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Travail sur la Pierre Brute

Voici donc un travail d’apprenti, délibérément choisi  par moi pour nos apprentis ! Il m’est apparu intéressant de revisiter un peu le sujet après tant d’années de maîtrise, ne serait ce que pour me replonger dans mes années premières en maçonnerie, me bousculer aussi un peu, et pour vous tous, me voyant me remettre ainsi en cause, vous donner à vous aussi peut-être, enfin pour ceux qui le veulent vraiment, l’envie de méditer… Nous autres maîtres avons perdu la « grâce » de ces premiers instants, mais notre pierre, qu’est elle devenue ?

1 -Symbolique
« C’est muni du maillet symbolisant la volonté de perfectionnement, et du ciseau qui vient parfaire l’œuvre en rendant la pierre tout à fait conforme à son emploi », quele tout nouveau frère, à peine initié, est invité à appliquer trois coups sur la pierre brute. La tonalité est  immédiatement donnée par notre rite écossais ancien et accepté : On est là pour se bouger, pour se perfectionner, tant pour soi-même que dans l’intérêt de la loge, c'est-à-dire de ses frères. Cette injonction à travailler, travailler, travailler (trois coups), nous appelle à ce devoir que nous avons tous de ne jamais faiblir, jamais nous décourager devant l’immensité de la tâche. Sorti groggy de son initiation, le « jeune » maçon ne prendra conscience de la pertinence de cet appel au travail que s’il voit en ses maîtres, tous ses maîtres, un exemple, une incitation à le faire : Notre travail sur la pierre brute à nous autres maîtres, est de donner envie à ces…futurs maîtres (!) que sont les apprentis, mais aussi les compagnons, d’avancer dans la taille de la pierre brute, travail abrupte s’il en est, mais dont les résultats doivent apparaître à un moment ou à un autre, sinon ne risqueraient ils pas de s’écrier « A quoi bon  toutes ces belles paroles ? » Cette injonction au travail doit rester le fil rouge de toute notre vie maçonnique, fil vivant s’il vous plait, et non simple rayon fossile, lointain témoignage du Big Bang initiatique.

Dans l’instruction au premier degré, c’est encore cela qui est rappelé. La pierre brute forme un ternaire avec les outils donnés au nouvel initié, et cette pierre brute ne « s’anime » que de par la volonté agissante du maillet sur le ciseau qui est l’outil pour parfaire le grand œuvre. Et quel est-il ce grand œuvre ? La transformation, progressive, j’aimerais mieux dire, l’espérance de la transformation de notre esprit, notre pierre brute en une pierre qui puisse s’insérer dans tout l’édifice, sans le perturber, mais au contraire en visant à le renforcer. C’est ceci que je vais essayer, mes chers frères, de développer à présent, car, rappelez vous mes chers apprentis, mes chers compagnons, et surtout, mes chers maîtres (!) rappelez-vous cette phrase de notre rituel « tant que l’illusion et les préjugés nous aveuglent, l’obscurité règne en nous et nous rend insensible à la splendeur du vrai ». Méditons juste quelques instants sur cette phrase qui synthétise une grande partie du travail que nous avons à faire tant sur nous-mêmes, « le travail sur, ou mieux pour soi/ le « travail pour les autres », frères ou non…

2. La dualité travail pour soi/ travail pour les autres.

Premier constat, nous travaillons tous « A LA GLOIRE DU GRAND ARCHITECTE DE L’UNIVERS » et non à notre propre gloire. Je m’explique, travailler, ne veut pas dire travailler pour travailler, pour montrer que l’on travaille, aller quérir je ne sais quel mérite, auprès de quelles sommités, locales ou supra locales en maçonnerie, je vous le demande ? Autrement dit, il faut bien s’entendre sur la nature de ce travail, qui est un travail sur soi, sur l’égo, et donc qui ne doit rien avoir, ni de complaisant, ni d’ostentatoire. L’humilité ne se doit pas d’être énoncée, elle se doit d’être tout simplement. On voit tout de suite la difficulté du travail sur notre pierre brute ! Travailler, dans le silence de nos jours et de nos nuits, travailler en sorte que notre égo, et croyez bien que je ne veux pas ici démontrer qu’un égo n’est pas nécessaire, que serions nous sans celui-ci ? Travailler en sorte que notre égo donc, et ne nous dicte pas notre conduite, et ne soit surtout pas la seule interface que nous ayons à offrir à nos autres frères. Je condescends bien à ce que notre égo ayant sa propre histoire, vive une existence en nous, mais de grâce qu’il ne nous dicte pas notre conduite, qu’il ne nous amène pas à vouloir asservir des plus faibles que nous, quand c’est bien lui souvent, en cette occurrence, qui devrait être renforcé !

Le travail sur la pierre brute est celui de composer avec la prégnance de notre égo, et une fois en avoir fini avec ses exigences, de pouvoir se consacrer à l’essentiel, l’amour de soi. Car seul l’amour de soi, et non l’amour de l’image de soi que nous renvoie un égo trompeur,  peut nous permettre d’accéder à l’être et surtout aux autres « en-êtres », autres cherchants que sont nos frères tendant vers le même objectif, et qui est d’être (Encore une fois, rappelons nous, « L’illusion et les préjugés nous aveuglent, etc… ». Il faut vouloir accepter de renoncer un peu à certaines facilités, nous avons tous reçu le même formidable coup de pied au cul de l’initiation, nous serons estimés en tant que maçons (j’ai sciemment écrit « estimés » et non « jugés »), sur ce que nous avons fait de ce merveilleux présent, ou non fait…

Le travail sur la pierre brute, une fois le premier travail sur soi enclenché, c’est avant tout, de pouvoir s’insérer dans le vaste édifice, ce qui a une symbolique éclatante tout de même non ? Accepter de s’insérer peut faire accroire l’idée que l’on va se fondre, se dissoudre dans une entité idéalisée certes, « le fameux idéal maçonnique », or ce n’est pas se fondre qu’il est demandé, c’est de participer à quelque chose de plus grand que soi, de lui donner le meilleur de soi-même. J’en reviens à ma tête de turc: Il faut avoir résolu les problèmes avec son égo, pour accepter cela, accepter de ne pas dominer, ne pas se mettre en avant, de se lâcher aussi, parfois…et même si, en fait, l’égalité prônée sur les frontispices de la république n’existe pas, elle doit être vue comme un idéal à atteindre, sans tarder ! Du reste, et afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ce terme d’égalité, il ne s’agit pas dans mon esprit d’une égalité des individus, mais d’une « égalité en matière de droit de l’individu », car évidemment son contraire, « énoncer que les individus ne sont pas égaux en qualités, en performances » introduirait une notion de hiérarchie, point de fondement des idées eugéniques ! Point de cela en loge mes frères, il nous faut tous accepter cette idée qu’il n’y a pas de super frères, de moyens frères, voire de sous-frères…

Se fondre, se confondre sera toujours vécu avec horreur par certains, alors qu’il ne s’agit que de s’insérer avec amour dans plus grand amour que soi, et je me permettrai cette interpellation dans le « style » maçonnique : « Si  tu as de la défiance envers tes frères, c’est que tu ne sais pas où tu  en es avec toi-même ! » Le problème c’est que les frontières entre les deux maçonneries que sont celle temporelle des affaires matérielles, gestion du temple, du groupe, et celle spirituelle, notre quête à tous, ne sont absolument pas étanches, et que pour certains le fait de s’impliquer plus que d’autres  leur fait croire qu’ils auraient une place plus importante que celle de leur voisin qui lui « ne ferait rien pour l’atelier ». Forcément  j’aborde ici un sujet difficile, dérangeant, mais « même pas peur ! » car nous ne sommes pas ici pour éluder mes FF, et j’aimerais  mettre en exergue toute la dualité, toute la difficulté d’exercer notre art, et, ai-je besoin de le préciser, personne n’est visé !

C’est un problème, oui un vrai problème, mais d’ordre général, et que l’on rencontre dans toute communauté d’individus, tant il est vrai que ce qui soude le plus les hommes c’est ce qu’ils accomplissent ensemble. Mais j’insiste sur ce travail de brute, pour chacun d’entre nous, qu’est le travail sur la pierre brute de nos relations soit disant fraternelles, les affinités ne sont pas les mêmes entre tous, forcément. Se voiler la face en disant : « Parce que nous sommes des maçons, nous nous aimons tous » tient de la franche rigolade, et il ne faut pas rester longtemps dans une loge pour se rendre compte que cela tient du mirage. » « Les frères s’embrassent beaucoup, mais s’aiment peu », se serait écrié un ancien haut dignitaire, sans doute sont ce là des paroles lancées sous le coup de je ne sais quelle déconvenue, et  qu’importe, il ne nous est pas forcément demandé cela, mais au moins de ne pas juger, cataloguer, classer et partant, de ne pas procéder à des mises à l’écart, car nous avons devoir d’entre-aide même envers celui qui fait tout pour ne pas attirer, disons la sympathie, ou en tout cas rien pour créer l’empathie. C’est même par là que nous pourrons voir les progrès que nous accomplissons, si nous allons à l’encontre de nos inclinations premières, voire parfois, et cela peut arriver, de nos répulsions.

Pouvoir insérer sa pierre dégrossie dans le vaste édifice, son temple intérieur dans le temple de Salomon, c’est se reconnaître comme faisant partie d’une communauté animée par le même idéal, se reconnaître étant le plus facile, je préfère aussi écrire « se faire reconnaître », et puis surtout « reconnaître ses frères » pour cheminer à leur côté  sur les sentiers incertains de l’entre-aide fraternelle, de la quête  du Beau, et de la Connaissance. Le travail sur la pierre brute fait de nous, plus que des cherchants, des « espérants », en ce sens que nous ne pouvons qu’espérer que nos frères fassent de même…
                       
3-Comme une « entrevoyure » de ce qui nous attend, la Pierre cubique à pointe, tout en n’en dévoilant rien…
En fait c’est juste pour me permettre de faire, telle une petite pirouette sémantique, une allusion au casque à pointe symbole de la rigueur teutonique ou rien ne dépasse sinon tu trépasses ! Car la maçonnerie n’aboutit pas à l’uniformisation, au formatage, retenons de Jacquard, le grand généticien, cette leçon de grande clairvoyance : « Notre richesse collective est faite de notre diversité. L’Autre, individu ou société, nous est précieux dans la mesure ou il nous est dissemblable ». Travailler sur la pierre brute c’est vouloir tendre vers le graal d’une certaine perfection de soi certes, mais qui loin de gommer les traits les plus remarquables de la personnalité de chacun, tend plutôt à vouloir gommer les aspérités, c'est-à-dire ce qui empêche les-dîtes qualités de s’exprimer pleinement.

Alors, nous polir oui, mais afin de mieux faire accepter aux autres, avant tout nos frères, le « message » que nous avons tous au fond de nous et qui ne demande qu’à entrer en vibration avec celui de chacun d’entre nous, et parfois tenu à l’écart des autres parce que rugosité, timidité, fermeture sur soi, complexes par rapport à d’autres, sont autant de freins, de portes verrouillées, et qu’un vrai travail sur la pierre brute eût pu sinon totalement, du moins suffisamment évacuer, non ? Et cela c’est bien différent de ce que nous voyons tous les jours tant dans la vie profane, à l’intérieur des organisations politiques, églises, sectes fondamentalistes, que dans le comportement « moutonnier » de la plupart des individus au sein de la société civile.

J’espère qu’à l’écoute de cette planche vous aurez remarqué combien j’étais heureux d’être ici parmi vous, fier aussi, oui, fier et donc exigeant envers vous, ça oui, je l’avoue ; envers moi-même avant tout, car très hautement conscient de ce que cela me donne comme responsabilités d’être franc-maçon. Pour moi être franc-maçon, c’est travailler sans relâche sur les pierres brutes, de mon amour pour vous tous, et pour tous les autres  au dehors;  mais aussi  de celui pour moi-même et qui me rendrait ouvert à l’autre, si différent soit il de moi, et c’est tant mieux,  car j’adhère totalement, même si ce n’est pas facilement, spontanément, à ce que SAINT-EXUPERY écrivait dans Lettre à un otage : « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente… »

4- Et comme il faut bien conclure, je n’aurais vraiment réussi qu’en vous faisant méditer à mes côtés…
Dans un ultime travail sur la pierre brute, je m’invite, et vous également, à vous détacher un tant soit peu des vicissitudes de nos vies si dérisoires, car comme le rapporte Louis PAUWELS dans son livre coécrit avec Jacques  BERGIER, le « MATIN DES MAGICIENS » et dont je vous recommande chaleureusement la lecture,  et dans lequel il cite  Jacques RIVIERE,  je crois profondément comme ce dernier que « Il n’arrive pas aux hommes ce qu’ils méritent, mais ce qui leur ressemble ». Et  alors seulement avec Walter RATHENAU nous pourrions nous écrier « Même l’époque accablée est digne de respect, car elle est l’œuvre, non des hommes, mais de l’humanité, donc de la nature créatrice, qui peut être dure, mais n’est jamais absurde. Si l’époque que nous vivons est dure, nous avons d’autant plus le devoir de l’aimer, de la pénétrer de notre amour, jusqu’à ce que nous ayons déplacé les lourdes masses de la matière dissimulant la lumière qui luit de l’autre côté. »

Non, mes frères, j’ai vérifié dans Google, Rathenau, ne parait pas avoir été franc-maçon, il fut ministre de la reconstruction allemande de l’éphémère république de Weimar, et fut assassiné en 1922, par des fanatiques, pronazi. Déjà… Ceci dit, j’ai envie, lorsque je lis cela de le qualifier de « maçon sans tablier », car reconnaissez tout de même, quelle analogie avec cette phrase de notre rituel déjà citée tout à l’heure : « Tant que les illusions et les préjugés nous aveuglent, l’obscurité règne en nous et nous rend insensible à la splendeur du vrai. »
Et voilà mes frères, l’ultime but de notre travail sur la pierre brute, non ?

J’ai dit vénérable maître.


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