Obédience : NC Loge : NC 11/2012

 

De la grenade à l'acacia

La Grenade est l'un des symboles que je n'ai pas vu en entrant dans le Temple. Je l'ai découverte plusieurs Tenues après mon initiation, sans bien reconnaître cet objet posé sur les colonnes. Aussi, j'ai demandé...on m'a répondu subrepticement...et je n'ai pas compris.

Quelle était donc la place de ce projectile explosif dans un Temple ? Je suis fille de militaire, et ceci explique peut-être cela !

Quand j'ai mesuré mon erreur, je me suis liquéfiée de honte ! J'en déduisais que je devais me préparer à parcourir un long chemin.

Car, en fait, la grenade, premier symbole végétale maçonnique, comme d'autres fruits à nombreux pépins, permet une postérité fertile d'où son symbolisme de fécondité. Ses graines noyées dans une pulpe transparente, rangées symétriquement, rappellent la famille maçonnique dont tous les membres sont harmonieusement reliés par l'esprit d'ordre et de fraternité. En effet, sa coque ronde et résistante protège les grains collés ensemble par groupe séparé par une membrane blanche très fine.

Aujourd'hui, elle représente pour moi la F\ M\ Universelle composée de différentes LL\ séparées mais unies, elles-mêmes composées de SS\ et de FF\, individus à la fois semblables, différents et uniques, fortement liés entre eux, serrés sur les colonnes, dans l'unité de l'action, et travaillant chacun sur soi dans l'espoir d'engendrer un monde meilleur.

Belle image, n'est-ce-pas ?

Pourtant, nous n'avons rien inventé : « Dame Nature » nous montre l'exemple depuis la nuit des temps ! Même, hélas, dans la stratégie militaire. Nous ne faisons pas toujours bon usage de ce qui nous est offert, et c'est bien là notre drame. Mais revenons à notre fruit.

Parmi tous les fruits connus et cultivés dans le monde, la grenade possède l'enveloppe la plus dure qui enferme, protège, réunit et donne de la cohésion.

Il est effectivement difficile de rentrer en Maçonnerie car ce périple initiatique est complexe et demande de la persévérance pour découvrir, décoder et savourer toutes les vertus offertes mais savamment voilées.

Dans les rites funèbres égyptiens, des grenades étaient disposées près du défunt pour l'accompagner dans son voyage vers l'autre monde.

L'association entre la grenade et l'idée de la mort, symbolisait la renaissance, c'est-à-dire le passage du monde profane au monde sacré.

Plus près de notre époque, Botticelli, en 1487, a réalisé la « Madone à la Grenade » : Marie tient dans ses mains l'enfant Jésus et une grenade mûre et ouverte. Dans la version officielle catholique, la grenade symbolise la Passion du Christ, ouverte elle représente la charité chrétienne.

Mais il semblerait que la volonté de Botticelli est de nous suggérer l'idée de descendance. Ainsi, cette grenade mûre et ouverte tenue par Marie et l'enfant Jésus incarnerait la fécondité, la génération universelle, l'immortalité et donc la descendance, c'est-à-dire la descendance christique, la lignée du Graal.

Mais je ne suis pas assez instruite pour développer ce sujet relatif au vase protégé et véhiculé par Joseph d'Arimathie et puis, aujourd'hui ce n'est peut-être pas le sujet... Mais ne devons-nous pas voir ce symbole de fertilité comme la fertilité de l'esprit, de l'abondance d'idées, de la richesse intérieure de l'union et de la diversité ?

J'anticipe, mais est-ce pour cela qu'Hiram a reproduit le symbole de la grenade autour des chapiteaux des 2 colonnes du Temple de Salomon ?

Il me plaît de croire que cette représentation est faite pour l'unité dans la différence, pour la richesse de l'esprit de par notre union.

En résumé, la grenade symbolise, non pas des outils de travail comme la règle, l'équerre ou le compas, mais la F\ Maçonnerie elle-même, qui nourrit des valeurs de Liberté, de Fraternité et de Tolérance, étouffant ainsi nos manifestations égoïstes.

Alors, comment ne pas aimer les grenades et poser sur elles un autre regard ?

Au 2nd degré, j'ai compris que m'étaient proposé d'autres outils que je me devais d'employer. Un autre horizon s'offrait à moi. Pourtant, il me semblait que je n'avais pas fait le tour des symboles du degré précédent. Je pensais que le symbole était une représentation simplifiée pour éviter l'ambiguïté et permettre la compréhension.

« Ici tout est symbole » m'avait-on annoncé.

Qu'est-ce à dire ? ...Qu'est-ce à penser ?...

Un pressentiment que le langage ne peut qu'interpréter, plongeant ses racines jusque dans les profondeurs les plus mystérieuses de l'être ?

Les symboles permettent peut-être à l'esprit de se dégager des frontières de la finitude du devenir (pour atteindre le royaume de l'être infini) ?

Or, le soir de mon augmentation « Schibboleth » est entré dans ma vie de Maçonne, en éveillant ma curiosité.

2ème symbole végétal. Mais celui-là n'était pas discrètement présent comme les grenades, non, la V\ M\ le nommait et me confiait son nom en preuve de mérite.

Epi à côté d'un cours d'eau...

Son sens m'a paru bien mystérieux, mais j'ai vite pressenti qu'il allait m'ouvrir la porte d'une nouvelle étape dans la quête que j'avais entreprise. Pour essayer de décoder ce sésame, il faut remonter à quelques 3200 ans en arrière. Sur la rive du Jourdain, après la bataille qui opposa les hommes de Galaad à ceux d'Ephraïm, les Galaadites, menés par Jephté, tenaient la rive du fleuve. De l'autre côté, en Palestine, se trouve la terre des Ephraïmites. Ceux-ci en pleine déroute ne souhaitent que passer les gués et rentrer chez eux. En chef avisé, Jephté fait garder les gués par des sentinelles. Les guerriers d'Ephraïm essaient de les tromper mais leur accent les trahit. En effet, ils ne savent pas prononcer le mot hébreu « Schibboleth » avec le S schuintant et disent Sibboleth avec le S sifflant. Ils sont démasqués et 42 000 d'entre eux périrent égorgés.
Schibboleth, sur notre tapis de Loge au 2ème degré est représenté sous la forme d'un épi de blé près d'un cours d'eau. Le fleuve, tour à tour impétueux, sinueux, ou calme, inspire la crainte et la vénération, car il apporte la fertilisation et la vie, mais parfois aussi, emporte tout sur son passage, semant désolation et malheur. Peut-être représente-t-il le temps qui passe...

La tradition du Compagnonnage est inséparable de l'acte de bâtir. Cet acte résulte d'une conception qui veut que toute pensée, aussi élevée soit-elle, ne prenne réalité que lorsqu'elle est exprimée par une construction et un travail sur la matière pour en dégager l'aspect lumineux. Son chemin passe par le développement d'une sensibilité particulière au mystère qui va bien au-delà de l'acquisition d'un savoir et de techniques.

La réalisation d'un chef d'œuvre exprimera ce qui lui a été potentiellement transmis lors de son initiation.

Elle doit se mettre en quête. Elle est un être qui n'obtiendra de stabilité que dans un perpétuel voyage au cours duquel elle tente un maximum d'expériences.

Et puis, un soir, sur décision des mes SS\, j'ai vécu mon élévation !

Cérémonie rare, étrange, émouvante.

Je changeais de monde. Je regardais une dernière fois l'Etoile Flamboyante avant de lui tourner le dos, pour découvrir un spectacle insolite, à peine visible, baignant dans une atmosphère indéfinissable.

Pas un bruit, pas un mouvement, seule une voix s'adressait à moi.

Je découvrais un univers insoupçonné.

Mais ce que j'ai découvert, bien plus tard, c'est l'existence de la branche d'acacia. Car le soir de mon passage au 3ème degré je n'ai pas décelé la présence de ce 3ème symbole végétal, encore plus discret que les 2 précédents.

Son nom, pourtant mentionné lors du dialogue des 2 Surveillantes, n'avait pas spécialement retenu mon attention malgré l'éveil de tous mes sens.

Cette plante que nous vénérons en Chambre du Milieu se présente sous une multitude de variétés. Mais qu'importe s'il s'agit d'un robinier ou d'un mimosa. L'important est de saisir son message. Les épineux revêtent une importance capitale car ils demeurent l'emblème de la jeunesse sans fin, assimilable à une immortalité.

Ils piquent et font couler le sang du haut vers le bas, du Ciel vers la Terre qui l'absorbe et s'en nourrit. Or faire couler le sang constitue un acte essentiel, garant de l'établissement et de la continuité de la vie.

La légende d'Hiram s'est fortement inspirée de l'Eneide de Virgile : Enée, découvrant le prince Olympiodore assassiné, arrache des branchages du sol pour en désigner la place. Des gouttes de sang s'écoulent des tiges, manifestant que la vie perdure toujours, même là où on la pensait disparue.

« Oui il est dit que la connaissance repose à l'ombre de l'acacia ». C'est en effet, sous le signe de l'acacia que gisait le cadavre d'Hiram.
Ragon enseigne que son

« bois incorruptible symbolise la pureté del'Ordre Maçonnique que rien ne peut altérer » que
« son écorce repousse tout insecte malfaisant, comme la Maçonnerie repousse tous les vices » et qu'enfin,
« ses feuilles, inclinées pendant la nuit, se redressent à l'apparition du soleil et à mesure que cet astre s'élève, exactement comme l'intelligence du néophyte se développe et grandit à mesure qu'il monte en grade ».

L'arbre a une longue histoire intimement liée à celle de l'humanité. Il représente le Cosmos vivant en perpétuelle régénérescence. Il est la 1ère création terrestre unissant le Ciel et la Terre ; colonne qui permet à l'homme de passer de la matière obscure et souterraine d'où il est issu à l'énergie lumineuse qui l'anime et vers quoi il tend.

Le mot « acacia » pourrait venir du grec « aké » signifiant « pointe ». Il peut venir aussi de « akantha » signifiant « épine, piquant », soit « arbre comportant des épines ». Une autre interprétation décompose le mot en « a » privatif et « kakos » signifiant « mal, vice ».

Acacia signifierait alors « absence de mal, innocence, pureté ». Depuis les temps les plus anciens, l'acacia est un emblème solaire.

Les Egyptiens regardaient l'acacia comme un arbre sacré. Il était révéré chez les Anciens Arabes, particulièrement dans la tribu Ghalfon, il était aussi le principal objet de culte de la tribu de Corest. L'acacia qu'honoraient les Jubéens et dont les initiés portaient un rameau, se nommait chez ces peuples « Houzza ».

Le vivat écossais « Houzzé » prouve que ce cri de joie tire son nom du rameau des initiés. Aussi, l'acacia, arbre sacré des Maçons, est-il comparable au gui des Druides, au buis des Chrétiens. Le Temple de Salomon est bâti pour recevoir l'Arche d'alliance, faite de bois d'acacia et recouverte de plaques d'or, à l'intérieur comme à l'extérieur, protégeant ainsi le bois. Sans elle, le Temple perd toute valeur et tout sens, n'ayant plus de raison d'être.

Plus tard, certains récits chrétiens prétendent que la couronne d'épines et la croix du Christ avaient été faites en bois d'acacia, en annonce de sa résurrection et de sa royauté spirituelle. Mais, revenons à la cérémonie d'élévation !

Je ne vous retrace pas la légende d'Hiram que vous connaissez et je suis sûre que vous m'en saurez gré !

Il faut, pourtant, que je vous avoue qu'une question m'a longtemps taraudée : la branche d'acacia fut-elle planté sur le tertre par l'un des 3 mauvais CC\ en signe de sépulture, ou bien le fut-elle par l'un des MM\ chargés de retrouver le corps de l'architecte pour marquer l'emplacement, avant de repartir aviser le roi Salomon de la funeste trouvaille ?

En effet, comment imaginer la délicatesse des mauvais CC\ allant jusqu'à honorer la sépulture de leur victime et quelle vertu pouvait encore guider une main assassine ?

Mes recherches m'ont appris que les Hébreux mettaient toujours un rameau vert dans la terre où l'on venait d'ensevelir quelqu'un. Il ne s'agissait pas de symboliser quelque immortalité que ce soit, non, ceci résultait du caractère impur et tabou attaché au mort comme à ceux qui l'avaient touché ou transporté. Comme il fallait signaler au passant éventuel qu'il risquait de marcher sur quelques m2 d'une terre devenue elle aussi impure, on la désignait en la marquant d'un rameau. Cette explication est acceptable, mais pourquoi qualifier les éléments d’« impur et tabou » ? La mort serait-elle honteuse, déshonorante, indécente ?

Mais après tout, la légende d'Hiram n'est pas une chronique historique, mais un récit initiatique !

Le Maître Hiram est frappé par 3 coups, l'ignorance, le fanatisme, l'envie. Le dernier coup fatal, porté au front, entraîne la chute de son corps, mais permet à son esprit de se libérer de sa prison charnelle et de s'élever vers le zénith.

Hiram meurt et son cadavre se décompose.

MOABON ne signifie-t-il pas « Fils de la putréfaction » ?

Les envoyés de Salomon découvrent le corps de l'architecte grâce à la présence d'un rameau d'acacia sur une terre fraîchement remuée. Déjà le symbolisme de résurrection s'allie étroitement à celui de la mort et putréfaction. Mais on comprend aussi que l'acacia symbolise le savoir, la tolérance et le détachement qui permettront au futur M\ de dominer ses faiblesses et de diriger son chemin, sa quête, son ego.

Dans le tableau présent, le rameau représente la vie au milieu de la mort, et montre l'aboutissement du rite initiatique : mourir à une forme de vie pour renaître à une autre forme. Cette simple branche témoigne que tout n'est pas mort. Chacun, chacune, en toute liberté de conscience peut interpréter, extrapoler, rêver ou même douter. La F\ M\ laisse à chacun, chacune, la libre compréhension et la libre appréciation de son insertion dans ce monde. Toutefois, nous ne pouvons pas ne pas faire le rapprochement avec la légende du Phoenix, d'Osiris ou du Christ, c'est-à-dire avec le mythe traditionnel de la mort-résurrection. La mort est bien indispensable à la régénération, car tout être existant s'érode au fil du temps. D'autres parallèles, aussi, sont comparables : le meurtre d'Hiram se superpose à celui d'Abel assassiné par Caïn.

Abel, projection voilée d'un état originel et idéal, n'est-il pas ce pôle supérieur de l'Humanité auquel s'oppose Caïn, l'homme de la chute, le représentant du genre humain dans tout ce qu'il a de plus profane et de désacralisé ?

Après ces quelques lignes de réflexion, j'ai envie de penser que l'acacia est tout simplement le symbole de l'incorruptibilité, de la probité, de la loyauté, de l'intégrité, de la responsabilité. Le Maître idéal a résisté mais a succombé sous les assauts des vices, ces maladies de l'âme dont le Mâcon veut se guérir en taillant sa pierre.

Et pour tailler sa pierre, le profane est devenu Mâcon et a été accueilli discrètement par les grenades bienveillantes. Son chemin a croisé l'épi de blé qui lui a montré l'ambiguïté de la vie et les difficultés du discernement.

Enfin, l'acacia s'efforce de lui faire comprendre qu'il fait partie d'un Tout, du Cosmos, et que la Beauté, la Force et la Sagesse sont à étudier précieusement. L'ego doit être dompté pour faire place à une discipline personnelle débouchant sur la mansuétude universelle. La F\ M\ ne diffuse aucune croyance : elle aide chacun à trouver de quelle manière agir intérieurement pour que quelque chose change dans le monde, pour que la conscience naturelle du monde puisse s'ouvrir sur une vie nouvelle. Mais si rien n'est entrepris, si rien n'est fait, rien ne changera jamais pour le profane. Quand le désir de s'améliorer prend suffisamment d'importance dans notre cœur, une porte s'ouvre et transforme l'ordinaire en conscience supérieure.

L'homme est la plus grande énigme qui puisse être donnée à l'homme d'étudier.

En ce qui me concerne personnellement, j'ai choisi de lever les yeux vers la voûte étoilée, de faire le bien et de ne pas faire de bruit, car je crois avoir compris que le bruit ne fait pas de bien et que le bien ne fait pas de bruit. (Louis-Claude de Saint-Martin)
J'ai dit.


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