GLDAMF | Loge : NC | 18/04/2014 |
Les mots de Compagnon Introduction Lors de la cérémonie de Passage au grade de Compagnon, j'ai fait cinq voyages au cours desquels j'ai redécouvert des mots. Notamment, j'ai pris connaissance des cinq sens de la nature, des cinq ordres d'architecture et des sept ordres libéraux et aussi du nombre d'or. Le plus important, cependant, m'a été révélé par la suite, au travers de mots me sont maintenant connus comme les mots de Compagnon. Il s'agit du mot de passe et du mot sacré, qui m’ont été confiés comme après la cérémonie d'initiation qui m'a fait Apprenti par le Frère Expert. Les mots de compagnon sont constitués de ces deux mots. Ils font l'objet d'une procédure précise en liaison avec l'attouchement. La demande du mot de passe se fait en premier, le pouce pressant entre l'index et le majeur. La demande du mot sacré vient ensuite, l'extrémité du pouce cette fois sur la première phalange du majeur. Comme dans le cas de Boaz, le mot sacré Jakin ne peut qu’être épelé. Premier mot : le mot de passe, Shibboleth « Ils lui
disaient alors: Hé bien, dis Shibboleth. Et il disait
Sibboleth, Shibboleth est un mot hébreu qui signifie « épi de blé » ou « fleuve », ou encore, parfois, « nombreux comme les épis de blé ». Sa prononciation est importante et la Bible nous dit pourquoi, pour preuve l'extrait que je viens de vous lire. Une certaine tribu, ne pouvant pas prononcer le « chin » ne pouvait donc pas prononcer ce mot de passe. Ses membres le payaient de leur vie, en ayant la gorge tranchée comme l'Apprenti qui manquerait à son serment. Première clé : le blé Le blé est une des clés de la compréhension de ce mot. Dans toutes les civilisations qui connaissent cette céréale, le blé représente le symbole du cycle mystique de la mort et de la résurrection. Il est un principe de vie chez les Egyptiens et l’un des emblèmes du Dieu Osiris. Ce dernier, après avoir été tué et jeté dans le Nil, revient à la vie. De même, le blé est enfoui dans la terre au moment des semailles avant de revivre au printemps suivant. Le mythe de Déméter et de Proserpine, chez les Grecs, nous dit également que la mort du grain donne naissance à la pousse qui monte vers la lumière et au bout de laquelle va mûrir l’épi, en multipliant le grain de blé initial. La religion chrétienne parle aussi du blé et aussi de la multiplication des pains. L'épi de blé porte plusieurs grains, symbole d'abondance, comme les grenades sur les colonnes du temple. La petite graine, c'est l'Apprenti Maçon, l'épi qui pousse et mûrit symbolise ce qu'il doit acquérir puis redonner en devenant Compagnon. Pour se multiplier, le grain doit mourir, germer et croître afin devenir un épi ; il a besoin pour cela des quatre éléments afin d’en tirer la quintessence. C'est le cycle éternel de la mort, de la renaissance, de la transmission avec son effet multiplicateur. Cette multiplication des grains de blé est aussi le sens de l'augmentation de salaire de l'Apprenti devenant Compagnon. Mais voilà, le blé ne se reproduit pas seul. Il demande un travail de l'homme, qui doit l'enfouir pour qu'il germe, puis moissonner et trier le bon grain de l’ivraie. Ce travail est un travail par nature persévérant, tout comme le travail intérieur qui est demandé au Maçon. Il nous enseigne aussi qu’il faut laisser du temps au temps. Il faut aussi prendre garde, car acquérir du savoir est acquérir du pouvoir. Il faut donc le faire sous les auspices de certaines valeurs (notamment la lettre G), au milieu de ses Frères, car les épis poussent droit parce qu'ils sont serrés les uns des autres et d'une certaine éthique, car science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Seconde clé : le passage Shibboleth se rapporte aussi au fleuve, et plus précisément au passage. Shibboleth symbolise le passage d’une rive à l’autre, de l'état d'Apprenti à celui de Compagnon. On attendait de l’Apprenti un travail d'introspection pour se forger en silence et dégrossir sa pierre brute. On attend maintenant du Compagnon qu'il continue ce travail, qu'il maîtrise ses outils et sa pierre, tout comme la prononciation de ce mot de passe qui est en soi une épreuve. Le Compagnon maçon a l'obligation de voyager, c’est à dire visiter d’autres Ateliers que leur loge mère et donc devenir un étranger, un Ephraïmite en quelque sorte. Le droit à la parole qu'il a acquis lui permet bien entendu d’intervenir dans les travaux de sa propre Loge, mais surtout il lui donne le moyen de se faire reconnaître, de donner le mot de passe demandé selon les formes et la bonne prononciation quand il visite. Que penser de cela ? Il faut à l’évidence se donner une ligne de conduite vertueuse : respecter ses engagements et apporter un soin tout particulier à tout ce qu'on fait. Alors, le mot de passe devient cet outil qui permet de franchir le seuil du temple pour découvrir d'autres formes de pensées et d'autres rites. C’est en devenant Compagnon qu'on s'aperçoit réellement que L'Apprenti est en fait plutôt protégé. Le Compagnon, lui, a la liberté et doit faire attention à ce qu’il en fait, notamment pour ne pas « basculer du côté obscur de la Force »... Qu'attend-on réellement de nous ? quel est le but ultime de nos travaux ? quel but poursuivons nous ? Le seul fait d'être un homme ne nous fera pas mériter « la Terre Promise » comme l'espéraient les Ephraïmites. Il faut en revanche être comme l'épi de blé, c'est-à-dire avoir été mis en terre, être mort et renaître à la vie. J'ai été mis en terre, je suis re-né et bien qu'encore très jeune, Shibboleth est pour moi l’expression même de cette transmutation alchimique qui fait mourir la matière vulgaire pour fabriquer la Pierre. Second mot : le mot sacré, Jakin Et il fit, devant la
maison, deux colonnes de trente-cinq coudées de long, et le
chapiteau qui était à leur sommet [mesurait] cinq
coudées. Deuxième livre des Chroniques, chapitre 3, versets 15 à 17 Dressées extérieurement de chaque côté de la porte principale du Temple, les colonnes J et B étaient couvertes d'hiéroglyphes dont les initiés devaient apprendre à discerner le sens. Elles étaient en airain et creuses pour contenir les outils qui sont aussi d’ailleurs ses connaissances. L'airain est un synonyme vieilli du bronze qui symbolise l'immuabilité, l'intemporalité et la durabilité des principes initiatiques. Il symbolise aussi l'alliance du ciel et de la terre, il indique la présence du Constructeur Suprême qui nous guide dans notre cheminement. Jakin est le nom de la seconde colonne dans le temple, placée à l'extérieur du Temple de Salomon et à droite de la porte d'entrée. Dans le temple, la colonne est l'endroit où l'Apprenti et le Compagnon viennent recevoir leur salaire. En tant que Compagnon, je recevrai le mien à la colonne Jakin. Notre rite place Jakin à droite et Boaz à gauche, tandis que d'autres inversent leur place. Même si l'emplacement de Jakin à droite est conforme au symbolisme de la Bible, cela m'amène à penser que leur emplacement n'a en fait pas de réelle importance symbolique, contrairement à la signification des noms de ces deux colonnes et à leur étude conjointe. Le mot sacré Jakin est révélé au nouveau Compagnon, qui connaît maintenant le nom des deux colonnes du temple, même s'il ne peut le prononcer quand on le lui demande mais uniquement l'épeler. Jakin signifie « il établira » ou « il affermira », ce qui nous ramène aux notions de stabilité et de solidité nécessaires pour mener à bien la construction d'un édifice. Pour rappel, Boaz signifiant « en force », il faut maintenant comprendre le couple comme « il établira en force » car, en effet, Dieu établit solidement. René Guénon est tout à fait de cet avis quand il propose : « Lui en qui est la force, qu'il établisse ! » Que l'on pourrait prendre comme slogan des bâtisseurs. La ligne fictive qui relie une paire de colonne marque l’accès vers un autre espace, telles les Colonnes d’Hercule séparant le monde des vivants et des morts, le monde actuel et l’au-delà, le monde connu et le mystère. Le franchissement d'une telle ligne entraîne un changement d'état qui contient intrinsèquement le sens de l’épreuve. Puisque les colonnes sont à l’intérieur du Temple, cette ligne en fait aussi partie, le séparant en deux. Cette notion de passage entre les colonnes est également à rapprocher aussi du mot de passe, dont j’ai parlé juste avant. Conclusion Un Shibboleth est une phrase ou un mot qui ne peut être utilisé - ou prononcé - correctement que par les membres d'une communauté. Il révèle donc l'appartenance d'une personne à un groupe : national, social, professionnel ou autre. Autrement dit, un Shibboleth représente un signe de reconnaissance verbal. Durant la Première Guerre mondiale, les Alsaciens eurent leur Shibboleth. Les prisonniers allemands qui tentaient de se faire passer pour des Alsaciens, arrivaient facilement à contrefaire le dialecte alsacien. Le chanoine Wetterlé eut l'idée originale de les démasquer en leur présentant un parapluie et en leur demandant : « Qu'est-ce que c'est ? ». Ils répondaient « Regenschirm » ou « Schirm » et seuls les Alsaciens répondaient « barabli ». En 1975, afin de dépister les Palestiniens du secteur est, les milices chrétiennes obligeaient celui qui voulait passer à jouer eux aussi au jeu du « Qu’est-ce que c’est ? » : elles présentaient une tomate qui se dit « BANADOURA » en arabe et que les palestiniens prononcent « BAN’DORA ». On le trouve aussi dans la bouche des archers du palais de la Quinte Essence dans le Pantagruel de Rabelais. De nos jours, dans la langue anglaise, Shibboleth est passé dans le langage courant et est devenu synonyme de mot de passse. Les Shibboleths sont des signes de reconnaissance qui se réfèrent à ce que vous êtes plutot qu'à ce que vous savez comme pour un mot de passe ordinaire. Ainsi, malgré vous, ils disent beaucoup sur vous-même, vous classent et peut-être aussi parfois vous condamnent. Je voudrais terminer par quelques vers de l'écrivain que je tiens pour le plus grand de tous auteurs français : « Olivier,
capitaine et juge dans Sion ! Victor Hugo, Cromwell, Acte III, scène 2. J’ai dit. J\ A\ |
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