GODF Loge : Fraternité Cauchoise Date : NC


Le Chevalier de Saint Georges

Le Nègre des Lumières

Noël 1739: Dans l’habitation de Guillaume Pierre Tavernier de Boullongne, qui domine Basse Terre, au lieu dit «  Saint George » Nanon donne naissance à l’enfant de la passion  qui la lie à son maître.

Nanon a été raflée comme quinze à vingt millions d’Africains, quelques années plus tôt sur les côtes du Sénégal.

Heureusement pour elle, le voyage s’est effectué sur un bateau neuf, deux esclaves par tonneau (1mètre cube 43) contre cinq par tonneau dans d’autres bateaux négriers.

Comme bien des petits métis, l’enfant portera le nom de Joseph, le saint patron des charpentiers, mais aussi celui des « nègres à talent » qui grâce à leur savoir-faire, peuvent s’affranchir de l’esclavage.

Le père de Joseph, vieille famille aristocratique entend l’élever comme son fils et non comme un futur esclave.
La musique aussi se métisse, le rythme culturel se mêle au rythmes importés, la « mazurka » se créolise.
Les premiers airs entendus par Saint George dans son enfance mélangent déjà les traditions des différentes régions africaines et l’importation européenne.

Joseph a tout juste dix ans lorsqu’il débarque à Paris, en compagnie de ses parents.
Convenances obligent, son père devra bientôt épouser une riche héritière.
Il dotera Nanon d’une confortable pension.
Le petit chevalier de Saint George se voit élevé en fils d’aristocrate.
Le violon lui est enseigné par Leclair, musicien favori de Louis XV, la composition par le grand Gossec.
Il apprend l’équitation au manège des Tuileries, à treize ans son père le met en pension chez Boessiére qui tient la salle d’armes la plus huppée de Paris.
Escrimeur hors-pair, La Boessière est aussi un homme de lettres, pétri des idées des lumières, il inculque à son élève le sens du travail, le fair-play, le refus de tricher avec les autres et avec soi-même.

Saint George devient plus tard gendarme de la garde du roi, une fonction ordinairement réservée aux rejetons de la plus haute noblesse.

J’ouvre ici une parenthèse, sur ce siècle des lumières, curieusement, peu de penseurs s’intéressent réellement au sort des esclaves. Par conviction ou par dérision Montesquieu a exprimé des jugements très durs sur les noirs. Voltaire profite en tant qu’actionnaire du commerce triangulaire.

En revanche, Condorcet condamne l’esclavage sans ambiguité.
Destinés à travailler dans les plantations de canne à sucre aux Antilles Françaises, Martinique, Guadeloupe, Saint Domingue, les esclaves composent  80% de la population en 1740 et 85% en 1790.

« Terre de France ne doit porter d’esclaves » avait décrété un arrêt du parlement de Bordeaux dès le 17ème siècle, arrêté purement hexagonal qui permet sinon d’être vraiment libres de ne pas être esclaves pour ceux qui vivent en métropole.

A la veille de la Révolution, cette population d’origine africaine et caribéenne vivant à Paris peut être estimée à plus de cinq mille personnes, je ferme la parenthèse.
Tandis que la vieille aristocratie s’avilit à Versailles un nouveau monde se façonne à Paris, autour de couches émergentes, une bourgeoisie d’affaires et une noblesse qui déroge en commerçant.
Ces nouvelles couches s’établissent dans les quartiers environnant le Palais Royal et surtout rue de Richelieu et rue Saint Honoré, la véritable épine dorsale de Paris.

La ville se construit à une allure impressionnante.
Dans les nouveaux quartiers précités, chaque famille éclairée se doit de tenir un salon philosophique ou artistique.
De Voltaire à Mozart en passant par Diderot, Condorcet ou Gluck, tout ce qui pense ou crée se  retrouve en ces cocons culturels.

Saint Georges est bientôt courtisé dans ce Paris des salons tenus majoritairement par des femmes, en 1774, Gossec lui confie la direction de l’orchestre « Le concert des Amateurs ».

On ne saurait passer sous silence l’immense influence qu’eut au 18ème siècle la Franc Maçonnerie sur la musique, elle a largement contribué à libérer la musique de ses féodalités.

Cette musique,  incarnation de l’aspiration à la fraternité sans cesse réclamée dans les loges, est gaie.
Elle veut donner du bonheur, du bien être.
Elle est une incitation à l’optimisme, au rêve d’une société meilleure dans ce monde qui change à vue d’œil.

Certaines loges se dotent de colonnes d’harmonies dont l ‘effectif équivaut à un orchestre, cinquante neuf franc musiciens pour la loge « Saint Jean d’Ecosse du contrat social » dont longtemps Saint George a été membre.

Les concerts de ces « colonnes d’harmonies » alimentent financièrement les dépenses caritatives des loges.

Sous l’impulsion de Gossec toujours, Saint Georges invente la direction de l’orchestre symphonique, répétition, rigueur, dialogue entre instruments, invitation  de solistes éminents.
De par sa maîtrise et son intelligence musicale de la direction d’orchestre, il magnifie la musique de Josef Haydn, notamment les « symphonies parisiennes » dirigées et crées pour lui à Paris.

Dans le même temps, il compose massivement un répertoire riche de deux symphonies, six symphonies concertantes, douze quatuors et surtout ses magnifiques concertis pour violon dans lesquels se mêlent toutes les influences qui ont fait Saint Georges.

Les musicologues qualifient aujourd’hui ses mouvements lents de « blues classique »
Rome, Londres, Vienne, Postdam (capitale de l’Empire prussien) renferment dans leurs bibliothèques des œuvres originales de Monsieur de Saint George.

Son statut de star internationale par sa musique et par ses amitiés: du Duc d’Orléans à Choderlos de Laclos en passant par Beaumarchais, Lafayette au Prince de Galles popularisent Saint George jusqu’aux Amériques.

Artiste engagé, il appartient à la société des « Amis des Noirs » crée par Condorcet et Brissot pour abolir l’esclavage.
En cette période où les idées nouvelles des lumières progressent, notamment à travers les loges maçonniques, Saint George est le premier homme à la peau noire initié en Franc Maçonnerie.

L’historien Alain Le Bihan a ainsi retrouvé la trace de son initiation au sein de la loge des Neuf sœurs.

Ami du Duc d’Orléans premier grand Maître du Grand Orient de France, la couleur de sa peau n’a point été un obstacle pour passer sous le bandeau.
Il fréquente le club des Jacobins et sera un soutien indéfectible aux idéaux et au processus révolutionnaire.

Pendant la Révolution, a la fin de l’été 92, les troupes de la coalition franchissent la frontière, le député Julien Raimond, mulâtre, élu de Saint Dominique propose la création d’un régiment de volontaires noirs et métis.

Saint George premier colonel de l’armée française à la peau noire est nommée à la tête du 13ème Hussards américain.
Il se choisit pour lieutenant un grand gaillard, métis comme lui et ancien pensionnaire chez son ami La Boessière, Thomas Rétoré Dumas fils d’un planteur de Saint Domingue et de la négresse Césette, qui n’est autre que le futur général Dumas, père du célébrissime Alexandre.

La tentative du Grand Dumouriez de rétablir la monarchie (après la mort de Louis XVI) est réduite à néant par le régiment du 13ème Hussards à Lille.

A Paris, pendant ce temps là, la terreur sévit, les amis et proches de Saint George en sont victimes. Saint George est emprisonné un an.
Le 9 thermidor de l’an II (27 juillet 1794) la tête de Robespierre roule dans la sciure et Saint George libéré, revoit la lumière d’une façon moins symbolique cette fois.

Après une dernière croisade à Saint Dominique pour aider Toussaint Louverture, il revient à Paris et à la musique.
Il s’éteindra le 10 juin 1799, commence alors pour la mémoire et la musique du chevalier une nuit de deux siècles.

Situation provoquée par le rétablissement de l’esclavage en 1802 par Bonaparte, il n’est plus question d’admettre que des personnes noires, désormais ravalées au rang de bétail puissent peindre, écrire, composer, séduire.

Deux siècle d’oubli, avec un essai de réhabilitation en 1936 par Marius Casadessus, puis fin 1970 une discographie apparaît, enfin depuis 1999, les concerts se multiplient à Paris et dans le monde.

Deux cent ans après, le 11 mai 2007, sous la conduite de Thierry Pélicant, l’ensemble Boïeldieu, rend hommage à M de Saint George à Montivilliers.

Ce pied de nez à Napoléon, dans le cadre de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, remet en mémoire cette phrase de Toscanini «  La musique est un acte de résistance » je dirais « la culture est un acte de résistance ».

Cette page culturelle de notre patrimoine maçonnique fait donc  renaître ce bon M de Saint George et pour la troisième fois à la lumière.

J’ai dit Vénérable Maître

J
\M\ T\

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