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Antoine de Saint Exupéry
Militaire et franc maçon dans le texte

7403-2-1

Vénérable maître, et vous tous mes TT\ CC\ FF\ et SS\ en vos grades, degrés et qualités, je vous propose aujourd’hui de partager quelques réflexions sur le rite maçonnique comparé à celui des militaires et pour illustrer mon propos, j’ai choisi de citer abondamment Antoine de Saint Exupéry, l’officier, l’écrivain et en tout cas dans le texte, le maçon qu’il ne fut pas mais qu’il aurait pu être.

Napoléon Bonaparte n'a sans doute jamais été initié en franc-maçonnerie, mais disait : « Le militaire est une franc-maçonnerie : il y a entre eux tous une certaine intelligence qui fait qu'ils se reconnaissent partout sans se méprendre, qu'ils se recherchent et s'entendent ».

C’est un fait.

Lorsque j’ai rejoint la loge, je fus surpris de constater combien l’organisation était similaire au fonctionnement de l’IHEDN, école et cercle de réflexion directement rattachée au Premier Ministre dont je fus élève et suis toujours auditeur. Les travaux se déroulent en Comité, comme en loge, regroupant une quinzaine d’officiers. Il y a un secrétaire, un garant de la loi martiale, un président…etc. La coutume veut qu’en comité tout peut être dit dans les limites du respect de l’autre. Rien de ce qui est dit entre nous ne peut ni ne doit sortir du comité. Chacun y apporte sa connaissance et nos travaux contribuent à l’amélioration et la promotion de l’esprit de défense de la nation. Les comités sont mixtes et œcuméniques. L’IHEDN créé en 1937 vit actuellement une refondation de ses statuts dont le principal auteur est…Alain Bauer, ancien Grand Maître du G\ O\. Ma promotion IHEDN a été baptisée Rouget de L’Isle. En 1791, ce militaire est en garnison à Strasbourg quand il compose la Marseillaise chez le Maire Dietrich, lui-même franc maçon à la loge La Candeur. Rouget de L’Isle était jeune capitaine du génie et franc maçon dans la loge Les Frères Discrets, à l’Orient de Charleville. La promotion qui a suivi la mienne fut baptisée Lafayette et ce n’est pas un hasard si l’IHEDN tient ses quartiers à l’Ecole militaire à Paris Place Joseph Joffre, Maréchal de France, commandant en Chef des armées jusqu’en 1916, Franc-maçon comme 18 des 26 maréchaux d'Empire sous Napoléon, surnommé en son temps, non sans malice, le Maréchal des Loges, avec un clin au grade de maréchal des logis, un sous officier dans certaines armes. En outre une fraternelle des auditeurs IHEDN porte son nom.

Dernièrement, j’ai assisté à la prise d’armes d’un nouveau commandant de groupement (département dans la Gendarmerie). Le général commandant la région entouré des hauts grades, dont votre serviteur, a interpellé l’officier, qui se tenait à l’ordre en gants blancs, épée à la main (on dit sabre au clair), avant de prêter serment en ces termes :

LCL…regagnez votre emplacement… ; Ouvrez le ban ; Officiers…vous reconnaîtrez désormais pour votre chef le LCL…et vous lui obéirez pour tout ce qu’il vous commandera pour le bien du service…

Dans des termes similaires, on appelle les frères à « reconnaître » le vénérable et ceux qu'ils ont désignés comme membre du « collège des officiers ».

Le serment est une des similitudes essentielles entre le maçon et le militaire, qui plus est Gendarme. Le mot vient du latin SACRAMENTUM. Il s’agit à l’origine d’un engagement devant Dieu de remplir fidèlement une fonction, de se conformer à certaines règles et d’accomplir certaines actions.

Le serment du Gendarme s’exprime en ces termes : Je jure d’obéir à mes chefs en tout ce qui concerne le service auquel je suis appelé…

Mais le serment du réserviste est encore plus éloquent de similitude : jugez vous-mêmes :

Je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions, d’observer les devoirs de réserve qu’elles m’imposent. Je me conformerai strictement aux ordres reçu dans le respect de la personne humaine et de la loi. Je promets de faire preuve de dévouement au bien public, de droiture, de dignité, de prudence, et d’impartialité. Je m’engage à ne faire qu’un usage légitime de la force et des pouvoirs qui me sont confiés et à ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance lors de l’exercice de mes fonctions.

Pour clore une cérémonie, il était traditionnellement donné plusieurs coups de canons dont l’ensemble dans l'artillerie se nomme : une batterie. J’ai appris lors de la planche de la sœur Sophie que chez nous pour remplir le « canon », notre vocabulaire distinguera à l’instar des militaires, la poudre faible de la poudre forte.

A Saint-Cyr, les élèves officiers s'agenouillent avant de recevoir le commandement : « A genou, les hommes, debout les officiers ! ». Nouveau franc-maçon il me semble avoir entendu : « Debout mon frère, désormais tu ne t'agenouilleras plus devant personne ! »

Antoine de Saint-Exupéry, était un militaire, et à l’évidence le témoignage de ses écrits, transpose les valeurs qui furent les siennes.

Rien ne prédisposait Saint Ex à devenir ni aviateur, ni écrivain. A l’âge de 10 ans il perd son frère ainé. Toute sa vie durant il gardera sa photo sur lui, telle un cœur perdu qui bat encore au rythme d’une fraternité perdue. Il en conservera l’âme meurtrie et tâchera de le retrouver parmi ses frères d’aventure comme Mermoz ou Guillaumet mais également ses frères d’armes, qu’il perdra aussi tous, un à un, avant de s’envoler une dernière fois le 31 juillet 1944 pour les rejoindre.

En 1921, durant son service militaire au 2ème régiment d’aviation à Strasbourg Saint-Ex passe son brevet de pilote dans un lieu que je vous laisse deviner, le Poly-Gone qui s’il n’est pas PENTA ne m’en semble pas moins aimable.

Dans l’AVIATEUR il écrira Le pilote n’éprouvait en vol, ni ivresse, ni vertige mais, le travail mystérieux d’une chair vivante.

Plus loin : La terre est rassurante avec ses champs bien découpés et ses forêts géométriques…

Dans UN SENS A LA VIE, plus mystique presque maçonnique :

Alors descendant heure par heure cet escalier d’étoiles vers l’aube, on se sent pur…

Toutefois il quitte l'armée et ne revient dans l'aviation qu'en 1926, puis rejoint l’aéropostale et devient responsable des premiers longs courriers. Nommé à Cap Juby au Maroc espagnol, une escale fondée quelques années plus tôt par un aventurier, soldat et ethnologue, gouverneur général de Mauritanie, 1er occidental traducteur des langages peuls et toucouleur, qui avait déjà inspiré Dino Buzzati pour l’écriture du DESERT DES TARTARES et inspirera plus tard à Saint Ex son œuvre la plus ambitieuse CITADELLE.

On ne saurait dissocier la vie de pilote de celle de l'écrivain « maçon ».

Le voyage initiatique du Petit Prince, paru en 1943 reste une œuvre marquante de Saint-Exupéry, bien qu'elle n'emprunte rien à la littérature spécialement conçue pour les enfants. Le Petit Prince s'adresse à tous les êtres restés, par aptitude, vulnérables, attentifs et voués à une tendre solitude.

Ainsi, Saint Ex écrit-il :

J’ai toujours aimé le désert, On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien, on n’entend rien et cependant quelque chose rayonne en silence. Ce qu’il y a de beau dans le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part.

Il reprendra dans Terre des Hommes

Le vent, le sable et les étoiles. La vie austère des trappistes. Mais sur cette nappe mal éclairée, six ou sept hommes, qui ne possédaient rien au monde hormis leurs souvenirs, partageaient une invisible richesse.

Il poursuit sa quête de vérité quand il écrit :

Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui.

La Rose du petit Prince évoque celle que nous maçons, chérissons, témoignage d’amour. Sa rose était sa femme Consuelo à qui il écrit quelques jours avant sa mort des mots d’une douceur infinie :

Je t’emmènerai dans de beaux pays où demeure encore un peu de mystère et où le soir est frais comme un lit…et où on apprivoise les étoiles.

La triste mélancolie du souvenir des frères disparus résonne dans le Petit Prince comme autant de bonheurs que la vie lui a ravi. Il poursuit :

Les hommes n'ont plus le temps de rien connaitre. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n'ont plus d’amis.

Quelques mois avant sa mort dans une lettre à Nelly de Vogüé il se livre :

Je n’ai jamais été aussi seul au monde…et j’ai terriblement froid dans le cœur.

L’écriture est son refuge, il écrit à l’encre, et non pas au V\I\T\R\I\O\L\ rectifie sans cesse la pierre qu’il façonne. Dans CITADELLE il dit :

Qu’est ce qu’écrire sinon corriger ? De correction en correction, je marche vers Dieu.

Dans ECRITS DE GUERRE il persiste et signe, …si j’avais été mineur, j’aurai cherché à puiser un enseignement sous la terre.

Enfin en 1930 dans une lettre à Marie, évoquant l’écriture de VOL DE NUIT, il conclu Je n’ai jamais vécu qu’après 9 heures du soir.

Travaillait-il jusqu’à minuit ?

Il parait que non, mais comment ne pas entrevoir en Saint Ex le maçon dont l’âme de l’homme eut été façonnée telle une glaise ainsi qu’il l’évoque dans TERRE DES HOMMES.

Seul l'Esprit, s'il souffle sur la glaise, peut créer l'Homme.

Ou encore lorsqu’il écrit : On croit que l'homme est libre... On ne voit pas la corde qui le rattache au puits, qui le rattache, comme un cordon ombilical, au ventre de la terre.

Puis :

Vivre, c'est naître lentement. Il serait un peu trop aisé d'emprunter des âmes toutes faites !

Saint Ex, était-il maçon ?

En 1926 dans une lettre à Yvonne de Lestrange le doute est franchement permis, Tout y est Le souvenir des loges opératives, la fraternité, les métaux à la porte du temple, l’édification d’un bâtiment, le testament philosophique dans la cendre : je cite :

La grandeur du métier est avant tout d’unir les hommes. Il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. En travaillant pour les seuls biens matériels, nous bâtissons nous-mêmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires avec notre monnaie de cendre…

Lettre à un otage :

Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme ! …Si le respect de l’homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le système social, politique ou économique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, désir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu. C’est sans doute pourquoi, mon ami, j’ai un tel besoin de ton amitié. J’ai soif d’un compagnon qui, au-dessus des litiges de la raison, respecte en moi le pèlerin de ce feu-là.

Plus que tout autre, le militaire honore ses camarades morts au combat. Saint Ex, l’officier, l’ami, l’écrivain, l’aviateur respecte la règle comme un maçon qui témoignerait l’hommage aux esprits éclairés partis rejoindre les poussières illuminant les étoiles.

Le 27 novembre 1940 l’avion d’Henri Guillaumet (à qui il avait dédié TERRE DES HOMMES) et Marcel Reine est abattu en méditerranée par un chasseur italien. 4 jours plus tard, Saint écrit :

Guillaumet est mort, il me semble que ce soir je n’ai plus d’amis. Je n’ai jamais su plaindre les morts, mais sa disparition, il va me falloir longtemps pour l’apprendre, et déjà je suis lourd de cet affreux travail.

Lourd d’une pierre plate ?

La veille de sa mort Saint Ex écrit à Pierre Dalloz, son ami :

Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien… Moi j’étais fait pour être jardinier. Je vous embrasse.

Saint Ex,

Toi qui as bercé mon enfance des récits de mon grand père, qui me racontait tes aventures la gorge nouée par un souvenir ému,
J’aurai aimé pouvoir te dire…
Et puis je ne sais pas le dire…

Alors pardonne-moi si je fais parler ton Petit Prince :

Après que tu aies décollé de Bastia, en ce 31 juillet 1944, pour une mission dont tu ne reviendras pas, tous les officiers, tous tes camarades, tes frères d’armes auraient pu reprendre ces mots.

Mon Petit Prince t’aurait dit :

Dans l’immensité d’un ciel étoilé, il existe une planète où tu es venu me rejoindre sans savoir que tu y retrouverais toutes les âmes que tu as chéri et qui ne t’ont pas survécu : ton père Jean, ton frère François, ta sœur Biche, Jean Mermoz, Henri Guillaumet…et tant d’autres. Sur cette terre d’étoiles, tu y retrouveras le bonheur des amours perdues. Sur cette planète, comme la rose sous sa cloche, nous sommes à couvert, il y a un mouton, un renard, un allumeur de réverbère, un géographe. Les profanes que sont à jamais le roi, le vaniteux, le buveur et le businessman sont écartés. Dans CITADELLE, ton testament philosophique tu nous as décrit ton passage ultime dans lequel ta mort n’est en fait que le premier pas vers ta renaissance. Nous t’attendons.

Salut sur tous les points du triangle…
Salut à l’officier
Adieu mon frère

Vénérable maître et vous tous, mes très chers frères et sœurs,

J’ai dit.

P\ G\


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