or Jerome, Bosch, b. c.1450, d.

7. Bosch, Hieronymous - National Gallery of Art
Washington art museum provides a brief background on the artist and a look at his « Death and the Miser. » Find other works inspired by Bosch.

8. A Web page dedicated to Hieronymus Bosch
The Garden of Delights Death and the Miser The Hay Wain The Temptations of St. Anthony The Last Judgement The Operation for the Stone (The Cure of Folly) The Wayfarer The Garden of Delights...

9. Hieronymus Bosch
Hieronymus Bosch Bosch, Hieronymus (1450?-1516), one of the most famous of the Netherlandish artists, known for his enigmatic panels illustrating complex religious subjects with fantastic, often demonic imagery. The documents about Bosch.

10. Bosch, Hieronymous - Virtual Gallery
View some of the Dutch painter's most famous triptychs, panel by panel. View his bizarre vision of Hell in « The Garden of Earthly Delights.»

11. CGFA- Hieronymus Bosch
Head of a Woman (fragment), oil on panel, Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam. 38KB Head of a Halberdier, oil on panel, Museo del Prado, Madrid.
55KB The Conjuror, oil on.

12. Bosch, Hieronymous - WebMuseum
Brief biography of the celebrated Dutch painter of fantastical religious visions. With a discussion and images of his work.

13. Graphics - art/Bosch
Graphics - art/Bosch Graphics art/

14. Bosch, Hieronymous - Jim's Fine Art Collection
Browse this gallery for a visual summary of this Flemish artist's works.
Find many of his panels and triptychs, including « The Last Judgement.»

15. HUIS TEN BOSCH, Dutch City in NAGASAKI, JAPAN

16. Bosch, Hieronymous - Vangelis's Page
Greek admirer presents a few of the religious works of the Dutch artist.
View his bizarre depictions of demons in « The Garden of Delights. »

17. Bosch, Hieronymous - Web Gallery of Art
View the artist's detailed religious images at this collection of graphics and paintings. Find museum information and commentary on the pieces…

18. Le Gai Savoir

19. Jérôme Bosch - Salvador Dali - René Magritte
Oeuvres et vie de trois grands peintres : Bosch.

20. visions fantastiques
L’art fantastique de Bosch à Dali.


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