Obédience : NC | Loge : NC | 25/02/2008 |
Le Volume de le Loi Sacrée « Ce que nous sommes, nous le sommes dans et par l’histoire. Ce que nous sommes n’est pas seulement sorti du temps présent, mais c’est essentiellement un héritage culturel, le résultat du travail de toutes les générations antérieures… Notre permanence spirituelle est ancrée dans notre continuité historique ». Nous enseigne Henri Tort-Nouguès dans L’ordre maçonnique. C’est ainsi que tout travail d’approfondissement de cette permanence spirituelle que symbolise la présence de la Bible comme Volume de la Loi Sacrée sur l’autel des serments impose un inventaire historique de cet héritage culturel et spirituel reçu de toutes les générations qui nous ont précédés sur ce chemin de l’initiation maçonnique. Commençons donc par tenter de suivre, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité d’un historien, que je ne suis pas, les évolutions successives de la place du Volume de la Loi Sacrée dans les rituels de cette Franc-maçonnerie qui deviendra de Rite Écossais Ancien et Accepté. L’histoire des relations de la Bible et de la Franc-maçonnerie au cours de ces derniers siècles apparait aussi mouvementée que celle de ces couples qui n’ont cessé de se séparer, de se partager, de se retrouver, pour enfin vivre sur leurs vieux jours une relation sereine, beaucoup plus profonde que l’accord inconscient, simple, conformiste et quelquefois imposé de leurs débuts. C’est à l’occasion du serment que la Bible, les Ecritures, voire l’Évangile de Saint Jean, furent d’abord présents en Loge. Aux alentours de 1268, déjà « Le maître qui garde le métier doit faire jurer à l’apprenti sur les Saints Évangiles, qu’il se conformera aux usages et coutumes du métier » nous indique le manuscrit du Livre des Métiers d’Etienne Boileau, prévôt de Paris. De même en 1370, le serment, le Livre, et la loge apparaissent ensemble dans l’ordonnance de la Cathédrale d’York avec un ensemble de règles concernant les horaires, les pauses casse-croute et la boisson, qui se conclut ainsi : « et il jurera sur le Livre de garder et observer consciencieusement et aussi activement qu’il le pourra, sans ruse, feinte ni tromperie, tous les points de ladite ordonnance… » A cette même époque d’organisation du métier de maçon outre-manche, le quatorzième point du manuscrit Regius, 1390, étend l’obligation de serment à tous les maçons du royaume : « Sur tous les points susmentionnés il faut que tu sois assermenté ; et tous doivent prêter le même serment des maçons, de gré ou de force… ». Deux siècles plus tard, après avoir franchi l’étape cruciale de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg avec l’impression de la Bible à quarante deux lignes en 1455, nous trouverons, dans le manuscrit d’origine anglaise Grand Lodge 1, daté de 1583, plus de précisions sur la prestation du serment. Il s’git d’une phrase en latin, que l’on retrouvera pendant plusieurs siècles dans tous les manuscrits d’origine anglaise : « Alors l’un des anciens tient le livre, et ils poseront la main sur le livre, et alors on doit lire les devoirs ». Plane ici une petite incertitude entre le livre des constitutions rédigé à cette même époque et la Bible, pour la prestation du serment des maçons. Cependant le contexte, en particulier la prière finale, « votre salut éternel est en votre pouvoir par ce livre qui est en votre main. Amen, ainsi-soit-il ». Conduit bien à penser que ce livre ne peut être que la Bible. Un siècle passe encore, et c’est un manuscrit écossais des archives d’Edinburgh qui apportera la première confirmation précise de l’utilisation de la Bible en Loge. Ce document, qui porte le titre « Quelques questions à propos du mot de maçon - 1696 », sans doute le premier document maçonnique à caractère rituel connu, décrit la manière de donner le mot de maçon : « Tout d’abord vous devez faire agenouiller la personne qui va recevoir le mot…vous lui faites prendre la Bible et, posant sa main droite dessus, vous devez l’exhorter au secret… » On imagine que la Bible était alors ouverte à l’évangile de Saint Jean en lisant la manière dont ce manuscrit décrit l’entrée du nouvel apprenti : « Me voici, moi le plus jeune et le dernier apprenti entré, qui viens de jurer par Dieu et par Saint Jean ». Le manuscrit Sloane, lui aussi d’origine écossaise, à peu près de la même époque, 1700, de même que le manuscrit Chetwoode Crawley, encore un manuscrit écossais de la même époque, reprennent la même phrase : « Me voici, moi le plus jeune et le dernier apprenti entré qui vient de jurer par Dieu et par Saint Jean… » Mais l’innovation de ce dernier manuscrit, c’est que la Bible n’y est plus seulement utilisée comme support du serment mais aussi comme texte de référence pour définir les mots de maçon : « Où trouve-t-on les mots ? En I Rois, chap 7ème, verset 21 et II Chron. 3ème chap. dernier verset ». Evolution essentielle, la Bible n’est plus seulement pour le franc-maçon la garantie du parjure par la perte du salut éternel, elle devient au tournant du XVIIIème siècle le livre où il pourra trouver la référence de ses mots, dans un premier temps, et plus tard de ses légendes. Les manuscrits et divulgations maçonniques du début du XVIIIème siècle, comme le manuscrit Wilkinson, qui d’après les historiens reflète bien l’activité maçonnique entre 1724 et 1730, précisent et fixent les modalités du serment exactement tel que nous le prêtons encore aujourd’hui, et confirment la présence de la Bible en Loge : « Quels sont les meubles de la Loge ? La Bible, le compas et l’équerre ». Mais ils développent aussi cette nouvelle orientation d’une Bible à ouvrir et à lire en quête des mots et des légendes : « Voir chapitre 3 du 2ème livre des Chroniques, verset 17, où vous trouverez le nom de la colonne de gauche devant le Temple, et de celle de droite » nous indique le manuscrit Wilkinson. Cela devient encore plus évident dans le manuscrit Graham, daté de 1726 : « Je reconnais que vous êtes entré, maintenant je vous demande si vous avez été élevé ? Oui je l’ai été. Dans quoi avez-vous été élevé ? J’ai été élevé dans la connaissance de nos origines tant par la tradition que par l’Ecriture… » Pendant près d’un siècle les divulgations successives et les premières publications autorisées de rituels, qu’ils soient de rite moderne ou ancien, n’apporteront aucune modification sensible à ces éléments. Je me cantonnerai, pour la suite de l’histoire, à ces rituels écossais, qui conduiront aux rituels du REAA du début du XIXème siècle, en remarquant que la Bible, le Compas et l’Equerre, après avoir été des « meubles » de la loge, ou les « trois colonnes » dans la manuscrit Dumfries de 1711, deviennent pour la première fois les « Trois grandes Lumières dans la Maçonnerie » en 1760 dans Trois Coups Distincts, avec cette précision : « La Bible pour diriger et gouverner notre foi ; l’équerre pour mettre nos actions d’équerre ; le compas pour nous maintenir dans de justes bornes envers tous les hommes, particulièrement envers un frère ». A l’issue de la Révolution française, l’orée du XIXème siècle trouvera ces rituels inchangés à un détail près : la Bible ne gouverne plus notre « foi », elle « règle et gouverne notre loi » Accident de transcription, ou volonté délibérée ? Le fait est que ce mot « loi », prémices du vocable « Volume de la Loi Sacrée », introduit une nouvelle signification sensiblement différente de la « foi », à l’issue du Siècle des Lumières où des maçons comme Jean Théophile Desaguliers estiment que la « forme la plus parfaite [de gouvernement] est celle qui s’approche au plus près du gouvernement naturel de notre système selon les Lois établies par le Très-Sage et Tout-Puissant Architecte de l’Univers ». C’est une vingtaine d’année plus tard que se produira le grand bouleversement : La Bible a disparu du Rituel selon les Anciens Cahiers, rédigé en 1829 sous l’égide du Suprême Conseil de France, qui gère alors toutes les loges de rite Ecossais, y compris les trois premiers degrés. Elle est remplacée sur l’autel des serments par les Statuts Généraux de l’Ordre. A l’image de ce XIXème siècle qui vit fleurir l’ésotérisme maçonnique, avec Jean Marie RAGON et Oswald WIRTH parmi bien d’autres, et se définir la spécificité spirituelle du REAA avec Jean Pons VIENNET et Adolphe CREMIEUX pour ne citer qu’eux, ce rituel, s’il reconnait d’entrée « L’existence d’un Dieu, Grand Architecte de l’Univers, Auteur de tout ce qui est », place un tout nouvel accent sur la méthode maçonnique : « En quoi consiste le mode employé en Maçonnerie ? Dans des mystères et dans des allégories. Que signifient ces purifications ? Que pour être en état de jouir de la Lumière de la Vérité, il faut se dégager de tout préjugé et se livrer avec ardeur à l’étude de la Sagesse… Comment se nomme cette Loge ? Elle se nomme Loge de Saint Jean. Que veut dire cette dénomination ? Comme Saint Jean, que les anciens nommaient Janus, semble garder les portes du ciel et les ouvrir à l’astre radieux du jour, la route céleste que parcourt le Soleil fut nommée le Temple ou l’empire de Janus. De même aussi la Loge, où travaille les Maçons pour parvenir à la connaissance de la Vérité qui est la vraie Lumière, est nommée Loge de Saint Jean, parce qu’elle est une image de l’univers ». Les maçons écossais ne jurent plus sur la Bible, mais ils proclament qu’ils effectuent un travail symbolique, en quête de la Vérité qui est la vraie Lumière, dans un Temple qui est le symbole de l’univers. En 1875, le Convent de Lausanne du REAA exprime au monde sa vision spirituelle dans une proclamation, rédigée de la main même d’Adolphe Crémieux, si dense et si précise qu’elle sera dorénavant lue à tous les futurs maçons du rite avant leur prestation de serment. Dans un discours ultérieur le Grand Commandeur et donc aussi Grand Maître du Rite Écossais Adolphe CREMIEUX développe cette vision : « La religion maçonnique n’est pas ce qu’on appelle une religion. La franc-maçonnerie les admet toutes, elle n’en repousse aucune… Soyez catholiques, protestants, juifs, mahométans, la Maçonnerie ne vous le demande pas… Le spiritualisme est donc le fond réel de la Maçonnerie ». La Bible n’est plus ouverte en loge, mais le franc-maçon de notre rite acquiert une spiritualité. Il faudra attendre plus d’un siècle pour que la Bible fasse son retour dans les rituels de la Grande Loge de France, sous le nom de Volume de la Loi Sacrée. Le 18 Septembre 1953, sous le titre La Maçonnerie universelle et la Grande Loge de France, le convent de la grande Loge décidait d’inclure dans ses constitutions la présence sur l’autel des serments du Volume de la Loi Sacrée. Le Frère rapporteur, Etienne GOUT, argumentait ainsi : « cette réforme ne sera qu’un simple retour à la tradition autrefois observée par l’écossisme français, et la présence sur l’autel du Volume de la Loi Sacrée n’implique, pour les Maçonneries qui l’admettent, aucune obligation de croyance à un principe religieux déterminé ». Ce terme « Volume of the Sacred Law » naquit aux Indes au milieu du XIXème siècle, quand les juridictions anglo-saxonnes commencèrent à recevoir des musulmans, des hindous, des parsis, des sikhs, et que l’on dut faire prêter serment à ces nouveaux membres non sur la Bible, mais sur les Livres Saints de leurs religions respectives. On retrouve ici l’écho de la préoccupation de Crémieux et du Convent de Lausanne : « Aux hommes pour qui la religion est la consolation suprême, la maçonnerie dit : cultivez votre religion sans obstacle, suivez les inspirations de votre conscience ; la Franc-maçonnerie n’est pas une religion, elle n’a pas un culte ». C’est ainsi que les rituels successifs imprimés depuis par la Grande Loge de France, jusques et y compris le rituel de 1984, encore en vigueur dans les années 90, consacreront le serment de l’apprenti « sur les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie : le Volume de la Loi Sacrée, le Compas et l'Equerre ». Ces rituels préciseront que « Les Livres Traditionnels admis par la F\ M\ sont la Bible, composée de l'ancien et du nouveau testament ; les Védas de l'Hindouisme ; le Tripitaka du Bouddhisme ; le Coran des musulmans ; le Tao Te King des Taoïstes ; les Quatre Livres de la doctrine de Koung-Fou-Tseu ; le Zend Avesta du Zoroastrisme » et que « Le Volume de la Loi Sacrée, symbole de la Tradition, peut-être ouvert à tout endroit. Si ce volume est la Bible on l'ouvre de préférence à II Chroniques 2-5 ou à I Rois 6-7 où il est question de la construction du Temple de Salomon… ». La Bible dite « maçonnique » que l’on retrouvera alors le plus souvent dans les loges, éditée par Jean Vitiano, était dotée d’une « Introduction au Volume de la Loi sacrée » de sept pages expliquant et justifiant l’utilisation de la Bible pour le travail maçonnique : « La Bible est, en effet, un grand livre, aussi grand que le monde, contenant entre ses feuillets tout ce qui est propre à symboliser le fini et l’infini, le contingent et le permanent, la matérialité la plus profonde comme la plus haute spiritualité et pour s’exprimer simplement, toute la terre en même temps que tout le ciel ». Enfin, aussi étrange que cela puisse paraitre, et bien que l’usage en ait été beaucoup plus ancien, c’est seulement au tournant du XXIème siècle que le rituel de la Grande Loge de France précisera la présence de la Bible : « Les Trois Grandes Lumières…sont constituées par : le V\ L\ S\ (à la G\ L\ D\ F\ c’est la Bible), le Compas et l’Equerre… Le V\ L\S\ sera obligatoirement ouvert pendant les Trav\ au Prologue de l’Evangile de Saint-Jean ». La boucle est bouclée, le maçon français de rite Ecossais prête de nouveau son serment sur le prologue de l’Evangile de Saint Jean comme son prédécesseur trois ou quatre siècles auparavant à Edinburgh. Mais sa relation à la Bible n’est plus la même. Comme ces vieux amants terribles, après plusieurs siècles de tribulations Bible et Franc-maçonnerie Ecossaise en France se sont retrouvés officiellement, sans s’être en fait jamais vraiment quittés, mais sur un plan beaucoup plus profond. Notre relation à la Bible n’est plus du tout la même que celle du maçon de la Cathédrale d’York. Au fil de l’évolution du Rite nous avons appris à y trouver nos mots et nos légendes, à y rechercher les « Lois » de l’Univers et « la science de nos originels », l’histoire mythique d’une partie de l’humanité en quête de sa relation avec la Divinité, avec la Transcendance qu’elle pressent. Nous avons appris à utiliser « les symboles et les allégories » pour en percevoir les significations profondes, entrant ainsi dans une perspective ésotérique du Livre. Nous avons appris à utiliser la Bible pour nous « livrer avec ardeur à l’étude de la Sagesse » afin de « parvenir à la connaissance de la Vérité qui est la vraie Lumière ». Nous avons appris à y rechercher « tout ce qui est propre à symboliser le fini et l’infini, le contingent et le permanent, la matérialité la plus profonde comme la plus haute spiritualité » construisant ainsi une recherche spirituelle qui « n’impose aucune limite à la recherche de la Vérité » et n’implique « aucune obligation de croyance à un principe religieux déterminé », nous conduisant en quelque sorte au cœur de toutes les religions, car « La franc-maçonnerie les admet toutes, elle n’en repousse aucune ». Cette lecture symbolique de la Bible, en quête du sens, de la Vérité et de la Lumière, cette perception ésotérique du Volume de la Loi Sacrée, n’est pas une invention nouvelle de la Franc-maçonnerie. Il existe un ésotérisme qui depuis plusieurs millénaires a traversé toutes les religions du Livre. L’ésotérisme chrétien, l’herméneutisme, dont le nom vient d’Hermès Trismégiste, explique qu’il ne peut y avoir d'interprétation correcte des sens cachés de l'Ecriture sans l'enseignement intérieur de l'Esprit, de sorte que la plupart de ses multiples sens échappe au plus grand nombre. Les anciens Pères assimilaient les Ecritures à la robe, aux mille couleurs, tissée d'or, portée par la fiancée royale. Pseudo-Denys l’aréopagite les compare au Vème siècle à des voiles sacrés à travers lesquels luit le rayon divin. Saint Grégoire le Grand assure au VIème siècle que c'est ainsi qu'on pourra trouver « sous la lettre, la moelle des paroles mystiques » et St Jérôme qu’« il est malaisé de deviner où peuvent être la source scellée et le jardin clos de l'Ecriture ». La Renaissance, après la chape de plomb du moyen-âge, verra refleurir cette quête de la Connaissance cachée derrière l’exotérisme du Livre, avec Dante puis Pic de la Mirandole, en y ajoutant la recherche de l’Unité, d’une pensée qui réconcilie foi et raison, avec Lulle puis Ficin et Nicolas de Cues. Dans Le Banquet Dante veut nous faire partager cette science, « perfection dernière de notre âme…mais combien petit nombre demeurent ceux-là qui pourront parvenir à la pratique de tous désirée. Oh bienheureux le petit nombre de ceux-là qui siègent à la table où l’on mange le pain des anges ! » Et pour cela le premier enseignement consiste dans la recherche des sens cachés : « Les Ecritures se peuvent entendre et se doivent exposer principalement selon quatre sens. L’un s’appelle littéral et ne s’étend pas plus que la lettre des paroles feintives comme le sont les fables des poètes. L’autre s’appelle allégorique, et c’est celui qui se cache sous le manteau de ces fables, vérité celée sous beau mensonge… Le troisième sens s’appelle moral, et c’est celui dont les écolâtres se doivent de relever les traces dans les Ecritures… Le quatrième sens s’appelle anagogique, c'est-à-dire sur-sens ». L’ésotérisme mystique juif, la Kabbale, n’a pas un enseignement différent. Ce sont les quatre niveaux de compréhension du Pardes, le Jardin : depuis le Pshat, littéral, puis le Remez, signe sous-entendu, jusqu’au Drash, le recherché, et enfin au Sod, le secret. Le Zohar, livre des splendeurs de la kabbale hébraïque, écrit vraisemblablement par Rabbi Moïse de Leon à la fin du XIIIème siècle, décrit ces même quatre niveaux de compréhension du Livre, sous une forme allégorique cette fois : « La partie la plus visible d’un homme, c’est le vêtement qu’il porte, et ceux qui manquent d’entendement, quand ils regardent l’homme, peuvent ne pas voir en lui plus que ce vêtement. Pourtant c’est en réalité le corps de l’homme qui fait la fierté de ses vêtements, et son âme est la gloire de son corps. Il en est de même pour la Torah. Ses récits qui rapportent des choses du monde composent l’habit qui couvre le corps de la Torah. Et ce corps est composé des préceptes de la Torah, ses principes majeurs. Les hommes sans entendement ne voient que les récits, les vêtements ; ceux qui ont un peu plus de sagesse voient également le corps. Mais les véritables sages, ceux qui servent le Roi Très-haut, ceux qui se tenaient au mont Sinaï, pénètrent jusqu’à l’âme, jusqu’à la Torah véritable qui est la racine fondamentale de tout. Aux temps futurs il leur sera accordé de pénétrer jusqu’à l’âme même de l’âme de la Torah ». L’ésotérisme de l’Islam, Chiite, Ismaélien ou Soufi, utilise lui aussi la métaphore du Jardin : Le premier Cheikh jette un coup d’œil par-dessus le mur mais ne franchit pas la porte, le deuxième rentre dans le jardin et s’y endort, le troisième le visite en détail admirant ses splendeurs, et le quatrième devient comme fou, s’acharne dessus et le met sens dessus dessous. Et Abd-el-qader-al-Jilani, inspirateur au XIIème siècle de la plus ancienne des confréries soufies, la Qadiriyya, ne s’exprime pas autrement dans Le Secret des Secrets lorsqu’il parle de la Connaissance : « …ces sciences sont organisées en quatre sections. La première s’intéresse aux préceptes de la religion portant sur les obligations relatives aux choses et aux actions de ce monde. La seconde concerne le sens intérieur et la raison de ces préceptes… La troisième section se rapporte à l’essence spirituelle elle même, qu’on appelle sagesse. La quatrième section considère l’essence intérieure de cette essence, qui est la Vérité ». René GUENON nous rappelle bien l’impérieuse nécessité pour notre travail initiatique d’aller chercher dans notre lecture de nos mots et de nos légendes ce quatrième niveau de signification qui est celui qui coordonne et unifie les trois autres : « Les commentateurs s’accordent généralement à reconnaître, sous le sens littéral du récit poétique, un sens philosophique, ou plutôt philosophico-théologique, et aussi un sens politique et social. Mais, avec le sens littéral lui-même, cela ne fait encore que trois, et Dante nous avertit d’en chercher quatre ; quel est donc le quatrième ? Pour nous ce ne peut être qu’un sens proprement initiatique, métaphysique en son essence, et auquel se rattachent de multiples données qui, sans être toutes d’ordre purement métaphysique, présentent un caractère également ésotérique. C’est précisément en raison de ce caractère que ce sens profond a complètement échappé à la plupart des commentateurs ; et pourtant, si on l’ignore ou si on le méconnaît, les autres sens eux-mêmes ne peuvent être saisis que partiellement, parce qu’il est comme leur principe, en lequel se coordonne et s’unifie leur multiplicité ». Cette recherche des sens cachés des Écritures, l’herméneutique des Chrétiens, la voie qui va de la Shari’a, religion littérale, vers la Haqiqa, vérité et réalité spirituelle, pour les Musulmans, le passage de la Torah, la Loi, à la Qabbalah, l’enseignement de la Tradition, pour les juifs, se donne comme objet de quête la connaissance de l’Un que décrit au Chrétien du XIIIème siècle Maître Eckhart citant Isaïe : « Je conduirai la noble âme dans un désert et là je parlerai à son cœur : L’Un avec l’Un, l’Un de l’Un, l’Un dans l’Un et, dans l’Un, éternellement Un », ou Al Ahadiyyah des musulmans, l’unité divine insaisissable d’Abou Bakr Kalabadhi : « les pensées ne le cernent point, les voiles ne le cachent point, et pourtant les regards ne l’atteignent point », ou l’Ein-Soph que Moïse de Léon décrit ainsi au Kabbaliste juif : « Il se désigne lui-même Ein-Soph, l’infini. Il n’a ni forme ni apparence, et aucun vase ne peut Le contenir, ni aucun moyen Le saisir ». Si ces trois lectures ésotériques du Livre sont si proches entre elles dans leurs moyens et dans leurs fins, et si proches de celle dont la franc-maçonnerie écossaise a hérité par l’histoire de notre rite, c’est qu’elles ont toutes une source commune, plus ancienne. Cette source, cette tradition qui a inspiré toute une lignée de philosophes de Platon jusqu’à nos jours et ensemencé toutes les religions du Livre, c’est la Gnose néoplatonicienne. Les éléments essentiels de cette Tradition sont assez bien délimités. Sa première caractéristique est une aspiration à la cohérence logique entre les différents aspects de la philosophie, de la logique et de la métaphysique, associée à une nostalgie latente de ce qui est « en bas » vers ce qui est « en haut », source de son origine. Sa deuxième caractéristique est la méthode symbolique, que Porphyre appliqua à la lecture d’Homère, Philon d’Alexandrie puis les Kabbalistes à la Bible, et les Ishraqyun arabo-perses puis les Soufis au Coran. Pour la Gnose néo-platonicienne, le livre est une énigme qui offre à chacun la possibilité d’y trouver les significations cachées. Enfin, et ce n’est pas le moins important, sa troisième caractéristique est une conscience forte de l’unicité du Principe de ce que nous appellerions la Grande Architecture de l’Univers : « Toute multiplicité participe d’une manière ou d’une autre à l’Un » écrit déjà Proclus, successeur de Platon à la tête de l’académie. Quand on compare le mode de lecture du Volume de la Loi sacrée issu de l’évolution de la maçonnerie Ecossaise en France avec cette Tradition, on comprend à quel point elle a ensemencé notre rite, faisant de nous ses héritiers. Il n’est donc pas étonnant que nous ayons choisi d’ouvrir dans nos loges le Volume de la Loi Sacrée au premier chapitre de l’Evangile de Jean. Car ce prologue est l’expression même de la Gnose. Les rapports du Poïmandrès, premier livre d’Hermès où nait l’idée de la gnose, et du prologue de l’Evangile de Jean sont manifestes, les phrases se correspondant une à une. Il est très probable qu’ils ont été écrits à des dates peu éloignées l’une de l’autre, vers l’an 70, dans des milieux où les mêmes idées et les mêmes expressions avaient cours, l’un parmi les judéo-grecs d’Alexandrie, l’autre parmi ceux d’Ephèse. Ce qui semble certain c’est que le Poïmandrès est sorti de cette école des Thérapeutes d’Egypte. Cette école des Thérapeutes où il était d’usage de placer sa main entre sa gorge et son cœur lorsque l’on prenait la parole au cours des agapes rituelles. C’est la confrontation, au cœur de la pensée maçonnique écossaise du XIXème siècle, de cette très ancienne tradition avec les fruits du siècle des Lumières, liberté de pensée, respect de la raison et de la science, qui a fait éclore la spiritualité que nous vivons aujourd’hui au sein du Rite Écossais Ancien et Accepté. Liberté de pensée qui est dans notre franc-maçonnerie écossaise la liberté d’une pensée qui se construit et se confronte avec celle des autres, dans le respect et l’écoute, mais sans abdiquer de sa propre logique. Une pensée qui n’hésite pas, pour y réfléchir sans provocation mais avec rigueur, à remettre à plat tous les dogmes, que ce soient ceux des religions ou ceux de la pensée unique, ceux des médias ou ceux de l’opinion publique. Remise à plat qui n’a pas pour but d’arriver à une opinion commune, à une pensée maçonnique, mais qui a pour but de permettre à chaque frère d’asseoir plus profondément sa pensée personnelle. Car il n’y a pas de pensée maçonnique, pas de dogme maçonnique, chacun est libre de construire, ou de reconstruire, avec l’aide de ses frères, sa propre pensée dans un cheminement qui sera de toute façon un chemin intérieur et personnel. Il n’y a pas de pensée maçonnique, mais il y a ce qu’on peut appeler une méthode maçonnique, bien que je n’aime pas le mot de méthode avec tout ce qu’il exprime à tort de rigidité. Disons plutôt un chemin, une voi(e), une voie maçonnique comme il y a d’autres voies dans de nombreuses Traditions de par le monde. Cette voie comporte l’apprentissage de l’écoute par le silence, indispensable à l’ouverture aux autres. Elle comporte aussi un autre apprentissage essentiel, l’éveil de l’ésotérisme du regard, la conversion du regard qui éveille notre conscience à ce qui nous dépasse, au-delà de l’apparence matérielle sur laquelle on s’arrête trop facilement. Cet éveil de la conscience à ce qu’il y a dans le monde au-delà du fric et de la frime, cet éveil de la conscience à cet univers dans lequel nous vivrons et nous mourrons, à ces hommes et ces femmes que nous côtoyons et qui ne seront plus dorénavant des concurrents ou des gêneurs mais d’autres nous-mêmes, dignes de respect et d’amour, cet éveil de la conscience à ce qui peut nous transcender et donner un sens à notre vie, c’est cela l’Initiation. Grâce à notre double héritage, tradition millénaire de la gnose et liberté de pensée du siècle des Lumières, cet éveil de la conscience ne nie pas la matérialité de l’univers qui nous entoure, mais ouvre les yeux de chacun sur ce qui autour de lui peut le transcender, découverte intérieure progressive de la Transcendance. Cet éveil de la conscience ne nie pas l’altérité, mais ouvre le cœur sur l’essence de l’autre et de soi, découverte progressive de l’Immanence. Ainsi je crois que si l’on peut reprendre le mot d’Adolphe CREMIEUX, quand il écrivait que la franc-maçonnerie écossaise n’était pas une religion, mais une spiritualité, cette spiritualité à comme caractère essentiel d’être une spiritualité libre, exempte de tout dogme. C’est une spiritualité car elle ouvre l’esprit sur ce qu’il y a au-delà de la matérialité brute, mais ce n’est pas une religion car elle n’apporte pas de révélations toutes faites. Elle n’apporte pas de réponses, mais aide à se poser des questions. Elle n’impose pas de dogmes, mais aide à réfléchir. Elle ne propose pas de gourous ou de docteurs de la Loi, mais l’aide des frères de la Loge. Elle ne conduit pas à une croyance, mais permet de reconstruire sa propre cohérence intérieure et de donner un sens à sa vie. Cette voie spirituelle bien particulière pourrait bien être l’apport décisif de la Grande Loge de France à ce XXIème siècle qui s’ouvre, ce XXIème en manque désespéré de sens, ce siècle qui voit se vider les églises et se remplir les rayons ésotérisme des librairies, ce siècle qui voit fleurir les sectes de toutes sortes. Cette spiritualité libre devrait répondre parfaitement au besoin que ressentent confusément nos contemporains, cette « foule sentimentale » qui rêve d’« étoiles et de voiles » et que ne satisfont plus le matérialisme et la frime de notre société de consommation, mais qui a rejeté cependant les dogmes et les mystères de la religion de ses pères. Cette spiritualité libre doit en tout cas permettre à celui qui a faim de nourriture spirituelle, et soif de Connaissance, d’approcher la Transcendance sans pour autant abdiquer de la cohérence de sa pensée et de sa vie. L\ T\ |
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