L'Etoile Flamboyante

« Êtes-vous compagnonne ? » ; « J'ai vu l'étoile flamboyante ».

Depuis que j'ai franchi la porte basse, l'étoile me poursuit. A chaque tenue, nous sommes assises sous la voûte étoilée ; à l'orient le soleil (l'étoile la plus proche de nous) tarde ses rayons sur la colonne du midi, tandis que la pénombre de son reflet dans le miroir lunaire éclaire la colonne du septentrion. Derrière la Première Surveillante, une étoile à 5 branches ornée de la lettre G en son centre m'intrigue. Lors de la cérémonie d'augmentation de salaire, après avoir effectué 5 voyages initiatiques devant le tableau des sphères céleste et terrestre, nous découvrons l'étoile dont je veux vous parler ce soir : « L'étoile flamboyante ». Je l'ai choisie comme sujet de ma planche symbolique après une soirée chez notre Première Surveillante de l'époque. Arrivée assez fière de ma construction géométrique à la règle et au compas, j'ai rapidement compris que je ne l'intégrais pas sur le plan maçonnique. Le travail fait ce soir là m'a donné à réfléchir et c'est cette réflexion que je vais vous livrer ce soir.

Depuis la plus haute antiquité, l'étoile est un symbole. On la retrouve dans les pétroglyphes. Dans la mythologie grecque, elle est l'emblème de la Déesse Hygie, déesse de la santé physique et psychique. Un grand nombre de demi-dieux ont donné leur nom à une constellation ou à une simple étoile (Andromède, les Gémeaux, Cassiopée). Elle figure sur un très grand nombre de drapeaux nationaux comme sur celui de l'Union européenne. Enfin, être une star est le symbole de la réussite et Hollywood Boulevard est célèbre dans le monde entier pour les étoiles accompagnant les empreintes des pieds et des mains des acteurs les plus fameux du cinéma.

Dans notre Atelier l'étoile flamboyante est particulièrement esthétique : gravée dans un verre épais dont la forme m'évoque une bulle prête à s'envoler, verre qui diffuse une lumière venant de l'intérieur. La partie du verre dépoli transforme la diffusion de cette lumière, qui devient plus dense à cet endroit, soulignant le profil lumineux de l'étoile. Réparties dans le verre, plus nombreuses dans l'étoile, des inclusions argentées se dispersent du centre vers la périphérie pour symboliser la lumière et le rayonnement de l'étoile. En son centre la lettre G, stylisée, dont les angles droits ne rappellent la marche en Loge avec ses arrêts à chaque angle. L'étoile flamboyante est une étoile à 5 branches, dite pentagramme étoilé. Elle était le symbole de l'Ecole Pythagoricienne (dont les règles de silence des apprentis, de secret, d'existence de trois degrés dans l'enseignement me rappelle nos règles maçonniques) C'est un polygone régulier ce qui lui donne la particularité de s'inscrire dans un cercle et d'avoir un cercle qui s'inscrit en elle. Elle présente 5 axes de symétrie, le rapport f, nombre d'Or, s'y trouve 25 fois, sa construction est aisée avec un simple compas et une règle.

Le chiffre 5, qui est le chiffre de cette étoile, marque toute la cérémonie d'augmentation de salaire. La compagnonne fait 5 pas ou plutôt 3 pas d'apprentie suivis de 2 pas de compagnonne. Ceci me parle : dans la symbolique des nombres, le 3 est considéré comme le masculin et le 2 comme le féminin. Or l'embryon humain en formation comporte les organes masculins et féminins. Ce n'est que vers la 7émesemaine de son développement que les organes définitifs vont évoluer et les organes de l'autre sexe involuer sous l'effet des hormones sexuelles déterminées par la génétique. Cette double nature de l'être humain me semble importante.

L'âge de la compagnonne est de 5 ans : 5 ans n'est-il pas l'âge auquel l'enfant commence à s'intéresser à l'autre. S'il lui attribue encore les mêmes intentions que les siennes, il ne l'en reconnaît pas moins comme quelque chose de différent de lui. Le compagnonnage est également cette ouverture à l'extérieur.

La symétrie 5 de l'étoile est une symétrie qui ne se rencontre que dans le vivant : les échinodermes (oursins, étoiles de mer), les fleurs, les plantes. Celles en particuliers dont la disposition des feuilles permettent un ensoleillement maximum et dont les feuilles sont disposées en spirales le long de la tige, chaque feuille étant écartée de celle qui la précède et de celle qui la suit par un angle de 72 degrés, angle que l'on trouve entre deux branches de l'étoile.

D'ailleurs, nous les compagnonnes n'avons-nous pas sur la colonne du midi un ensoleillement maximum ? Que le 5 soit le chiffre du vivant, que l'étoile flamboyante soit donc un symbole de l'être humain qu'est la compagnonne n'est pas étonnant. La science elle-même vient à notre aide. Dans son livre « le Big-Bang », Joseph Silk déclare : « nous sommes les enfants des étoiles » ; suit alors la démonstration de cette affirmation. Tous les atomes lourds qui nous composent (comme le carbone par exemple) ne sont pas nés du Big-Bang mais ont été élaborés au cœur des étoiles, seul endroit où une réaction atomique pouvait les créer à partir des petites molécules d'origine qu'étaient l'hydrogène ou l'hélium.

Dans la cérémonie d'augmentation de salaire, nous faisons 5 voyages ; les quatre premiers avec des outils, le cinquième les mains libres, des mains à 5 doigts, naturellement. Je ne vais pas redire tous les détails des 5 voyages mais plutôt vous donner tout ce qui m'a conduit à l'étoile. Tant pour la voir que pour la dessiner j'ai besoin de mes sens. Le cycle journalier des étoiles m'est rappelé par les 24 graduations de la règle qui m'a accompagnée presque tout le temps. C'est au deuxième voyage que j'ai eu à disposition les deux outils indispensables pour la dessiner : la règle et le compas. Les styles d'architecture m'ont rappelé les temples grecs sous les colonnes desquels on pouvait admirer les étoiles. Mes connaissances se sont élargies par l'étude des mathématiques et celle de l'astronomie. Ce n'est qu'après avoir acquis le maniement des outils, les bases de la connaissance, les sens en éveil, les mains et l'esprit libre que je découvre l'étoile au bout du cinquième voyage.

Qu'est-elle donc pour moi ?

Cette étoile qui siège à l'Orient est celle dans laquelle je m'inscris, tel l'homme de Vitruve, de Léonard de Vinci ou d'Agrippa de Nettesheim. Une tête et quatre membres : 5 branches. La lettre G inscrite en son centre correspond chez ces dessinateurs au sexe de l'homme rejoignant ainsi un des sens que l'on donne à cette lettre G : la Génération. Je ne reprendrai pas ici les multiples significations de cette lettre. Je resterai sur son graphisme : une spirale (comme les tiges des plantes dont je vous ai déjà parlé) Chaque tour sur cette spirale semble nous ramener à notre point de départ, un peu comme une marche sur un Labyrinthe qui nous rapproche du centre pour mieux nous en éloigner. La progression est insensible mais chaque tour nous approche imperceptiblement du but à atteindre.

Un fil à plomb qui serait suspendu sur la pointe du haut la séparerait en deux moitiés symétriques, l'une côté soleil et l'autre côté lune. Comme l'étoile, l'homme a deux moitiés symétriques, le côté droit régit par le cerveau gauche (coté solaire car actif) l'autre par le cerveau droit (côté lunaire car celui de la représentation globale artistique).

Le nombre d'or qui confère son côté harmonieux à l'étoile nous donne également nos proportions puisque nous le retrouvons dans les proportions humaines, entre la hauteur du sommet de la tête au sol et celle de la hauteur du nombril au sol ou encore dans la tête entre la hauteur totale du sommet de la tête au menton et la hauteur de la ligne des sourcils au menton.

Ce nombre d'or m'a particulièrement intéressé dans l'étoile. Il est en effet de 1,618 soit approximativement égal au rapport existant entre 5 et 3. Voici des nombres que je ne peux ignorer. J'ai quitté mes 3 ans pour en avoir 5. Ce peut-il que le parcours apprentissage-compagnonnage ait fait éclore en moi l'étoile ou dit autrement la connaissance et l'acceptation de moi-même et des autres tels que nous sommes et non tels que j'aimerais que nous fussions m'ont-elles fait prendre conscience de l'étoile qui est en moi ? Cette étoile est omniprésente en Loge. Elle peut se dessiner de multiples façons : qui font intervenir deux plateaux invariables : Celui des Première et Seconde surveillantes et au choix des couples comme : Hospitalière-Trésorière ; Oratrice-Secrétaire ; Maîtresse des cérémonies-Experte. Quant à la pointe, elle peut être soit à l'Orient, axée sur la Vénérable Maîtresse soit à l'Occident, axée sur la Sœur Couvreuse.

Je ne conserverai de ces dispositions que celle que nous découvrons dans la cérémonie d'augmentation de salaire, c'est à dire la pointe du haut à l'Orient au plateau de la Vénérable maîtresse, les pointes du côté droit aux plateaux de la Trésorière et de la Seconde Surveillante, les pointes du côté gauche aux plateaux de l'Hospitalière et de la Première Surveillante. Si l'étoile se met à tourner autour du fil à plomb qui tombe de la voûte, ses pointes passent d'une ouvrière à une autre sans que sa forme en soit modifiée (le rituel nous dit d'ailleurs que « les ouvrières se lèvent et se remplacent » sans que le fonctionnement de l'Atelier en soit modifié) ; quand la pointe s'arrête à l'Occident elle me rappelle la descente de l'Orient de la Vénérable Maîtresse, début et fin d'un cycle perpétuellement recommencé.

Nous même sommes engagés dans ce cycle puisque nous avons transformé notre vie de profane dans le cabinet de réflexion et dans ce même cabinet de réflexion nous avons transformé notre vie d'apprentie pour commencer celle de compagnonne. Mais comme l'a dit un jour une de nos sœurs, nous ne prenons conscience du passage que lorsqu'il est franchi. J'aurais aimé vous parler des constructions géométriques de l'étoile qui me fascinent mais ce qui se fait facilement avec les mains ne s'explique pas toujours facilement avec la parole et deviendrait rapidement indigeste !

Souvenez-vous maintenant d'un petit jeu que nous faisions en classe, à savoir dessiner cette étoile à 5 branches sans lever la pointe du crayon, d'un seul coup. En y réfléchissant, nous la dessinons toujours de la même façon, en commençant par une pointe puis en tournant soit dextrorsum soit sinistrum. Avant de commencer, passons de la perpendiculaire au niveau et posons l'étoile sur le pavé mosaïque comme je vous l'ai décrite précédemment. Posons les cartouches sur chacune des pointes.

Vous la voyez ? Vénérable Maîtresse à l'Orient : « gloire au travail ». Trésorière : style d'architecture. Seconde Surveillante : arts libéraux Trivium et Quadrivium. Première Surveillante : les grands Initiés. Hospitalière : les 5 sens.

Quand je la dessine, je ne le fais pas en suivant l'ordre logique de la découverte des cartouches mais je me suis aperçue en faisant ce travail que la façon dont je la dessinais rendait compte de mon cheminement jusqu'à ce jour.

Longtemps avant de frapper à la porte du temple, j'avais découvert les grands initiés, avec peu être un grand faible pour Pythagore et Socrate (séquelle de quelques années de grec et pour le premier d'un grand penchant pour les maths !) Plus récemment j'avais redécouvert avec intérêt la philosophie à peine effleurée au lycée.

Partant de là, aidée par quelques problèmes existentiels, l'envie de travailler sur moi pour éliminer les scories qui m'empêchaient de vivre est devenue plus importante. C'est à ce moment que j'ai pris la décision de frapper à la porte du temple.

C'est en Loge que j'ai redécouvert le Trivium, quand j'ai été privée de la parole bien sûr, et le Quadrivium pendant ces années d'apprentissage et de compagnonnage avec l'utilisation de l'astronomie dans nos symboles (soleil, étoile, lune, midi, minuit) et celle de l'arithmétique avec ses nombres (3, 5…).

Les 5 sens m'ont permis de m'étudier, de me comprendre et de me découvrir en même temps que j'étudiais, je comprenais et je découvrais les autres. Les ordres d'architecture me firent réaliser (ce que je vivais au quotidien avec mes deux Sœurs d'initiation) que peu importait le style d'architecture, seul importait le fait que la colonne relie le Nadir au Zénith et que le Temple soit érigé. Enfin maintenant je ferme le tracé de l'étoile ; armée des outils symboliques, ayant acquis un début de connaissance je vais pouvoir ré-étudier les grands initiés avec bénéfice.

La dernière particularité de cette étoile à 5 branches que je vous ai annoncée au début de ce travail est qu'elle s'inscrit dans un cercle et un cercle est circonscrit en elle. Cette particularité rejoint l'image des sphères célestes et terrestres, l'homme contient en lui le microcosme, image du macrocosme dans lequel il vit.

J'ai en moi tout l'univers et tout ce qui s'applique à moi s'applique à tous. Le cartouche final « Gloire au travail » est sur ce point très clair et nous indique le chemin à suivre. Il nous faut sans cesse nous rectifier pour avoir des autres une juste approche. Ce travail est indispensable et nous le résumons en affirmant être de perpétuelles apprenties. Ce qui implique également que pour pouvoir accepter les autres il faut être capable de s'accepter soi-même. Cela a été la découverte princeps de ce temps de compagnonnage.

En y arrivant, j'ai entendu dire que le compagnonnage était l'ouverture à l'autre. Cela me paraissait naturel et il me semblait que l'ouverture à l'autre était une de mes qualités. Pourtant j'étais dans l'erreur, quand je donnais c'était implicitement pour recevoir ; ces années passées parmi vous m'ont appris que je faisais parti des « autres » à aimer et l'ayant compris, acceptant désormais mon reflet dans le miroir et n'étant plus dans l'attente, mes rapports à l'autre ont changé et en sont enrichis. J'ai gagné en parcourant l'étoile une paix intérieure à laquelle j'aspirais depuis longtemps.

Pour conclure, je reprendrai le nom de notre étoile : « l'étoile flamboyante ». En astronomie, c'est le nom de la planète Vénus. Elle est le symbole de la Beauté intérieure. Notre étoile est donc le symbole de notre cœur qui est capable de rayonner à l'extérieur si nous sommes capables de le découvrir au plus profond de nous même.