Obédience : NC Loge : NC 03/03/1998


Les Meurtriers D'Hiram

Nous venons de vivre une fois de plus, avec cette forte charge émotionnelle, le mythe d'Hiram, assassiné par les trois mauvais compagnons. C'est la troisième fois que je vis cette tragédie funèbre aux décors sombres et lugubres où le deuil est omniprésent. Lorsque je fus élevé à la maîtrise, il n'y a pas si longtemps que cela, j'en suis ressortis perplexe et remplis d'interrogation. Pourquoi un rite funéraire accompagné d'une résurrection ? Pourquoi ce rituel plein de tristesse alors que la Maîtrise était censée m'apporter me semble-t-il la Lumière, la Sérénité et la Sagesse ? En quoi cela a-t-il fait de moi un initié aux mystères de la maîtrise ? J'en suis encore à me poser beaucoup de questions auxquelles je n'ai pas beaucoup de réponses. C'est pourquoi, j'ai tenu ce soir à vous faire part de mes interrogations, de mes doutes et aussi de mes espoirs.

La légende maçonnique de M\ Hiram est assez éloignée de la véritable histoire de ce M\ fondeur dont l'ancien testament nous raconte l'histoire tragique. Pourtant, ce que personnifie cet architecte imaginaire du rituel maçonnique du troisième grade est un formidable message. Oswald Wirth, nous explique que pour l'initié, Hiram n'est autre que l'Esprit maçonnique. C'est pourquoi, on découvre en lui les traits de l'Architecte. Le vieil homme est mort et le nouvel homme, se réveille. Nous travaillons à ramasser ce qui est épars et à rechercher la parole perdue. Que peut bien signifier ce charabia.

Selon moi, le nouvel homme, l'initié véritable, celui qui est inspiré par l'Esprit de l'Architecte, est un homme qui a enfin découvert que la véritable connaissance et celle de soi. Etre son soi véritable, être d'une manière authentique, sans mensonge et sans détours. Se servir de l'intuition, ce raccourci de l'intelligence, sans les fioritures du raisonnement et de la logique, de la rhétorique et du mensonge. La parole perdue, pour moi, est l'abandon de la « langue de bois », celle qui nous « déprogramme » en évacuant ces peurs, ces phobies qui nous incitent, en permanence, à mettre un masque sur notre personnalité véritable. Combien d'années avons-nous mis à nous forger ce masque pour tromper notre entourage et finalement, nous tromper nous-mêmes, pour faire croire ce que nous ne sommes pas ? Le monde, comme disait « La Fontaine », est un théâtre immense aux cent actes et aux cents visages. Mais la véritable question n'est pas de se dire qui est l'acteur qui joue le personnage, mais plutôt, qui est le comédien qui joue le rôle de l'acteur. Ramasser ce qui est épars, retrouver dans toutes les traditions, les points communs à la véritable Tradition commune à tous les hommes, réunir les hommes et non les diviser, travailler sans relâche à la construction du Temple de l'Humanité, faire don de soit pour se surpasser et donner le meilleur de soit pour être utile à ces semblables et pour faire en sorte de n'avoir pas gaspillé sa vie. C'est ainsi que j'ai compris la légende maçonnique de M\ Hiram.

Mais cette tâche peut être empêchée, parce que le vieil homme en nous vit encore et n'est pas tout à fait mort. Je veux parler de ce masque dont nous avons tant de peine à nous débarrasser car nous nous sentons si fragile et si vulnérable sans lui. Cette carapace est le fruit du conditionnement social et d'une auto-programmation dont il est difficile et parfois même dangereux de se débarrasser. C'est là qu'entrent en scène les meurtriers d'Hiram, les fameux « mauvais compagnons ». A mon élévation à la maîtrise, je me suis interrogé sur ce psychodrame des mauvais compagnons. Cela me paraissait quelque peu puéril sur le moment. Pourquoi cette mise en scène ? Cette suspicion à mon égard à l'entrée dans la Loge des Maîtres, cette allure de jugement allégorique, là encore, je me suis penché sur ce qu'a pu dire Wirth sur la question.

Selon lui, le premier des compagnons rebelles représente l'Ignorance, non pas celle des profanes, mais celle des Maçons qui auraient dû être instruits en leur qualité de Compagnon, initiés aux mystères de l'Etoile Flamboyante. Il arrive souvent, malheureusement que ces porteurs d'insignes ignorent tout de la Maçonnerie, qu'ils prétendent néanmoins comprendre, puisqu'ils ont été admis au nombre des ouvriers sachant travailler. Ramenant tout à leur petite personne, à la vision de leur vécu personnel et à ce qu'ils ont put voir du comportement parfois déplorable de leurs frères. Il arrive alors qu'ils s'érigent en novateurs et critiquent les rituels poussiéreux et sont déçus par ce qu'ils ont put comprendre de la Maçonnerie. Ils tiennent pour certain qu'ils sont intelligents et se demandent se qu'ils font dans cette galère où ils ne voient que des hommes et leurs travers. Ceux-là bien sûr, sont parfois bardés de diplômes et de connaissances scientifiques et doutent de ces pseudo-mystères de pacotille de cette Maçonnerie qui véhicule encore tant de clichés de la bourgeoisie du XIXème siècle alors que nous abordons le troisième millénaire. Ceux-là pensent qu'il faut se débarrasser de ces oripeaux de « mamamouchis » et descendre dans la rue pour parler un langage plus crédible ou transformer la Loge en un club de philosophes avant-gardistes. Mais c'est peut-être parce qu'ils n'ont pas assez travaillé et qu'ils sont passés à côté de l'essentiel. C'est armé de leur Règle personnelle et inflexible qu'ils frappent le Maître, car ils n'ont pas assimilés l'Esprit véritable de la Règle.

Le deuxième meurtrier de l'Esprit Maçonnique est le Fanatisme. C'est l'ennemi intérieur de la Maçonnerie. Celui-là est terrible, il prétend tout savoir de la maçonnerie et de ses mystères. Il prend tout à la lettre et pratique assidûment la « politique Maçonnique », il condamne et il juge à tour de bras et fustige ses frères. Il se proclame juste et parfait et pratique la chasse aux hérétiques, aux « faux-frères ». C'est celui qui dit « Monsieur » à un « irrégulier » ou « Madame » à une sœur. Celui-là démesure l'Equerre en l'appliquant à autrui en oubliant de l'appliquer à lui-même. Malheur à ceux qui ne se conforment pas à sa norme, c'est un élitiste qui n'a que mépris pour ceux qui ne partagent pas ses points de vue. Celui-là, n'a pas remarqué que la Maçonnerie était basée sur un esprit de Fraternité et de Tolérance.

Mais le plus terrible de tous, celui qui a achevé le M\ de la Légende, c'est l'Ambition. C'est celui qui est épris de « cordonite ». Il figure l'ambition des exploiteurs de l'ignorance et du fanatisme. Ces pervers s'emparent du Maillet qui tue Hiram : Ce sont les calculateurs qui ambitionnent d'asservir la Maçonnerie à leurs objectifs personnels ou doctrinaires.

L'Ignorance peut être corrigée par l'Instruction et c'est en ce sens que j'ai plaidé pour des instructions au III. L'Intolérance est une infirmité guérissable par la Patience, le Dialogue et l'Amour. Mais l'Ambition et l'Egoïsme sont des tares indignes de l'Art Royal. N'est-ce pas en ce sens que l'image du Pélican qui s'ouvre le cœur pour nourrir ses petits est le symbole de la Royauté, du suprême don de soi? La Maîtrise ne convient me semble-t-il qu'à celui qui s'oublie lui-même et ne subit la fascination d'aucun mirage de vanité. L'Orgueil est le pire de tous les vices. Il incite à briller et à se mettre en valeur, à se servir d'autrui pour briguer le pouvoir et les postes et les titres. Celui qui est attiré par ces mirages, n'a pas compris que tout n'est qu'illusion et que le premier sera le dernier et que le dernier sera le premier.

Ainsi donc, il semble que ce catéchisme du troisième grade a pour but de révéler ces « péchés Capitaux » de la Maçonnerie. C'est un code moral pour avertir le nouveau Maître que la vérité n'est pas toujours celle qu'on croit et que tout ce qui brille n'est pas or.

Voilà, Mes V\ FF\ où j'en suis arrivé dans mes recherches, La quête est longue et est à l'échelle d'une vie d'homme, sans pour autant trouver l'assurance d'aboutir. La perfection n'est pas de ce monde et la Sagesse peut devenir une tour d'ivoire. J'en suis souvent à me demander si ces mauvais compagnons ne sommeillent pas encore en moi et à m'interroger par ailleurs sur le bien fondé de ce catéchisme. Le don de soit est-il de devenir corvéable et serviable à merci à la volonté de l'Ordre Maçonnique…? N'est-ce pas là aussi une manière d'endoctriner des adeptes ? L'Organisation ne poursuit-elle pas qu'un seul objectif, celui de sa survie ? Voilà beaucoup de questions dont les réponses sont loin d'être évidentes. L'Enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? Que m'a apporté la Maîtrise ? Qu'en faire ? Est-ce que cela m'a permit de vivre mieux ? Est-ce que cela a répondu à mes attentes ? Quels bénéfices en tirent mes proches ? Où est mon salaire dans tout cela ? Et qu'est-ce que cela a put changer dans ma vie de tous les jours ?

J'ai pu constater, par ailleurs, que beaucoup de FF\ ont tendance à fuir les charges tendis que d'autres s'y appliquent sincèrement, d'autres n'aspirent qu'à être des spectateurs paisibles se faisant bonne conscience et en se complaisant dans la critique. « Je suis un Maçon libre, dans une Loge libre ! », disent-ils, « personne n'a le droit de m'imposer une charge... » Il est vrai que la vie est si difficile...n'a-t-on pas assez de problèmes dans la vie profane pour s'encombrer encore de tracas inutiles ?

A mon avis, c'est pourtant à ce niveau que commence la véritable instruction du jeune Maître, dans l'accomplissement des charges de la Loge. C'est bien facile de se gloser de bonnes intentions théoriques, mais combien de nos FF\ osent affronter la signification du don de soi ? Il est peut-être un quatrième mauvais Compagnon à rajouter au rituel, je veux parler de la Paresse et de l'Indifférence qui se rattache bien sûr à l'Egoïsme.

Je conclus ici, mes V\ FF\ MM\ en précisant le fond de ma pensée. Je ne pense pas avoir tout compris mais il me semble que le travail en Loge, et notamment les charges qui nous échoient, sont des défis à relever, dans un esprit d'abnégation et de modestie pour apprendre à travailler au Grand Œuvre. Car forgé de cette qualité, c'est par cette pratique que nous pourrons trouver la force et la pratique pour agir ensuite dans le monde profane en portant la Lumière que nous avons reçus dans le Temple. C'est peut-être là que commence l'apprentissage difficile d’œuvrer sincèrement sans recherche de bénéfice personnel pour l'Amour de ses semblables. C'est là me semble-t-il qu'est à rechercher l'image Maçonnique généreuse de l'éternel Chantier du Temple où l'Ignorance, l'Intolérance et l'Orgueil n'ont pas leur place.

J'ai dit. T\ V\ M\ C\

J\ M\ C\


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