Obédience : NC Loge : NC 22/10/2008


L'Ordre et la Bienfaisance


Vénérable Maître et exceptionnellement ce soir, vous tous mes très chères Sœurs et mes très chers Frères.
Si le XXI ème siècle se veut être celui du développement durable il n'en est pas moins la continuité moderne de plusieurs siècles de guerres, de faim et de misère de part le monde. Il ne se passe pas un seul jour, que dis-je une seule seconde sans que des Hommes, des Femmes, des Enfants ne meurent dans l'indifférence totale. Alors, afin de mieux comprendre pourquoi et comment la Bienfaisance est si intimement liée à notre ordre, je vous invite à remonter le temps de trois siècles, au déclin du règne de celui que l'histoire appela le Roi Soleil pour comprendre pourquoi et comment nos Maîtres Passés se sont emparés de ces sujets, toujours d'actualité !

Fénelon écrivait ainsi à Louis XIV : « Vos peuples meurent de faim. Au lieu de tirer de l'argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et le nourrir. La France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provisions. »

Telle était la triste réalité du monde des humbles. C'était celle à la fois de la misère toujours menaçante et de la précarité de la vie. L'assurance du lendemain n'existait pas en ce bas-monde et ne pouvait être recherchée par le chrétien.
Alors plutôt que de leur parler de « l'éminente dignité des pauvres », ou du « pain descendu du Ciel », les missionnaires des campagnes organisèrent des distributions de pain et de potage aux plus pauvres et créèrent des bureaux de CHARITE.
Le tableau est dressé, le siècle des lumières a aussi été cela et nous comprenons un peu mieux pourquoi le thème de la bienfaisance fut tellement à l'honneur en 1 782 au Convent des « loges unies et rectifiées » réuni à Wilhehnsbad près d'Hanau.
Le titre choisi pour l'ordre par ses fondateurs indique de façon très nette que l'Ordre est bienfaisant.

Ce titre, en vérité, est double : Ordre Bienfaisant des Chevaliers Maçons de la Cité Sainte, et Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte_ C'est le titre distinctif de ses chevaliers mais aussi celui des Francs Maçons, membres de la classe symbolique de l'Ordre.
Dans l'instruction par demandes et réponses pour le grade d'apprenti Franc Maçon Rectifié on lit : « Comment un Franc Maçon doit il se distinguer des autres hommes ? Par une bienfaisance active et éclairée, par une façon de penser noble et élevée, par des moeurs douces et une conduite irréprochable. » ; Mais également au cours du rituel de réception « Frère Apprenti, vous venez de vous engager à exercer la Bienfaisance envers tous les hommes et principalement envers les indigents. Allez donc vous présenter au Frère Eléémosynaire pour exercer, comme maçon, le premier acte de cette vertu, en mettant dans le tronc des aumônes ce que vous jugerez à propos ».
Je rappellerais enfin que la Règle Maçonnique à l'usage des loges rectifiées, consacre à la bienfaisance les six paragraphes de son article V dans lesquels sont concernés :
            L'enfance et sa misère impuissante
          La jeunesse avec son inexpérience funeste
          Tout être qui souffre et gémit
L'Ordre est bienfaisant, disais-je, il l'est par nature.
C'est, est il dit au Chevalier nouvellement armé, un «Ordre de bienfaisance et de lumière». Pour l'Ordre, ne pas pratiquer la bienfaisance, c'est se dénaturer, s'enfoncer dans la voie ténébreuse du reniement de soi même. Le Chevalier, lui, est bienfaisant par état. Pour lui, ne pas pratiquer la bienfaisance, c'est déroger, c'est perdre la noblesse d'âme qui qualifie son état. Le Franc Maçon, enfin, est bienfaisant par devoir d'apprentissage : il apprend la bienfaisance comme le reste. Pour lui, ne pas le faire, c'est comme redevenir profane.
Pierre Pugliesi le 22 octobre 2008

Mais qu'est ce donc que la bienfaisance, pour être à ce point essentielle à l'Ordre et à ses membres ?

Au Convent de Wilhelmsbad, en sa deuxième séance, celle du 29 juillet 1782, Henri de Virieu présenta, à la demande du prince Ferdinand de Brunswick, un Mémoire sur les idées que l'Ordre doit attacher au terme de bienfaisance. On sait qu'Henri de Virieu, en dépit de son jeune âge, était un des collaborateurs les plus actifs et les plus dévoués de Willermoz et un de ses hommes de confiance. Son mémoire reçut le meilleur accueil du Convent, qui l'adopta, ordonna qu'il fût joint aux Actes, en même temps que le Projet de Chapitre pour le nouveau Code maçonnique qui en reprenait la substance.
Écoutons donc de Virieu : « Il s'agit de fixer invariablement le véritable sens que l'Ordre doit attacher au terme de bienfaisance, qui est le cri universel et le point de ralliement de tous les Francs Maçons. Tous en effet s'en servent également, tous en font la base de leurs systèmes, tous veulent qu'elle dirige également et les formes et les actes de notre institution.
Mais faute de s'être entendu sur la véritable signification de cette expression, quoique tous aient en apparence le même objet, tous varient dans les applications et presque tous, se bornant à des points de vue particuliers d'une chose qui ne devait être considérée que dans son ensemble le plus vaste, se sont renfermés dans des sphères trop rétrécies, d'où il est résulté une multitude de systèmes différents sur la manière dont l'Ordre doit diriger ses travaux. Tous ces systèmes, occupés uniquement à propager les branches particulières de la bienfaisance qu'ils prennent pour son véritable tronc, sont susceptibles d'être conciliés facilement lorsqu'on cessera de particulariser ce qui doit être général, lorsqu'on ne bornera plus le sens d'un mot destiné à exprimer une vertu dont l'essence est d'être sans bornes, comme l'amour de l' Être éternel pour toutes les créatures, qui en est le principe. »
Retenons d'emblée ceci : la bienfaisance est illimitée, parce qu'elle procède de l'amour divin, qui est lui même illimité.

Poursuivons : « Ce n'est point dans des discussions académiques ni grammaticales que nous devons chercher la solution qui nous occupe. C'est au fond du coeur que doit exister l'image qu'il s'agit d'exprimer. Lui seul doit juger si le tableau est conforme au modèle, et si, après avoir entendu ce mémoire, le cœur, satisfait des idées qu'il renferme se sent entraîné, leur donne son approbation, il ne faut pas aller plus loin : la question est décidée, et un Ordre aussi complètement voué à faire le bien ne peut hésiter à adopter un sens qui lui ouvre la carrière la plus vaste pour remplir de la manière la plus étendue qu'on puisse concevoir son objet sacré. »

Retenons encore ceci : la vocation de l'Ordre est de faire le bien et cette vocation est sacrée.

Poursuivons encore : « La vertu qu'on nomme bienfaisance est cette disposition de l'âme qui fait opérer sans relâche en faveur des autres le bien, de quelque nature qu'il puisse être. Cette vertu embrasse donc nécessairement un champ immense, car son essence étant d'opérer le bien en général, tout ce que l'esprit peut concevoir de bien dans l'univers est de son ressort et doit être soumis à son action. C'est de cette manière que l'homme doit envisager et pratiquer la vertu par laquelle il se rend le plus semblable à son principe infini dont il est l'image, ce principe de bonté qui, voulant sans cesse le bonheur de toutes ses productions sans exception, agissant sans cesse pour le procurer, est ainsi éternellement et infiniment bienfaisant. Telle est donc l'idée que l'on doit se former de la bienfaisance, qu'elle doit s'étendre sans exception à tout ce qui peut être véritablement bon et utile aux autres, qu'elle ne doit négliger aucun des moyens possibles de l'opérer. Celui qui se borne à donner des secours pécuniaires à l'indigence fait à la vérité un acte de bienfaisance, mais ne peut légitimement obtenir le titre de bienfaisant ; Non plus que celui qui croit avoir satisfait à tout en protégeant l'innocence, ou celui qui se réduit à soulager ses Frères souffrants, ou même celui qui dans un ordre bien supérieur ferait consister toute sa bienfaisance à éclairer et instruire ses semblables. Car tous ces biens pris séparément ne sont que des rameaux divers du même arbre, qu'on ne peut isoler sans les priver de leur vie. Mais celui là seul mérite véritablement le titre de bienfaisant.»

La bienfaisance est donc la modalité pratique de la charité, cette divine vertu, disposition du coeur spirituel, canal de toutes les grâces pour celui qui la pratique et qui subsisterait seule si toutes les autres disparaissaient.
Voilà pourquoi la bienfaisance restaure notre nature essentielle et que ne pas la pratiquer est un crime contre nous mêmes.
« Charité bien ordonnée commence par soi même »
La bienfaisance ne doit donc pas être désordonnée, « particularisée », comme dit Virieu, ni circonstancielle, elle doit être générale, permanente et coordonnée.

C'est ce qu'exprime Virieu avec une grande fermeté :

« C'est donc s'abuser profondément que d'accorder le titre général de bienfaisance à des actes particuliers de cette vertu dont l'essence est d'embrasser sans exception tous ceux qui peuvent tendre à faire le bien de l'humanité. Notre Ordre respectable ayant pour objet la manifestation de cette vertu, n'en doit pas plus borner les applications que le sens : rien de ce qui peut être utile à l'humanité, sans en excepter ses propres membres, qui sont les premiers appelés à recueillir les fruits précieux de l'institution qui les unit, ne doit lui être étranger et sa devise générale devrait être : Boni nihil a me alienum puto »
« J'estime que rien de ce qui est bien ne m'est étranger »
Ce que propose Henri de Virieu c'est donc de cesser de morceler la bienfaisance, de la diviser en une infinité de branches isolées et par conséquent de l'affaiblir, de la dégrader. Réunissons au contraire toutes celles qu'il est possible de concevoir pour former une bienfaisance générale et la répandre sur toute la surface de la terre.
Que cette bienfaisance universelle, uniforme dans son principe, c'est à dire active, éclairée et fondée sur l'amour le plus ardent de l'humanité et le respect le plus profond pour les lois du Grand Architecte de l'Univers, soit dans ses applications aussi variée que les besoins de l'humanité.

En un mot, qu'aucun genre de bienfaisance ne nous soit étranger, que ce soit là le lien commun qui nous réunisse, que quels que soient les systèmes que l'on pourra adopter ailleurs, ils aient tous ces principes pour base immuable et pour objet premier fondamental de faire à l'humanité le plus de bien possible, aux limites de ce que l'esprit puisse concevoir.
Voilà, l'essentiel est dit, cet essentiel qui est l'essence de notre Ordre parce qu'elle est l'essence de notre être.
Beau programme, me direz-vous, mais comment faire, démunis comme nous le sommes ? Eh bien, démunis, nous ne le sommes que relativement à notre société, qui, même si elle compte un nombre croissant de pauvres, dans son ensemble est riche. N'oublions jamais que la différence entre notre niveau de vie et celui des plus défavorisés se mesure au centuple, ce qui nous met à même d'agir avec une efficacité réelle. Le maçon ne devra pas attendre le cri perçant de la misère pour agir. Tout en se gardant de toute ostentation et s'il dispose de quelques moyens, il devra se garder de l'avarice, la plus sordide des passions.
Pour conclure et pour suivre le conseil de Joseph de Maistre « Èques Josephus a Floribus » pourquoi ne pas créer ou réactiver au sein de nos loges un « comité de bienfaisance » dont le président serait le Frère Eléémosynaire ou l'Hospitalier et dont le rôle serait d'organiser sur chaque Orient une démarche commune afin que, unis dans le désir de bien faire nous centuplions nos forces pour rassembler ce qui est épart  !

J'ai dit

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