Obédience : NC | Loge : NC | avril 2006 |
La liberté et l’apprenti A priori, liberté et apprentissage sont deux choses bien distinctes, voire incompatibles, si on considère que le nouveau Frère n’a non seulement pas droit à la parole lors des tenues mais qu’en plus, il ne peut participer à aucune des décisions de l’Atelier. Il pourrait donc se laisser aller à penser qu’on le délivre de ses chaînes par l’initiation mais qu’on lui en remet aussitôt d’autres pour un temps dont il ne sait rien ! Il pourrait aussi, en son for intérieur, regretter un temps que décrivait Ovide, ce citoyen Romain né en 43 avant JC et banni par Auguste. - « le premier âge du monde fut appelé l’Age d’Or parce que l’homme y gardait sa foi sans y être contraint par les lois, parce que de son propre mouvement il cultivait la Justice et qu’il ne connaissait point d’autres biens que la simplicité et l’innocence. La terre donnait littéralement toutes choses sans y être contrainte par la bêche ou par la charrue. Le printemps était éternel. On voyait couler partout des fleuves de lait et de nectar ». Il est vrai aussi que, hors du temple, ce terme de liberté a fait et continue de faire couler autant de sang que d’encre ; qu’à l’intérieur même de nos enceintes, elle est parfois source de conflits mettant à mal notre affirmation d’égalité et de fraternité. Ici et là, des tyrans se succèdent, usant des mêmes alibis, finissant par être remplacés par d’autres, parfois encore plus acharnés à clamer la liberté pour eux-mêmes et à la nier si durement pour les autres. Et comme les choses, de siècle en siècle, de continent en continent, d’obédience en obédience, ne semblent pas s’améliorer, nous pourrions dire de la liberté qu’elle est une utopie confinant à l’aberration ou bien, à l’opposé, qu’il s’agit de quelque chose que les humains ont perdu et leur serait désormais inaccessible. Ce serait fâcheusement oublier que l’objet de l’initiation est de faire naître l’Homme libre par la mort du tyran qu’il était. En fait, la liberté n’a donc rien de naturel et encore moins d’universel. Tapie au fond de tout individu, elle n’attend que sa découverte et son extraction. Héritage d’une spéculation intime déformée par les innés et les acquis, accompagnatrice de la conscience, elle serait un phénomène que les humains ne partageraient, semble-t’il, avec aucune autre espèce dans leur plan d’existence. Partage vis-à-vis duquel l’Homme n’émet un doute que lorsqu’il réalise qu’il ne peut pas ou plus se considérer comme le supérieur de toutes choses au prétexte qu’il viendrait d’un Eden originel et réservé à lui seul. Tout en lui est lié au monde dans lequel il s’est matérialisé et dont il doit subir les lois. Il lui faut apprendre en même temps les règles de son environnement et celles qui le gouvernent en tant qu’individu distinct. La difficulté augmente quand il réalise (c’est le fameux « d’où viens-tu ? ») que c’est lui-même qui a donné le signal de la sortie du ventre maternel, comme s’il savait, avant l’existence extérieure, que l’œuf n’était qu’un passage et que rester dans cet état serait se détruire en ne faisant, de toutes façons, que retarder une échéance universelle. L’Homme, avant de naître, sait qu’il va mourir et ce « à venir » le préoccupe non pas tant parce que représentant l’ultime inconnu mais parce que, comme un penseur l’a écrit, « l’épreuve véritable de la mort est l’absence de soi à soi», parce que, ne pouvant la décrire que de l’extérieur, l’homme est le seul animal qui vit sa mort avant de la subir ». La liberté serait donc l’extériorité de la personne. L’ancien Testament ajoute qu’il est l’exil, ce mal nécessaire pour la révélation du bien; ces deux termes étant exempts de tout moralisme conventionnel. Le passage dans le cabinet noir n’a donc rien d’anodin ! Pas plus que le fait que « liberté » soit le premier terme de la batterie du grade. Celui qui se dit libre est donc celui qui s’est libéré, ce qui implique lucidité introspective et démontre que la liberté est d’abord une cause. Ainsi, le silence n’est limité qu’en apparence à ce que nous dénommons le « ici et maintenant ». Il est une clef pour tous les initiés, quel que soit leur degré. Le tout est de le réaliser ! Ce qui est suggéré à l’apprenti n’est donc pas qu’il se taise parce que c’est la règle communautaire mais qu’il ouvre en lui la porte de la parole avec lui-même. S’il est appelé à se définir comme celui qui ne sait ni lire ni écrire mais seulement épeler, c’est certes par référence à un alphabet qui est un lexique projectif, mais c’est surtout pour insister sur une méthode de recherche permanente, d’extraction du sens des choses, à laquelle pousse la liberté. L’apprenti est celui qui voyage tout en étant immobile. Il apprend ainsi la vanité du temps. A l’exemple de la Nature, son travail est de décomposer et de dissoudre en lui les « pré…jugés » (ces stéréotypes, rumeurs, tabous et interdits sommaires qui font les dogmes) pour retrouver la simplicité originelle et par là, de là, se construire, se reconstruire. La liberté n’est donc pas un état mais un outil. Forcément, il y a risque : de confusion, de détournement, de retournement. Ainsi, pour certains, manger le fruit de l’arbre de vie est un acte libérateur. Pour d’autres, c’est un crime. Or, l’interdiction initiale est en fait une désignation et, par conséquence, une invitation à transgresser. L’Homme libre est celui qui bouscule l’interdit, en toute conscience mais toujours avec discrétion car il n’est point missionnaire sauf de lui-même. Progressivement, l’apprenti va comprendre que la vraie maçonnerie est celle qui se vit dans l’espace que l’Homme partage avec les autres créations mais pour l’instant, il est en quelque sorte protégé de lui-même. Plus tard viendra le temps de la prise de risque que l’on appelle maîtrise… C’est alors seulement qu’il se révélera libre ou encore esclave et ne le saura qu’en franchissant la porte d’Orient. Sa foi annoncée en un principe supérieur ne sera plus une hypothétique option mentale, béquille ou addiction, mais le résultat d’une lente maturation, souvent difficile voire rebutante. Surtout quand on se souvient que Caïn, en tuant Abel, va provoquer la naissance de Seth… Que la lignée du premier, dont Tubalcaïn, sera celle des bâtisseurs et l’autre, par Noé, celle de ceux qui se contentent d’exister et de se multiplier. Dans son « Le gai savoir des bâtisseurs » Daniel Bérésniak explicite clairement que l’initié est celui qui apprend à maîtriser la peur, à fuir l’idolâtrie et à se dégager de la matérialité mais sans la nier. Il est libre parce que le chantier sur lequel il œuvre est celui d’un vécu qui sera dépassé, parce qu’il a compris qu’il doit d’abord, comme tout récipient, recevoir pour donner, parce qu’il y apprend à devenir celui qui transmettra ensuite. La liberté est donc partie intégrante du secret maçonnique. L’intelligence peut être pourchassée, muselée. Elle ne peut pas être réduite. On pourrait également rapprocher la Liberté de la tolérance. En effet, cette dernière a aussi pour sens l’acceptation de l’épreuve sans se plaindre. Comme l’écorce d’un arbre, l’apprenti s’est soumis aux conditions de l’admission mais pour mieux préserver son intégrité intérieure. Quant au salaire annoncé, il se distingue de celui du monde profane par le fait qu’il n’est pas l’échange contre l’effort accordé mais l’encouragement à une implication plus forte encore. Dans son « Contrat Social », Jean-Jacques Rousseau disait déjà que « L'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ». Le bonheur serait donc fils de la liberté. « C'est du bon usage du libre arbitre, que vient le plus grand et le plus solide contentement de la vie » écrit Descartes à Christine de Suède, 20 novembre 1647. Plus tard, Un George Bernard Shaw ajoutera que « la Liberté implique responsabilité. C'est pourquoi la plupart des hommes la redoutent ». J\ M\ |
7010-I | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |