Les
Meurtriers D'Hiram
Nous venons
de vivre une fois de plus, avec cette forte charge
émotionnelle, le mythe d'Hiram, assassiné par les
trois mauvais compagnons. C'est la troisième fois que je vis
cette tragédie funèbre aux décors
sombres et lugubres où le deuil est omniprésent.
Lorsque je fus élevé à la
maîtrise, il n'y a pas si longtemps que cela, j'en suis
ressortis perplexe et remplis d'interrogation. Pourquoi un rite
funéraire accompagné d'une
résurrection ? Pourquoi ce rituel plein de tristesse alors
que la Maîtrise était censée m'apporter
me semble-t-il la Lumière, la
Sérénité et la Sagesse ? En quoi cela
a-t-il fait de moi un initié aux mystères de la
maîtrise ? J'en suis encore à me poser beaucoup de
questions auxquelles je n'ai pas beaucoup de réponses. C'est
pourquoi, j'ai tenu ce soir à vous faire part de mes
interrogations, de mes doutes et aussi de mes espoirs.
La légende maçonnique de M\ Hiram est assez
éloignée de la véritable histoire de
ce M\ fondeur dont l'ancien testament nous raconte l'histoire tragique.
Pourtant, ce que personnifie cet architecte imaginaire du rituel
maçonnique du troisième grade est un formidable
message. Oswald Wirth, nous explique que pour l'initié,
Hiram n'est autre que l'Esprit maçonnique. C'est pourquoi,
on découvre en lui les traits de l'Architecte. Le vieil
homme est mort et le nouvel homme, se réveille. Nous
travaillons à ramasser ce qui est épars et
à rechercher la parole perdue. Que peut bien signifier ce
charabia.
Selon moi, le nouvel homme, l'initié véritable,
celui qui est inspiré par l'Esprit de l'Architecte, est un
homme qui a enfin découvert que la véritable
connaissance et celle de soi. Etre son soi véritable,
être d'une manière authentique, sans mensonge et
sans détours. Se servir de l'intuition, ce raccourci de
l'intelligence, sans les fioritures du raisonnement et de la logique,
de la rhétorique et du mensonge. La parole perdue, pour moi,
est l'abandon de la « langue de bois »,
celle qui nous « déprogramme »
en évacuant ces peurs, ces phobies qui nous incitent, en
permanence, à mettre un masque sur notre
personnalité véritable. Combien
d'années avons-nous mis à nous forger ce masque
pour tromper notre entourage et finalement, nous tromper
nous-mêmes, pour faire croire ce que nous ne sommes pas ? Le
monde, comme disait « La Fontaine »,
est un théâtre immense aux cent actes et aux cents
visages. Mais la véritable question n'est pas de se dire qui
est l'acteur qui joue le personnage, mais plutôt, qui est le
comédien qui joue le rôle de l'acteur. Ramasser ce
qui est épars, retrouver dans toutes les traditions, les
points communs à la véritable Tradition commune
à tous les hommes, réunir les hommes et non les
diviser, travailler sans relâche à la construction
du Temple de l'Humanité, faire don de soit pour se surpasser
et donner le meilleur de soit pour être utile à
ces semblables et pour faire en sorte de n'avoir pas
gaspillé sa vie. C'est ainsi que j'ai compris la
légende maçonnique de M\ Hiram.
Mais cette tâche peut être
empêchée, parce que le vieil homme en nous vit
encore et n'est pas tout à fait mort. Je veux parler de ce
masque dont nous avons tant de peine à nous
débarrasser car nous nous sentons si fragile et si
vulnérable sans lui. Cette carapace est le fruit du
conditionnement social et d'une auto-programmation dont il est
difficile et parfois même dangereux de se
débarrasser. C'est là qu'entrent en
scène les meurtriers d'Hiram, les fameux
« mauvais compagnons ».
A mon élévation à la
maîtrise, je me suis interrogé sur ce psychodrame
des mauvais compagnons. Cela me paraissait quelque peu
puéril sur le moment. Pourquoi cette mise en
scène ? Cette suspicion à mon égard
à l'entrée dans la Loge des Maîtres,
cette allure de jugement allégorique, là encore,
je me suis penché sur ce qu'a pu dire Wirth sur la question.
Selon lui, le premier des compagnons rebelles représente
l'Ignorance, non pas celle des profanes, mais celle des
Maçons qui auraient dû être instruits en
leur qualité de Compagnon, initiés aux
mystères de l'Etoile Flamboyante. Il arrive souvent,
malheureusement que ces porteurs d'insignes ignorent tout de la
Maçonnerie, qu'ils prétendent
néanmoins comprendre, puisqu'ils ont
été admis au nombre des ouvriers sachant
travailler. Ramenant tout à leur petite personne,
à la vision de leur vécu personnel et
à ce qu'ils ont put voir du comportement parfois
déplorable de leurs frères. Il arrive alors
qu'ils s'érigent en novateurs et critiquent les rituels
poussiéreux et sont déçus par ce
qu'ils ont put comprendre de la Maçonnerie. Ils tiennent
pour certain qu'ils sont intelligents et se demandent se qu'ils font
dans cette galère où ils ne voient que des hommes
et leurs travers. Ceux-là bien sûr, sont parfois
bardés de diplômes et de connaissances
scientifiques et doutent de ces pseudo-mystères de pacotille
de cette Maçonnerie qui véhicule encore tant de
clichés de la bourgeoisie du XIXème
siècle alors que nous abordons le troisième
millénaire. Ceux-là pensent qu'il faut se
débarrasser de ces oripeaux de « mamamouchis »
et descendre dans la rue pour parler un langage plus
crédible ou transformer la Loge en un club de philosophes
avant-gardistes. Mais c'est peut-être parce qu'ils n'ont pas
assez travaillé et qu'ils sont passés
à côté de l'essentiel. C'est
armé de leur Règle personnelle et inflexible
qu'ils frappent le Maître, car ils n'ont pas
assimilés l'Esprit véritable de la
Règle.
Le deuxième meurtrier de l'Esprit Maçonnique est
le Fanatisme. C'est l'ennemi intérieur de la
Maçonnerie. Celui-là est terrible, il
prétend tout savoir de la maçonnerie et de ses
mystères. Il prend tout à la lettre et pratique
assidûment la « politique
Maçonnique », il condamne et
il juge à tour de bras et fustige ses frères. Il
se proclame juste et parfait et pratique la chasse aux
hérétiques, aux « faux-frères ».
C'est celui qui dit « Monsieur »
à un « irrégulier »
ou « Madame »
à une sœur. Celui-là
démesure l'Equerre en l'appliquant à autrui en
oubliant de l'appliquer à lui-même. Malheur
à ceux qui ne se conforment pas à sa norme, c'est
un élitiste qui n'a que mépris pour ceux qui ne
partagent pas ses points de vue. Celui-là, n'a pas
remarqué que la Maçonnerie était
basée sur un esprit de Fraternité et de
Tolérance.
Mais le plus terrible de tous, celui qui a achevé le M\ de
la Légende, c'est l'Ambition. C'est celui qui est
épris de
« cordonite ». Il figure
l'ambition des exploiteurs de l'ignorance et du fanatisme. Ces pervers
s'emparent du Maillet qui tue Hiram : Ce sont les calculateurs qui
ambitionnent d'asservir la Maçonnerie à leurs
objectifs personnels ou doctrinaires.
L'Ignorance peut être corrigée par l'Instruction
et c'est en ce sens que j'ai plaidé pour des instructions au
III. L'Intolérance est une infirmité
guérissable par la Patience, le Dialogue et l'Amour. Mais
l'Ambition et l'Egoïsme sont des tares indignes de l'Art
Royal. N'est-ce pas en ce sens que l'image du Pélican qui
s'ouvre le cœur pour nourrir ses petits est le symbole de la
Royauté, du suprême don de soi? La
Maîtrise ne convient me semble-t-il qu'à celui qui
s'oublie lui-même et ne subit la fascination d'aucun mirage
de vanité. L'Orgueil est le pire de tous les vices. Il
incite à briller et à se mettre en valeur,
à se servir d'autrui pour briguer le pouvoir et les postes
et les titres. Celui qui est attiré par ces mirages, n'a pas
compris que tout n'est qu'illusion et que le premier sera le dernier et
que le dernier sera le premier.
Ainsi donc, il semble que ce catéchisme du
troisième grade a pour but de révéler
ces « péchés Capitaux »
de la Maçonnerie. C'est un code moral pour avertir le
nouveau Maître que la vérité n'est pas
toujours celle qu'on croit et que tout ce qui brille n'est pas or.
Voilà, Mes V\ FF\ où j'en suis arrivé
dans mes recherches, La quête est longue et est à
l'échelle d'une vie d'homme, sans pour autant trouver
l'assurance d'aboutir. La perfection n'est pas de ce monde et la
Sagesse peut devenir une tour d'ivoire. J'en suis souvent à
me demander si ces mauvais compagnons ne sommeillent pas encore en moi
et à m'interroger par ailleurs sur le bien fondé
de ce catéchisme. Le don de soit est-il de devenir
corvéable et serviable à merci à la
volonté de l'Ordre Maçonnique…?
N'est-ce pas là aussi une manière d'endoctriner
des adeptes ? L'Organisation ne poursuit-elle pas qu'un seul objectif,
celui de sa survie ? Voilà beaucoup de questions dont les
réponses sont loin d'être évidentes.
L'Enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? Que m'a
apporté la Maîtrise ? Qu'en faire ? Est-ce que
cela m'a permit de vivre mieux ? Est-ce que cela a répondu
à mes attentes ? Quels bénéfices en
tirent mes proches ? Où est mon salaire dans tout cela ? Et
qu'est-ce que cela a put changer dans ma vie de tous les jours ?
J'ai pu constater, par ailleurs, que beaucoup de FF\ ont tendance
à fuir les charges tendis que d'autres s'y appliquent
sincèrement, d'autres n'aspirent qu'à
être des spectateurs paisibles se faisant bonne conscience et
en se complaisant dans la critique. « Je
suis un Maçon libre, dans une Loge libre ! »,
disent-ils, « personne n'a le droit de
m'imposer une charge... » Il est vrai que
la vie est si difficile...n'a-t-on pas assez de problèmes
dans la vie profane pour s'encombrer encore de tracas inutiles ?
A mon avis, c'est pourtant à ce niveau que commence la
véritable instruction du jeune Maître, dans
l'accomplissement des charges de la Loge. C'est bien facile de se
gloser de bonnes intentions théoriques, mais combien de nos
FF\ osent affronter la signification du don de soi ? Il est
peut-être un quatrième mauvais Compagnon
à rajouter au rituel, je veux parler de la Paresse et de
l'Indifférence qui se rattache bien sûr
à l'Egoïsme.
Je conclus ici, mes V\ FF\ MM\ en précisant le fond de ma
pensée. Je ne pense pas avoir tout compris mais il me semble
que le travail en Loge, et notamment les charges qui nous
échoient, sont des défis à relever,
dans un esprit d'abnégation et de modestie pour apprendre
à travailler au Grand Œuvre. Car forgé
de cette qualité, c'est par cette pratique que nous pourrons
trouver la force et la pratique pour agir ensuite dans le monde profane
en portant la Lumière que nous avons reçus dans
le Temple. C'est peut-être là que commence
l'apprentissage difficile d’œuvrer
sincèrement sans recherche de bénéfice
personnel pour l'Amour de ses semblables. C'est là me
semble-t-il qu'est à rechercher l'image
Maçonnique généreuse de
l'éternel Chantier du Temple où l'Ignorance,
l'Intolérance et l'Orgueil n'ont pas leur place.
J'ai dit. T\ V\ M\ C\
J\ M\ C\
|