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Ordo Ab Chao

Il a fallu que me soit donné ce sujet pour que je réalise, soudain, qu’il constituait également la devise portée sur notre passeport maçonnique. Une devise… Ainsi, de tous les mots de nos rituels, de toutes les maximes célèbres rencontrées au fil de la pensée maçonnique, c’est ORDO AB CHAO qui a finalement été retenu. Mais de quel chaos et de quel ordre s’agit-il ? Quelle est la nature de leur relation ?

En me proposant de réfléchir sur le sujet, il m’a été clairement indiqué qu’il était extrait de notre rituel, et plus spécialement du troisième voyage de l’apprenti, en devenir de compagnonnage… Il est dit : « La rhétorique permettra au maçon d’exprimer élégamment ce qu’il est susceptible de communiquer à autrui. Et comme ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, il éprouvera peu à peu le besoin, avant de prendre la parole pour normaliser et régulariser le comportement de cet autrui, ou pour rectifier son mode de penser, de mettre en ordre instantanément et préalablement ses propres idées. Il aura ainsi observé la vieille devise maçonnique : ORDO AB CHAO ». Fin de citation.

J’ai bien reçu le message, je tâcherai d’être la plus claire possible… Revenons donc à cette devise ORDO AB CHAO. J’envisagerai dans un premier temps de saisir la notion de chaos, avant de souligner nos tentatives de recherche d’un certain ordre puis de développer ma propre expérience en détail. DU CHAO…

Dans notre monde en souffrance autant des guerres des hommes, qu’elles soient économiques, sociales, militaires, émotionnelles, que des soubresauts de la nature, telles les terribles catastrophes naturelles de ces derniers mois, par exemple, le chaos semble installé. Echo lointain d’un chaos primordial, fait pourtant de promesses et d’espoir. Et de nous demander : Comment l’espèce humaine, qui a tout fait pour comprendre d’où elle venait pour mieux saisir son devenir, comment nous tous, si frileux, qui avons besoin de tant de repères dans le temps et dans l’espace, qui avons littéralement bâti notre système de pensée sur un déterminisme reposant, pouvons nous faire face à ce chaos ?

Mais dans un abord plus positif, le chaos ne contient-il pas en germe les conditions mêmes dans lesquelles notre libre arbitre peut justement trouver place ? Dans la vie maçonnique, on nous donne comme première obligation, celle de nous taire et d’apprendre à écouter, comme première tâche, celle de suivre le fil à plomb en une longue descente en nous-mêmes ; puis progressivement, on nous confie des outils symboliques, pour lentement tailler cette pierre brute que nous sommes, apprendre à agir, à construire, selon l’ordre et la mesure, dans le monde où nous vivons.

N’est ce pas là nous accorder, plus directement que dans le monde profane, la possibilité de faire se manifester l’ordre du « chaos de notre humanité », pour mieux tenter de maîtriser notre devenir, en incarnant notre véritable dimension spirituelle, celle de l’amour, qui elle, ne connaît ni frontière, ni limite. C’est ce chemin précisément, du chaos initial si prometteur, aux différentes expressions du chaos dans ma vie, que la réflexion sur ce sujet m’a conduite à entreprendre, ou plutôt, en prendre en conscience, pour tenter de saisir le mot ordre. Cela m’a renvoyée à toutes ces planches qui ont croisé des moments de vie plus souvent lourds et difficiles, que légers et insouciants. Envisager, en conscience, ORDO AB CHAO dans le « chaos total à Bordeaux », en voilà un challenge, lorsqu’on joue comme moi chaque jour à motiver ceux qui m’entourent vers le sens d’un « meilleur » qui vaut toutes les batailles.

On ne sort pas indemne d’une réflexion pareille. Je n’ai pas aujourd’hui fini de panser les plaies que mon travail sur ce sujet a ouvertes. Peut-être parce que j’ai aussi marché ces derniers mois aux côtés de quelques uns ou unes qui suivent ce même chemin, ai-je pu avoir la sensation que je n’étais pas la seule à me débattre, voire, que nous pouvions nous aider, et que c’était probablement là une partie de la réponse. Après tout, même si la raison qui fait que nous nous battons pour nous en sortir n’est pas toujours très claire, elle m’a refait penser que la source de notre force est peut-être ce que les scientifiques appellent « l’attracteur étrange », la question de pourquoi après celle de comment, qui nous fait toucher du doigt une même essence, nous aspirant vers le Vrai, le Bien, le Beau, et trahissant quelque finalité suprême qui nous dépasse.

Ce sujet m’a été donné il y a six mois. Ceux qui partagent mon environnement ont pu observer que la période de réflexion qu’il a provoqué s’est doublée de profonds changements dans ma vie. Je n’irai pas jusqu’à prétendre qu’il y ait un lien de cause à effet ; pourtant, si je suis en mesure de synthétiser aujourd’hui ma pensée, cela ne peut se faire qu’à la lumière de ces bouleversements. C’est cet éclairage un peu particulier que je me propose de partager avec vous, après avoir parcouru les tentatives de recherche d’ordre de notre société.

Du Déterminisme triomphant a la recherche de l’ordre de notre société… Nous avons tous et toutes, un jour, lu notre horoscope, voire consulté un ou une astrologue, numérologue, voyante, nous nous sommes fait tirer les cartes, ou avons hâtivement parié que, « si nous finissions de descendre l’escalier avant que l’horloge sonne, nous réussirions telle ou telle tâche… » Et la liste n’est pas exhaustive… Les soucis de connaître l’avenir trouve sans doute son origine dans le besoin de se préparer à faire face aux situations, au désir, voire au besoin, d’avoir des repères. Or, ainsi que le démontre Pierre Bergé dans, Des rythmes au chaos, les prédictions, de quelque nature qu’elles soient, nous projettent dans le temps, où dimensions de futur et de passé se mêlent.

La notion de temps, sa perception, sa mesure, sont donc essentielles dans l’appréhension de notre devenir. En développant leur recherche vers la compréhension des ces mécanismes, les scientifiques ont pu « prétendre » que le futur était devenu calculable. C’était sans doute s’aveugler sur les capacités humaines, reprend Bergé, et oublier les innombrables facettes de la Nature. Au XIXème siècle, Poincaré a commencé à jeter une ombre sur les certitudes acquises, en découvrant que certains systèmes mathématiques avaient des comportements si complexes, qu’ils devenaient impossibles à prédire. La prédictibilité a des limites, se sont mis à proclamer les scientifiques de toutes les disciplines. Le déterminisme souverain serait-il en passe d’être enterré sous le règne du hasard, voire celui du chaos ? Et le chaos de devenir pour tous la source de toutes les interrogations.

La société civile, parallèlement, qui a vécut dans un premier temps au rythme du soleil, des saisons, puis des calendriers, a conçu une perception globale de la vie comme régulière dans le temps, découpée en cycles de tout ordre, alors que les légendes et religions répondaient, elles, aux questions plus subtiles du commencement ou du sens de la vie. Toutes, légendes et religions, ont repris le chaos initial sous des formes plus ou moins aquatiques ou, ténébreuses, de la Nuit à la Lumière : « Et la lumière fut ». Puis se sont appuyées sur un déterminisme bien humain pour lire notre histoire. Ainsi, tout notre système de pensée reste imprégné du déterminisme.

Reconnaître le temps qui passe, n’est-ce pas comme cet enfant que cite Bergé, dire « Le temps qui passe, c’est moi quand je grandis ». Dans notre environnement, le chaos a un double sens ambivalent, d’un côté, de « vide et absence » et d’un autre celui « de manque d’organisation ». Certes, lorsque tout est régulier rien ne se passe, aucune surprise dans la succession des marées hautes et des marées basses. Admettre que quelque chose soit imprévisible, cela revient à dire que le futur nous est inconnu. Le chaos devient donc une sorte de charnière entre ordre et désordre complet, jouant un rôle libérateur du libre arbitre, annihilé par le déterminisme.

Mais le retour à l’ordre ne se fait pas sans l’intervention d’un facteur externe. Ainsi lorsque les spectateurs applaudissent à la fin d’un concert, se mettent-ils peu à peu en phase, comme un battement de tambour peut permettre de réguler les défiles. Or cette société, dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, ne voit-elle pas se limiter les activités des secteurs primaires et secondaires au profit d’un tertiaire et d’activité de services, comme les supports matériels industriels laissent place aux ordinateurs, exprimant plus encore un développement vers le subtil voire le virtuel, comme vers une sorte de méta science. « Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas », a-t-on dit.

Quelle cause va engendrer une situation ordonnée dans cette société en devenir, quelle cause va générer une situation embrouillée, quelle relation s’établira entre ces deux états ? Alors nous voilà, avec le bagage de notre culture, dans ce monde en mutation, où nous finissons par ne plus savoir nous situer autrement que par rapport à nos chaos personnels ou professionnels ? Qu’est-ce donc qu’un tel sujet « ORDO » AB CHAO, sinon l’acceptation du désordre en premier lieu. A LA PRATIQUE DE L’ORDRE DANS MA PROPRE VIE… Et de me souvenir effectivement…

…d’une planche sur « Le silence », travaillée en plein milieu de mon divorce, situation par excellence où le langage sépare, au lieu d’unir, et où le chaos règne en maître, pour passer à une autre sur « Mes valeurs d’hier à aujourd’hui » soulignant une première tentative de mise en ordre, puis par un travail de synthèse sur « Quand on entre en maçonnerie, on avance » perçu comme un écho de « quand on reste dans la vie profane, on recule » ayant contribué à mieux saisir le propre de ma démarche maçonnique dans ce processus, pour être rattrapée, in extremis, par un sujet sur « Ma bonne étoile », celle-là même que je finissais par oublier, noyée dans le chaos de mes soucis.

Peut-être est-ce cette dernière planche qui, plus encore que les autres, m’a conduite à pouvoir percevoir, comme en un rappel à « l’ordre », une nouvelle dimension possible de « l’ordre dans mon chaos » ? Où en suis-je aujourd’hui ? Je ne crois pas qu’il n’y ait d’autre issue, que d’être vrai vis à vis de soi-même pour trouver la lumière dans les ténèbres, que d’être exigeant dans la reprise en main de sa vie. Ne pas se satisfaire d’un médiocre que l’on sait destiné à l’échec, être un peu plus dur avec soi même et ne pas repousser un combat, ne pas éviter une discussion, même difficile, mais donner à chacun, et à soi-même également, la possibilité de choisir en conscience.

Admettre ses erreurs et reconnaître les obstacles de la vie, comme autant de possibilités de repositionner les choses, attitude que la régularité du quotidien nous fait perdre de vue. Il est toujours plus difficile de dire « non » plutôt que de « laisser aller le quotidien » pour réinventer sa vie au prix peut-être d’une terrible solitude. Mais tailler sa pierre, ne pas la laisser brute, n’est ce pas, aussi, lui permettre à terme de pouvoir s’intégrer dans l’édifice. Oser. Oser, ce n’est qu’en essayant que l’on mesurera les limites de notre possible. Ne pas se limiter à une appréciation intellectuelle, mais redonner à notre intuition son droit d’existence. En entrant dans la maçonnerie, nous avions déjà fait le constat qu’il nous fallait autre chose ; nous avions reconnu, dans certains des maçons qui nous ont accompagnées, la possibilité d’une perfectibilité, nous avons aspiré à un travail.

Mais est ce que cela ne veut pas dire, aussi, que nous avons, un jour, admis que cela en valait la peine ? Et cela dans le chaos de notre vie quotidienne. N’est ce pas reconnaître que le chaos est lui-même porteur des germes de notre devenir, et que ce germe comme toute plante, doit être traité avec respect, amour et lumière.

ORDO AB CHAO

La nature est bien faite, les règnes se complètent et nous nous devons de nous concevoir ou de ne concevoir notre existence, que « par rapport au reste de ce qui nous entoure ». « Car c’est par sa conscience que l’homme est relie au divin » dit notre rituel. Exister, c’est justement par une vraie connaissance de ce que nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses, nos petites et nos grandes lâchetés, nos superbes victoires et nos plus fous espoirs.

Alors, assumons-nous, et surtout soyons plus compréhensive vis à vis des tiers au moins autant que nous voudrions qu’ils le soient avec nous. Finalement, ne sommes pas notre propre chef d’œuvre en devenir, au prix de tous les efforts que je viens de décrire... La souffrance des épreuves du chaos ne doit pas ternir la beauté de notre travail, si nous l’effectuons avec force et sagesse. La prise de conscience signifie, se connaître, se reconnaître, s’accepter et continuer à travailler, en s’écoutant comme si nous avions déjà « réponses et ordre » en nous, en ayant un peu perdu la capacité à les saisir.

J’ai dit V\ M\

M\ D\


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