GODF Loge : NC Date : NC

Travail Méthode Doctrine maçonnique

Oui, il existe une doctrine maçonnique avec deux versants liés, initiatique et humaniste. Le travail maçonnique découle d'une méthode fondée sur le côté initiatique de la doctrine

1.- Un préalable s'impose pour préciser le sens des mots qui sont au coeur de la question
2.- La méthode maçonnique repose en grand part sur le symbolisme, et cette affirmation ne saurait être une litanie
3.- Pour un authentique travail maçonnique
4.- Une doctrine initiatique (implicite) existe ; elle est au coeur de la méthode symbolique
5.- La franc-maçonnerie met (explicitement) en avant un corps de doctrine humaniste
6.- II est séant de tirer une courte conclusion, que le lecteur (ou l'auditeur) a déjà entrevue : tout est lié

1.- Un préalable s'impose pour préciser le sens des mots qui sont au coeur de la question

Il importe de bien cerner les trois substantifs du titre - travail, méthode, doctrine -, afin que le lecteur (ou l'auditeur) et l'auteur disposent d'un base langagière commune.

Une doctrine est ici définie comme un ensemble de principes, d'énoncés, érigés ou non en système, traduisant une certaine conception de l'univers, de l'existence humaine, de la société, etc., et &accompagnant volontiers, pour le domaine envisagé, de la formulation de modèles de pensée, de règles de conduite.

Dans ce tracé, une méthode désigne toute démarche ordonnée, tout ensemble de moyens raisonnés permettant de parvenir à un résultat, d'établir une pratique.

Une doctrine est ainsi un ensemble de principes ou d'énoncés, de valeurs, de règles et de postulats, traduisant une certaine conception de l'univers ..., qui peut être volontiers accompagnée de règles de conduite, donc d'une méthode, d'une procédure, de la description d'un processus. Ces deux concepts - méthode, doctrine - apparaissent dans une relation induction-déduction : de principes et énoncés découlent un mode opératoire, une marche à suivre ; une méthode révèle des principes et énoncés sous-jacents, dont elle relève.

Le travail peut être caractérisé selon les deux acceptions suivantes4 : 1.- Effort, exercice physique ou intellectuel, réalisé en vue de l'acquisition, de l'apprentissage ou de la réussite de quelque chose ; ou 2.- Activité, ensemble d'activités coordonnées, d'une ou de plusieurs personnes, en vue de la réalisation de quelque chose.

Un travail, est une suite d'actions, un en-cours-de-réalisation, quelque chose en train de se faire, qu'il fasse appel principalement aux capacités physiques ou essentiellement aux fonctions mentales. Une méthode est un mode d'emploi, un plan, un guide, des instructions.

Appliquée à la franc-maçonnerie, cela s'enchaîne ainsi : le travail maçonnique s'inscrit dans une méthode maçonnique, dont il est la mise en oeuvre ; la méthode découle d'une doctrine initiatique implicite, dont le présent tracé ambitionne de prouver l'existence. Au-delà, il existe un volet doctrinal humaniste bien balisé. Le tout forme une doctrine maçonnique.

Le plan est ainsi tout défini. C'est d'abord un rappel à grands traits de la méthode maçonnique qui repose en grande part sur le symbolisme (partie 2). Sa traduction concrète en est le travail maçonnique (partie 3). Cette méthode possède des fondements dans une doctrine initiatique implicite (partie 4). Cette dernière est le premier volet d'une doctrine maçonnique qui présente également un aspect humaniste, énoncé explicitement dans la Constitution du GODF (partie 5). Une courte conclusion termine l'ensemble (partie 6).

2.- La méthode maçonnique repose en grand part sur le symbolisme, et cette affirmation ne saurait être une litanie

Le symbolisme, le symbole, la symbolique sont des termes résolument invoqués en franc-maçonnerie, comme des traits caractéristiques et distinctifs. C'est aussi un sujet de divergence entre ceux des frères qui souhaitent travailler (plus) sur des sujets de nature symbolique et ceux qui trouvent que c'est un mal nécessaire, à cantonner dans les travaux d'apprenti et de compagnon, et lors des tenues particulières (passage de degré, tenue funèbre, banquet d'ordre). Un commentaire au passage : les définitions du mot symbole foisonnent. Ce terme lui-même ne se laisse pas, loin s'en faut, enfermé dans des limites.

Le GODF se posant en Puissance symbolique régulière (cf. la 1ère de couverture du livre de la Constitution et du Règlement général), une surprise attend celui qui cherche un éclairage dans ses textes officiels. La Constitution et le Règlement général sont particulièrement peu diserts sur ce point. On n'y rencontre que l'adjectif symbolique, dont on ne dénombre en tout que les six occurrences suivantes :

- puissance symbolique régulière pour qualifier le GODF,
- signification symbolique des signes et des emblèmes
- chaque groupe de francs-maçons constitue l'Atelier bleu ou symbolique fondamental, dénommé loge
- demande de délivrance de constitution symbolique, lors de la constitution d'une loge
- l'une des questions annuelles renvoyées aux loges pour étude est la question B d'intérêt maçonnique ou symbolique
- une augmentation de salaire [est] accordée dans les formes symboliques prévues par le rituel.

Conséquemment, les mots symbole, symbolisme, symbolique ne figurent pas dans l'index de la Constitution et du Règlement général.

C'est probablement un choix délibéré de ne faire strictement aucune référence à un quelconque corps de doctrine relatif au symbolisme. Comme il est explicité plus loin, il s'agit de ne corseter aucune interprétation symbolique, de ne prêter le flanc à aucune critique pour des définitions qui apparaîtraient comme figeant les symboles et les transformant en dogme.

Toutefois, un article de la Constitution - l'article V - est consacré aux signes et aux emblèmes, dont la haute signification symbolique ne peut être révélée que par l'Initiation. Il cite en note un extrait du compte-rendu du convent d'avril 1919, sur l'usage des coutumes traditionnelles lors des travaux en loge, dont le respect (...) fait la force de l'Ordre. Cela ne justifierait pas de se qualifier de Puissance symbolique régulière souveraine, s'il n'y avait une véritable méthode à base largement symbolique, dont la transmission se réalise oralement et dans le faire.

Article V

La Franc-Maçonnerie possède des signes et des emblèmes, dont la haute signification symbolique ne peut être révélée que par l'Initiation (5).

Ces signes et ces emblèmes président, sous des formes déterminées, aux travaux des Francs-Maçons, et permettent à ceux-ci, sur toute la surface du globe, de se reconnaître et de s'entraider.

L'initiation comporte plusieurs degrés ou grades.

Les trois premiers degrés sont celui d'Apprenti, celui de Compagnon et celui de Maître qui seul donne au Franc-Maçon la plénitude des droits maçonniques.

(...)

(5) Est-il besoin de remémorer le haut intérêt qui s'attache au maintien de ces formes maçonniques, dont certains Ateliers auraient une regrettable tendance à s'affranchir ? Il n'est pas exagéré de dire que le respect des coutumes traditionnelles fait la force de l'Ordre. Outre qu'il est un hommage aux grands devanciers qui créèrent l'institution, il maintient dans nos Assemblées cette discipline, si légère à supporter et si heureuse dans ses conséquences, qui fait régner dans les discussions, si vives soient elles, la bonne harmonie, la déférence pour les conceptions d'autrui, la confiance réciproque ; il donne à nos travaux un caractère de dignité, de tenue, de correction, qui ne laisse pas d'être impressionnant. (Convent du 15 avril 1919)

Pour décrire à grands traits la méthode maçonnique, on se propose de suivre le parcours du profane à partir de sa demande d'admission.

Celui qui frappe à la porte du temple montre qu'il a déjà commencé un cheminement personnel. Ressent-il le besoin d'un lieu de réflexion - hors du temps et de l'espace - pour s'extraire de son environnement quotidien, des contingences de sa vie ? Est-il en quête de lui- même ? Recherche-t-il des relations humaines ouvertes et libres ... Un peu de tout cela, probablement. La lettre de motivation, les trois enquêtes et le passage sous le bandeau l'incitent à une pensée réflexive, à se questionner. Mais, cela demeure flou ou confus, et c'est bien dans l'ordre naturel des choses. Puis, c'est la cérémonie rituelle d'intronisation dans une communauté humaine pressentie différente, et espérée disponible et attentive, laquelle le fait passer d'un état "profane" à un état autre - en suspens -.

Si les épreuves d'initiation se terminent par l'instruction donnée au frère "nouveau-né" - communication de signes, explications sur les épreuves "endurées" et sur divers symboles rencontrés -, cela ne transmute pas ipso facto un profane en un initié. René Guénon qualifie cette initiation de virtuelle. Elle possède cependant déjà une signification symbolique - la renonciation aux habitudes du monde et la découverte de la lumière - et une valeur éducative - la préparation au langage des symboles. Il ne s'agit pas de la révélation mystique de quelque absolu ésotérique, mais, simplement, de l'acquisition des moyens et des instruments de la recherche maçonnique. Plus qu'une simple cérémonie de réception, l'initiation engage le maçon à se libérer de ses préjugés, à se dépouiller de ses passions et à prendre une meilleure mesure de ses forces spirituelles et morales. Elle permet au nouvel initié de &ouvrir à de multiples possibilités de transformation spirituelle, et l'invite à un travail intérieur qui est son initiation effective. L'initiation ne concerne donc pas que le passage de l'état profane à celui d'apprenti.

Du nouvel initié - avec un i minuscule -, c'est-à-dire de celui qui va désormais s'initiant, est requis un changement de perspective, qui consiste à abandonner le point de vue extérieur (= profane) au profit d'un point de vue intérieur (= initiatique), c'est-à-dire à prendre conscience de ce qu'il est, en lui-même et dans sa relation au monde.

L'un des enjeux majeurs est bien la découverte de ses potentialités propres, pour une (re)connaissance de soi - connais-toi toi-même -. C'est le sens majoritairement donné à la célèbre formule des alchimistes concentrée dans l'acronyme VITRIOL. Une telle exploration de soi peut être source d'angoisse, de désillusion et même de négation de soi ("je ne suis pas celui-là, ce n'est pas moi"). La progression personnelle est à ce prix. Un point capital : pour aller positivement vers les autres, il faut être préalablement au clair avec soi-même.

Comment s'y prendre ? En étudiant un manuel ? En suivant un enseignement ? L'instruction initiatique ne saurait être transmise ni par un écrit, ni par un maître, même "inspiré" : elle est inexprimable, donc incommunicable. Cette expérience personnelle - intime - ne constituerait-elle pas le (véritable/unique) secret maçonnique ? Seul celui qui a vécu le même processus intérieur peut se le figurer. Énoncé autrement, l'initiation maçonnique relève du domaine ésotérique et réside dans l'emploi de symboles et de rituels.

Apprenti ou maître, chacun peut observer combien est abondante la symbolique dans le temple, représentation mythique du Temple de Salomon, sans toit, ouvert sur une voûte azurée constellée d'étoiles de la Voie Lactée. Dépendant du degré auquel on travaille, on y rencontre des outils (équerre, compas, règle, ciseau, niveau, levier, fil à plomb), des formes (triangle, étoile à cinq branches, delta lumineux et son oeil) ou des lettres (G), le soleil et la lune, une corde à noeuds courant sur les murs et même une épée sur le plateau du vénérable en chaire. On y découvre aussi une pierre brute, à tailler et à polir, une pierre cubique à pointe pyramidale, des agencements et des éléments décorant la loge. On y évoque des nombres (3, 5, 7), on y cite le temple (intérieur de chacun, de l'humanité aussi) dont la construction et l'embellissement mobilisent sans relâche les francs-maçons.

Le symbolisme est omniprésent dans la moindre des activités humaines, par exemple, pêle-mêle, dans la publicité et dans la politique, dans la littérature et la peinture, dans les couleurs et dans les fleurs, dans le vin, dans l'eau, mais aussi dans les mythes, anciens et modernes. René Guénon évoque son origine "supra-rationnelle", "non-humaine" ; Carl Gustav

Jung renvoie à l'inconscient et aux archétypes. Un autre auteur précise que c'est peu dire que nous vivons dans un monde de symboles : un monde de symboles vit en nous.

Manier des symboles revient à cheminer principalement grâce à des associations d'idée déclenchées par un objet, un geste, une image, un ressenti sensuel, pour lui donner un sens tout autre - un sens symbolique -, qui en fait un ... symbole. Plusieurs symboles peuvent être actionnés simultanément. Un exemple classique est la gestuelle qui ouvre et ferme les travaux de la loge : la mise à l'ordre, le signe, la triple batterie et l'acclamation. Chaque geste recèle un symbole qui peut être interprété en soi. L'ensemble engendre un symbole supplémentaire par l'interaction des différentes composantes.

Les symboles constituent un langage à part entière, le langage du silence, selon l'oxymore de René Guénon. Ce langage offre des perspectives d'expression que le langage des mots ne peut traduire complétement. Il permet d'atteindre des niveaux "supérieurs" de connaissance qui ne pourraient l'être d'aucune autre façon et, partant, demeureraient occultés. À l'instar de l'art sous ses multiples formes, le symbole peut être analysé, disséqué, peut-être expliqué, mais finalement sans pouvoir le saisir dans son entièreté, dans son essence.

L'interprétation dépend de l'histoire personnelle de chacun, suivant son contexte socioculturel, historique, géographique. La raison a (relativement) peu à faire en la matière, en ce sens que le symbole, comme ressource de sens, s'attache au sens second, caché, figuré. C'est principalement l'intuition, l'analogie, l'imagination, sans oublier l'émotion, qui sont à rceuvre. Cette richesse est inépuisable, car sa traduction est hic et nunc. Demain est un autre jour, où tout se renouvelle. Il n'y a pas d'interprétation-type, donc pas de dogme. La connaissance symbolique est éminemment personnelle.

Convient-il alors d'écarter, dans un a priori, les traités et les dictionnaires de symboles puisque les interprétations proposées sont le résultat d'un processus extérieur, digéré ? Une telle attitude serait excessive et digne de la pensée unique, dogmatique. Il est naturel qu'au démarrage d'une recherche, une première approche livresque aide à recueillir des pistes. La lecture d'ouvrages fournit des définitions et des mises en oeuvre prédigérées de symboles. À partir de cette première entrée, le néophyte est incité à diverger et à élaborer sa propre interprétation du symbole. L'essentiel est dans la progression par analogie. Il est dans le questionnement plutôt que dans l'aboutissement.

En matière symbolique, les frères nouvellement initiés sont tels des jeunes explorateurs faisant leurs premières armes dans une région peu hospitalière. Dans une première phase, il est bien naturel de les guider dans sa découverte, en leur dispensant informations, encouragements et exemples, ce qui suppose que les accompagnateurs aient eux-mêmes suffisamment balisé le sentier.

Même si le développement initiatique résulte d'une démarche purement individuelle, il ne s'effectue nullement dans la solitude mais, pour une part importante, dans le silence actif de la loge au travail, avec ses rites - rituel, silence de l'apprenti, audition de planches, prise de parole, cérémonies d'augmentation de salaire ... -.

C'est pourquoi la présence en loge est un élément primordial, dans la mesure où s'instaure une authentique communion spirituelle au cours de la tenue. Alors, le travail de rassemblée des frères agit sur chacun, par osmose. Le travail de l'un est apporté au groupe, qui l'enrichit par ses commentaires et questionnements. Le travail sur soi est renforcé par celui collectif de la loge. Il y a complémentarité entre une démarche personnelle et le fait que la progression individuelle se réalise, pour une bonne part, grâce au travail en loge. Chacun est une pierre de l'édifice collectif que constitue la loge. On conçoit combien sont capitaux le rôle, la qualité et le mode de fonctionnement de l'atelier et, au-delà, ceux de l'institution toute entière. Le vénérable et les officiers de la loge jouent un rôle éminent et déterminant dans ce dispositif.

La méthode maçonnique est structurée par l'organisation en trois grades. Les cérémonies d'augmentation de salaire sanctionnent la progression du récipiendaire et lui ouvrent d'autres perspectives, grâce à leur vécu et à la richesse des nouveaux symboles. Bien qu'ayant été témoins de ces rituels à de nombreuses reprises, les assistants, s'ils sont disponibles spirituellement - pour avoir su laisser les métaux à la porte du temple -, en viennent à revisiter des symboles et des éléments du rituel et à en extraire de nouvelles interprétations.

L'appropriation, comme outils symboliques, des outils de la maçonnerie opérative montre, d'une part, la continuité de la chaîne qui relie les maçonneries opérative et spéculative et, d'autre part, la pérennité de la transmission initiatique, ancrée dans la tradition. Aussi convient-il de souligner l'extrême importance non seulement du suivi rigoureux du rituel, en évitant son respect purement formel, mais aussi de la poursuite de l'effort sur la symbolique, en général, car le symbolisme s'impose (presque) partout, volens nolens.

En résumé, la méthode maçonnique peut être définie par les éléments suivants : 
- des épreuves initiatiques à différentes étapes de la vie maçonnique,
- un rôle essentiel, mais non exclusif, accordé au symbolisme, pour un travail intérieur,
- un questionnement sur le monde et sur ce qui fait de soi une personne humaine, dans un cheminement dialectique d'allers et de retours,
- un travail en loge, selon un rituel hérité du passé, en particulier celui de la prise de parole, et une présence assidue des membres aux tenues, la loge étant le lieu propice aux échanges.

3.- Pour un authentique travail maçonnique

Le travail sur soi est l'une des tâches principales du franc-maçon. Au départ, il y a une situation où domine le sentiment d'être inconnu de soi-même, d'être plutôt un objet, bringuebalé, passant à côté de son existence.

Prendre conscience de soi n'est pas seulement découvrir que l'on est soi, mais, d'une certaine façon, c'est devenir ou se découvrir étranger à soi pour pouvoir devenir soi. Ne pas se reconnaître soi-même, c'est être incapable d'arriver à contrôler ses pulsions. L'ambition consiste à viser à être le sujet de son existence, même si la vérité profonde de soi ne peut que s'échapper toujours.

Une liste d'actions ou de tâches à accomplir, d'attitudes à adopter, non exhaustive et sans ordre, peut être déduite de la partie précédente, comme suit :
- s'éveiller à la connaissance de soi (recherche et approfondissement), entre autres, par les symboles et, en particulier, s'imprégner de la symbolique maçonnique (outils, cérémonies de passage, rituels, ...),
- observer plutôt que regarder, vivre le rituel - attitude primordiale -,
- oeuvrer à son perfectionnement sur différents plans : éthique (les valeurs, le bien et le mal vis- à-vis de soi, des autres, de la société, de la nature aussi ...) ; spirituel (la relation au sacré ...) ; métaphysique et philosophique (le sens de la vie, la conception du monde ou du réel ...) ; psychologique (les pensées, le comportement, les sentiments, les motivations ...),
- (corollairement) apprendre à déposer ses métaux à la porte du temple, c'est-à-dire libérer sa manière de juger, prendre du recul en vue de se rendre indépendant de ses préjugés comme de ses certitudes, gouverner ses passions, relativiser la course au matériel,
- être acteur de la sérénité et de la tolérance, et de la fraternité aussi, qui doivent être la règle lors du travail en loge,
- travailler en loge sur des thèmes philosophiques et moraux, et du monde contemporain, et progresser dans une dimension collective.

4.- Une doctrine initiatique (implicite) existe ; elle est au coeur de la méthode symbolique

Après un certain temps de vie maçonnique, tout franc-maçon constate que le travail maçonnique suit une méthode. En revanche, le mot "doctrine" effraie, dans la mesure où il possède une connotation religieuse ou philosophique, ou qu'il évoque un maître à penser - un gourou -, ou une école. D'autre part, on apparie aisément doctrine et dogme, comme le montrent certaines religions monothéistes. Est-ce pour ces raisons que des frères affirment que la franc-maçonnerie n'a pas de doctrine ? On la qualifie même parfois de pensée sans doctrine.

Pourtant, à l'appui de la partie sur la méthode, on peut dégager, par induction, les principaux principes suivants :
- des épreuves - l'Initiation, avec un i majuscule - sont indispensables pour être admis dans et être reconnu par l'institution,
- l'initiation - avec un i minuscule - est un processus permanent qui vise à l'éclaircissement sur soi,
- la pensée rationnelle n'étant pas le seul mode de connaissance et le progrès scientifique, technique ou matériel, n'étant pas non plus le seul progrès possible, la connaissance de soi et du monde passe, entre autres, par le symbole ; le symbole aide l'être humain, d'une part, à saisir des réalités de l'univers qu'autrement il n'arriverait possiblement pas à comprendre et, d'autre part, à progresser,
- (corollairement) chaque franc-maçon est invité à trouver sa voie initiatique personnelle, aucun itinéraire individuel ne pouvant faire l'objet d'un enseignement, fondamentalement inexprimable,
- l'institution d'adhésion doit être dépositaire d'une influence spirituelle et d'une tradition initiatique, pour fournir un cadre pour le déploiement de la démarche initiatique, car nul ne saurait être son propre initiateur en "chambre". En particulier, le sérieux et rigoureux  déroulement du rituel structure l'espace et le temps des travaux, en ce sens qu'il donne un rythme, une respiration à la vie communautaire.

Sans en apporter ici la preuve raisonnée, on considère les principes ci-dessus énoncés comme traduisant une certaine conception de l'univers, de l'existence humaine, de la société, etc. Ils dessinent une doctrine initiatique personnelle symbolique, qu'on peut qualifier d'ésotérique (cf. note n 13, p 4). Elle ressort implicitement de la méthode maçonnique, aussi dénommée démarche initiatique.

Réciproquement, si l'on se donne a priori le corps de doctrine ci-dessus, alors, par déduction, on peut élaborer la méthode présentée dans la partie précédente, c'est-à-dire fixer la marche à suivre pour mettre en application les principes doctrinaux.

En demeurant non exprimée, la doctrine initiatique n'est érigée ni en système (cf. note n°2, p 1), ni en dogme (cf. note n°7, p 2). Ce qui se transmet en loge est une méthode d'appréhension et non une doctrine. Devrait-on en conclure que la doctrine initiatique est propre à chaque franc-maçon ?

5.- La franc-maçonnerie met (explicitement) en avant un corps de doctrine humaniste

La vocation de la franc-maçonnerie est de faciliter l'accession de ses membres à des connaissances ou des pratiques en vue d'un accomplissement personnel et collectif. Son originalité tient beaucoup à sa nature de société initiatique.

À grands traits, son idée force est le concept de construction, d'édification. Le but ultime est de bâtir le "temple de l'humanité", c'est-à-dire d'atteindre cette situation où les hommes, dans leur ensemble, jouissent d'un complet épanouissement.

Aussi, parallèlement à l'objectif de développement personnel, moral et spirituel, précédemment (partie 2), la franc-maçonnerie, en digne héritière du siècle des Lumières, prône-t-elle un engagement humaniste collectif de ses membres, sur les plans éthique, social, spirituel et même politique. C'est ce qu'exprime l'article premier de la constitution du GODF.

Par cet article, la franc-maçonnerie professe la liberté absolue de conscience et s'interdit tout dogme, les conceptions métaphysiques ne relevant que de la sphère privée de chacun de ses membres.

Article premier

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale et la pratique de la solidarité ; elle travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité.

Elle a pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience.

Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l'appréciation individuelle de ses membres, elle se refuse à toute affirmation dogmatique.

Selon certains, la liberté de conscience et le refus d'affirmation dogmatique ont pour corollaire que la franc-maçonnerie n'a aucune doctrine. Le présent texte espère avoir su montrer que ce corollaire est erroné.

Si l'on dissèque le premier paragraphe de l'article 1er (en s'appuyant sur le TLFi), on trouve un certain nombre de principes ou d'énoncés premiers, comme suit :
- (philanthropique) le franc-maçon revendique et est inspiré par l'amour de ses semblables ; il cherche à favoriser l'échange entre les êtres humains ; il entend aider ceux qui souffrent matériellement, physiquement ou psychologiquement,
- (philosophique) l'institution attend de ses adeptes sagesse, équilibre, simplicité et une certaine forme de détachement pour les choses du monde,
- (progressive) l'institution croît en la capacité des hommes à s'améliorer, c'est-à-dire en un processus évolutif de l'humanité vers un terme idéal ; elle est ouverte aux idées nouvelles et ne défend aucun ordre établi, quel qu'il soit ; elle se doit d'affronter et de penser la nouveauté et sa complexité.

Le deuxième paragraphe de l'article premier formule des principes complémentaires pour servir de guide de comportement moral, mais aussi de garde-fou, comme suit :
- la tolérance mutuelle, qui engage à accepter les valeurs et la spécificité de penser, de s'exprimer et d'agir d'autrui,
- le respect des autres, qui préconise de laisser une distance nécessaire entre autrui et soi, qui permette à soi comme à autrui d'exister, et demande de l'accepter, de le reconnaître, dans ses différences, dans ce qu'il a d'irréductible,
- le respect de soi-même, qui consiste à s'accepter tel que l'on est, à ne pas se laisser imposer des choses qui ne sont pas en accord avec ses convictions, à se fixer des limites, aussi à prêter attention à son corps, à son apparence et à son esprit,
- la liberté absolue de conscience, qui est la liberté de choix par toute personne des valeurs ou des principes pour gouverner son existence.

Le dernier paragraphe de l'article 1er énonce un principe fondamental, à savoir le refus de toute affirmation dogmatique. "La" morale, dont la nécessité est affirmée par la franc- maçonnerie et dont l'étude est l'un de ses buts, est alors indépendante de toute croyance métaphysique.

L'instruction remise au candidat à l'initiation pour être méditée reprend les éléments présentés ci-dessus.

Au total, on se trouve en présence d'un ensemble de principes (...) traduisant une certaine conception de l'existence humaine, de la société, etc., c'est-à-dire d'une doctrine.

Aucun de ces principes humanistes n'est l'apanage de la franc-maçonnerie. La grande majorité d'entre eux jouissent, du moins dans le monde occidental, d'une certaine universalité. Cependant, leur mise en pratique est bien faible. Depuis quelques décennies, le "chacun pour soi" s'érige  en "valeur" dominante - à moins qu'il ne s'affiche et s'affirme ouvertement avec plus d'insolence -, alors qu'on déplore la perte de repères et même une crise des valeurs essentielles. Aussi une institution comme la franc-maçonnerie a-t-elle un véritable rôle à jouer pour les remettre à l'honneur et pour les appliquer. Une condition sine qua non est que ses membres s'approprient ces principes, non seulement intellectuellement, mais aussi dans leur coeur - en aient l'intelligence du coeur -.

Mais, s'imprégner de la doctrine humaniste et la traduire en mode d'action suppose avoir préalablement développé une éthique personnelle, atteint un certain niveau de maturité morale et pris une claire conscience de soi. C'est la déclinaison du principe de "connaissance de soi et du monde", énoncé dans la partie précédente (partie 4).

6.- Il est séant de tirer une courte conclusion, que le lecteur (ou l'auditeur) a déjà entrevue : tout est lié

Dans les écrits institutionnels de la franc-maçonnerie, il n'y a stricto sensu aucune référence à un quelconque corps de doctrine. La Constitution et le Règlement intérieur du GODF sont quasi muets sur le symbolisme. Le rituel, surtout lors des cérémonies d'initiation, d'augmentation de salaire de l'apprenti ou d'élévation à la maîtrise, est plus disert, mais se situe - et c'est bien normal - au niveau d'une explication/signification du symbolisme de la cérémonie. C'est probablement la conséquence d'une volonté inflexible de se prémunir contre tout dogmatisme.

Le présent tracé avait pour dessein de montrer que la méthode maçonnique relève d'un ensemble de principes, qui constitue une doctrine initiatique cohérente, sous-jacente, non exprimée, qui la justifie et la fonde. Par ailleurs, il existe une doctrine humaniste, clairement contenue dans la Constitution du GODF, qui complète la doctrine initiatique. Les deux piliers de la doctrine maçonnique, l'un humaniste, l'autre initiatique et symbolique, sont en interaction et, ensemble, forment un tout doctrinal indissociable.

Avec beaucoup d'inconscience et un peu d'audace intellectuelle, on aspirait à "révéler" la doctrine de la franc-maçonnerie.

La voie initiatique est artisanale et l'acquisition du "tour de main" - ici, plutôt des "tours d'esprit et de coeur" - demande de longs efforts et beaucoup de persévérance. Il est vrai aussi qu'aujourd'hui, le cheminement qui mène à la liberté intérieure semble faire bien plus appel à des procédés psychologiques qu'au langage ésotérique.

F\ B\


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