La Liberté
est ce qui exige la plus grande Discipline
Yehudi Menuhin
Quelques définitions.
Pour chaque concept on n'a retenu que les aspects qui
se trouvent au plus près du sens de la citation de
Ménuhin.
La Discipline peut s'entendre ici comme la soumission à des
règles. Ces règles peuvent être
édictées extérieurement à
l'individu (par exemple par les instances gestionnaires des
institutions); elles peuvent aussi être
générées par l'individu
lui-même, elles constituent alors une autodiscipline.
La construction des règles auto-disciplinaires se trouve
influencée par le contexte social, elles ne sont donc jamais
totalement indépendantes des institutions.
L'Exigence est une nécessité, une
obligation, ce qui est commandé par cette obligation. Dans
le contexte de la citation analysée il s'agit de
l'obligation faite au sujet, par lui-même ou par des
instances extérieures d'avoir à respecter les
règles disciplinaires et auto-disciplinaires.
L'exigence se traduit ainsi par des contraintes, obligations
créées par les règles en usage, une
nécessité, les circonstances, etc...
La Liberté peut s'entendre de très diverses
façons. On pose ici une première
définition, minimaliste, qui permettra ensuite quelques
développements.
La liberté peut se définir comme le pouvoir
d'agir selon sa propre volonté et son intelligence, sans
être soumis à des forces intérieures
d'ordre irrationnel (émotions, passions, habitudes etc.) ou
à des contraintes extérieures (pouvoir abusif,
légitime ou non).
Ces définitions appellent des commentaires et des extensions.
La liberté s'apprend. Bien que caractéristique de
l'être humain la liberté n'est pas
innée, ne nous est pas donnée
d'emblée, dans toute son acception. C'est un potentiel dont
la réalisation demande des conditions favorables. Une telle
réalisation suppose l'autonomie, donc la
possibilité de satisfaction des besoins essentiels, et la
responsabilité. Etre libre s'apprend, comme apprentissage de
la responsabilité.
La Liberté est un concept abstrait, une Valeur, inscrite
dans un système de Valeurs, donc dans une Ethique. Parler
d'apprentissage de la liberté, c'est renvoyer à
l'apprentissage de la citoyenneté, mais c'est aller au
delà, jusqu'à l'atteinte d'une éthique
humaniste. En ce sens la Liberté implique
nécessairement l'égalité, la
fraternité, la solidarité. On n'est pas vraiment
« libre » si les autres hommes ne
le sont pas. Notre éthique maçonnique pose aussi
la Liberté absolue de conscience. Comme l'a dit Jean Moulin
« Il est des ordres qui cachent les plus
grands désordres ».
Aspect négatif. Discipline et
Liberté sont dans un rapport dialectique, à la
fois positif et négatif, dans une relative opposition.
L'aspect positif, exprimé dans la citation de Menuhin, pose
que la discipline est nécessaire à la
liberté, qui ne saurait s'en passer, puisque
« la liberté est ce qui exige
la plus grande discipline ».
L'aspect négatif est occulté dans
cette citation. Les contraintes disciplinaires constituent aussi des
entraves à la liberté. Par exemple, les
contraintes imposées par des situations (familiales,
organisationnelles, étatiques...) où l'individu
est privé de liberté.
La discipline est nécessaire, mais non suffisante, pour
instaurer la liberté; elle est nécessaire, mais
non suffisante, à son maintien.
On peut considérer différentes
catégories de libertés, des libertés
plus spécifiques, individuelles ou collectives. On
s'interrogera sur leurs rapports avec l'exigence disciplinaire, et
l'acquisition de leur plein exercice. Loin de chercher à
énumérer un grand nombre de ces
libertés, nous avons retenu quelques exemples, propres
à éclairer les relations de ces
libertés avec l'exigence de discipline.
Au titre des libertés individuelles, citons, pour exemple,
la liberté de choix parmi des activités
optionnelles d'apprentissage, non imposées par
l'institution. Cette liberté peut s'exercer
négativement, par élimination, pour
réduire au minimum l’implication personnelle. Elle
peut s'exercer positivement, dans le sens d'un choix motivé
par le désir d'un progrès personnel, d'un travail
sur soi (nous choisissons notre pierre). La réalisation d'un
tel objectif exige l'acceptation de contraintes fortes, la soumission
à une discipline à la fois externe et
auto-générée.
Yehudi Menuhin, génie de la musique, et humaniste, le sait :
l'apprentissage de la musique exige une discipline de fer, des
renoncements douloureux, le choix de l'exigence. Ce n'est
qu'après ce long cheminement que viendra la
liberté dans l’exécution,
liberté maîtrisée d'ailleurs,
limitée par les contraintes de l’œuvre
elle-même.
Ce n'est qu'à ce prix que pourra venir la
véritable liberté du créateur,
liberté presque totale, mais cependant limitée
par les lois physiques, imposées, et par la
nécessité de se faire entendre, comprendre, de
transmettre. Cette exigence, auto-régulée,
dépend de l'individu créateur, de ses propres
choix humanistes. J'ai entendu Menuhin le dire, on n'a jamais fini
d'apprendre, on ne peut atteindre la liberté dans la musique
qu'au prix d'une discipline jamais relâchée.
D’autres libertés individuelles auraient pu
être citées, la liberté de penser,
entre autres. Dès ce niveau des libertés
individuelles il faut souligner que l'homme n'est pas seul. Je suis
libre de penser, certes, mais ma manière de penser, le
contenu de ce que je pense, dépendent largement de la
société, des groupes humains auxquels
j'appartiens. Ces influences, bien qu'importantes, ne constituent pas
un cadre entièrement déterministe. Le sujet, en
même temps qu'il construit sa pensée à
l'aide des matériaux socialement obtenus dans les
interactions humaines, modifie ces interactions, dans une dynamique de
l'altérité.
Ainsi, dès que l'on évoque les
possibilités d'agir, de s'exprimer selon ses propres choix,
on se situe dans le domaine des libertés qui
relèvent des relations entre l'individu et son environnement
humain. La limite de la liberté individuelle est sa
rencontre avec la liberté d'autrui. Ici aussi le
rôle de la discipline est clairement souligné.
Seul le respect de cette discipline socialement
régulée permet la liberté de chacun.
Les libertés collectives, ou libertés
institutionnelles, dépendent dans une large mesure du cadre
politique, gestionnaire, institutionnel, où elles
s'inscrivent. Dans tous les cas elles dépendent, pour leur
exercice, des exigences de disciplines qui régulent la vie
collective.
Menuhin, après avoir été apprenti est
devenu un maître. Après avoir
été violoniste dans l'orchestre, puis soliste, il
a dirigé l'ensemble des musiciens. Un orchestre est une
assez bonne représentation de la vie sociale
organisée. Chaque participant doit respecter strictement les
règles, pour que le produit soit musique et non cacophonie,
ordre et non cahot. Un Chef d'Orchestre est pour cela
nécessaire.
La liberté évoquée par Menuhin est
envisagée dans un contexte de société
développée. Nous savons qu'une grande partie de
l'humanité ne bénéficie pas de la
simple liberté de satisfaire ses besoins vitaux. Nous savons
aussi que même dans les cas moins extrêmes il est
fréquent de voir dénier en fait les
libertés acquises en droits. Si la liberté
envisagée dans ses aspects les plus abstraits, ne semble pas
s'appliquer à ces cas, on peut souligner le
caractère comparatif de la phrase de Menuhin. La
liberté c'est ce qui exige la plus grande discipline. Dans
les conditions de vie qui sont les leurs les peuples
opprimés par les hommes ou par la seule misère ne
peuvent préserver leur liberté
intérieure, ne bénéficient
pratiquement d'aucune liberté collective. Les
conquérir ou les améliorer suppose une lutte
cohérente, solidaire. On devient plus libre alors si on est
plus solidaire, mais plus de solidarité exige plus de
discipline...
Souvenons-nous des Loges Maçonniques qui ont
travaillé dans les camps de prisonniers, et de concentration.
Quelques remarques.
Ce texte est issu des contributions de nombreuses SS\ de
l'Atelier, et particulièrement du groupe des Apprenties et
de celui des Compagnonnes.
Cette synthèse ne prétend pas
à l’exhaustivité. Plusieurs remarques
importantes n'y ont pas trouvé directement leur place, mais
pourraient entrer comme exemple dans l'un des points, il a
semblé nécessaire de les citer ici.
- « L'homme de tous temps a voulu la
sécurité la stabilité et a
confié à d'autres le soin de gérer sa
vie parfois au détriment de sa liberté »,
mais en lui continue de vivre le désir de créer,
rêver, vouloir l'impossible.
- « ...être
discipliné c'est être organisé ».
La liberté dépend donc de l'organisation, qui,
elle, exige la discipline.
Une réflexion porte sur le long travail, les combats et les
efforts persévérants pour conquérir la
démocratie, rédiger et voter des lois qui
permettent la liberté de tous. L'histoire de l'instauration
des libertés démocratiques dépend donc
très largement des efforts collectifs, donc de la discipline.
On évoque aussi la discrimination dont de nombreuses femmes
sont encore victimes, et dont sont victimes aussi des
immigrés, des minorités diverses. Comment
être libre dans de telles conditions ?
A propos des victimes de handicaps ou de maladies il est dit
« L'esprit peut être libre, mais
les problèmes physiques limitent sérieusement
cette liberté ».
–« il faut la discipline de tous
pour que tout le monde soit soigné équitablement
dans le domaine médical ».
F\ W\
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