GLDF Loge : NC 01/2007

 

Les Trois Mauvais Compagnons
 
Lors d’une tenue d’avant l’été, nous avions traité du meurtre d’Hiram et je sais que la Loge Anatole France a travaillé sur le thèmes des 3 mauvais compagnons il y a peu.
Néanmoins, j’ai choisi avec Philippe de conserver ce sujet, chaque planche n’étant qu’un élément de la construction, ses défauts seront pour nous la matérialisation des chantiers qui nous restent  à entreprendre pour nous perfectionner.
Ayant, lors de la dernière tenue de la Loge L\R\A\, eu le bonheur de revivre une exaltation à la maîtrise, j’ai été frappé par la complexité du rituel, non pas dans son déroulement, mais dans son apparente incohérence.
Comment ne pas être  «  mauvais » quand, la marche du compagnon est déjà  un écart par rapport à la ligne, donc une effraction aux pratiques anciennes en même temps qu’une prise de possession d’un nouveau territoire, en l’occurrence le plan.
Suit une période où le compagnon est en possession du mot de passe des maîtres, est admis en chambre du milieu, alors qu’il n’est pas encore maître.
Puis il sera tué pour pouvoir renaître dans la personne d’Hiram, maître maçon.
On observe bien une séparation, une retraite dans la mort, puis une agrégation.
Le séquençage de la légende d’Hiram qui est déjà de nature schizophrénique atteint là le domaine de la psychose.
En effet l’impétrant est un compagnon pendant la première partie ; puis, après avoir vérifié que ses mains étaient blanches et son tablier sans taches, donc qu’il n’est pas un « mauvais compagnon », on lui fait jouer le rôle de la victime :Hiram.
Ce compagnon va donc mimer la mort d’un maître qu’il n’est pas encore puisqu’il n’a pas été reçu par le Très Vénérable.
Cela se termine par sa propre mort en tant qu’Hiram qu’il n’est pas ; puis il renaît en tant que lui-même dans la peau d’Hiram que précédemment il voulait tuer.
Reconnaissons que le challenge est un peu osé !
 
Cette légende qui sert de support au rituel pose bien d’autres questions.
S’il s’agissait d’une substitution, il ne pourrait pas y avoir de collège de maîtres car chaque initié serait un Hiram unique, or la chambre des maîtres est une assemblée !
Nous devons comprendre qu’il y a substitution de rôles entre Hiram et les 3 mauvais compagnons pour que l’accomplissement s’effectue et non un dessein de substitution véritable
puisque les compagnons s’enfuient immédiatement.
   
Il s’agit donc bien d’un passage avec agrégation, au sens du Larousse :
 « assemblage de parties homogènes pour former un tout », mais est-il nécessaire de tuer pour être reconnu puis agrégé  au cours d’un rituel qui met pourtant en valeur sagesse, beauté, fraternité et amour ?
Jean Cocteau écrivait :
« le mythe est quelque chose de faux qui devient vrai »
Cette vérité n’est pas seulement une traduction intellectuelle et pédagogique, elle doit être vécue dans un passage progressif de la symbolique mythique à la symbolique spirituelle et doit donc nécessairement s’incarner.
Les mythes sacrificiels sont innombrables dans l’histoire des civilisations.
Ainsi Osiris a besoin de son frère Set qui découpe son corps, comme Jésus a besoin de Judas .
L’actualité littéraire nous offre en ce moment « l’évangile de Judas », présenté comme une sorte de révélation fort médiatisée.
« Celui qui avait toute sa confiance »  est plus, selon les exégètes, le complice de l’achèvement de la dramaturgie christique  que le traître vénal stigmatisé de façon primaire.
Le suicide de Judas, effaçant toute preuve, démontre que l’assassin,nécessaire au drame,est lui-même victime.
Le rituel des Antients était plus concret sur ce sujet, puisque la découverte et le sort des assassins était inclus dans ce rituel.
 
Autre hypothèse : ce meurtre est un sacrifice au cours duquel on immole une victime ;
Le compagnon-sacrificateur conjure une colère divine ou sacralise par le sang versé le Temple dans lequel nous nous réunissons.
Cette hypothèse ne tient pas !
Nous qui avons préparé et vécu la dédicace de ce Temple savons qu’à aucun moment il n’est fait allusion à un meurtre, à du sang répandu et surtout pas à l’apaisement d’une colère divine.
De plus, celui qui a l’honneur de réaliser un sacrifice est en général plébiscité par le groupe
plutôt que rejeté par celui-ci.
Et que dire de la tradition millénaire qui instituait le partage des viandes sacrificielles qui étaient cuites et mangées ! Drôles d’agapes.
 
Autre problème de taille, la Parole est perdue ! Le mot des maîtres a été perdu !
Selon le rituel Hiram le possédait et ce mot était nécessaire pour être admis parmi les maîtres.
On peut se demander s’il ne s’agit pas du mot de passe des maîtres et non du mot sacré ?
Or le mot de passe est communiqué aux futurs meurtriers avant leur entrée en Loge.
D’autre part, Hiram semble pouvoir  donner à lui seul ce mot ce qui confirmerait son identification avec le mot de passe ; alors que la légende nous enseigne que la présence de 2 rois : Salomon et Hiram de Tyr ainsi que celle d’Adonhiram était nécessaire pour prononcer le mot des maîtres et donc de permettre l’ouverture de la Loge.
En effet, le mot des maîtres se prononce syllabe par syllabe et il est concevable que la disparition d’un des 3 personnages fasse perdre la prononciation ;
Cette hypothèse nous rappelle le massacre qui suivit la mauvaise prononciation du mot Shibollet.
De plus, la Parole est remplacée par les mots substitués ; cette amputation de la connaissance va générer la quête de la Parole perdue que tous les maçons répandus sur le terre n’auront de cesse de rechercher pour retrouver cet Age d’Or où la Parole était connue.
Un retour rapide dans l’histoire des grandes civilisations nous explique qu’au contact des Akkadiens(qui sont des Sémites), l’écriture  sumérienne fût partagée en deux parties :
L’une est conservée comme langage sacré, au même titre que le latin en Occident,
L’autre est transformée en langage dit vulgaire et perd le sens profond de la signification des mots :
Comme exemple j’ai retenu l’épisode de la Tour de Babel
En Genèse XI-9 il est dit
: »C’est pourquoi il l’appela « Babel » car c’est là que Dieu mélangea(du babylonien « balal »mélanger) le parler de toute la terre »
Or la ville de Babylone s’écrit :
Babili pour les sémites
Mais se lit : KA-DINGIR- RA KI (la porte de Dieu) en sumérien.
Ainsi nous a été transmis le mot « Babil »qui n’est qu’un mélange (balal) d’onomatopées sans signification et que l’on réserve aux premières manifestations verbales des petits enfants qui font assurément notre bonheur mais ne  nous informent guère sur le sens à donner à cette avalanche de phonèmes.
Ainsi nous usons d’un langage dit « moderne » vidé de son sens intrinsèque et peut être utilisons nous la Parole perdue comme un terme conventionnel dont aurait été perdu le sens réel et que nous devions partir à la reconquête de ce sens ?
Dans son désir hégémonique, 2000 ans de christianisme, n’ont eu de cesse que de faire disparaître ces sens profonds au détriment de la Tradition avec un grand T et à son propre détriment puisque les contenus ésotériques se sont dilués dans l’expression exotérique, mais ceci est un autre problème.
 
Dans la cérémonie d’exaltation, tout se déroule comme s’il y avait deux légendes :
- le meurtre d’Hiram
- puis sa renaissance, véritable réincarnation dans les compagnons qui relève plus d’un processus alchimique que d’autres choses.(tout se passe dans le noir et par le noir)
 
Toutefois, il est nécessaire d’être réellement Maître en soi  et de posséder les capacités à assumer la plénitude de ses nouveaux droits et devoirs pour qu’un compagnon soit reconnu comme maître.
Accepter un compagnon au grade de maître « parce qu’il a fait son temps », « parce qu’il y a longtemps qu’il est compagnon », « parce qu’il a progressé » est bien insuffisant ;
Il faut qu’il puisse demain devenir pleinement un maître.
L’acte d’autonomie est nécessaire et indispensable, mais il n’est pas suffisant ; il faut que cet acte soit fructueux.
Il faut que les fruits du nouveau maître soient supérieurs à ceux de l’ancien et comme on le dit fréquemment que l’élève dépasse le maître.
Tuer, c’est abolir la différence :
On attendrait donc une plus grande égalité, voire un suppression de la hiérarchie qui interpelle la légitimité des degrés dans un ordre initiatique.
Peut-on imaginer une société initiatique dont les révélations se fassent par tout ou rien ?
Est-il indispensable que les secrets soient révélés progressivement et par degrés ?
 
Autre question : la substitution.
Les compagnons,dit-on  par ambition, vanité et ignorance désirent prendre la place d’Hiram.
Or dans nos pratiques, le Maître des maîtres est celui qui est désigné, pour un temps, afin de diriger le chantier ; il est choisi parmi ses pairs comme étant le meilleur pour un temps défini.
Il ne s’agit pas d’être le premier, mais le meilleur possible.
Le Maître des maîtres devra donc être changé avec une chronologie connue et acceptée.
S’il tentait, lui aussi, par vanité, ambition et ignorance de prolonger son vénéralat, il devrait être destitué par ses pairs ;
Nous avons tous entendu raconter l’histoire de ces Vénérables qui ne savent pas descendre de charge ; dans ces circonstances la Loge a le devoir de les aider à tuer en eux les 3 mauvais compagnons qui troublent leur esprit, ainsi que le maître qu’ils croient être devenus.
 
Alors, ces 3 compagnons qui ont perpétré le meurtre d’Hiram sont-ils d’aussi mauvais compagnons qu’on le dit ?
Ne sont-ils pas les simples instruments d’une puissance supérieure, cosmique qui fait qu’il doit en être ainsi, cycliquement, périodiquement ?
Leur meurtre n’est-il qu’un vulgaire fait divers propre à nous révolter et à effaroucher notre conscience ?
Nous savions déjà que les outils symboliques de construction peuvent aussi être des armes redoutables.
Ce drame initiatique  contribue à la pérennisation de la transmission de la connaissance et cette mort physique illumine à jamais la conscience obscurcie des vivants.
Tout était simple avant le meurtre :
Le maître était en poste et chacun à sa place.
Désormais,la page est tournée, un Temple inachevé sera notre chantier, charge pour nous tous maîtres, d’écrire le lendemain de ce monde qui s’ouvre à nous et à trouver les solutions des questions qui nous sont posées.
En fait, le meurtre d’Hiram inaugure un nouveau cycle, ce n’est pas l’ultime degré, mais au contraire le premier degré d’un nouveau cycle.
Hiram est mort, vive Hiram !
 
J’ai dit
 
GD\

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