Obédience : NC Loge : NC Février 2000



La Liberté est ce qui exige la plus grande Discipline
Yehudi Menuhin

Quelques définitions.

Pour chaque concept on n'a retenu que les aspects qui se trouvent au plus près du sens de la citation de Ménuhin.
La Discipline peut s'entendre ici comme la soumission à des règles. Ces règles peuvent être édictées extérieurement à l'individu (par exemple par les instances gestionnaires des institutions); elles peuvent aussi être générées par l'individu lui-même, elles constituent alors une autodiscipline.
La construction des règles auto-disciplinaires se trouve influencée par le contexte social, elles ne sont donc jamais totalement indépendantes des institutions.

L'Exigence est une nécessité, une obligation, ce qui est commandé par cette obligation. Dans le contexte de la citation analysée il s'agit de l'obligation faite au sujet, par lui-même ou par des instances extérieures d'avoir à respecter les règles disciplinaires et auto-disciplinaires.
L'exigence se traduit ainsi par des contraintes, obligations créées par les règles en usage, une nécessité, les circonstances, etc...

La Liberté peut s'entendre de très diverses façons. On pose ici une première définition, minimaliste, qui permettra ensuite quelques développements.
La liberté peut se définir comme le pouvoir d'agir selon sa propre volonté et son intelligence, sans être soumis à des forces intérieures d'ordre irrationnel (émotions, passions, habitudes etc.) ou à des contraintes extérieures (pouvoir abusif, légitime ou non).
Ces définitions appellent des commentaires et des extensions.
La liberté s'apprend. Bien que caractéristique de l'être humain la liberté n'est pas innée, ne nous est pas donnée d'emblée, dans toute son acception. C'est un potentiel dont la réalisation demande des conditions favorables. Une telle réalisation suppose l'autonomie, donc la possibilité de satisfaction des besoins essentiels, et la responsabilité. Etre libre s'apprend, comme apprentissage de la responsabilité.
La Liberté est un concept abstrait, une Valeur, inscrite dans un système de Valeurs, donc dans une Ethique. Parler d'apprentissage de la liberté, c'est renvoyer à l'apprentissage de la citoyenneté, mais c'est aller au delà, jusqu'à l'atteinte d'une éthique humaniste. En ce sens la Liberté implique nécessairement l'égalité, la fraternité, la solidarité. On n'est pas vraiment « libre » si les autres hommes ne le sont pas. Notre éthique maçonnique pose aussi la Liberté absolue de conscience. Comme l'a dit Jean Moulin « Il est des ordres qui cachent les plus grands désordres ».

Aspect négatif. Discipline et Liberté sont dans un rapport dialectique, à la fois positif et négatif, dans une relative opposition. L'aspect positif, exprimé dans la citation de Menuhin, pose que la discipline est nécessaire à la liberté, qui ne saurait s'en passer, puisque « la liberté est ce qui exige la plus grande discipline ».

L'aspect négatif est occulté dans cette citation. Les contraintes disciplinaires constituent aussi des entraves à la liberté. Par exemple, les contraintes imposées par des situations (familiales, organisationnelles, étatiques...) où l'individu est privé de liberté.
La discipline est nécessaire, mais non suffisante, pour instaurer la liberté; elle est nécessaire, mais non suffisante, à son maintien.

On peut considérer différentes catégories de libertés, des libertés plus spécifiques, individuelles ou collectives. On s'interrogera sur leurs rapports avec l'exigence disciplinaire, et l'acquisition de leur plein exercice. Loin de chercher à énumérer un grand nombre de ces libertés, nous avons retenu quelques exemples, propres à éclairer les relations de ces libertés avec l'exigence de discipline.
Au titre des libertés individuelles, citons, pour exemple, la liberté de choix parmi des activités optionnelles d'apprentissage, non imposées par l'institution. Cette liberté peut s'exercer négativement, par élimination, pour réduire au minimum l’implication personnelle. Elle peut s'exercer positivement, dans le sens d'un choix motivé par le désir d'un progrès personnel, d'un travail sur soi (nous choisissons notre pierre). La réalisation d'un tel objectif exige l'acceptation de contraintes fortes, la soumission à une discipline à la fois externe et auto-générée.

Yehudi Menuhin, génie de la musique, et humaniste, le sait : l'apprentissage de la musique exige une discipline de fer, des renoncements douloureux, le choix de l'exigence. Ce n'est qu'après ce long cheminement que viendra la liberté dans l’exécution, liberté maîtrisée d'ailleurs, limitée par les contraintes de l’œuvre elle-même.
Ce n'est qu'à ce prix que pourra venir la véritable liberté du créateur, liberté presque totale, mais cependant limitée par les lois physiques, imposées, et par la nécessité de se faire entendre, comprendre, de transmettre. Cette exigence, auto-régulée, dépend de l'individu créateur, de ses propres choix humanistes. J'ai entendu Menuhin le dire, on n'a jamais fini d'apprendre, on ne peut atteindre la liberté dans la musique qu'au prix d'une discipline jamais relâchée.

D’autres libertés individuelles auraient pu être citées, la liberté de penser, entre autres. Dès ce niveau des libertés individuelles il faut souligner que l'homme n'est pas seul. Je suis libre de penser, certes, mais ma manière de penser, le contenu de ce que je pense, dépendent largement de la société, des groupes humains auxquels j'appartiens. Ces influences, bien qu'importantes, ne constituent pas un cadre entièrement déterministe. Le sujet, en même temps qu'il construit sa pensée à l'aide des matériaux socialement obtenus dans les interactions humaines, modifie ces interactions, dans une dynamique de l'altérité.

Ainsi, dès que l'on évoque les possibilités d'agir, de s'exprimer selon ses propres choix, on se situe dans le domaine des libertés qui relèvent des relations entre l'individu et son environnement humain. La limite de la liberté individuelle est sa rencontre avec la liberté d'autrui. Ici aussi le rôle de la discipline est clairement souligné. Seul le respect de cette discipline socialement régulée permet la liberté de chacun.
Les libertés collectives, ou libertés institutionnelles, dépendent dans une large mesure du cadre politique, gestionnaire, institutionnel, où elles s'inscrivent. Dans tous les cas elles dépendent, pour leur exercice, des exigences de disciplines qui régulent la vie collective.
Menuhin, après avoir été apprenti est devenu un maître. Après avoir été violoniste dans l'orchestre, puis soliste, il a dirigé l'ensemble des musiciens. Un orchestre est une assez bonne représentation de la vie sociale organisée. Chaque participant doit respecter strictement les règles, pour que le produit soit musique et non cacophonie, ordre et non cahot. Un Chef d'Orchestre est pour cela nécessaire.

La liberté évoquée par Menuhin est envisagée dans un contexte de société développée. Nous savons qu'une grande partie de l'humanité ne bénéficie pas de la simple liberté de satisfaire ses besoins vitaux. Nous savons aussi que même dans les cas moins extrêmes il est fréquent de voir dénier en fait les libertés acquises en droits. Si la liberté envisagée dans ses aspects les plus abstraits, ne semble pas s'appliquer à ces cas, on peut souligner le caractère comparatif de la phrase de Menuhin. La liberté c'est ce qui exige la plus grande discipline. Dans les conditions de vie qui sont les leurs les peuples opprimés par les hommes ou par la seule misère ne peuvent préserver leur liberté intérieure, ne bénéficient pratiquement d'aucune liberté collective. Les conquérir ou les améliorer suppose une lutte cohérente, solidaire. On devient plus libre alors si on est plus solidaire, mais plus de solidarité exige plus de discipline...
Souvenons-nous des Loges Maçonniques qui ont travaillé dans les camps de prisonniers, et de concentration.

Quelques remarques.

Ce texte est issu des contributions de nombreuses SS\ de l'Atelier, et particulièrement du groupe des Apprenties et de celui des Compagnonnes.

Cette synthèse ne prétend pas à l’exhaustivité. Plusieurs remarques importantes n'y ont pas trouvé directement leur place, mais pourraient entrer comme exemple dans l'un des points, il a semblé nécessaire de les citer ici.

- « L'homme de tous temps a voulu la sécurité la stabilité et a confié à d'autres le soin de gérer sa vie parfois au détriment de sa liberté », mais en lui continue de vivre le désir de créer, rêver, vouloir l'impossible.

- « ...être discipliné c'est être organisé ». La liberté dépend donc de l'organisation, qui, elle, exige la discipline.
Une réflexion porte sur le long travail, les combats et les efforts persévérants pour conquérir la démocratie, rédiger et voter des lois qui permettent la liberté de tous. L'histoire de l'instauration des libertés démocratiques dépend donc très largement des efforts collectifs, donc de la discipline.
 
On évoque aussi la discrimination dont de nombreuses femmes sont encore victimes, et dont sont victimes aussi des immigrés, des minorités diverses. Comment être libre dans de telles conditions ?
A propos des victimes de handicaps ou de maladies il est dit « L'esprit peut être libre, mais les problèmes physiques limitent sérieusement cette liberté ». –« il faut la discipline de tous pour que tout le monde soit soigné équitablement dans le domaine médical ».
 
F\ W\


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