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De la Pierre Cubique à la pierre Philosophale


I – INTRODUCTION

T\V\M\ et vous tous V\M\ mes frères. L'Art Royal d'Alchimie n'est pas une simple éthique, une attitude philosophique ou un choix d'ordre moral. Il ne constitue pas davantage une "Mystique" au sens habituel de ce terme. C'est un Art, c'est à dire une création consciente et délibérée. A partir d'une dissolution intérieure consentie, il s'agit de recréer un être nouveau capable de pratiquer une discipline dont le but constant et unique sera de parachever cette recréation jusqu'à la perfection.

Montée et descente sont des phrases alternées obligées au long de cette escalade de la "Sophia Perenis", de l'éternelle sagesse, de l'échelle aux neuf degrés vers le Grand-Oeuvre, lieu, ou état, dans lequel l'homme conquiert ou reconquiert son immortalité par la victoire sur toutes les limitations de l'existence.

Pour oeuvrer utilement il faut descendre dans les profondeurs, évider, creuser comme le tailleur de pierre. oeuvrer c'est faire oeuvre d'ouvrier, celui qui ouvre. Et celui qui ouvre c'est l'initié. Il ouvre le chemin à celui qui trouve, l'adepte. "Il a fallu pratiquer le chaos... les magiciens l'ouvrirent, le purifièrent, unirent ce qu'ils avaient séparé..." écrit un adepte anonyme.

Ainsi ouvrir la pierre est ce qui caractérise pleinement le tailleur de pierre, le constructeur de cathédrales autant que l'alchimiste.

C'est dans ces Arts majeurs en perpétuelle correspondance symbolique, linguistique et opérative que j'aimerais situer la réflexion de ce soir, car un lien secret relie Alchimie et Art des maçons opératifs, une commune source imméroriale, lumineuse et stellaire.

L'un et l'autre sont ascèses de même nature dans leurs moyens physiques et philosophiques de pénétration de l'essence des manifestations matérielles : la quête de leurs causes immatérielles.

La F\M\ participe de ces deux ces Arts puisqu'elle en est l'héritière par le fait de reposer sur les deux principes complémentaires que son LABOR, l’œuvre à accomplir et ORARE qui implique prière au sens large en incluant réflexion et parole. Le laboratoire de l'alchimiste est ainsi ce LABOR ORATOIRE où ces deux attitudes de l'ouvrier doivent nécessairement conjuguer leurs vertus.

Toutes deux sont en quête d'un même mystère et toutes deux ont pour moyen et emblème la navigation : Navigation de la nef Argo emportant Jason et ses compagnons à la recherche de la Toison d'Or, mythe fondateur de la tradition hermétique grecque, que l'on ne peut manquer de rapprocher de la navigation de la nef ogivale, la nef de pierre des constructeurs de cathédrale, nef de l'Art goatique (tout autant art de magie qu'art du bois) * La première vogue sur l'onde céleste. La seconde, vaisseau retourné vogue sur l'onde céleste. Toutes deux sont en quête de la Lumières des Origines en ajustant leur route sur des repères célestes.

II - CONVERGENCE : LE 15e POINT

Tentons maintenant l'interprétation d'un symbole par lequel le compagnon F. M. peut faire l'approche des mystères du Grand-Oeuvre alchimique, la Pierre cubique à pointe. Cette pyramique qui surmonte le cube parfait semble renvoyer, selon le précepte de la Table d'Emeraude d'Hermès Trismégiste, "ce qui est en haut comme ce qui est en bas pour accomplir les miracles d'une seule chose", à une pyramide inversée, invisible, dont la pointe serait le centre exact du cube. Ce point serait celui-là même vers où convergent d'une part les six octogonales au centre de chacune des faces et les quatre droites reliant les huit pointes opposées et perpendiculaires deux à deux. Cette fusion parfaite du six et du huit en un quinzième point unique et central suppose la taille parfaitement accomplie de ce cube. C'est l'idée de la fusion vers un point virtuel, qui est et qui n'est pas, au coeur de la pierre parfaite. C'est l'idée d'un lieu secret et sacré, d'un Orient mythique où brûle le "feu des sages" dont la Terre Mère , la Materia Prima est la gardienne et la nourrice de toute éternité. Alors cette pyramide intérieure, secrète, livre un peu plus de son mystère par la recouvrance du sens réel de son nom : pyramide c'est "Pyros Medomai" soit "je porte le feu".

Ce quinzième point, gardien du feu secret ayant vertu transmutante pourrait être rapproché de la quinzième station du chemin de croix, station qui parachève le cheminement jusqu'à la mort (14e station) en ouvrant sur la Résurrection. Le Christ sur ce quinzième point est "celui qui par sa mort a vaincu la mort" comme on le chante à l'office de Pâques en ajoutant "A ceux qui sont dans les tombeaux il a donné la vie". Aucune théologie n'ose aborder le mystère qui entoure ces trois jours pendant lesquels le Verbe incarné parcourt les mondes inférieurs.

Ce mystère rejoint celui de la nature christique de Jésus et la juste compréhension de cette nature. Pour l'alchimiste en effet Christos serait à rattacher à Chrysos, l'or (1). Car le Christ, principe solaire correspond à ce titre à l'or et siège dans le coeur de l'homme. Il en est le coeur mystique.

Il est le véritable creuset des transmutations spirituelles, siège de la conscience, là où le savoir se transmue en connaissance véritable : pensée devenue acte et réalisée dans l'oeuvre. C'est peut-être pourquoi Christos signifiait en Egypte, une des sources avérées de l'Alchimie, "Maître du secret". C'est le mystère secret et sacré de tous les dieux "solaires" sacrifiés que l'on retrouve dans toutes les traditions anciennes tels que Mithra, Dyonisos ainsi que ceux des Eddas celto-nordiques et des Vedas indouistes. Le F\M\ retrouve nécessairement dans ces sacrifices rituels des préfigures évidentes du meurtre de Maître Hiram et peut le comprendre comme un drame cosmique nécessaire s'inscrivant dans le plan d'une cosmogonie inconnue ou à découvrir.

III - L'ORIENT INTÉRIEUR

Ce quinzième point au c¦ur de la Pierre Cubique, est le lieu d'apparition où la "pierre naissante", quasi virtuelle, devait être "multipliée" afin de surgir complètement dans le réel et devenir Pierre Philosophale, lieu de l'assomption, lieu où la matière se spiritualise. Le quinzième point ouvre la porte de l'au-delà, car c'est un point de perfection marquant la frontière entre le plan physique et les principes métaphysiques, le monde des archétypes.

Chez l'initié F\M\ le concept de Pierre Philosophale prend tout son sens lorsqu'à l'Orient de son propre coeur il sent converger tout ce qui est source de prise de conscience l'élevant de son état d'homme perdu dans la multitude à une expression plus spirituelle et privilégiée de l'"Adam Primordial".`

Le quinzième point, mythique ou mystique est celui que l'initié recherche en rectifiant c'est à dire en obéissant à la lettre à l'injonction de la conduite dans la droiture selon la ligne droite, qui par la perpendiculaire le conduit vers ce centre unique où il reconquiert sa propre unité. D'où la double postulation VITRIOL qui en 7 lettres traduit le point de fusion des six droites issues du centre des six faces, et VITRIOLUM qui en 9 lettres figure le point de fusion des huit pointes vers le neuvième. Du 7 au 9 on passe de vitriol à vitriolum, c'est à dire en ajoutant UM, "unum mysterium", traduisant cette tension vers "un unique mystère".

Cet unique mystère issu du sept se retrouve dans les sept corps, vivant dans les entrailles de la Terre, et maturés par elle : les métaux, c'est à dire ces corps "mutables" qui eux aussi doivent être rectifiés, retrouver leur droiture dont le terme sera l'or. Ils sont les "sept puissances passionnelles que nous nourissons de nos désirs, de nos colères ou de nos dépressions". Convergeant vers l'unique état d'or parfait, ils sont également un dans leur essence. Le F\M\ en loge se propose de pratiquer la vertu et combattre le vice représenté par ces passions désordonnées, ces "dragons métalliques" impétueux qui ne doivent, ni ne peuvent, être tués mais transformés et domptés, car ces passions et ces émotions sont une richesse insoupçonnée. Elles sont la matière première et le chaos original, la minière qui doit être traitée et ¦uvrée de la bonne manière. C'est à travers eux, autrement dit que s'exerce le ministère qui doit conduire au magistère. Par là le microcosme répond et correspond au macrocosme et l'étoile infiniment lointaine du cosmos répond et s'accorde à l'étoile infiniment proche et intime qui anime chaque infime parcelle de matière constituant notre nature.

Rectifiant sans cesse ces métaux, ces énergies mutantes, nous utilisons leur dynamique (1) et les transformons progressivement en énergie radiante et positive. Ces sept couleurs de l'arc en ciel de notre nature correspondent à l'iris ou au paon des adeptes et sont destinées à fusionner dans le blanc parfait au terme de cette métamorphose qui conduit à leur transfiguration. Alors ces métaux en attente à la porte du Temple peuvent faire leur entrée dans la chambre du milieu et devenir dans leur lumière régénérée le vêtement immaculé du maître accompli.

IV DE L'OEUVRE AU NOIR À L'OEUVRE AU BLANC, L'ÉTOILE HERMÉTIQUE

Sur le compost alchimique se dessine à point nommé l'étoile hermétique appelée par un adepte le "bouton naissant de la fleur de sapience". C'est l'étoile de Béthléem que suivent les mages jusqu'au berceau du Christ solaire, car les alchimistes disent que le soleil se cache sous l'étoile : "Latet sol in sidere". C'est l'étoile indestructible, la racine vivifiante et le germe d'immortalité qui devra mûrir dans l'athanor. Elle représente dans l' œuvrier " l'état d'être particulier conduisant à la conscience présente à elle-même.

Elle surgit des profondeurs de cet Orient secret qui git au cœur des choses et particulièrement de la pierre appelée à parvenir à l'état de cristal selon le même processus qui conduit le cœur de l'homme à l'état christique c'est à dire lui révélant sa propre conscience d'être car Christos c'est aussi, et essentiellement, "Ker" ou "Cor-Istos" c'est à dire Cœur de l'être. Pierre cachée au fond de l'océan de l'existence, elle est la pierre blanche de l'unité promise. En elle git le mystère du soi, essentielle, pierre précieuse cachée au sein du moi existentiel.

Le compagnon voulant s'accomplir dans le magistère, l’œuvre accomplie, doit accepter de suivre la voie du retournement, la voie d'Est en Ouest, vers le lieu où le soleil se meurt, l'Occident, le lieu où il est occis comme le Maître, atteint à chaque porte par le coup de l'adversité. En ce temps même, projection de sa propre perfection, il subira le sacrifice suprême et fécondant, l'acte sacré suprême nécessairement sacrificiel car "sacrifice" c'est justement "sacrum facere" : accomplir le sacré.

C'est encore pourquoi, sur un chemin d'existence immémoriale et jalonné d'Est en Ouest de pics montagneux ayant noms d'étoiles et projection probable de la Voie lactée, l'Oeuvre au blanc céleste, s'accomplit, le compagnon lancé sur la route du pèlerinage de Maître Jacques. Et c'est pourquoi les alchimistes appellent volontiers la succession des opérations conduisant à la Pierre Philosophale, la voie lactée ou encore leur chemin de Compostelle. C'est au terme de ce très mystérieux chemin initiatique christianisé sous le nom de chemin de Saint-Jacques que le pélerin va découvrir l'endroit où se trouve le tombeau du Maître, son "compostum". Car c'est là en ce lieu tout à la fois réel et mythique que va apparaître l'étoile hermétique qui va par degrés blanchir l’œuvre au noir. C'est l'étoile des sages, l'étoile sur le compost alchimique, c'est à dire le "compost stella".

Cette phase décisive correspond dans notre rite au dévoilement de l'Etoile flamboyante au candidat à la maîtrise au début de son initiation tandis qu'il se tient, nécessairement, tourné vers l'Occident ...

V - LA PIERRE PHILOSOPHALE

Au terme d'un dernier "Salve" et d'un "Coagula", la pierre passera au rouge. Cette pierre, dira un adepte, aura un mérite extraordinaire qui teindra les métaux imparfaits à l'infini. Voilà cette pierre très parfaite qui contient en soi l'essence de la nature des choses minérales, animales et végétales. Elle est appelée chose triple car elle est composée de corps d'âme et d'esprit et qu'elle réunit les trois couleurs, noir, blanc et rouge..." Une autre description la présente sous la forme d'une poudre d'un rubis violacé, très lourde, transparente, brillante, fluide et aisément liquéfiable.

Etrange mystère que celui de cette pierre qui pouvait changer le métal vil en or dans la proportion de 1000 à environ 10 000 et qui pour les adeptes l'ayant obtenue, contemplée et utilisée était la "quintessence du feu universel cristallisé".

Ce qu'il est important de comprendre et d'admettre c'est que cette pierre qui se manifeste ainsi dans le monde minéral, traduit la transfiguration de toutes les lourdeurs et opacités humaines en une sorte de théophasie. L'être reconstruit de l'intérieur par les vertus transmutantes de son propre coeur, réceptacle de la pierre, est devenu alors incorruptible. La pierre visible est le témoin extérieur de cette transmuration spirituelle qui fait de lui l'adepte accompli. Alors à l'image de cette pierre qui communique par un peu de sa substance le pouvoir de son essence immatérielle dans la transmutation métallique, l'adepte parvenu au plus haut degré du magistère spirituel, une sorte de sainteté, pourra par son exemple, son abnégation, par amour de l'homme en un mot, sa compassion, donner de lui-même, communiquer la sagesse et éveiller en d'autres l'étincelle, l'étoile secrète, convertis, c'est à dire déterminer un renversement des conceptions capable d'éveiller la conscience etc... C'est ainsi que peut se comprendre au plus haut niveau notre vocation maçonnique de transmission à l'extérieur de ce qui a été reçu dans le Temple.

Maître Hiram ressuscité revit à travers chaque maître ayant pu par l'initiation s'identifier à lui par compassion véritable. Les vertus de Hiram se sont infusées en tous les maîtres de la même façon que la Pierre Philosophale communique ses vertus ineffables aux métaux imparfaits, mais perfectibles, avec lesquels elle entre en contact. Et ce, par une sorte d'effet de radiance irrésistible, celui qui caractérise ce "feu des sages" origine de toutes les transmutations et dont la correspondance évidente chez l'initié maçon est le feu de l'amour fraternel.

Ainsi l'ouvrier, l'ouvreur de la pierre brute a-t-il accompli l'ouvrage non en transgressant les lois de la nature, car le maçon est toujours respectueux des lois, fussent-elles "profanes" ou civiles, mais en leur obéissant car "c'est en obéissant à la nature qu'on lui commande". C'est en cela que l'alchimiste peut récapituler en son laboratoire l’œuvre du G.A.d.L.U. ordonnateur du cosmos. Et c'est par cela que, porteuse de toutes les grâces et vertus incréées, émanées de la source de vie essentielle, la Pierre guérit, prolonge l'existence, rajeunit grâce à l'élixir de longue vie qui en provient.

VI - LE COEUR, LA PIERRE VIVANTE

Siège de toutes les opérations, le cœur spirituel, résidence de la conscience illuminée est le soleil de l'homme microcosme, c'est pourquoi l'hermétisme chrétien est traditionnellement hélio-centrique. C'est en lui et par lui que s'accomplit le grand œuvre d'alchimie spirituelle. C'est le lieu de la parfaite intelligence, c'est à dire littéralement l'inter-liance entre toutes les données du savoir et de la conscience. Au centre de la roue de l'"ex-istence" du moi multiple, il communique en tant qu'Orient intérieur avec tout ce qui est de l'ordre du "soi", antérieur à la manifestation. C'est en lui que se réalise cette cristallisation particulière appelée par un adepte "âme diamant" et par laquelle se révèle la lumière perdue jusqu'alors.

Et si le coeur de l'homme est le creuset ou l'athanor c'est son être entier qui est la matière première appelée à la transformation. L'être entier est le nécessaire contenant et support du cœur en tant que vase philosophal, en tant que creuset, en tant que coupe du salut et en Saint-Graal où contenu et contenant se fondent dans un même mystère afin que cet être puisse devenir ou redevenir ce qui est de toute éternité et non de tirer du néant ce qui n'est pas encore. Car le néant ne saurait donner naissance à quelque chose.

Cherche et sache par dessus tout que tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé dans ce cœur où sommeille en attendant que tu l'éveille le germe de la Pierre de vie.

Voilà l'alternative fondamentale de l'homme : pactiser consciemment ou inconsciemment avec l'esprit du Monde et ses valeurs souvent inversées en rejoignant ceux que Louis-Claude de Saint-Martin appelait déjà en son temps les "hommes du torrent" ou rejoindre la fraternité silencieuse de ceux que le même L.C. de Saint-Martin appelait "homme de désir", ceux qui ont entendu l'appel de l'étoile-germe insistante et doucement irradiante dans leur cœur, ce feu-lumière que les alchimistes ont appelé "Magnum Mysterium". Ce désir ne saurait par définition que conduire vers l'étoile car ce vocable désir est étymologiquement de-siderum c'est à dire de l'étoile.

L'étoile céleste est descendue de la verticale du ciel, elle est passée par la pierre taillée et évidée - c'est l'évidence même - de la clé de voûte à la croisée des quatre ogives figurant les quatre éléments constituant notre nature physique et animique, puis elle a pénétré en notre coeur pour s'unir à l'étoile de ses profondeurs. Alors dans cette ultime conjonction a surgi et irradié la pierre du salut, la pierre vivante des sages.


TVM, j'ai dit.


D\ L\

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