Obédience : NC Loge : NC 14/01/2013


Chagall et la Franc Maçonnerie ou un peintre Maçon très discret

Traiter « franc maçonnerie et peinture » est une tâche difficile, complexe car il y a étonnement très peu de peintres francs maçons. Le conservateur du musée de la GLNF en recense seulement depuis le 18ème siècle, une dizaine.

Alors pourquoi un si petit nombre ?

Une des idées avancées est que le peintre ne peut exprimer son engagement maçon sans se dévoiler. De surcroît, les artistes vivent le plus souvent du mécénat et il était tout particulièrement difficile au 18ème de trouver des mécènes prêts à subventionner des idées subversives. Toutefois, avec l'arrivée de la peinture abstraite, les peintres maçons ont eu plus facilement le loisir de s'exprimer sans se dévoiler ouvertement.

Ce qui nous laisse penser que le chiffre avancé sous estime le nombre de peintre maçon. Comme il était difficile de faire l'historique de la peinture maçonnique, j'ai choisi d'envisager ce travail à travers un seul peintre, Chagall, qui plus est, en exposition dans notre région à la Piscine de Roubaix.

En effet, ce peintre n'a jamais parlé de son appartenance maçonnerie mais il témoignera de son engagement maçonnique tout au long de son œuvre et c'est ce que je vais essayer de démontrer.

Marc Chagall ou plutôt Moshe Zakharovich Chagalov est né à Vitebsk en Bielorussie en 1887. Comme on le verra, il a été bercé par la F\ M\ russe du 18ème siècle et si l'influence du judaïsme sur son œuvre ne fait aucun doute on verra que la franc-maçonnerie prend souvent le pas sur sa judéité.

Chagall aurait été initié à Vitebsk en 1912, dans une franc maçonnerie Russe traditionnelle même si un certain nombre d'auteurs devant l'absence d'archives, défendent une thèse selon laquelle, il aurait été refusé par les loges traditionnelles russes parce que juif. Il se serait, selon eux, alors tourné vers la loge B'nai B'rith uniquement juive à Minsk. Mais toute sa peinture et on va le voir tout au long de cette planche plaide en faveur de l'hypothèse de son appartenance à la maçonnerie Russe traditionnelle et c'est ce que je vais essayer de défendre.

Quand M\ C\ est initié, il entre dans un mouvement maçonnique qui renaît de ses cendres. En effet, la franc-maçonnerie russe qui était née vers 1771 était interdite depuis 1822 car elle véhiculait des idées trop libérales. Le maçon Novikov affilié aux Rose-Croix prônait le développement non seulement de la culture russe, mais aussi de l'instruction. N'oublions pas qu'en ce temps là, subsistait encore le servage.

Le caractère particulier de la F\ M\ russe est non seulement libéral, non dogmatique mais aussi romantique, tourné à la fois vers le peuple des serfs qui souffrent mais aussi vers une introspection, c'est à dire tourné vers l'homme plutôt que vers un Dieu transcendant.

La mélancolie des hommes, le retour vers un jardin d'Eden idéalisé se retrouveront dans de nombreuses œuvres de Chagall, comme le tableau « moi et le village » (1911).

Les maçons lisent JJ Rousseau, et s’imprègnent d'une pensée tournée vers la nature bienfaitrice et bienfaisante, idée que l'on retrouve dans des œuvres telle que « couple sur fond rouge ».

Ou encore dans les pièces de Tchekhov dans la « Cerisaie » par exemple où tout commence par un : « petit père » se versant du thé près du samovar fumant.

Cette recherche personnelle, ce respect de l'individu est alors bien loin de l'ambiance de brutalité de la Grande Russie d'alors.

Les loges russes (une centaine) vont ainsi contribuer largement au succès de la révolution de février 1917. D'ailleurs, la majorité des membres du 1er gouvernement de Kerenski est franc maçonne refusant tout dogme totalitaire, prônant un retour à la nature en créant les kolkhozes quelques années plus tard, et écartant du pouvoir les religions traditionnelles.

C'est dans cet esprit que Chagall va évoluer et fréquenter les milieux intellectuels, politiques, artistiques car il n'était pas question pour lui qu'il devienne employé dans une conserverie de hareng, comme son père.

Il écrit : « Tout peut changer dans la vie et dans l'art et tout sera transformé quand nous prononçons le mot AMOUR, un mot qui est effectivement enveloppé par le romantisme. Dans ce mot amour se trouve le vrai Art, d'où vient ma technique, ma religion. L'amour doit être la base de vraies politiques qui pourraient apporter la vraie paix ».

C'est au nom de cet amour, de la fraternité que Chagall va exalter les vertus de la maçonnique russe tout au long de son œuvre.

A savoir :

- Tout d'abord, le refus de tout dogme.
- Puis, l'alliance avec la nature.
- Ensuite, une religion qui met l'homme au centre de son propos.
- Et enfin, l'utilisation de symboles.
 
Le refus de tout dogme, on va le rencontrer dans la volonté de Chagall de s'affranchir à la fois des doctrines picturales trop rigides et des idées communistes qu'il a empruntées un temps. En effet, il va tracer sa route initiatique à travers les écoles des beaux Arts à St Saint-Pétersbourg, et Paris où il côtoie les grands courants artistiques avec les cubistes, les fauvistes et même les surréalistes. Mais, très vite, il va rompre avec ces doctrines trop strictes et retourne vers son moi intérieur, son romantisme russe. De même, de retour dans son pays natal, il va rencontrer le communisme et être séduit par sa vision d'égalité et de fraternité.

Il y obtiendra même de hautes fonctions en créant l'école des Beaux Arts de Vitebsk, mais son chemin personnel, sa vision du monde, sa poésie va vite entrer en contradiction avec la rigidité du système soviétique. Comme tout franc-maçon, on le voit, il refuse toute pensée dogmatique. Ce refus de toute pensée dogmatique, sa liberté d'expression vont l'obliger à quitter la Russie. Et après un bref séjour à Berlin où il expose avec succès, il retournera s'installer à Paris.

Ce refus de tout dogmatisme va s'accompagner d'une recherche de communion avec le monde et avec la nature. Cette recherche d'un bonheur perdu va s'accentuer avec le début des persécutions nazies.

Il adhère aux idées de Spinoza qui affirmait, je le cite « la connaissance de l'union mentale avec toute la nature est donc la fin à laquelle je tends, à savoir acquérir une telle nature et faire effort pour que beaucoup l'acquièrent avec moi ». Mais cette quête d'union avec la nature va être bouleversée par la guerre.

Ces personnages alors tournent dans l'espace, secoués par le temps et les guerres accompagnés de symboles religieux pour tenter au delà du chaos de retrouver l'harmonie originelle.

La Shoah finit de bousculer toute l'harmonie du monde. L’homme n'est plus qu'un fétu de paille face aux événements mondiaux flottant dans ses espaces colorés aux teintes chaudes et vibrantes.

Cette harmonie recherchée, Chagall va la retrouver avec la Bible, les religieux juifs ou chrétiens qui tentent de donner des réponses face aux cataclysmes des guerres. Il se replie sur son enfance, sur ses amours, sur la tendresse des animaux, animaux symboliques comme le coq, la vache la chèvre.

La chèvre représente l'animal modeste mais nourricier, la vache image du « grand tout » chez les bouddhistes, mais surtout le coq. Ce coq que nous connaissons bien comme représentant la force et le courage, vertus nécessaires pour affronter la voie initiatique.

Force et courage utiles pour combattre l'ignorance, vaincre les passions et les préjugés.

Le coq chante la venue de la lumière, qu'il espère à travers les brumes de la fenêtre de sa cellule lorsqu'il est emprisonné en 1941 par la Gestapo. Libéré et parti aux USA, il gardera toujours comme philosophie le fait que l'homme est intimement mêlé à la nature.

Si le refus du dogmatisme, la recherche de l'harmonie avec la nature sont des thèmes clairement liés à la maçonnerie russe mais aussi à la notre, il n'en reste pas moins que toute l'œuvre est empreint de judaïsme comme le montre…« le tableau, la prisée » avec un rabbin prisant, mais aussi « la guerre » avec ses pogroms.

Et, c'est vraisemblablement pour cela que certains auteurs sans aucune preuve lui ont attribué une appartenance au B'nai B'rith. Pourtant, il représente les visages ce qui est souvent interdit par la religion juive. Là encore, Chagall, franc tireur et franc maçon va s'affranchir de ces contraintes et mettre l'homme au cœur de son propos religieux.

L'évolution de ses idées lui permit d'élargir son horizon religieux et idéologique puisqu'il a été appelé à décorer la Chapelle du plateau d'Assy, Notre Dame des Grâce, en Haute Savoie. Dans ce lieu chrétien, il n'hésite pas à inscrire sur les murs de la chapelle : « Au nom de la liberté de toutes les religions ». Il faut dire qu'il a prêché pour une religion universelle.

D'abord, quand Vollard son marchand de tableaux lui a fait illustrer la bible, puis dans de nombreuses œuvres postérieures qui en témoignent. Dans « le christ blanc », on voit le christ en croix (1938) entouré de religieux juifs, de désastres de pogroms. Le christ est vêtu d'un talit, châle de prière juif. Plus tard encore, nous verrons dans un autre tableau, « le christ jaune » un Christ encore plus inscrit dans une religiosité juive avec un phylactère contenant la Thora accroché au front.

L'interrogation métaphysique en tant que peintre fera de lui le chantre de la réflexion picturale sur l'au-delà. D'ailleurs, Malraux ne se trompa pas lorsqu'il lui commanda la réalisation du plafond de l'opéra de Paris.

Il savait bien qu'il fallait lever la tête au sens propre comme au sens figuré pour comprendre Chagall et que son œuvre s'élevait au dessus des préoccupations et des contradictions du quotidien exprimé par le parquet mosaïque. Son compatriote et danseur Diaghilev aurait été heureux de pouvoir s'élever dans les airs, comme Chagall nous faisait nous élever dans notre recherche personnelle grâce aux symboles disséminer dans ces toiles. Car en effet, chez Chagall tout est symbole. Dans ses tableaux nous retrouvons un foisonnement de symboles à la fois hassidiques, chrétiens et franc maçons. Ces symboles se superposent et se répondent : le poisson, par exemple :

Dans l'œuvre « le fleuve n'a point de rives », le poisson représente son père, marchand de hareng, mais aussi le symbole de la chance chez les juifs, mais encore le symbole secret des premiers chrétiens entre eux.

Nous trouvons dans cet inventaire, des menoras (chandeliers à 7 branches) symbolisant le lien entre la terre et le ciel, mais aussi des bougies, au nombre de 3 comme par hasard. Dans la toile « les amoureux » nous distinguons aussi ces bougies aux flammes vacillantes illustrant le couple uni face à l'adversité.

Ainsi on voit que Chagall, maçon discret, artiste peintre qui ne s'est jamais exprimé sur son appartenance maçonnique, dont on ne sait que le lieu et la date d'initiation, a su faire passer dans sa peinture, toutes les vertus et la grandeur de la maçonnerie. Chagall a magistralement communiqué aux hommes le message de la maçonnerie universelle. Lors de l'inauguration du Musée Chagall de Nice, il s'exprima ainsi :

« Peut-être dans cette Maison viendront les jeunes et les moins jeunes chercher un idéal de fraternité et d’amour tel que mes couleurs et mes lignes l’ont rêvé. Peut-être aussi y prononcera-t-on les paroles de cet amour que je ressens pour tous. [...] Et tous, quelque que soit leur religion, pourront y venir et parler de ce rêve, loin des méchancetés et de l’excitation. Ce rêve est-il possible ? Mais dans l’Art comme dans la vie, tout est possible si, à la base, il y a l’Amour ». Cette maison dont parle Chagall n'est elle pas l'idéal de tout loge maçonnique ?

J'ai dit.

Dominique Beaune


7035-K L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \