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Rassembler ce qui est épars

L’homme et la multiplicité

L’homme fait l’expérience du multiple. D’abord dans sa relation au monde, où il ressent la multiplicité de l’émanation. Ensuite avec l’autre, lorsqu’il fait l’expérience du relatif, de la division et des contraires. Enfin, à l’intérieur de lui-même, lorsqu’il ressent la multiplicité de son être avec sa part d’ombre faite de pulsions et d’émotions.

Selon C.G. Jung, la dispersion apparaît en effet comme fatale dès lors il y a eu séparation de la conscience individuelle avec le Tout. La conscience se crée comme séparation et différentiation. Le binaire induit la multiplicité et la dispersion est ainsi la condition existentielle même de l’homme.

L’aspiration à retrouver l’Unité et la quête d’un ordre

L’être humain a pourtant, de tout temps, perçu une unité fondamentale dans la manifestation dont il se sent partie intégrante. Le parcours du soleil, le rythme des saisons et la chaîne même de la Vie, où toute mort est le germe d’un renouveau, donne l’intuition de régularité et de complétude, d’un rapport secret entre le rythme de l’âme et de celui de l’univers, de ce qu’on pourrait appeler un « ordre ».

Cet ordre est intimement lié aux grands mystères de l’existence. Il n’appartient pas au rationnel, car placé au-delà de la raison, qu’il englobe. C’est le reflet d’un Principe primordial organisateur, qui est pour moi, ce dont la G\ L\ D\ F\ proclame l’existence sous le nom de Grand Architecte de l’Univers.

Rassembler ce qui est épars peut certes s’entendre sur le plan social, c’est à dire réunir des hommes qui sans la maçonnerie auraient continué de s’ignorer. Mais c’est aussi une démarche intérieure. En premier lieu chercher à réunifier toutes les parties de son être avec l’Un, en se reliant au Principe, ou plutôt à le Retrouver, s’il existait en potentialité dès le commencement.

La vision symbolique du monde

Pour Mircea Eliade, c’est par une vision symbolique du monde que l’homme a de tout temps cherché à se relier. L’homme en quête de sens reconnaît un point fixe qui devient symboliquement Centre de l’univers, et autour duquel s’ordonne l’espace selon les deux directions cardinales. Ce centre est l’Axis Mundi, porte des cieux, liaison symbolique avec une réalité supérieure. A l’espace matériel fait d’une infinité éparse de lieux neutres, se superpose ainsi un espace sacré symboliquement ordonné.

En loge, nous récréant à chaque tenue un monde sacralisé, situé symboliquement hors du temps profane et reliant notre monde physique à une réalité principielle. La loge ordonnée par son aménagement symbolique et par le rituel est le reflet du monde organisé selon le Principe comme celui de l’esprit humain en fonctionnement harmonieux. C’est le creuset dans lequel le maçon peut se transformer par le travail conjoint de l’imagination et de la raison rassemblées.

La construction de l’univers

Selon la tradition biblique, le monde naît d’un chaos originel par séparation. La Parole organise, in-forme l’univers, c’est à dire lui donne forme.

Selon la tradition ésotérique, l’esprit se dissout en se multipliant dans la matière, puis se recentre, se conscientise, en refaisant son unité dans la « divinité - Un ». C’est du centre que tout émane et c’est dans le centre que tout se recrée. Ce double mouvement est celui du solve et coagula des alchimistes.

Malgré une expression bien sûr toute autre, la vision scientifique d’aujourd’hui va dans ce sens. On admet que l’univers se serait formé à partir d’une énergie originelle, d’un chaos. Des fragments d’énergie se seraient condensés en particules, puis en noyaux, en atome, …, jusqu’en matière vivante porteuse de conscience. Il y a eu succession d’émergences, faisant apparaître à chaque étape un ordre organisateur à partir d’éléments multiples dispersés.

L’histoire de l’univers apparaît ainsi comme une sorte de cycle de dispersions puis de rassemblement d’éléments épars, du chaos jusqu’à la vie conscience. Le théologien Pierre Teilhard de Chardin y a vu une évolution créatrice orientée vers le divin. Peut-être pourrait-on dire : vers le retour au Principe, vers la spiritualisation. La vie consciente Etait à l’origine en potentialité dans la matière. Alors il doit exister, ou plutôt Etre un Principe, qui est le sens même de la vie.

Qu’est ce qu’aller dans le sens de la vie ? Un être vivant dans la satisfaction égocentrique ne lèguera vraisemblablement que peu de choses, et n’a je pense que peu de joie de vivre. A l’inverse, un être qui a eu à coeur de transcender sa condition d’homme matériel en recherchant vérité et justesse de ses actes deviendra maillon d’une chaîne de transmission. Je crois donc que se relier à l’ordre, c’est avant tout s’inscrire dans celui-ci en poursuivant son déploiement, en premier lieu à l’intérieur de soi-même.

Le retour à l’Un comme construction

Le rassemblement dans l’Un n’est pas la fusion, qui serait retour au chaos, mais la création d’ordre permettant de réintégrer l’image de l’ordre principiel en toute chose.

Le maçon s’attache à chercher la Vérité. Pour cela il remet en cause ses vérités relatives en s’enrichissant de celles des autres, mais aussi en puisant aux mythes, aux traditions, aux philosophies. Convaincu que se tient en chacun et en chaque chose une part de la Vérité originelle, il cherche et rassemble en construisant. Le ternaire nous enseigne qu’il peut être possible de passer de deux points de vues relatifs et apparemment antagonistes à un nouveau point de vue transcendant les deux autres. Celui-ci sera probablement rassemblé dans une nouvelle vision se rapprochant plus prêt de la vérité. C’est une construction. Nous nous approchons de la Vérité en reliant des éléments épars, et en reliant nous créons de l’ordre et construisons.

La ré harmonisation de la conscience de l’homme

Mais pour être apte à construire, il faut d’abord établir l’ordre, c’est-à-dire l’harmonie, en soi-même. En proie à la dispersion, le profane est, selon les termes du psychologue Paul Diel, un homme « banal », centré sur ses désirs immédiats. Une avalanche de désirs contradictoires se renforcent et se multiplient sans jamais se satisfaire. L’imagination d’où naît les désirs et la raison qui conçoit leur réalisation fonctionnent alors sous le contrôle de ce que N\ F\ Jacques Trescases appelle un « faux maître », substitué au vrai Maître, qui serait, selon l’ordre rétabli, l’instanciation en nous de la Loi morale.

Aller dans le sens de la vie, c’est retrouver un fonctionnement intérieur harmonieux où a été rétablie la loi « surconsciente » qui réagit l’Etre.

Ces pôles psychiques : action, sensation, raison - soleil, imagination - lune, et Loi surconsciente, au nombre de 5, sont en correspondance symboliques avec les 5 officiers éclairant la Loge, image de notre être intérieur harmonieux. Comme le remarque encore N\ F\ Jacques
Trescases, le fonctionnement juste de la psyché est donné par le tracé de l’étoile Flamboyante, image de l’homme ré harmonisé, qui a intégré en lui l’ordre de l’univers.

Mais le compagnon n’a fait que voir l’étoile flamboyante. Pour intégrer pleinement en lui cet ordre, il lui faut encore rétablir le maître en lui tel qu’il existe en puissance. C’est l’un des sens même du psychodrame du meurtre d’Hiram, qui marque symboliquement à travers le vécu de la mort la restauration de l’élan spirituel. Hiram personnifie l’homme qui fait perdurer l’ordre éternel de construction, mort sous les coups de l’imagination, de la raison et du jugement moral déréglés, c'est-à-dire de la vanité humaine. Par l’effort unis des trois F\ F\ dirigeant la Loge, qui est au contraire la dynamique harmonieuse, et seulement par lui, le Maître peut être relevé.

L’accession à la maîtrise marque donc symboliquement la capacité acquise par l’initié à poursuivre la construction et à l’ordre du monde en rassemblant. C’est donc je pense le commencement du travail proprement spirituel.

Le chemin vers l’Unité retrouvée

L’œuvre à venir du Maître maçon est résumée en conclusion de la cérémonie d’exaltation : « Chercher ce qui a été perdu, rassembler ce qui est épars et répandre partout la lumière ».

Retrouver la Parole perdue, ce serait restaurer l’ordre principiel où toute chose se trouverait à sa juste place. C’est le but ultime.

Mais, pour citer Oswald With, rien ne se détruit dans le monde des idées. A partir de ce que nous lèguent les traditions, il se trouve nécessairement dans l’univers des parcelles de cette parole perdue. Le maître maçon a donc le devoir d’explorer tous les points de vue, toutes les traditions, pour y puiser les traces de l’Esprit et les rassembler. Dans de nombreuses traditions, telles le mythe d’Osiris, il est nécessaire de rechercher ce qui a été perdu et dispersé par toute la terre pour ramener un mort à la vie. De même le maître doit-il voyager sans relâche de l’Orient à l’Occident. En passant par le septentrion et le midi, c'est-à-dire suivant le parcours juste de tout initié, il chemine donc symboliquement toute la surface de la terre, Ce parcours de l’horizon signifie plusieurs choses : d’abord qu’il n’y a pas de limite pour lui dans la recherche de la vérité autre que celles de ses capacités présentes.

Ensuite que ce parcours se fait en se conformant à des cycles. Il faut rassembler dans le monde des idées à l’Orient, mais, une connaissance est vaine si elle n’est agissante et retransmise dans le monde manifesté, c'est-à-dire à l’Occident. Le parcours est donc une alternance de lumière et d’ombre, d’intuition et de raison, d’élaboration et de mise en oeuvre, de conception et de retransmission.

Enfin la surface de l’horizon est pour l’imagination un cercle. Le parcours suivant le carré est celle de l’initié, mais elle appartient encore à la manifestation. En passant de l’angle droit au cercle, forme parfaite et image de l’éternité, sans commencement ni fin, et dans lequel le carré s’inscrit, le maître accède à un autre plan à partir de son propre centre. Symboliquement devient médiateur entre le monde manifesté et le Principe. Il est « au milieu », entre l’équerre et le compas.

Certes l’homme spirituel que le maître aspire à devenir appartient encore à la matérialité, mais il se rapproche de l’image du Principe qu’il porte en lui.

Rassembler ce qui est épars, c’est une tâche jamais achevée, un idéal dont au mieux on se rapproche de manière asymptotique. Si cet idéal était atteint, alors la parole perdue serait retrouvée et cela marquerait l’accession à un nouveau plan de conscience pour l’initié. Mais un nouveau cycle recommencerait car toute connaissance humaine est inaboutie. Tout achèvement ne saurait être que relatif et le travail se poursuit indéfiniment.

V\ M\, j’ai dit.


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