GODF Loge : L’Etoile Polaire - Orient des Batignolles Monceau 26/04/2009


Voyage en Afrique du Nord
avec l’Emir Abd el-Kader



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L’Emir Abd el-Kader

Je vous propose un voyage en Afrique du Nord, terre de contrastes et d’histoire, joyau de la méditerranée, courtisée  depuis l’antiquité par des peuples venus d’ailleurs pour ses richesses, son climat, et  sa position stratégique. Elle est formée aujourd’hui de trois pays qui n’en faisaient qu’un en ce début de XIXème siècle, un vaste pays sous domination Ottomane.

L’Empire de l’homme malade comme l’ont surnommé les Russes et qui s’étendait du Maroc à la Turquie était en pleine déliquescence, car trop vaste pour être gouverné. Le Maroc et la Tunisie ayant été sous protectorat Français, ils n’ont pas eu une histoire aussi tumultueuse et aussi dramatique que celle que connut leur grande sœur, l’Algérie.

C’est à ce pays que nous allons nous intéresser. La Régence turque en était confiée à un Bey résidant à Alger, et qui se contentait de prélever la dîme sans faire aucun investissement.

C’est dans ces conditions, alors que Garibaldi n’avait pas encore fait l’unité Italienne, que les Américains n’avaient pas encore eu leur guerre de sécession et que la France balançait entre Royaume et Empire, qu’un homme allait se révolter contre la domination Turque tout d’abord, avant de proclamer le Djihad contre l’invasion Française, le 17 avril 1832. Il avait 24 ans. Cet homme, qualifié par le Général Soult comme l’un des hommes les plus grands de son époque, c’est l’Emir Abdelkader (1808 / 1883).

Intéressons nous à ce personnage que le Maire de Paris vient d’honorer, en mars de cette année,  en donnant son nom à une place du 5ème arrondissement, à l’occasion du 200ème anniversaire de la naissance de l’Emir Abdelkader. On aura attendu deux siècle pour que la France, à travers le Maire de sa Capitale, célèbre « l’Homme de cœur et d’esprit, un symbole de réconciliation » selon Bertrand Delanoë, qui ajoute : « Cela va nous rendre plus intelligent… » En hommage probablement à son immense culture.

L’Emir disait :

« Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme, interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure ».

En pointant du doigt l’humanité de l’homme, l’Emir explique qu’il existe, au-delà des frontières, des races et des religions, des hommes qui, en s’unissant, peuvent sauver l’humanité. Ce sera le combat de sa vie.

Parler de l’Emir Abdelkader, résumer sa vie et son œuvre est une tâche difficile, de longue haleine, et qui laisse un goût d’inachevé une fois que vous avez terminé, car il est impossible de faire le tour de cet homme, tant sa pensée est riche, tant son œuvre est immense. Le frère Bruno Etienne qui nous a hélas quitté en mars et que j’aurais tellement aimé rencontrer, s’y est employé et nous a laissé deux magnifique ouvrages très documentés : « Abd el-Kader le magnanime », qu’il a coécrit avec François Pouillon, et « Abd el-Kader et la Franc Maçonnerie » dans lequel il aborde, en 2ème partie, le « Soufisme et la Franc Maçonnerie ».

J’ai puisé aussi mes sources dans l’excellent ouvrage : « Abd el-Kader, l’harmonie des contraires » d’Ahmed Bouyerden, chercheur en histoire et spécialiste de l’Emir Abdelkader, « Ibn Arabi et le voyage sans retour » de Claude Addas diplômée de langues Orientales, auteure d’une Thèse sur Ibn Arabi, et enfin il y a la planche du frère Boubakar Aribot intitulée « Abd el-Kader Franc Maçon » ; mais pas seulement. J’ai écumé les nombreux sites internet consacrés à l’Emir, j’ai investi notre bibliothèque, bref, depuis huit mois je vis, je dors, je rêve de l’Emir. Et j’ai trouvé que c’était loin d’être suffisant. Il ne faudrait pas moins d’une vie …

Tout n’a pas été dit à propos de l’Emir Abd el-Kader. Et ce n’est que récemment qu’on a commencé à étudier et à analyser les écrits de l’Emir. Pourquoi ? Parce que l’Emir Abd el-Kader dérange, parce qu’il était en avance sur son temps, parce qu’il voulait réunir l’Orient et l’Occident. Commandeur des croyants, son message ne s’adressait ni à l’Algérie, ni aux musulmans, mais à tous les hommes, « Ô vous, frères humains ! »

C’est ce qui a d’ailleurs motivé l’Emir à épouser le projet de Ferdinand de Lesseps qui voulait creuser un canal faisant se rejoindre la méditerranée et la mer rouge, et qui deviendra plus tard le canal de suez. Son intervention auprès des chefs de tributs de la région pour faire accepter cette entreprise fut déterminante. Il voyait dans ce projet un pont idéal pour unir Orient et Occident. 

Victor Hugo disait de lui :

« Il est le point d’intersection, l’anneau commun de deux chaines d’êtres qui embarrassent la création, de la séries des êtres matériels et de la série des être incorporels, la première, partant de la pierre pour arriver à l’homme, et la seconde, partant de l’homme pour arriver à Dieu ».

Victor Hugo est encore dithyrambique quand il parle de la poésie de l’Emir. Mais laissons cela.

Et posons nous plutôt la question : « Pourquoi l’Emir Abd el-Kader a-t-il été longtemps boudé, minimisé, ou tout simplement ignoré? »



Par les musulmans d’abord, alors qu’il a été à l’origine de la naissance de l’Algérie, de la nation Algérienne, d’un Etat moderne en lui donnant un territoire, des frontières, un drapeau, une monnaie et en unissant toutes les tribus qui se faisaient la guerre sous l’œil calculateur du Bey  d’Alger qui voulait diviser pour mieux régner.

Peut être cette amnésie parce que l’Emir Abd el-Kader se réclamait de la pensée d’Ibn Arabi (1162 / 1240), Ibn Arabi, le « Vivificateur de l’Islam », à l’origine du Soufisme et qui disait, à la suite d’une vision qu’il eut dans sa jeunesse : 

« Je sus que ma parole atteindrait les deux horizons, celui de l’Orient et celui de l’Occident ».

Soufisme…Mais qu’est ce que le Soufisme ? En schématisant à l’extrême, on pourrait dire que le Soufisme est un ésotérisme qui plonge ses racines dans le champ ouvert du Coran. (Esotérisme selon Larousse : Partie de certaines philosophies anciennes qui devait rester fermée aux non-initiés).

C’est l’aspect intérieur de l’Islam. Une mauvaise lecture ou une interprétation trop rigoriste des versets du Coran par des Oulémas (Docteurs de la Loi), ardents défenseurs de l’Islam,  peut donner naissance à toutes sortes d’intolérances. C’est ce qu’Ibn Arabi c’était donné comme mission de combattre : L’obscurantisme et le fanatisme religieux. Et c’est là que les extrémistes musulmans puisent leurs sources. En fonction de l’interprétation qu’ils donneront d’un verset du Coran, ce dernier peut alors paraître satanique pour certains. Et pour être concret, prenons deux exemples :

-         Tout le monde sait que l’Islam interdit la représentation figurative. Or cette interdiction n’est pas écrite dans le Coran. C’est une interprétation des Oulémas.  L’Emir Abd el-Kader a accepté de se faire photographier et portraiturer par Horace Vernet. « Je croyais que, dans ta religion, c’était pêché… » S’inquiétait le peintre… L’Emir lui rétorqua : « les statues en or, en argent et en cuivre sont totalement prescrites parce qu’elles sont dans la classe des idoles. Mais la représentation des figures par les couleurs sur la toile ou sur du papier est tolérée. »
Quelle révolution !

-         Et maintenant au sujet de la musique, du théâtre et     des divertissements culturels. Ils ont été condamnés par les Oulémas rigoristes qui y voyaient des pratiques frivoles, distrayant des obligations religieuses. Or, après sa libération par Napoléon III, le 16 octobre 1852,  l’Emir Abd el-Kader, qui adorait  les impromptus de Schubert au piano, se rendait souvent à l’Opéra de Paris et assistait fréquemment à des concerts, exprimant ainsi clairement son désaccord avec les Oulémas!

Confronté à un véritable choc à la fois culturel et religieux au contact de l’occident, en visionnaire, il saisit très vite l’impasse à laquelle le mènerait une fermeture à ces nouvelles réalités qu’il découvre. Il fait donc face en mettant en œuvre son esprit de discernement, refusant de rejeter une chose sous le seul prétexte qu’elle est étrangère à sa société d’origine.

Quel séisme ! Quel séisme ! Et il y en eu bien d’autres ! Sur les femmes, sur le port du voile…

Les intégristes musulmans, avaient donc toutes les raisons de renier l’Emir Abd el-Kader et de minimiser son rôle dans la création de la nation Algérienne, alors qu’il est le seul à rivaliser avec Jugurtha ou La Kahina, autres Mythes de la mémoire Algérienne. Si on rajoute à cela son passage dans la Franc maçonnerie qui n’est pas vraiment appréciée dans le monde musulman conservateur, passage fermement contesté d’ailleurs par les Algériens encore aujourd’hui, alors on aura compris le pourquoi de cette amnésie.



Et maintenant, pourquoi cette reconnaissance tardive de l’Etat Français, à travers l’un de ses trublions, Bertrand Delanoë ? Pourquoi les 45 km d’archives entreposés à Aix en Provence, et les 17 cartons de correspondances, entre l’Etat Français et l’Emir Abd el-Kader, découverts récemment à Nantes, (RECEMENT!), n’ont pas été exploités ? Pourquoi n’existe-t-il pas un musée dédié à l’Emir Abd el-Kader ?

Un courant de pensée en France, que je qualifierais de négationniste, met en doute la préexistence d’une nation Algérienne, d’une culture Algérienne, d’un état Algérien avant l’invasion des troupes Françaises. Cette contrée, peuplée de barbares aurait reçu la lumière et tous les bienfaits de la civilisation grâce à la colonisation !

Ce qui est mis en avant, c’est la fresque monumentale de la prise de la Smala par Horace Vernet, montrant des barbares désorganisés et affolés, fuyant devant les fiers soldats de l’armée coloniale, et le portrait de L’Emir, brandit comme un trophée, la poitrine bardée de médailles Françaises, entre autres, celle de la légion d’honneur remise par Napoléon III, et la médaille de la Franc maçonnerie…

Ce qu’on oublie de dire… Ce qu’on oublie de dire, c’est que l’Emir Abd el-Kader avec seulement 17.000 hommes a mis en déroute pendant 17 ans l’une des armées les plus fortes du monde, formée de 100.000 soldats, qu’il a livré 116 batailles usant les meilleurs généraux Français parmi les 142 officiers qu’il a affrontés, avant de déposer dignement les armes le 23 décembre 1847 ; que le général Bugeaud a dû composer avec lui en signant le traité de la Tafna en 1837, que d’autres traités encore furent signés (traité Desmichels, en 1834), ces traités fondateurs de l’Etat Algérien puisqu’ils permettaient à l’Emir Abd el-Kader de régner tout simplement sur les 2/3 de l’Algérie, le Bey d’Alger ayant pris la fuite ! Alors  qu’à cette même époque, comme je le disais plus haut, l’Italie et les Etats-Unis, pour ne citer que ces deux nations,  étaient des Etats en devenir, parce qu’ils n’avaient pas encore réalisé leur unité et qu’ils n’avaient pas la légitimité  internationale qui est la leur aujourd’hui !...

Par son charisme, par sa bravoure, par son ardeur au combat, l’Emir Abd el-Kader a su rallier à sa bannière, les meilleurs combattants de son pays. Par sa science de la guerre par son audace et par sa magnanimité légendaire à l’égard des prisonniers, il a su gagner l’estime et le respect de ses adversaires. Il institue un règlement humanitaire, le premier du genre, pour le traitement des prisonniers dont sa mère, en personne, s’occupe avec une très grande sollicitude. Il aurait jeté dit-on, les bases fondamentales de la Croix Rouge Internationale !

L’Emir Abd el-Kader a été aimé, voir admiré par tous ceux qui l’on approchés. Il a marqué son temps et laissé une trace indélébile dans son époque !

Voilà le mythe que les détracteurs de la Nation Algérienne   et de l’Emir Abd el-Kader voudraient abattre. En fait, ce ne sont là, que de faux procès pour masquer la nostalgie de la colonisation.

Aujourd’hui encore, on parle de la nécessité de repentance d’un côté de la méditerranée alors, que, de l’autre côté, on souligne les bienfaits de la colonisation. Dialogue de sourd qui pourra durer encore longtemps. Et là on comprend mieux l’amnésie des gouvernements Français successifs qui, pour des raisons clientélistes ne veulent pas décevoir les ultras de leurs électeurs. Pourtant les centaines de milliers de victimes de ce conflit, dans les deux camps, mériteraient une reconnaissance même posthume pour tourner enfin la page et construire un avenir le meilleur possible pour les générations futures. Si on a pu renouer les liens avec l’Allemagne malgré toutes les atrocités que les nazis ont perpétrées, alors pourquoi ne pas renouer les liens avec l’Algérie ?  



Et enfin, pourquoi cette amnésie chez nos frères Francs Maçons ? Parce que amnésie il ya ! Là j’ai eu plus de mal à me faire une idée. Après tout, l’Emir Abd el-Kader est une grande figure de la maçonnerie… Il y a pourtant matière à écrire… Je m’attendais à trouver des dizaines d’essais, de planches,  de livres, de photos, de correspondances, d’archives traitant de l’Emir, de sa philosophie, de sa poésie, de son humanitarisme, de sa manière de voir le rapprochement entre l’Orient et l’Occident, etc.etc…Enfin les sujets ne manquent pas !... J’ai remarqué pourtant que, dans notre bibliothèque, les ouvrages sur l’Emir Abd el-Kader ne se bousculaient pas.

Pire, les documents qui existent ne sont pas classés ensemble, mais selon des thèmes différents, ce qui rend la réunion de l’ensemble de la maigre documentation pas très évidente. J’ai appris que le plus gros de la documentation se trouvait en fait à la bibliothèque nationale ou à Aix en Provence… Ou à Nantes… Pourquoi ne sont-elles pas chez nous, à Paris, là où l’Emir Abd el-Kader a été initié ? J’ai longtemps cherché ce qu’était devenu la Loge Henri IV, la loge de l’Emir. J’ai appris finalement qu’elle avait été dissoute quelques années  après l’initiation de l’Emir. Pourquoi ?

Un homme qui a sauvé des émeutes de Damas 12.000 chrétiens, en faisant rempart avec ses sujet, et en les abritant dans son domaine pour les préserver d’une mort certaine, qui a brillé dans le monde entier par ses qualités humanistes, littéraires, poétique, philosophiques, religieuses, qui a tenu la dragée haute à l’une des armées les plus puissantes du monde, qui a créé la Nation Algérienne, qui a été la cheville ouvrière du percement du canal de Suez et qui de plus a embrassé notre cause, mérite, me semble-t-il, bien plus que quelques livres épars et une planche en l’espace de deux siècles, mis à part bien sûr, l’œuvre du frère Brunot Etienne, qui, pour tardive qu’elle soit ne fut pas moins brillante, et nous l’en remercions. Cela dit, sous réserve bien entendu, d’éléments dont je n’ai pu avoir connaissance, malgré mes recherches.

Mais revenons à la question, à savoir pourquoi cette amnésie de la Franc Maçonnerie à propos de l’Emir Abd el-Kader. J’ai esquissé une hypothèse :

L’acte héroïque de Damas valut à l’Emir des louanges du monde entier et notamment celles de la Franc Maçonnerie. La loge Henri IV alla jusqu’à lui proposer de rejoindre ses rangs, ce que l’Emir Abd el-Kader accepta avec grâce. Je vous passe les détails des échanges de courriers et de l’initiation que vous trouverez dans le livre du frère Bruno Etienne, et ce, pour en venir à l’essentiel.

 Le 1er septembre 1864, l’Emir Abd el-Kader est initié à la loge Henri IV. En 1877, un Convent du Grand Orient de France décide de supprimer l’obligation dans les loges de travailler « A la gloire du Grand Architecte de l’Univers ». Dans une lettre au Grand Orient de France, l’Emir exprime sa désapprobation. En effet, cela changeait la donne et ne correspondait pas à la mission qu’il s’était donné : Rapprocher les grandes religions monothéistes. Et lors d’un voyage qu’il effectuera plus tard à Paris, il ne se rendra pas à l’invitation de la Loge Henri IV. La rupture semble être consommée, car depuis, ses liens avec la Franc Maçonnerie vont s’espacer, puis disparaître, sans qu’il n’ait pourtant jamais renié ses engagements maçonniques. Mieux encore. Lors de l’une de ses dernières interviews qu’il donna à Paris, il dit beaucoup de bien de la Franc Maçonnerie et affirma même qu’elle devrait conquérir le monde !

Peut être que le grand Orient de France n’a pas apprécié la lettre de L’Emir et sa prise de position, peut être que le fait de ne pas s’être rendu à l’invitation de la Loge Henri IV a choqué, d’où cette amnésie ? Le saura-t-on jamais un jour ?

Certes nous sommes tous égaux sous les colonnes. Mais il faut bien reconnaître que l’apport de l’Emir Abd el-Kader est incalculable ! Il est énorme ! Il a ouvert une voie dans l’Islam, la 2ème religion du monde qui  regroupe
1 milliard et demi de fidèles ! Il y a aujourd’hui des musulmans dans tous les continents, et l’Emir Abd el-Kader a été le pionnier, le premier commandeur des croyants à porter haut les couleurs de la Franc Maçonnerie, en arborant fièrement ses insignes!

Ce seul fait dénote une vision résolument progressiste de l’avenir, une ouverture d’esprit sans égal, un acte d’une audace inouïe dans le contexte hostile de l’époque,  une magnifique prouesse  qui devrait être inscrite comme un chef d’œuvre maçonnique à part entière et figurer en première place dans nos musées !

A-t-on seulement évalué ce qu’a coûté à la Franc Maçonnerie l’excommunication des catholiques Francs Maçon par Benoît XV en 1915 ?

« Les Catholiques qui font partie de la Franc Maçonnerie sont en état de pêché grave et ne peuvent s’approcher de la sainte communion ».

Combien nous a coûté cette affaire ? Affaire qui dure toujours d’ailleurs, parce que Benoît XVI n’est pas plus tendre avec nous, même si Jean Paul II a levé cette excommunication en 1983 !

Or, aujourd’hui, il existe un grand Orient Arabe, qui, cela dit en passant, travaille « …à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers », très riche et très actif, et la Franc Maçonnerie est présente dans la plupart des pays Arabes. L’Islam de son côté n’a jamais prononcé de Fatoua contre la Franc Maçonnerie ! Et en effet, quel Imam, de nos jours, quel Ouléma oserait prononcer une Fatoua contre la Franc Maçonnerie?... Et même si cela devait arriver, cette Fatoua serait immédiatement contestée, et inapplicable dans les faits, parce que l’Emir Abd el-Kader a légitimé pour toujours l’accès d’un musulman et non des moindres, à la Franc Maçonnerie. L’Emir nous a peut être fait gagner mille ans dans nos rapports avec l’Islam !

Et ne serait-ce que pour cela, j’appelle à un devoir d’inventaire.

Parce que L’Emir Abd el-Kader fait parti de notre histoire et comme telle, elle doit être préservée et entretenue. Nous pouvons et nous devons proposer la création d’un musée National à la mémoire de ce grand homme, c’est le moins que l’on puisse faire. Et surtout, il faut commencer par rapatrier au grand Orient de France tous les documents, livres, planches, illustrations et correspondances ayant trait à cette page glorieuse de notre histoire, pour constituer nous même notre propre musée Emir Abd el Kader!

 On pourrait également  constituer une commission qui tenterait de comprendre et de nous expliquer la philosophie de l’Emir, chose que le monde ignore encore aujourd’hui.

On pourrait tellement de choses, mais la chose la plus urgente serait de lever le voile qui recouvre pudiquement l’œuvre de l’un des meilleurs d’entre nous, j’ai nommé bien sûr, le frère Emir Abd el-Kader!



Mais ne nous laissons pas gagner par cette amnésie ambiante ou ce dénigrement, et  au contraire rappelons nous, et Continuons notre voyage en compagnie de  L’Emir Abd el-Kader.

L’Emir était un homme pieux, un chercheur et un philosophe. Il rêvait d’unir les hommes de religions différentes, comme le lui a enseigné son maître Ibn Arabi qui disait :

« Tantôt tu me vois musulman et quel musulman ! Parfaitement sobre et pieux, humble et toujours suppliant. »
« Tantôt tu me vois courir vers les églises, serrant fort une ceinture sur mes reins. Et je dis : Au nom du fils. Après : Au nom du père et par l’esprit saint… »
« Tantôt dans les écoles juives, tu me vois enseigner. Je professe la Torah et leur montre le chemin. »

Et L’Emir de lui répondre en ces termes :

« Je ne cesse d’être au sujet de moi, dans la folie de l’éblouissement           
En moi est toute l’espérance des hommes
            Pour qui le veut Coran
            Pour qui le veut le livre discriminateur
            Pour qui veut la Torah
            Pour tel autre l’Evangile
            Pour qui veut Mosquée où prier son seigneur
            Pour qui le veut, Synagogue
            Pour qui le veut, clocher ou crucifix
            Pour qui le veut Ka’ba dont on baise pieusement les pierres 
            Pour qui le veut image
            Pour qui le veut idoles
            Pour qui le veut retraite où vivre solitaire
Pour qui le veut guinguette où lutiner les biches… »

Rappelons que c’est sur ce thème que s’est construit l’article 1er des constitutions d’Anderson : La liberté du choix religieux.

Homme controversé pour les uns, figure incontournable du XIXème siècle pour les autres, l’Emir Abd el-Kader a été à la fois un symbole édifiant de la conscience Algérienne, un inspirateur audacieux de la réforme religieuse (Islah),  dont se réclame aujourd’hui l’opinion éclairée du monde, un précurseur de la renaissance culturelle arabe (Nahda), un chantre de la tolérance revendiqué comme l’un des leurs par les humanistes Européen, ou encore, « le mouvement de transmission de l’héritage d’Ibn Arabi »… W.S. Blunt (1) un poète anglais connu, et spécialiste du monde arabe, avance même l’idée qu’il aurait pu être le nouveau Khalife de l’Islam, un guide éclairé de l’ensemble de la communauté musulmane.

Mais toutes ces reconnaissances sont posthumes. Comme tous les hommes en avance sur leur temps, l’Emir Abd el-Kader a été, pour l’essentiel du message qu’il a incarné et transmis, incompris par ses contemporains. A cet Islam tourné vers l’universel et ouvert sur son temps, l’orthodoxie Islamique a préféré un Islam qui manque singulièrement d’audace et de générosité : La société musulmane a fini par se scléroser et la modernité à visage européen s’est retrouvée dépourvue d’âme.

Homme de génie, l’Emir Abd el-Kader était aussi,  un savant, un écrivain, un homme de lettres, un humanitaire et un excellent poète. L’étude de la dimension spirituelle de l’Emir, en se basant sur ses écrits, ferait mieux connaître sa philosophie. Il a publié la plus grande partie de l’œuvre d’ibn Arabi, qui a été très prolifique (plus de 400 ouvrages). L’Emir est l’auteur, entre autres écrits de :

-         Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent.
-         Lettre aux Français
-         Le Livre des Haltes.
-         Sa Biographie, écrite par son fils aîné et qui contient beaucoup de textes de l’Emir.

Victor Hugo qui représentait alors la conscience de la France ne tarissait pas d’éloges à propos de L’Emir Abd el-Kader. Il nous en livre une description:

« Lui, l’homme fauve du désert
Lui, le Sultan né sous les palmes
Le compagnon des lions roux
Le Hadj farouche aux yeux calmes
L’Emir pensif, féroce et doux »  

 Vers la fin de sa vie, l’Emir eu cette pensée prémonitoire sur le monde occidental :

«...Nous nous interrogeons sur l’avenir de l’homme en général et de l’occident en particulier, puisque c’est lui qui dominera le monde matériel. Cet occident est malade de son intelligence. Il a beau être savant, il n’arrive pas à saisir une vérité essentielle tant il est vrai qu’il est assoiffé de conquêtes et de pouvoir, aveuglé par l’illusion de sa puissance, prônant l’argent pour Dieu. »

Moins d’un demi-siècle plus tard, le krak boursier vint confirmer ses craintes. S’ensuivirent deux guerre mondiale, la 2ème ayant été encore plus meurtrière que la première. Grâce aux avancées technologiques les armes étaient terriblement efficaces, et Hiroshima et Nagasaki en témoignent  encore aujourd’hui. Plus de 60 millions de morts, et le plus lourd tribu qui fut payé par les civils. 



Nous arrivons maintenant à la fin de notre voyage. 
Le contact avec l’Emir Abd el-Kader ne peut laisser indifférent. Suis-je devenu plus intelligent, pour reprendre Delanoë ? Suis-je devenu meilleurs ? Plus tolérant ? Plus ouvert ? Peut être… Du moins je l’espère. Si vous-même vous êtes en quête d’absolu, de vérités vraies, ou simplement si vous rêvez d’un monde meilleurs, plus juste, plus humain, plus solidaire, je vous invite à poursuivre ce voyage avec l’Emir et d’emprunter l’une des mille et une voies qu’il a ouvertes et qu’il nous a laissées en héritage. C’est ce qu’a fait un peu plus tard le frère Atatürk, Soufi convaincu, pour libérer son pays, transformer profondément la Turquie et instaurer la laïcité en terre d’Islam ! Mais ceci est une autre histoire …

Le 26 mai 1883 s’éteignit L’Emir Abd el-Kader. Une grande figure du 19ème siècle venait de disparaitre. Il est sans doute aujourd’hui
aux côté de son maître spirituel Ibn Arabi, mais aussi aux côtés du Mahatma Gandhi, du Pasteur Martin Luther King, ou du commandant Che Guevara en attendant que Nelson Mandela les rejoigne.

 Ce qui fait avancer l’humanité, ce ne sont pas uniquement les innovations technologiques ou techniques. C’est aussi l’exploration de notre humanité et de notre capacité à repousser les frontières connues dans l’amour pour notre prochain, et dans la défense des valeurs fondamentales du genre humain, car nous ne serons jamais à l’abri de ce qu’il y a de pire en nous, comme hélas ! L’histoire récente nous l’a enseigné, et comme l’Emir Abd el-Kader le  pressentait.

J’ai dit vénérable Maître.
Marc CHENEST

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