Obédience : NC Loge : NC 23/01/2014

L’Acacia

Il y a peu de temps, je discutais avec un confrère Maître-Verrier lorsqu’il me demanda –mine de rien- pourquoi j’avais appelé mon atelier de vitrail « le Triangle de Verre », je lui répondis que…Poligny se trouvait au sein du Triangle d’or touristique du Revermont, que…j’aimais cette figure géométrique et que…j’avais trouvé des marques de tailleurs de pierre en forme de triangle sur les murs extérieurs du bâtiment, tout cela est vrai…

Cette réponse ne parut pas le satisfaire entièrement, puisqu’il insista : « Et il n’y a pas d’autre raison ? » Flairant un peu où il voulait en venir, je lui répondis « est-ce que par hasard, tu ferais référence à l’acacia qui pousse dans mon jardin ? », ça aussi c’est vrai…et très rapidement, nous nous rendîmes compte que l’acacia nous était connu à l’un comme à l’autre !

Tout comme l’olivier, le figuier, le myrte, le laurier, le gui, le buis ou le cèdre, l’acacia fait partie de ces essences d’arbres omniprésents dès l’Antiquité dans tout le bassin méditerranéen.

L’Arche d’Alliance, la table, l’autel des parfums, quatre colonnes et d’autres ornements du temple sont faits de bois d’acacia plaqué d’or nous dit l’Exode en de nombreux passages. Le buisson ardent et la croix du Golgotha seraient en acacia, tout comme la couronne d’épines du Christ ; et bien sûr, notre rituel du troisième degré enseigne que c’est une branche d’acacia qui permet de repérer la tombe de Maître Hiram.

Ces références démontrent que, au cœur des traditions judéo-chrétiennes, cet arbre au bois dur, quasiment imputrescible, aux épines redoutables et aux fleurs de lait et de sang est un symbole solaire de renaissance et d’immortalité. (« Il faut savoir mourir pour naître à l’immortalité » écrit Gérard de Nerval dans son ouvrage symbolique « Le voyage en Orient », évoquant ici la légende de la mort d’Hiram). L’histoire d’Hiram se rattache ainsi au thème de la descente aux enfers de divers héros mythiques porteurs de rameaux.

On peut par exemple s’interroger sur les analogies que représente le récit hiramique avec la descente d’Enée aux Enfers où le héros ne pouvait retrouver son père que grâce au rameau d’or « détaché sans effort », ou par un autre mythe rapporté par Virgile, relatif à la légende de Priam, roi de Troie, qui avait envoyé son fils Polydore, porteur d’une importante somme d’argent, au roi de Thrace ; mais les Thraces assassinèrent Polydore et l’enterrèrent en cachette. Enée, lorsqu’il entra dans le pays, arracha accidentellement un rameau d’un buisson qui se trouvait près de lui à flanc de coteau, il découvrit alors la dépouille de Polydore…

De quel arbre parle-t-on ? On dénombre environ 600 espèces d’acacia dont la plupart vivent dans les régions tropicales. Sans rentrer dans des considérations botaniques roboratives, la question se pose toutefois… Le choix d’un végétal n’est pas fixé, les transcriptions primitives parlent seulement d’arbrisseau ou de brindille. Comme pour de nombreux autres éléments, les références végétales du mythe viennent de la Bible. L’acacia Hiramique n’est donc pas le faux acacia ou robinier de nos climats tempérés car ces arbres possèdent des feuilles caduques, et donc incompatibles avec le symbole d’immortalité qu’ils sont censés représenter !

OFF « et puisque l’on me posera forcément une question au sujet du MIEL d’ACACIA, autant y répondre de suite. C’est du robinier que les abeilles tirent ce miel précieux. Et pour produire 500 grammes de miel, elles effectuent 17 000 voyages, ayant visité 8 700 000 fleurs, le tout représentant plus de 7 000 heures de travail ! »

Pourtant, l’acacia maçonnico-biblique pose un problème. S’agit-il du CASSIER ? Arbre antillais, donc probablement inconnu du monde antique, à moins que…) plante aromatique plusieurs fois citée dans la Bible (Exode 30,24 ; Ezéchiel 27,19) dont l’extrait de la pulpe entre dans la composition de l’huile d’onction sainte (Exode 30,24) et est apte à protéger de la décomposition le cadavre de l’architecte, à la façon des embaumements égyptiens ainsi que l’affirme la DEFENSE OF FREEMASONRY de 1765 et plus tard, Edouard Plantagenet ? Notons que cette version est déjà donnée deux fois dans SAMUEL PRICHARD’S MASONRY DISSECTED de 1730 : « Alors ils le recouvrirent soigneusement et, comme ornement supplémentaire, placèrent un pied de Cassia à la tête de la tombe. Ils partirent ensuite pour informer le roi Salomon ». On retrouve cette même interprétation dans la deuxième édition des Constitutions d’Anderson de 1738 : « On nous dit qu’un rameau de Cassier fut placé par les frères à la tête de la tombe d’Hiram, ce qui se rapporte à une vieille coutume de ces pays d’Orient d’embaumer les morts, le Cassier était toujours utilisé dans cette opération, surtout pour préparer la tête et assécher le cerveau, comme Hérodote l’explique ».

Le plus grand nombre d’auteurs penche pour l’acacia Sittâh ou Shittim ou Seyal, arbre du désert à fleurs jaunes et à aiguillons géminés particulièrement aigus, au bois léger, très dur, qui se conserve longtemps et devient presque noir en vieillissant, et dont on extrait la véritable gomme arabique.

Le nom hébraïque de cet arbre est CHITAH, son initiale Chyinn réfère au feu ou vibration fuégienne originelle, sa deuxième lettre Teth évoque ontologiquement la perfection archétypale, le serpent de la connaissance et la constellation solaire/fuégienne du Lion, sa finale He est l’essence de vie, le souffle créateur, l’être et la constellation martienne/fuégienne du Bélier. Tout cela est donc plein de feu masculin.

Son total guématrique ou puissance vibratoire de 300 + 9 + 5 donne un magnifique 314 qui nous renvoie au PI de la géométrie, mais aussi au mot Chaddaï, signifiant Tout-Puissant et qui est un des noms divins…

Dans le Sinaï, une tradition relate que cet arbre représente la mort, parce que rien ne pousse aux alentours, tant ses longues racines (on en a vu de plus de 50 mètres !) sont avides de la moindre trace d’humidité.

La Bible des Septante traduit l’hébreu Sittâh ou Shittim par ASEPTOS, signifiant « imputrescible », confortant l’acacia dans son symbolisme d’incorruptilité et d’immortalité. Dans le « Recueil précieux de la maçonnerie adonimarique » de 1787, le choix de l’acacia est justifié par la référence à des traditions apocryphes qui font de ce bois l’élément de la croix et/ou de la couronne d’épine du Christ comme exposé ci-dessus.

René Guénon compare les rayons de la couronne du Christ aux rayons du soleil, d’autres auteurs insistant sur le symbolique solaire triomphant, notamment Jules Boucher qui distingue expressément l’acacia du mimosa, ce dernier étant d’origine australienne ou brésilienne selon le Petit Larousse, et que l’on appelle aussi « sensitive » car ses feuilles se replient au moindre contact. Son nom vient du latin « mimus » : « qui se replie comme un mime ». Le mimosa des fleuristes est du genre acacia.

En Israël, les bédouins reconnaissent au moins cinq espèces d’acacia.

Quel que soit le choix, le végétal d’Hiram s’inscrit dans l’acceptation universelle de l’assimilation au rameau d’or et de l’arbre de vie. Le symbole de l’acacia rejoint donc l’idée d’initiation et de connaissance des mystères éternels, antiques et occultes et c’est bien ainsi dans ce sens qu’ACACIA doit être compris comme mot de passe du Maître Parfait. A noter qu’un rituel du Suprême Conseil de 1829 parle d’initiés qui dans l’ancienne Egypte portaient un rameau d’acacia qu’ils appelaient HOUZZA, le Tuileur de Vuillaume de 1830 indique que les arabes se servaient de ce mot dans leurs acclamations, une pratique à rapprocher à celle relative à l’entrée du Christ à Jérusalem, salué par les cris de Hosanna par des porteurs de rameaux.

Seul élément coloré et lumineux, visible lors de toute la cérémonie d’élévation au grade de Maître, l’acacia peut être défini comme une force vitale qui perdure, un message de joie et d’espérance, un gage de paix, signe annonciateur d’alliance. La racine du latin acacia vient du mot grec a-cakia signifiant « qui est sans mal, innocent, intègre », évoquant l’attitude et l’inclination du cœur de tout maçon dans la poursuite de son œuvre, à l’intérieur, comme à l’extérieur du temple. De même l’aspect imputrescible de ce bois est à l’image des germes d’incorruptibilité qu’un nouveau Maître doit chercher désormais à développer en son sein. Il ne doit pas se laisser rebuter par les piqûres d’épines de l’arbre qui correspondent à la continuité des épreuves auxquelles il doit faire face.

Proclamer « l’acacia m’est connu » est une façon de dire que l’on a vécu en conscience le drame d’Hiram et ce qui en résulte. Pour chaque maçon, l’acacia doit constituer un rappel permanent à lutter contre les trois mauvais compagnons que sont le fanatisme, l’ambition et l’ignorance.

Le symbolisme de l’acacia est universel et toujours lié au sacré.

Chez les Egyptiens, l’acacia (dont la traduction littérale est « ce qui donne la félicité ») était considéré comme un arbre sacré sur les feuilles duquel le dieu Thot et la déesse de l’écriture étaient réputés transcrire les divers noms du pharaon pour lui souhaiter prospérité et longue vie.

En Afrique, une légende Bambara explique que l’acacia est à l’origine du rhombe, cet instrument de musique fait à partir d’une plaquette de bois qui aurait été taillée par le premier forgeron, encore enfant, cherchant à fabriquer un masque. Une esquille de bois d’acacia se serait détachée et projetée au loin, elle produisit un son semblable au rugissement d’un lion, le jeune forgeron eut alors l’idée de reproduire ce bruit en perçant d’un trou le morceau de bois, puis à le faire tournoyer au bout d’une ficelle. Cette rotation émet alors un grondement assimilé à la voix des esprits des ancêtres, mais aussi au vaste complexe symbolique de l’orage et de ses attributs que sont le tonnerre, l’éclair, la foudre et la pluie, autant d’attributs de la colère divine et donc du déchaînement des forces ouraniennes primordiales.

En Inde, la louche sacrificielle attribuée à Brahma est également en bois d’acacia.

En résumant, on constate que l’acacia est lié à des valeurs religieuses, comme une sorte de support du divin, dans ses aspects solaires et triomphants. L’acacia symbolise aussi la transition entre le travail accompli sur un plan et le travail à faire sur un autre plan, celui de la connaissance métaphysique. De même qu’il symbolise le passage vers l’Orient Eternel et la renaissance à la lumière : les branches d’acacia ornaient autrefois les annonces nécrologiques des Francs-Maçons et on en disposait également dans la tombe.

Au travers de cette symbolique végétale, on voit une progression vers la découverte et l’intériorisation de la lumière. On peut considérer qu’il y a une analogie entre chaque nouveau Maître et le rameau d’acacia. Lors de l’élévation, le récipiendaire prend racine et le rameau doit devenir de plus en plus solide afin que chacun rayonne tel un arbre de lumière et de connaissance.

La connaissance ne repose-t-elle pas « à l’ombre de l’acacia » ?

Selon notre frère Goblet d’Alvilla « La chair a beau quitter les os, la sève n’est jamais tarie dans la branche d’acacia ».

Très Vénérable Maître, Vénérables Maîtres, j’ai dit…

B\ T\


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