Obédience : NC La Concorde - Orient de La Rochelle 19/02/2004


La Pierre Cubique à Pointe


S’il est un symbole en Loge qui semble causer bien des soucis pour sa compréhension symbolique, c’est sans nul doute celui dont je désire vous entretenir ce soir. C’est en fait un double symbole car cette pierre est souvent représentée accompagnée d’une hache comme une épée de Damoclès au-dessus d’elle.

La pierre en question se présente à nous sous la forme d’un cube ou curieusement parfois, d’un hexagone (mais je suppose qu’alors on lui donne un autre nom), surmonté d’un pyramidion aux faces inclinées à 45° vers le centre et qui forment la pointe. Cette pierre a été souvent représentée à travers les époques sur les Tableaux de Loge, avec au-dessus d’elle une hache à un ou deux tranchants.

Dans les explications fournies par le livret d’Apprenti, on nous apprend que cette pierre est associée au grade de Compagnon comme la pierre brute l’est à l’Apprenti, ou la planche à tracer au Maître. Mais présente sur le tableau de Loge du premier degré elle ne semble pas être inféodée exclusivement au deuxième degré et c’est pourquoi j’ai choisi de vous en parler ce soir.

L’un des trois Bijoux Immobiles de notre Loge semble en effet être de ces symboles qui ne se laissent pas interpréter facilement. Je n’en veux pour preuve que les différents ouvrages que j’ai eu l’occasion de parcourir pour tracer cette planche. Dans la plupart d’entre- eux les explications quant à la pierre, sont pour le moins gênées ou évasives et elles se gâtent franchement en abordant la hache.

Certains voient dans le pyramidion et la hache un lien avec le symbolisme du feu, à la transformation et à la transcendance. Si cette inclinaison du pyramidion me paraît quelque-peu savonneuse, elle n’est toutefois pas sans intérêt. J’y reviendrais tout à l’heure.

D’autres associent les arrêtes du cube aux quatre éléments, air, eau, terre, feu et les quatre côtés de la base du pyramidion à quatre qualités, froid, chaud, sec, humide. Chaque base étant entre deux arrêtes la relation s’établit d’elle-même. Ce système a pour seul résultat de nous apporter la révélation que l’eau est humide et froide, et que le feu est chaud et sec.

On nous apprend également que l’on peut affûter ses outils sur cette pierre, qui décidément possède des qualités quasi miraculeuses. Je ne suis pas anglophile, mais il est possible que cette version de l’affûtage soit due à une erreur de traduction. On peut concevoir en effet que c’est l’ouvrier qui se perfectionne à tailler cette pierre, que lui-même s’affûte s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, sur ce travail difficile.

Autre acceptation couramment trouvée, la clef de voûte. L’idée est séduisante mais une véritable clef de voûte a l’agencement de ses faces en forme de coin. Gardez-vous bien mes Frères de stationner sous une clef qui possèderait des faces parallèles, car tout ce qui est en haut, pourrait bien aller rejoindre tout ce qui est en bas. 

Concernant la hache, qui visiblement dérange, car personne ne fournit d’explication rationnelle sur sa présence au-dessus de la pierre, des auteurs y voient une équerre qui aurait mal tournée. Malheureusement je n’ai pas trouvé de Tableau de Loge comportant ladite équerre.

Sentant confusément que je risquais de déboucher dans une impasse avec de telles lectures, j’ai choisi de m’en remettre à ma méthode favorite concernant les symboles. La logique et mon ressenti, qui vaut ce qu’il vaut, mais quitte à dire des sottises autant que ce soit les miennes.

J’ai alors décidé d’étudier des Tableaux de Loge anciens issus de divulgations datant des débuts de la Maçonnerie spéculative française, portants sur la dernière moitié du dix-huitième siècle. Trois éléments principaux sont alors apparus.
1) Dans une très forte majorité c’est non pas une hache, mais un marteau taillant, emblème, je vous le rappelle, des Compagnons tailleurs de pierre qui était dessiné.
2) Ce marteau taillant est représenté : soit seul sur le Tableau de Loge, soit associé à la Pierre Brute, soit à la Pierre Cubique à pointe.
3) Progressivement, au fil des différentes divulgations, le marteau ayant au départ la forme spécifique du marteau taillant devient un marteau mal dessiné sans forme définie, puis se transforme en hache à unique ou double tranchant.

Mais au fait, quelle est donc la forme d’un marteau taillant ? pour vous l’imaginer mes Frères c’est très simple, pensez à une hache à double tranchant, imaginez-vous la regarder de côté et enlevez toutes les parties courbes, vous obtenez un marteau taillant.

Il ressort donc d’un simple examen des Tableaux de Loge, même si celui-ci n’est pas exhaustif que la hache serait plutôt due à une altération du symbole initial qu’est le marteau taillant. Ceci peut s’expliquer par la tradition alors en vigueur, de faire tracer le Tableau de Loge par le dernier Apprenti entré, à qui on pardonnait sans doute les imperfections du tracé.

La Pierre Cubique à Pointe a elle aussi subit, sinon les outrages, du moins l’usure du temps qui passe. D’abord dessinée avec soin et régularité, elle a parfois des formes étranges et en tous cas éloignés du cube parfait surmonté de son pyramidion qu’elle est censée représenter.

Sur les mêmes Tableaux de Loge que précédemment la pierre était souvent figurée avec une ligne partant du sommet du pyramidion et rejoignant la base d’une des faces du cube en son milieu, séparant la pierre avec une parfaite symétrie. Ce tracé, peu d’auteurs en font mention, mais les rares qui la signalent lui donnent le nom de Divine Perpendiculaire. Un auteur en particulier signalant que sous l’angle opératif, il y a là, l’indication d’une opération de Trait particulièrement secrète, sans plus de précisions.

J’ai donc dû me résoudre à reprendre mon bâton de pèlerin pour tenter de remonter le chemin vers une origine possible de ce symbole.
A quoi me fait penser cette pierre ?
A une maison !

Mais je suis dans un Temple maçonnique et si maison il-y a, ce ne peut être n’importe quelle maison. Le carré c’est la Terre, le cube la Jérusalem Céleste, le Temple intérieur, ce vers quoi il faut tendre. La perfection technique et morale à laquelle le Maçon se doit de parvenir. Après avoir dégrossi la Pierre Brute de ses aspérités profanes, après avoir dressé ses faces en cube parfait à arêtes vives, l’apprenti rendu apte par ce travail à s’inscrire dans l’édifice en construction est-il pour autant arrivé au bout du chemin qui mène vers la lumière ? Bien sûr que non, si l’Apprenti en restait au stade de la pierre cubique, il n’y aurait pas de progression.

Cette Pierre Cubique à pointe, beaucoup plus difficile à réaliser que le simple cube, avec cette pointe qui nous invite à regarder le zénith, à nous élever, avec ses quatre faces dirigées vers les quatre points cardinaux et sa base solidement posée sur la Terre, nous indique en fait, non pas quatre, mais six directions.  Le Sud, l’Est, le Nord et l’Ouest, le Zénith et le Nadir soulignés peut-être par cette Divine Perpendiculaire qui relie tout ce qui est en bas à tout ce qui est en haut.

Mais pour réaliser ce travail il nous faut un outil parfaitement maîtrisé, le marteau taillant, utilisé d’une main sure et expérimentée ou plutôt des deux mains, car c’est un outil qui pèse son poids. Il faut de la dextérité pour le dompter.
 
L’association de la Pierre Cubique à pointe et du marteau taillant représente pour moi, la sacralisation du travail du Maçon sur lui-même pour parvenir à un stade supérieur. C’est une transformation, une transcendance de la Pierre Brute qui lui fait écho au pied de l’Orient. Si la pierre brute représente la perfectibilité du maçon, la pierre cubique l’intégration de celui-ci dans l’édifice, la pierre cubique à pointe pourrait représenter son chef-d’œuvre.

Mais cette perfection du travail doit être contrôlée et les outils à la disposition de l’Apprenti ne lui permettent pas de le faire. A moins que…
Le premier menuisier venu saura vous expliquer que pour contrôler la perpendicularité des faces d’un tiroir ou d’un meuble on n’utilise pas une équerre. En fait on biaise. Je veux dire par là que l’on utilise les diagonales. Si elles sont identiques les faces sont obligatoirement perpendiculaires entre elles. Ces diagonales ce sont les quatre arêtes des faces du pyramidion. Vues du dessus elles forment un X, ce qui peut nous diriger vers la sacralisation du travail en relation avec le X formé lors de la consécration des églises chrétiennes.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Le travail, le travail seul ne suffit pas. Il faut lui adjoindre une dimension spirituelle pour transformer le simple ouvrier de la pierre en bâtisseur de cathédrale. Un bon technicien peut fabriquer une pierre parfaite, mais si son travail n’est pas accompagné d’une démarche spirituelle qui lui fera prendre conscience non seulement, de la manière de tailler, mais surtout pour qu’elle raison la tailler, dans quel but tailler cette pierre en lui donnant cette forme, précisément celle-ci et pas une autre, alors il est à craindre que ce travail aussi parfait qu’il pourra l’être, n’ai pas atteint son objectif. La pierre cubique à pointe nous fait entrer dans une autre dimension, une autre démarche. Elle nous demande de nous élever, de nous relier à l’Univers qui nous entoure.

Si nous parvenions à terminer ce temple que nous tentons de bâtir chaque jour, qu’elle serait la pierre finale de notre édifice ? Il y en a une que je verrais bien trôner tout là-haut, sans ornements superflus, belle, car simple et complexe en même temps, la pureté de ses lignes rendant hommage au travail des hommes. Les égyptiens y ont pensé avant nous pour eux le pyramidion symbolisait le rayon solaire et la pyramide, le temple idéal.

Loin de moi, l’idée d’être parvenu à une compréhension pleine et entière de cette pierre énigmatique. Elle doit cependant nous rappeler que nous ne devons jamais négliger l’étude de nos symboles. Et si un jour l’un d’entre eux n’a plus de signification précise pour nous, nous nous devons de tout faire afin d’en rechercher le sens originel et ne pas être tenté de lui donner des significations évasives ou erronées, ou pire de l’envoyer aux oubliettes en pensant que l’on en a plus besoin et que le travail en Loge peut s’effectuer sans lui.

J’ai dit.

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