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La Parole perdue


La franc-maçonnerie a pour but de rechercher la Vérité et de retrouver la Parole Perdue.

Si nos travaux ont tenté quelquefois de nous rapprocher de la Vérité, en ce qui concerne les faits matériels, ils se préoccupent rarement de rechercher les causes et de remonter jusqu'à la Vérité absolue; mais pour ce qui a trait à la découverte de la Parole Perdue, il ne nous souvient pas d'avoir été témoin d'un effort collectif pour retrouver ses traces, et nous doutons même que cette expression ait conservé un sens précis pour beaucoup de nos FF :. Non seulement, nous ne re­cherchons pas la Parole Perdue, mais il semble que son existence même nous est inconnue et que nous ignorons le but de nos efforts.

Nous avons pourtant assumé une noble tâche : construire en nous-mêmes un temple de la Vérité et fonder autour de nous un édifice social où rè­gneraient la justice et l'amour.
Nous savons que ce magnifique édifice ne peut être construit sur le sable mouvant des erreurs et des passions humaines.
Quellle que soit notre prétention d'être libres et forts, nous savons que nous ne pouvons trans­gresser les lois de la nature. Nous sentons qu'au dehors de nous agissent de grandes forces incon­nues, et nous croyons confusément que le Pro­grès n'est point une Loi aveugle régie par le Ha­sard.

Tant d'efforts sont restés stériles avant le nôtre pour avoir méconnu la Nécessité qui gouverne le monde que nous ne pouvons vouloir d'autre assise pour notre Temple que le roc de la Vérité absolue.

Quelle est la Vérité?

Le monde est-il le résultat d'un équilibre in­conscient de la matière, s'est-il organisé par ha­sard, sans plan préconçu et sans but? Est-il une formation éphémère que le hasard dissoudra quel­que ,jour, sans que nul souvenir subsiste des lut­tes, des douleurs et des joies dont il est le théâtre? N'est-il qu'un éclair dans l'éternelle nuit? La vie n'est-elle rien qu'un mouvement, l'humanité qu'une forme animale, le langage des hommes n'est-il que le perfectionnement des cris arrachés à la bête par la joie ou par la colère? Le mot est-il né de la sensation, la parole n'est-elle qu'un as­semblage de mots, la pensée est-elle le résultat du jeu de la parole?
Si une telle conception n'est pas irrationnelle, convenons du moins qu'elle choque nos coeurs et reconnaissons que la Tradition tout entière se dresse devant cette illusion désespérante.
Les plus anciens monuments du passé,  les plus vénérables, placent an contraire l'Intelli­gence à l'aurore des temps, ils la font exister avant le monde. D'après, eux, le Verbe est fils de la pensée et le Verbe a créé le monde.
Toutes les traditions parlent d'un âge heureux où les êtres pensants, dans la paix et dans l'inno­cence, vivaient dans le sein de la vérité. Dans cet âge dont nul voile ne couvrait la réalité et la Pa­role universelle pénétrait uniformément tous les degrés de l'intelligence.

Mais un jour, Osiris fut déchiré par Typhon. Prométhée déroba la foudre, Adam goûta le fruit défendu, les hommes, pour atteindre le ciel, bâti­rent la tour symbolique et la Parole fut perdue. Depuis ce jour, la confusion et les ténèbres rè­gnent dans les consciences, partout la lutte et par­tout la douleur.

Nous recherchons la Parole Perdue.

Au­tour de nous les profanes sont les esclaves des mots qu'ils prennent pour des idées et dont ils se font des idoles. Ils déforment le sens du langage au gré de leurs impressions du moment et dans la bouche des rhéteurs, la parole devient le vête­ment du mensonge et le véhicule de l'erreur. Le bavardage, qui est un blasphème, paraît à certains le mérite suprême, ils se grisent de mots et dans leur ivresse nie reconnaissent plus la face de la Vérité.

Autour de nous, les hommes et les femmes s'u­nissent dans le mensonge. L'acte saint, qui de­vrait les unir dans une communion sacrée, est la cause des désirs les plus pervers et des idées les plus avilissantes. Le plus pur des mots court sur toutes les lèvres, prostitué et méconnu, et chaque jour l'idée mère de la famille meurt sous nos yeux. 

Autour de nous, les hommes se déchirent au nom de la justice et du droit qui ne sont pour eux que des prétextes à l'intolérance et à la tyran­nie. La Liberté est le masque de la licence, c'est de l'Egalité que l'envie se réclame et c'est au nom de la Fraternité que les hommes rêvent aux pires violences.

Autour de nous, les nations s'entretuent et les différences de leurs langages symbolisent l'abîme qui les sépare.
 Les différences entre -elles sont pro­fondes, les idéals sont dissemblables et chacune se croit élue parmi les autres nations. Tel peuple voit clairement la réelle valeur de la force, mais il ignore la justice. Tel autre se fait l'apôtre de la Liberty, mais tue l'idéal dans son âme. Tel autre enfin honore les idées abstraites, mais perd de vue la nécessité du travail, de l'ordre et de la prévoyance.

Autour de nous les religions naissent et meu­rent. Elles s'élèvent vers le ciel comme des mé­téores brillants entraînant les peuples dans leur sillage. Les trônes chancellent, les nations sont dispersées ou raffermies, les moeurs s'épurent ou s'avilissent, et dans l'ombre des Temples les mar­chands s'agitent an milieu des justes. Pendant ce temps, pour la plupart des hommes, les enseigne­ments religieux ne sont qu'une lettre incomprise et au lieu de leur donner la paix, sont le prétexte des plus furieuses agitations et l'occasion des plus monstrueuses erreurs.

Autour de, nous, les élites s'efforcent de sauver du naufrage le trésor des formes de l'idée. A mesure que la lumière faiblit, elles allument un autre foyer. Mais combien parmi ceux qui se sont constitués les serviteurs et les gardiens de la Lumière ont conservé la tradition de la Parole? Francs-maçons, Constructeurs du Temple, Cher-cheurs de vérité, gardez-vous, avec fidélité, le dé­pôt que vous ont laissé vos ancêtres? De toutes les richesses de notre enseignement, quelle est la part que vous aimez et dont vous avez augmenté la valeur? Où sont vos successeurs et que leur lais­ssez-vous? Vos rituels incompris, vos pensées dis­persées vos efforts
inféconds vers l'amour et vers la sagesse, ne représentent-ils pas une aggrava­tion dans la perte de la vraie parole, plutôt qu'un chemin parcouru dans la voie de sa découverte?

Qu'est-ce donc que la Parole?

C'est dans le sens littéral le phénomène bril­lant qui s'accomplit lorsqu'un homme exprime sa pensée par des sons ou des signes. C'est, dans l'ordre moral, le mouvement et l'émotion soulevée dans la conscience par l'audition de la parole d'un autre homme. C'est l'acte créateur qui fait naître des impulsions et des idées, nouvelles, et qui crée chaque jour le monde humain en le modifiant. C'est dans un ordre plus élevé la cause même de cet acte : la Volonté, en qui la Parole est en germe, et qui contient en puissance l'avenir non encore exprimé.

Nous ne considérerons, la parole. que dans sa forme matérielle, essayant en cela de connaître l'arbre par ses fruits.
Et recherchant dans les expressions de la Pa­role les monuments les plus dignes de notre at­tention, nous ne ferons que passer rapidement en revue les matériaux de notre étude.
Le langage écrit ou parlé n'est pas le fruit d'un hasard ou d'une convention arbitraire, l'étymolo­gie nous révèle que les mots ont leurs racines dans un lointain passé et les analogies des différentes langues nous rappellent leur commune origine.
Lors même que la Tradition ne nous enseigne­rait pas l'unité de la parole primitive, une étude attentive des différentes langues nous révélerait cette unité. Il nous suffirait donc pour remonter à leur source commune d'en connaître une avec une précision suffisante.

Les langues actuellement connues se rattachent à trois souches principales; le Chinois dont les caractères se combinent de manière à peindre les idées et s'écrivent de haut en bas, le Sanscrit qui s'écrit de gauche à droite, l'Hébreu qui s'écrit de droite à gauche.

Ces trois langues possèdent d'antiques monu­ments de littérature sacrée et chacune d'entre el­les serait digne de retenir notre attention : mais, sans qu'il soit nécessaire d'en indiquer longue­ment les raisons, l'on comprendra que nous nous occupions surtout de la: langue hébraïque. Par les Phéniciens et les Grecs, par les Latins et les Ara­bes, notre tradition est celle des Hébreux, et dans la Maçonnerie plus encore que dans le monde profane, les idées sont enveloppées dans les formes du judaïsme.
L'Hébreu est une langue entièrement morte, que les rabbins, eux-mêmes pour la plupart n'enten­dent plus, même dans son sens le plus matériel. C'est la langue parlée par le peuple juif au temps de Moïse, et l'on peut raisonnablement supposer qu'elle fut un dialecte égyptien.

C'était alors la langue d'un peuple cultivé re­nommé pour son antique sagesse. Les caractères et les mots de cette langue possédaient un triple sens  matériel, symbolique et hiéroglyphique, le livre que laissa le législateur des Hébreux, fut écrit avec ces significations diverses. Mais aban­donné aux soins d'un peuple ignorant et grossier, sa compréhension devint de jour en jour moins claire, et il ne tarda pas à n'être plus considéré que, sous son aspect la plus matériel. On affirme que Moïse avait laissé pour l'interprétation de son livre une tradition qui s'est conservée jusqu'à nous, mais il est certain que pour la masse du peuple, l'intelligence de son oeuvre fut bientôt obscurcie.

Le texte même en fut perdu pendant de longues années. Lorsque la loi fut méconnue et la guerre civile éclata, l'original fut retrouvé au cours de la lutte de Juda contre Israël, cet événement dé­cida de la fortune du royaume de Juda.

Pendant la première captivité, les Babyloniens envoyèrent à Samarie une copie du livre de Moïse, et lorsque Esdras reçut l'autorisation de recons­truire Jérusalem, voulant séparer son peuple des habitants de Samarie, il traduisit ce même livre en caractères chaldaïques, en y ajoutant la nota­tion des points-voyelles. C'est sous cette forma que le texte nous est parvenu et son authenticité nous est garantie par le texte samaritain.

A cette époque, l'intelligence de l'Hébreu était depuis Iongtemps perdue.
Pour la pratique du culte, des versions en langue vulgaire avaient été nécessaires et deux courants d'interprétations op­posées se partageaient le peuple. Les uns attachés à la lettre ne voyaient dans le Pentateuque qu'un ensemble de prescriptions hygiéniques et législa­tives, et n'y trouvant rien en faveur de l'immorta­lité de l'âme, professaient le plus complet maté­rialisme. Lois autres persuadés que le texte était susceptible d'interprétations, croyaient au con­traire à une seconde vie, et à l'action de la Provi­dence. Un nombre infime de savants avaient con­servé l'intelligence du texte. Leur principale re­traite était Alexandrie vers le lac et le mont Moria.
Plus tard, Jérusalem étant tombée sous la domi­nation des successeurs d'Alexandre, l'un de ceux ci, Ptolémée, fonda la bibliothèque d'Alexandrie, et voulut l'enrichir d'une traduction grecque du Sépher de Moïse. C'est l'origine de la version des Septante dont l'influence fut si grande sur l'his­toire philosophique du monde.
Cette version, rédigée, pour obéir à l'ordre du monarque suit le sens littéral du texte et n'en a pas rendu le sens hiérogliphique; mais comme Jésus et ses disciples avaient toujours cité la Bible grecque au lieu du Sépher hébraïque, les Pères de l'Eglise s'attachèrent à ce livre avec un respect religieux ;  Les rabbins décrièrent ouverte­ment cette version illusoire. Les juifs et les chré­tiens s'accusèrent réciproquement d'ignorance et de mauvaise foi.

Les juifs possesseurs d'un texte original dont ils n'entendaient plus la langue, frappèrent d'ana­thème une version qui n'en rendait que les formes extérieures et grossières. Les chrétiens, contents de ces formes qu'ils saisissaient, n'allaient pas plus avant sauf quelques philosophes qui, ne jugeant que l'apparence, rejetaient le livre en entier comme une œuvre d'imposture inspirée par l'esprit du mal.
Saint Jérôme le dernier aperçut Ie défaut de la version des septante et résolut de recourir au texte original mais le seul lexique dont il disposait  ôtait la version des septante elle-même; il ne put que la paraphraser, et, son oeuvre déclarée authentique par le Concile de Trente, fut soutenue de toute la force de l'lnquisition, et, de l'intolérance dos sco­lastiques.

Les travaux des réformateurs tels que Luther, n'ajoutèrent rien à l'intelligence du texte et jus­qu'à notre époque la même obscurité est restée sur le sens du Sépher. Dans quelque langue qu'on le tourne, c'est toujours la version des Septante qu'on traduit, puisque c'est elle qui sert de lexi­que là tous les traducteurs, et par les méthodes scientifiques modernes, il paraît impossible de parvenir à l'intelligence de ce monument du passé.

Pourtant, comme l'avait remarqué Pascal, il y a quelque chose de providentiel dans la conser­vation de ce livre unique à travers les révolu­tions et les âges, il y a quelque chose de touchant dans les sacrifices consentis par ses posses­seurs pour en assurer l'intégrité, et ne serait-ce. qu'en souvenir des luttes soutenues, on ne peut considérer sans respect ce lointain héritage.

Il a cependant une valeur plus. grande que celle du témoignage le la fidélité d'un peuple, car c'est la seule cosmographie que nous possédions. L'on ne peut la dédaigner sans la connaître. Ce livre fut dans le cours des âges la source vive où de grands esprits ont  puisé.

La franc-maçonnerie en tire la presque unanimité de ses symboles. Certains rites font de la Bible le livre de la Loi Maçonnique, et son étude ne peut nous être indifférente, si la parole qua nous avons prononcée le jour de l'initiation n'était pas seulement sur nos lèvres, et si vraiment nous vou­lons être fidèles à la Maçonnerie.
Lorsque nous laissons tomber en ruines la mai­son de nos pères, nous n'accomplissons pas le devoir fraternel. Quand nous nous éloignons des formes rituéliques par ignorance et par dédain, nous cessons d'être francs-maçons.
Nous sommes comme des ouvriers nouvelle­ment venus pendant la construction de l'édifice. Ils en ignorent le plan général, mais en critiquent les détails, et chacun d'eux veut tailler sa pierre à sa guise; Hiram est mort, et nul ne lui a succédé. Le vent, et la pluie pénètrent dans les joints de la construction inachevée et si le désordre ne cesse, les éléments voit reprendre leur bien, et une ruine nouvelle jonchera la terre.

Pour faire oeuvre utile et restituer l'harmonie des efforts maçonniques, nous devons nous grou­per autour de nos symboles. Ils sont le plan de l'édifice auquel nous travaillons, eux seuls peuvent orienter nos efforts. Leur esprit est perdu, la lettre est en train de se perdre, nous devons la sauver si nous ne voulons pas mourir.

Nous estimons que, nous ne devons point ouvrir ou fermer nos travaux sans évoquer les directions intellectuelles qui seules peuvent former un fais­ceau de nos pensées individuelles.
Nous estimons que nous, ne pouvons nous dispenser de méditer sur le vrai sens de nos symboles pour y découvrir la valeur vivante de la Parole, sa force de création sa valeur agissante.
Puisque les R\C\ du G\O\ dans leurs voya­ges symboliques vont à la découverte de la Li­berté, de l'Egalité et de la Fraternité, qu'ils sa,chent que c'est seulement lorsque nous compren­drons l'action de la Parole sur nous, que nous ac­querrons la vraie Liberté par notre action sur elle. C'est, seulement quand elle éclairera notre situa­tion dans le monde que nous aurons une juste notion de l’Egalité et nous ne serons vraiment Frères que lorsque, dans sa Lumière, nous com-prendrons que nous sommes les fils d'un même père.

J’ai dit, Vénérable Maître.

C T (Par)

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