Obédience : NC Loge : NC 08/2013


Travail et loisirs

Parmi les activités humaines, le travail et les loisirs occupent une place, ô combien importante, dans la vie d’un homme. L’origine du mot travail (du latin trepalium : instrument de torture à 3 pieds) est considéré comme une réalité contraignante. Cependant depuis 1936, l’homme a acquis un droit aux congés payés. Le congé, période de vacances, autorise la cessation de travail.Ce temps devient synonyme de liberté, de divertissement (du latin divertere : se détourner de). Le travail peut-il être un facteur de liberté, et à l’inverse, le congé, un divertissement aliénant ? Ou bien, ces deux activités ensemble et dans une juste harmonie, ne pourraient-elles pas contribuer à la libération de l’homme ?

Le travail : aliénation

Activité liée à la nécessité : Dans la mesure où le travail est une activité uniquement liée aux besoins de l’homme, au cycle de la vie, il l’assujettit à la nécessité. Cette soumission aux conditions de la nature est semblable à celle de la vie d’un animal. Déjà, les Grecs considéraient l’esclave comme espèce non humaine. Aristote refusait de donner le nom d’Homme aux membres de cette classe tant qu’ils étaient privés de ressources. Pour lui, travailler, c’était aliéner sa liberté au service de soi-même et d’autrui. De même, Marx pensait que la réalité du travail qu’il observait tous les jours à l’usine, au bureau, n’était que l’exécution de tâches répétitives tandis que l’esprit était ailleurs. Dans ce cas, l’homme est dépossédé de ce qu’il produit. Cette forme de travail mécanique ne sollicitant qu’une seule faculté, ne l’engage pas vers la rencontre de l’objet final qu’il contribue à créer. L’aliénation engendre la disparition de la liberté.

Activité rémunérée. Le travail est une activité rémunérée (1). Or, si la valeur de l’argent est reconnue supérieure à celle du travail, (le nerf de la guerre), il est malgré tout normal que le travailleur se trouve en droit d’en attendre la simple satisfaction de ses besoins. Mais, plus l’objet en face de lui devient puissant et s’oppose à lui, plus il juge son travail inutile. Telle une marchandise, il ne s’affirme pas, il s’appauvrit. C’est la ruine de son esprit, le sacrifice de soi. Cette dépossession au profit du produit et de l’activité productrice devient hostile à lui-même. Il est lui quand il ne travaille pas, et ne l’est plus, quand il travaille. C’est toute sa vie qui se trouve aliénée. Dans une réflexion encore plus consternante, être au chômage devient un drame psychologique. Car ne plus subvenir à ses besoins par la force de son travail, c’est perdre son identité.

Activité, fardeau pour l’homme. Considérer le travail comme étant une activité rémunérée pour survivre n’est pas suffisant. Le travail est un fardeau pour l’homme et c’est en cela qu’il devient aliénant car l’homme n’en tire aucun plaisir. Le célèbre passage de la Genèse (III, 19) nous le rappelle : « C’est à la sueur de ton front que tu mangeras du pain ! » Ici, le travail est source de difficultés, de pénibilité, de peines, de douleurs de l’enfantement. A l’homme est échue la responsabilité de poursuivre l’œuvre de la Création, de transformer la Nature. Cependant, à la différence de l’animal conditionné par sa nature et son destin, l’homme est pourvu de la liberté du choix entre le bien ou le mal, entre faire et ne pas faire, agir ou ne pas agir, L’homme est libre d’en tirer du plaisir, voire même une certaine liberté. Ce libre-arbitre, cette Conscience de l’Etre est ce qui le différencie définitivement de l’animal.

Le travail : libération.

Action : A partir du moment où le travail est une activité où l’esprit entre en jeu, s’ouvre alors la voie vers une certaine libération. Dans ses écrits, Marx a observé que le travail pouvait être une activité humanisante quand l’effort accompli s’achevait dans une œuvre pleine de sens.

S’il est reconnu à l’heure actuelle que des animaux éprouvent de la souffrance, de l’émotivité, et même une vie intérieure, l’Homme est en plus, le seul être vivant capable d’anticiper, d’imaginer et de programmer son futur chef d’œuvre. Chaque geste, chaque action peuvent prendre un sens sacré. Ses facultés tout entières sont engagées dans toutes activités : domestique, associative, artistique. A la manière d’un Architecte mobilisé pour élaborer un plan, le travailleur devient Créateur. Son travail est l’expression de sa dignité.

Place dans la société :

Avec la réalisation de son ouvrage, le travailleur gagne sa place dans la société. Cette conception du travail est celle de la reconnaissance par soi-même et par autrui de l’ouvrage final. Pourtant travailler, c’est aussi échouer, endurer et accepter l’échec. Le travailleur apprend à mieux connaître ses forces, ses faiblesses, ses vertus. L’erreur, l’imperfection, l’insatisfaction, loin d’être blâmées sont des étapes reconnues nécessaires à l’estime de soi mais, en même temps, délicates à accepter.

La valorisation de l’expérience, propriété personnelle de chaque individu, permet de parvenir à être soi-même. Que les métiers soient vils, serviles, ou nobles, le travail est une Connaissance irremplaçable de Soi et du monde, la part de soi-même engagée dans le fondement du lien social.

Conquête de l’identité de l’homme : De plus, pour affirmer son identité, l’homme a besoin d’exprimer sa liberté. Sénèque dit que notre travail n’ajoute rien de neuf à la Création. Pour lui, le travail n’est ni bon ni mauvais en soi ; il nous affermit, nous exerce à renaître, nous libère. Il suffit de se mouler par la pratique de la vertu dans ce monde en effet, déjà parfait. La joie d’inventer est dans l’invention, la joie de créer est dans la Création. C’est cette joie et cet amour du travail qui construisent l’identité du travailleur.

Les loisirs : libération

Dans les Ecritures, le 7ème jour de la semaine est formulé comme étant un jour de repos, de contemplation où travailler est interdit. Aujourd’hui, l’homme libéré par son travail, consacre ce temps, au divertissement. Caractère productif du divertissement : Contrairement au travail qui est imposé, se divertir c’est s’occuper à des activités librement choisies, avec pour seul moteur le plaisir d’agir : tricoter, jardiner, bricoler, écrire, ne présentent pas une servitude. Ainsi, les artistes, les poètes, les chercheurs font appel à leur imagination, à leurs ressources physiques et intellectuelles. Ils sont des créateurs. Aux yeux de la société, ils peuvent paraître marginaux, voire même des parasites.Pourtant, ils sont capables de rester oisifs jusqu’à ce que surgisse l’idée nouvelle. L’oisiveté, loin d’être ici, la mère de tous les vices, prend un sens vertueux. Les Dieux de l’Olympe l’avaient bien compris. Ils ne s’ennuyaient pas, ils vivaient heureux en une oisiveté épanouie.

Caractère improductif du divertissement : Le divertissement n’a aucune autre finalité que lui-même. C’est l’enthousiasme à faire une chose de bon cœur. Par exemple, à l’école, pendant les récréations, les élèves goûtent une joie particulièrement vive en jouant. Ils se ré-créent et renouvellent leur énergie après un long et patient travail de l’esprit.

Divertissement : effort.Cependant, le divertissement exige des efforts: se passionner pour une activité libre, c’est s’investir personnellement, c’est se fixer des impératifs, ce n’est pas forcément le repos. Pour conserver son corps en bonne forme, l’être humain a besoin de bouger, d’avoir des activités physiques. Ces divertissements requièrent des qualités et des efforts différents de ceux nécessaires à l’homme au travail mais reproduisent fidèlement toutes les servitudes du travail.

Le divertissement : aliénation.

Consommation démesurée. Au-delà de ces contraintes exigées par le divertissement, les lois de notre société actuelle conditionnent les goûts des individus et les poussent à une surenchère aliénante dans la consommation de leurs divertissements. Les initiatives du système ne prennent pas de vacances. Le temps libre est acheté. Dire que le loisir est aliéné, c’est dire qu’il invite à une démesure dans les besoins, à une publicité et à une addiction asservissante.

Caractère passif du divertissement. Hélas, dans le mal-être de la société actuelle, l’utopie est de promettre à chacun le loisir comme fin ultime alors qu’il n’est qu’un temps de réparation de ses forces pour retravailler. Lorsqu’une personne subit toute la journée un travail pénible et ennuyeux, elle a seulement besoin, le soir, d’un repos différent d’un divertissement. Ici, se divertir c’est s’absorber dans un plaisir immédiat et passif.

Dissimulation de l’ennui. Enfin, y a-t-il une raison pour que le repos soit insupportable au travailleur ? Certaines personnes n’arrivent pas à se reposer, à se poser ? Elles sont sans cesse en activité. Elles se jettent dans l’agitation des loisirs et cherchent à dissimuler leur ennui. Le divertissement, véritable refuge, permet de fuir, d’échapper à soi-même, de ne penser à rien. Semblable à l’autruche, elles se mettent la tête dans le sable pour s’aveugler et se détourner de leurs interrogations existentielles.

Pour Pascal, toute activité qui nous occupe l’esprit, qui nous empêche de penser à la mort est un divertissement. Ne dit-il pas, « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et cependant c’est la plus grande de nos misères ! » (2)

Dans un essai de conclusion, les deux activités, travail et loisirs, loin d’être opposées sont complémentaires. Cependant, à elles seules, elles ne peuvent pas empêcher le mal-être de la crise actuelle du travail (3). Celle-ci, sur une de ses facettes est peut-être une crise spirituelle.

Pour l’Homme en quête de Vérité, il ne lui est peut-être pas essentiel de chercher à savoir s’il a été créé comme l’animal avec un projet et une nature déterminés, si son existence, comme l’expose Jean-Paul Sartre, précède son Essence, ni même de savoir ce qu’il deviendra après sa mort ; ce qui importe ce n’est pas la vie éternelle mais sa vie terrestre. Celle dans laquelle il est un Etre Vivant capable de faire l’expérience de sa Conscience, un être moral, libre de construire son itinéraire particulier pour le meilleur comme pour le pire. Ce qui importe, c’est de sortir des enclos dogmatiques, en découvrant peu à peu l’invisible identité de chacun et de tous, cachée derrière le bandeau du statut social ou professionnel.
La responsabilité est d’accueillir et de vivre simplement la vie qui est en nous, dans une juste Harmonie. Cette vie qui se vit dans le travail comme dans les loisirs, exige d’être vécue dans sa plénitude. L’éternel investissement dans toutes ses activités le conduit à un travail perfectible, celui du travail de Soi sur Soi, (4) le même pour tout homme, chacun avec ses talents (5) et à égale distance de la Connaissance.

Ainsi, ce travail Vivant que lui seul peut faire, l’engage dans son Unité : corps, âme et esprit, source d’épanouissement et d’Amour, prélude à sa Libération. Tel pourrait être le Renouveau d’un Véritable Humanisme ! (6)

J’ai dit.

J\ L\

Dictionnaire Hachette : « La loi d’airain des salaires est une théorie économique exposée entre autres par Ferdinand Lasalle (la paternité de cette théorie est controversée) qui affirme que le salaire moyen est celui qui permet tout juste de nourrir le travailleur et sa famille. Il ne peut jamais être inférieur à ce qu’il est soumis sous peine de condamner l’individu et ne peut jamais être supérieur du fait du principe de population, selon lequel une hausse de la natalité entraîne une hausse de la main d’œuvre et donc une baisse des salaires ».

Extrait des Pensées de Blaise Pascal. Fragment 171-414.

Le problème pourrait être ailleurs : à notre niveau, nous n’avons pas les tenants et les aboutissants de la crise monétaire et du chômage ! En revanche, avec Amour et Persévérance, nos petites actions peuvent améliorer la planète. Il suffirait d’y croire !

Le travail maçonnique sur notre pierre brute. Extrait de notre rituel d’initiation : « Notre tablier de F\ Maçonne nous rappelle sans cesse que l’être humain est voué au travail et qu’une F\ M\ doit mener une vie active et laborieuse ». Certains rituels mentionnent : « L’homme est condamné… »

Nouveau testament : « Parabole des talents » qui nous oblige à faire fructifier ce que nous avons reçu. Pic de la Mirandole, auteur à la fin du XVème siècle.Inventeur de l’Humanisme moderne avec son célèbre discours sur « La Dignité de l’Homme » et sa métaphore du caméléon. Lorsque l’homme ne se réduit plus à l’animalité, il met en action son être entier, corps,âme et esprit dans sa Vie d’Homme Libre de construire son destin.


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