Obédience : NC | Loge : NC | 20/12/2011 |
La Parole V\ M\ et vous tous mes FF\ ; avant de vous livrer mes réflexions sur la Parole, je souhaite la donner un moment à l’un de nos plus grands poètes de langue française, j’ai cité Victor Hugo. Dans ce poème, il donne lui-même la Parole à Jean, le saint que nous fêtons aujourd’hui, quelque peu désespéré par le comportement des Hommes, et qui leur annonce le prochain châtiment de Dieu. Ecoutez.
Je suis Jean. J’ai vu des choses sombres. Juillet 1853 Un siècle et demi après ce poème, après quelques grandes guerres mondiales et quelques génocides, après des constats d’échec sur le comportement humain, que ne dirait-il pas aujourd’hui ? En vous déclamant ce poème d’une manière théâtrale, j’ai voulu, pour introduire mon sujet, mettre en évidence la force de la Parole. L’homme est un animal qui parle, dit-on en langage courant. Si la Pensée nous distingue de l’animal, nul ne sait comment la Parole fut donnée ou acquise par l’être humain qui, grâce à cette puissance évocatoire et incantatoire, règne sur la Terre. Quelles sont ces mystérieuses sources du langage où sont enfermés tant de secrets ? Quelle valeur peut-on attribuer aux mots qui cadencent nos pensées ? De l’avis des chercheurs, des savants, la Parole est un vagissement, un cri plus ou moins perfectionné par l’usage, quelque chose qui nous est donnée, tout comme le chant est donné à l’oiseau. Pensons au cri primal du nouveau-né qui marque sa naissance, ce cri étant la première manifestation de la Vie. L’Homme parla par signes avant de parler par paroles et, dans l’histoire du langage, l’onomatopée en est sans doute l’origine. Les croyants en Dieu pensent que le don du langage aurait une origine divine. La première parole serait la Parole de Dieu, créatrice de l’Univers. En essayant de retrouver cette parole divine qui n’est pas perdue mais seulement oubliée pour certains ou tout simplement cachée pour d’autres, l’être humain redécouvrira un monde nouveau existant depuis toujours ; depuis l’époque, dit la Genèse « où toute la Terre n’avait qu’un seul langage et les mêmes mots ». Car la Langue unitaire de la création avant la chute, laissa la place à la diversité des langues symbolisées par la Tour de Babel. Depuis, les hommes cherchent toujours le secret d’un Espéranto Universel. Ils chercheront aussi, au travers des Religions, des Mythologies, dans les mystères initiatiques, grâce aux Arts, au travers des symboles, dans la Nature…toute une tradition où la notion de sacré sera un lien social qui, en préservant la liberté de l’individu, lui ouvrira les portes de la Connaissance et de l’Amour. Quelle valeur, quelle portée peut-on attribuer à cette Parole ? Quel est son trait distinctif ? Elle est l’élément de contact le plus précieux mis dans la bouche des hommes pour leur permettre de communiquer, aux sentiments de s’exprimer. Nous parlons avec nos cordes vocales, en fonction de nos sens visuels, auditifs et autres, mais selon certaines structures cérébrales. Ainsi, cette Parole n’est pas seulement une fonction organique, mais une fonction intellectuelle autant que spirituelle. Elle permet à l’Homme d’approfondir sa notion de conscience de soi et lui offre une ouverture vers la transcendance. Elle établit, facilite, permet les rapports, en est le mot de passe, monnaie d’échanges, sert à nos besoins de tous les jours. Elle nous renseigne sur nos désirs mutuels, transmet ordres et demandes, explique et raconte. Prendre la Parole est une tâche maîtresse. Elle permettra un vaste échange d’idées et de pensées. La communication donnera la révélation de soi, grâce aux échanges avec les autres. En effet, elle facilite la découverte du Prochain, du semblable mais aussi la découverte de soi. Moi-même qui suis plus que moi-même. La Parole est synonyme de rencontre. Elle est le « Sésame, ouvre-toi », formule magique créant un champ de forces. Elle transmet le flambeau de la Pensée dont elle est l’expression. Etincelle intérieure révélant l’Etre à soi-même, elle est une graine vivante que chacun porte en soi. Outil de l’Homme, arme parfois tranchante, elle peut être aussi une sentence ; elle peut juger, elle est capable de persuader, de convaincre et de vaincre. Elle peut exercer sur la masse un pouvoir de fascination redoutable, sous la forme de dialogues, d’oraison, de déclamation, d’incantation, de prières et de prophéties. Elle est tout à la fois : Force, Sagesse, Beauté, Vérité, Lumière. Elle peut être parole d’amour ou de haine ; parole de vie ou de mort. Bien qu’impalpable et invisible, elle agit sur nos sens au travers des mots, armature du langage. La Parole va aider l’homme à se créer : elle lui donnera son individualité, sa personnalité. La tradition orale permet de répandre dans les peuples ce qui était réservé à quelques initiés. Elle répandra, sous une forme occulte, au travers des contes de notre folklore, mais aussi sous forme d’oracles par la bouche des Pythies, de paraboles par celles des prophètes et des sages ou bien encore au travers des mythologies. Elles sont des récits à clés. On ne pense pas suffisamment combien le fait de prendre la Parole est un acte déterminant chez l’être humain tant celle-ci lui est devenue familière. Or, si nous pouvons prendre la parole, nous pouvons aussi la demander, la retirer, l’ignorer ou la rompre. Nous voyons combien est grande la portée de la parole qui ne devrait jamais être stérile. Elle devra renseigner, observer, servir, donner, éclairer, intercepter, agir, créer mais aussi prier, chanter et aimer. Elle fait partie d’une route ascensionnelle qui nous dirige vers le sommet : vers la Lumière. Un de mes frères a dit un jour : j’ai appris à parler parce que j’ai appris à me taire. « Ecouter et se taire » est pour l’apprenti une obligation. Le silence, en le pénétrant, lui révèlera les secrets de notre Rituel où pas une parole, pas un geste ne sont laissés au hasard, chacun ayant un sens initial précis. La Parole crée un champ de forces dans la Loge ; elle dégage Energie et Force. Nos mots de passe, nos mots de semestre par lesquels nous nous faisons reconnaître, nous donnent le droit de rentrer en ce lieu sacré, en nous retranchant du monde profane. Le serment répété au cours de nos Tenues, dans nos initiations, pendant l’installation du Collège des Officiers est une confirmation de foi qui engage nos sentiments de Loyauté et de Fidélité. L’Homme et surtout le Franc-maçon, qui donne sa Parole s’énonce à lui-même en donnant un gage moral. Cette parole est sacrée ; celui qui y manque se perd lui-même. Remarquons aussi qu’un travail entendu a une portée plus grande qu’un travail lu. Les paroles résonnent en nous, nous pénètrent, deviennent créatrices de vie, alimentent notre esprit, touchent notre cœur. Nous pouvons reconnaître son importance puisque chacun de nous est reconnu naître dès le premier souffle et mourir en en rendant le dernier. De fait, le souffle représente la transmission de la Vie et par là-même, le symbolise. Le souffle alimente la parole humaine, il en est le moteur. La parole ayant donné à l’homme la domination, les écrits auront le pouvoir de fixer le monde, de cristalliser les mots, d’administrer la société. Certaines formules sont, à elles seules, des clés sonores donnant l’ouverture de l’invisible. « Abracadabra » formule alchimiste et la très célèbre « Sésame, ouvre-toi » d’Ali Baba ; ce sont les vibrations produites par la voix qui feront ouvrir les portes de la caverne où est enfermé le Trésor. La formule peut aussi annihiler le sens des mots et alors le son compte plus que le sens. Cette primauté du son, nous la retrouvons dans nos tenues qui débutent au coup de maillet. Les vibrations produites par le son pénètrent dans l’esprit de chacun, nous intégrant dans « un champ de forces ». Les publicitaires savent, pour leur plus grand profit, utiliser à merveille cette force des sons. Prenons l’exemple du slogan (dont l’origine gaëlique signifie « cri de guerre ») qui est une sentence publicitaire. Le slogan, par la force des mots qui perdent leur vraie signification, conditionne celui qui l’entend en restreignant son jugement et conditionne sa mémoire. Les slogans peuvent s’apparenter aux incantations magiques et peuvent détruire la capacité de réflexion de l’homme. Le poète, lui, par l’harmonie des sons et le rythme cadencé sait toucher celui qui l’écoute. Les paroles, les paraboles, les invocations, les incantations, les prières des sages, des initiés, des prophètes, des mystiques revêtent toujours une forme poétique ; elles feront naître des émotions, exalter des sentiments, multiplier les sens, faciliter la compréhension des choses. Et, puisque je vous parle des poètes, j’aimerais qu’un autre grand poète m’aide à achever ma planche. Il s’agit de Baudelaire : il n’a sûrement pas été franc-maçon, mais il a été un déchiffreur de symboles qui a analysé les moyens d’établir une communication entre les deux mondes : le monde terrestre et le monde vertical. Ecoutez le premier quatrain d’un poème tiré de « Correspondances, Fleurs du Mal » : La
Nature est un temple où de vivants piliers J’ai dit G\ L\ |
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