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La Perpendiculaire et l'Apprenti

La perpendiculaire, ou fil à plomb, du latin perpendiculum, est l'outil du bâtisseur qui lui permet de tracer des verticales, et donc d'ériger les murs ou les colonnes d'un édifice. Une fois les fondations établies, c'est du bon usage de la perpendiculaire que dépendra la solidité et la stabilité du bâtiment. Cette première caractéristique nous renvoie à la colonne Boaz, celle, précisément, de l'apprenti franc-maçon. C'est elle en effet qui donne la force, et qui soutient avant toute autre l'édifice du temple symbolique.

Un bâtisseur italien du Moyen-Âge, Léonard de Pise, (par une curieuse ironie qui veut que sa ville natale verra un jour s'ériger une tour assez peu verticale), appelle le fil à plomb « archipendule », dont la signification est probablement celle d'un pendule, ou corps « pendant », ou encore pesant, attaché à l'arche qui le soutient. C'est d'ailleurs sous cette forme que la symbolique maçonnique représente la perpendiculaire. Or, le fil soutenant le poids, entouré des deux montants verticaux, ne pourrait-il nous indiquer le principe ternaire de toute chose ? De la sorte, la verticale ascensionnelle débouche sur la découverte de trois principes fondamentaux et complémentaires. Ne s'agissant pas d'une planche sur la symbolique du nombre trois, nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, mais je ne peux m'empêcher de penser aux principes alchimiques du sel, du soufre et du mercure rencontrés à l'occasion du séjour dans le cabinet de réflexion.

Par sa disposition, la perpendiculaire évoque nécessairement la verticalité. La station verticale est, on le sait, ce qui distingue l'homme des animaux, c'est aussi l'attribut distinctif de l'hommo erectus, qui marque dans l'histoire de l'évolution le début de l'aventure humaine. Ce sera donc aussi pour nous le premier degré du chemin initiatique, qui nous fait passer des ténèbres de l'horizontalité à, sinon la lumière, du moins l'espoir d'une lumière, que représente la station debout de celui qui scrute l'horizon à la recherche de la vérité.

La verticale est définie par une droite qui unit un point quelconque de l'espace au centre de la terre. C'est la trajectoire naturelle que suit tout corps pesant livré à la seule force de gravitation et à la fameuse loi énoncée par Newton. C'est aussi celle de la loi inverse d'Archimède. Ce symbole élémentaire nous invite de la sorte à nous interroger sur le mouvement ascendant et descendant qui nous fait aller et venir entre des principes supérieur et inférieur. La démarche introspective du cabinet de réflexion fait écho à l'ascension des marches du temple, ou de celles de l'escalier en colimaçon dans le cas que j'ai connu il y a peu.

La réciproque est la ligne horizontale. Quand elle traverse la première, elle forme avec celle-ci l'image d'une croix, l'un des premiers symboles géométriques connus. Le centre indiqué par l'intersection de ces deux lignes est le lieu de rencontre de l'horizontalité matérielle et de la verticalité spirituelle, le lieu de l'équilibre parfait que doit réaliser en lui-même l'initié parvenu à la pleine compréhension de son être. De même, un symbole jadis très usité nous apprend qu'au centre de la croix des épreuves, la rose de l'âme peut éclore.

L'union du haut et du bas, du microcosme et du macrocosme, nous est signifiée par la Table d'Emeraude, court et mystérieux texte supposé avoir été écrit par Hermès lui-même, le « trois fois grand » :
Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable. Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour accomplir le miracle de l'unité.
L'auteur de ces lignes nous révèle aussi, à propos de ce qu'il nomme la « chose unique » :
Il monte de la terre vers le ciel, et redescend aussitôt sur la terre, et il recueille la force des choses supérieures et inférieures.

La perpendiculaire, outil de l'apprenti, lui rappelle peut-être que le chemin est ardu et la pente escarpée. Elle lui apprend aussi que s'il est difficile d'en gravir les étapes, il est bien plus facile d'en descendre. L'exigence de dépassement de soi s'oppose à l'entropie des sens et de l'intellect mal maîtrisés. Le rêve est d'ailleurs significatif, qui utilise souvent l'image d'un escalier que l'on monte ou descend, selon l'état psychologique du sujet, ou bien encore celui du vol, de l'oiseau. S'élever vers les cieux n'est-il pas le plus vieux rêve de l'humanité, que notre siècle seulement - c'est-à-dire aujourd'hui même - a pu concrétiser.

Tandis que la terre, lieu du travail, parfois de l'épreuve, voire même de l'expiation, nous ramène aux tristes réalités d'un quotidien souvent envahissant, le ciel est au contraire le lieu de tous les possibles. Les astres aussi, froids et immobiles, nous suggèrent ce que pourrait être l'éternité.
C'est donc tout naturellement l'image d’une ascension qui, à travers tous les continents, est utilisée pour représenter l'accession graduelle à des vérités plus hautes.

Représentation de l'axe cosmique, le fil tendu à la verticale, unissant la terre au ciel, nous fait instinctivement lever les yeux vers ce dernier. C'est sur ce principe qu'ont été élevées les flèches de nos cathédrales. Dans celles-ci, il était fréquent de placer au sol un labyrinthe et de disposer au-dessus de son centre un fil tendu à la verticale. Que voulait-on montrer de la sorte ? Umberto Ecco, dans son roman « le Pendule de Foucault », nous livre peut-être une clé. Ce dispositif ingénieux qui orne de nombreux musées dans le monde, est constitué d'un corps pesant au bout d'un fil tenu en un point fixe. Le mouvement oscillatoire du pendule ne change jamais d'orientation, mais c'est la terre elle-même qui tourne sous lui. Quand au point auquel il est attaché, il constitue, au moins par rapport à son environnement, le point fixe autour duquel tout circule. C'est l'axe fondamental, inaltérable et éternel situé au sommet du mouvement. N'est-ce pas là une image lumineuse de ce qu'est pour nous le Grand Architecte de l'Univers, ou l'Ancien des jours, qui crée sans être créé, qui permet le mouvement de toute chose en restant lui-même éternellement immobile et éternellement présent ?

Parvenu, au terme d'un cheminement propre à chacun, au centre des circonvolutions du labyrinthe, nous voici donc invités à lever les yeux vers ce qui ne peut être nommé, que certains ont voulu enfermer dans des dogmes aux misérables dimensions humaines, mais qui constitue en fait la lumière qui donne toute sagesse et toute compréhension, et qui réside à la fois au sommet d'une verticale infinie et au plus profond de notre être.

J'ai dit !


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