GODF Loge : NC Date : NC

 

Le Rite, Voie de Libération ou Risque de Limitation ?

CHAPITRE I :
A PROPOS DES RITES...

CHAPITRE II :
CONTEXTE ACTUEL DES RITES MACONNIQUES

CHAPITRE III :
LE RITE DANS SON ENVIRONNEMENT ACTUEL QU'EN EST-IL  AU PLAN MACONNIQUE ?

CHAPITRE IV :
LE RITE « VOIE DE LIBERATION » OU « RISQUE DE LIMITATION » ?
OU QUE FONT LES RITES DES HOMMES ? QUE FONT LES HOMMES DES RITES ?

CHAPITRE V :
CONCLUSION

CHAPITRE I : A PROPOS DES RITES...

Qu'ai-je observé en me documentant pour nourrir ma réflexion ?

D'abord une constatation navrante : la définition du rite proposé par le Petit Larousse en couleurs, Edition 1972 :

Rite :
« Ensemble de règles et de cérémonies qui se pratiquent dans une religion : le Rite de l'Eglise romaine. (On a écrit anciennement Rit.) Cérémonial quelconque. Acte de magie ayant pour objet d'orienter une force occulte vers une action déterminée. »

Quant à celle du livre paru sous le titre « l'encyclopédie de la psychologie moderne » édité en 1967 par le « Centre de la promotion de la lecture », page 390, elle nous est apparue déjà comme un peu plus réfléchie et moins limitative :

Rite :
« Cérémonial instauré par un individu ou par un Groupe social. Chaque groupe humain stable a besoin de signes pour raviver la conscience collective, pour souligner sa pérennité. C'est à cela que sont destinés les rites. Ils forment un mode de communication émotionnelle entre les membres du groupe. Chacun se dépouille de son individualité pour se hisser vers une conscience collective dans une participation essentielle qui renforce  le lien social au niveau le plus profond. Dans les sociétés archaïques, les rites ne sont pas un quelconque agrément folklorique, ils ne se contentent pas de symboliser, ils sont réellement ce qu'ils représentent. L'initiation, qui confère à l'adolescent un nouveau statut social, est censée le transformer effectivement à travers les diverses épreuves qu'il doit traverser. Des pratiques semblables, mais dont le sens est moins direct, se retrouvent dans toutes les sociétés ; elles perpétuent dans notre civilisation, sous des prétextes divers, religieux, patriotiques, corporatifs. Si la croyance affichée n'est pas partout la même, la signification profonde du rite varie peu. »

 « Les rituels de la politesse ne doivent pas être pris non plus comme le résultat d'un dressage arbitraire et suranné. Ils répondent à un besoin : affirmer l'appartenance à un groupe. Celui qui veut échapper à de telles conventions est vite amener à en créer d'autres pour parvenir à « un mode de communication plus authentique ».

De toute évidence, la question posée m’entraîne vers les aspects sociologiques du rite.

En fait, il faut constater que les rites les plus nombreux sont les rites profanes et non pas les rites que je qualifierai de « spécialisés » tels que les rites religieux.

Néanmoins, et bien qu'il me semble nécessaire pour la clarté de cette planche de faire de tels distinguos, de toutes les façons, affirmer qu'il n'existe des rites profanes que par analogie avec les rites religieux, c'est oublier que le rite religieux a été élaboré initialement par analogie avec des habitudes codifiées entre vivants, Dieu ayant été conçu progressivement comme le Vivant suprême insurpassable, et la codification adoptée comme l'arme suprême du pouvoir religieux s'érigeant en loi morale.
Les rites profanes ont toujours existé, quel que soit l'état de la société dans laquelle ils s'inscrivent et bien qu'ils nous semblent plus nombreux et plus lisibles dans la vie quotidienne moderne par l'effet de focalisation de notre attention.

Dès que deux êtres vivants ont eu à communiquer entre eux, les rites ont été élaborés et répétés par les générations qui se sont ensuite succédées.

Les zoologistes dans beaucoup de livres ou par le biais de films documentaires nous ont décrit de nombreux rites animaux : ils ont tous pour base des règles de jeux pour vivre en communauté.

Animal social, l'homme est un animal rituel. Il n'y a pas de rapports sociaux sans actes symboliques. Les rites sociaux créent une réalité, qui sans eux ne seraient rien.

Les rites permettent de réaffirmer les modèles identitaires, ils renforcent l'intégration des individus dans le groupe familial et social, réaffirment la domination symbolique de cette classe sociale.

Pour le chercheur E.Benveniste, (rapporté par C. Rivière « Les rites profanes », page 11) « l'étymologie ne nous éclaire que sur un aspect fragmentaire du rite, son rapport à l'ordre. »Le rite, du mot latin ritus, ordre prescrit, est associé à des formes grecques comme artus (ordonnance) ararisko (harmoniser, adapter) aryhmos (lien, jonction). La racine a dérivé elle-même de l'indo-européen védique (rta,arta) et renvoie à l'ordre du cosmos, à l'ordre des rapports entre les dieux et les hommes et à l'ordre des hommes entre eux. 

Certains de ces rites se sont ensuite affinés, dans la signification de leur expression. Ainsi ont-ils atteint le stade initiatique.

Ainsi le rite se présente donc comme un système de stockage de l'information dans des symboles et comme un système de transmission de messages chargés d'une efficacité transmise par la Tradition.

On peut donc avancer que le rite est donc un système de signalisation à partir de codes culturellement définis.

Les rituels divers entrent comme éléments de structuration globale : le rite.  Mais une séquence temporelle comme une initiation n'est pas à elle seule un rite, pas plus que l'est un jeu de rôles, ou une communication verbale.

L'expression de la Liberté réside aussi dans les différences entre les notions d'intime et d'apparence.

Le rite doit s'intégrer dans un cadre culturel où l'accomplissement social requiert à la fois des qualités de lucidité intellectuelle et d'autonomie morale, mais il est logique que son accomplissement par les rituels requière une distanciation symbolique et une prise de liberté par rapport au monde profane, c'est-à-dire aux puissances et aux autorités.

Le rite est là dès que la question du sens est posée. C'est la valeur de l'individu en soi et dans sa relation à autrui.

Face au constat d'usure des références traditionnelles, les rites négociés permettent l'émergence de nouvelles métaphores qui, chacune, à leur  manière, allie singularité et universalité.

Ainsi, partant d'un rite,  un désordre peut amener à être créateur de nouveaux rites porteurs de sens qui viennent prolonger les pratiques du passé tout en les transformant.

Dans tous les cas, nous avons besoin de repères. C'est la condition indispensable à notre épanouissement. Le rite et ses rituels sont des  façons d'affirmer et de rappeler nos investissements. Ils comprennent l'expression d'une symbolique commune à ceux qui la partagent et la comprennent, nous relie en même temps au groupe social auquel nous appartenons. On pourrait dire que l'espace prend sa densité, son poids, à travers la relation symbolique qui s'établit entre nous et ce qui la compose. C'est elle qui nous donne l'impression d'exister. Avoir les pieds sur terre, c'est bien sentir son propre poids dans une forme de plaisir d'être.

Ainsi les rites régissent des situations communes d'adhésion à des valeurs. Ils ont un effet régulateur de conflits interpersonnels. Ils sont toujours à considérer comme un ensemble de conduites individuelles ou collectives, relativement codifiées, ayant un support (gestuel, verbal, postural) à caractère plus ou moins répétitif, à forte charge symbolique pour leurs acteurs, et habituellement pour les témoins, fondées sur une adhésion morale.

Cette définition ne préjuge en rien  du contenu des croyances, de la force des adhésions, des rythmes de reproduction des conduites, ni du degré de coloration mystérieuse des valeurs donnant sens à la vie. Sous cette acceptation, le rite n'est pas un carcan.

Mais chez les intellectuels élevés dans une tradition utilitariste, le rite, jugé irrationnel, a mauvaise réputation. Il est vraisemblable qu'à leurs yeux, le rite représente un risque important de limitation.

Il faut donc insister sur le fait que notre acceptation du mot rite se situe à mi-chemin entre une conception étroite et lourde et une extension  trop grande qui en ferait l'équivalent de moeurs, coutumes, traditions (mais pas transmission par la Tradition avec un grand T) en ce qu'elles comportent d'actions répétitives et d'habitudes acquises.

C'est la socialité du rite qui constitue sa propre efficacité.

Tout en soulignant les fonctions du rite ( instituer, maintenir, renforcer, cohérer, différencier, transformer, réactiver, régénérer) l'attitude rituelle est essentiellement de respect à l'égard de centres d'importants intérêts communs unissant les personnes d'une communauté, ou représentant symboliquement de tels objets.

Les rites comprennent aussi un aspect de conduite de communication, car ils représentent des systèmes de signalisation à partir de codes culturels définis.

Par le relais de la Tradition, le rite est une manière de digérer la discontinuité du tissu social aussi bien que les discontinuités dans les biographies des membres d'une société.

Un rite peut prendre des formes différentes et être vécu diversement par les groupes sociaux en présence qui lui donnent une signification distincte (maçonnique générale et subdivisions ?).

L'analyse fouillée des différentes formes de rituel (par exemple d'initiation ou de passage à un degré spécifique) éclaire les manières dont, par exemple, les différentes obédiences l'aménagent et l'interprètent, révèle la richesse des symboles sous-jacents.

Ainsi, l'on peut dire que les rites s'articulent autour des symboles, ils les réaffirment, leur donnent sens et vie, et par là même les modifient. Nous pouvons dire aussi que si le symbole dont le sens est multiple semble avoir une fonction consensuelle, c'est aussi qu'il peut être interprété diversement tant par les groupes que par les individus.

Le rite, et son symbolisme, s'il est commun à un groupe d'individus, sa manière de le ressentir et les symboles qui le cristallisent, sont au contraire singuliers.

Face à cette richesse, l'envers de la médaille ne réside-t-il pas dans la possibilité, à terme, de conflits personnels occasionnés par une surcharge de rites ? Le rite peut aussi subir des dérapages en étant menacé de se voir modifié sans cesse le sens et le poids des valeurs admises. D'où l'importance à accorder aux conditions d'exécution d'un rite. 

D'ailleurs pourquoi certains groupes ou individus créent ou innovent en matières de rites ?

Qu'est-ce qui se joue là ? Qu'est-ce qui est valorisé dans ces rites ? Peut-on vraiment créer des rites alors que par définition ils sont hérités, issus de la Tradition ?

CHAPITRE II : CONTEXTE ACTUEL DES RITES MACONNIQUES

En ce qui concerne les rites maçonniques pratiqués sous l'égide du Grand Orient de France, c'est à dire pratiqués au sein des Loges symboliques ou des ateliers relevant du Suprême Conseil de son Grand Collège des Rites il faut souligner, tout au moins pour ceux dont j'ai actuellement connaissance, que s'agissant de rites non religieux, puisqu'ils se veulent non dogmatiques, ils se classent entre les rites profanes proprement dits et les rites religieux, étant donné qu'ils renferment, néanmoins, des notions de sacré, réservées à des initiés, c'est à dire, par définition, à des non profanes.

En maçonnerie, le principe du sacré doit se présenter comme le rapporte Durkheim, libre-penseur spiritualiste, c'est à dire « comme un élément d'une vie rituelle pouvant s'interpréter en termes laïcs et sociaux, ce qui confère aux rites sous la diversité de leurs aspects, une forte unité au niveau de leur objet latent ». (Maisonneuve, 98)

En voulant bien admettre, mon expression, peut-être un peu triviale pour certains, de « rites spécialisés » les rites maçonniques seraient donc à classer dans cette catégorie.

Le Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France en janvier 1998 a décidé, « pour pallier à une carence notable en informations » de faire parvenir aux Loges un document fournissant l'historique et l'identité des rites et des obédiences constituant « le paysage maçonnique français » auquel serait joint un certain nombre de décisions fournissant des indications et des clarifications.

Ce document daté du 6 février 1998 a été adressé aux Loges début mars 1998.

Il comprend :

un historique des rites maçonnique pour les grades symboliques, les grandes dates de l'histoire des rites, un tableau récapitulatif des rites par obédiences, une répartition des rites au sein du G\O\D\F\ une description du paysage maçonnique français d'aujourd'hui, quelques éléments de réflexion.

Enfin, pour terminer cette introduction, je citerai, sans commentaire, ce que le Grand Orient de France retient :

comme étant les grandes dates des rites :

1599-1711, 1717, 1725-1730, 1751, 1773, 1776, 1786, 1804, 1813, 1858, 1862, 1865, 1885, 1893, 1894, 1902, 1907, 1911, 1913, 1938, 1955, 1958, 1959, 1963, 1968, 1972, 1973, 1974, 1978, 1982.

au dernier paragraphe de l'avant dernière page de cette brochure :

 « D'évidence, le GODF doit assumer crânement l'existence de son rite, le Rite Français, en l'adaptant si nécessaire, à l'exemple du travail déjà fait au 2ème et au 3ème grade, en le réunifiant dans plusieurs de ses « variantes » (RF  Rétabli 1783 et RF ancien) en le valorisant à l'extérieur autant que possible. Mais il est tout aussi indispensable de valoriser également les autres Rites de GODF, en particulier en veillant à la mise à  disposition de séries de rituels, au nom de l'Obédience et incluant l'article premier de la Constitution, adaptés à nos principes si cela était nécessaire (par exemple, avec la suppression du « Ah Seigneur mon Dieu » au 3ème degré du REAA). »
Fin de citation.

Les principales dates citées montrent que les rites maçonniques, comme tous les rites vivent, donc évoluent au fil du temps, sans doute un peu trop rapidement, mais qui sait ?

Le paragraphe de vouloir assurer « crânement » entraînera-t-il des restrictions d'approche dans la connaissance de soi et l'ouverture vers l'autre... ?

Il n'est pas dans mon propos d'effectuer ici une étude comparative des rites maçonniques et m'engager ensuite dans un débat polémique. D'ailleurs la question qui m'est posée ne parle pas particulièrement d'un Rite maçonnique, mais du Rite en général.

Néanmoins, il m'est difficile de ne pas rappeler ici ce qui nous a dit Jean Mourgues, en 1988 dans son livre « la Pensée Maçonnique » (Editions P.U.F).

Page 16
Toujours est-il que l'on a vu naître des rites de toute sorte au cours du 18ème siècle dont la prétention à l'authenticité n'avait d'égale que l'ingéniosité et la crédulité des participants à recevoir pour assuré ce qui ne fut jamais qu'une mystification intéressée.

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L'unification du Rite, qui sembla une préoccupation plus ou moins sourde risqua, semble-t-il, et jusqu'à ces dernières temps, de réduire le Grand Orient à la condition statuaire d'une Grande Loge. N'y a-t-il pas mieux à faire pour assurer la liberté qu'à réduire la diversité ?

Laisser s'éteindre un rite c'est appauvrir le patrimoine. Mais, c'est aussi et surtout accepter la sclérose d'une organisation dont l'engagement parce qu'il est la libération de l'homme, implique la reconnaissance de la diversité.

Le respect de la liberté de conscience ne peut être un propos dépourvu de sens. Il doit se manifester dans les faits.

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D'une façon générale, les rites maçonniques sont des rites sociaux et visent à l'éducation de l'homme appelé à agir et à servir dans une communauté.

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C'est ainsi que la fidélité à soi et à la tradition sont assurées par les rites, la manifestation éphémère et renouvelée, par l'individu, les tenues de loges et les diverses obédiences, et enfin, le projet justificatif, par l'idéal de perfection qui s'accomplit dans la perspective éternelle et universelle de l'Ordre.

Ainsi, la réflexion proposée : « Le Rite, voie de libération ou risque de limitation ? » prend ici toute sa dimension.

CHAPITRE III : LE RITE DANS SON ENVIRONNEMENT ACTUEL

Essayons de cerner l'environnement dans lequel des hommes dits modernes pratiquent des rites aux racines souvent fort anciennes. Sont-ils fondés sur des motifs profonds ou sur des modes passagères ?

Cette voie de libération ou ce risque de limitation que sous-tendrait le rite, ne sert-il qu'une méthodologie temporaire ou, à l'inverse, un invariant de l'Humanité, voire de tout être vivant ?

De tout temps, le développement accru des sciences et des techniques, a engendré de nombreux bienfaits. Malheureusement, aujourd'hui plus qu'hier, l'on peut dire en schématisant à peine, que la plupart de leurs exploitations alliées à la logique marchande mondialisée, soumettent la société contemporaine aux croyances exclusives en l'efficacité de la rationalité et de l'utilitarisme.

Des liens sociaux, historiquement constitués, sont ainsi détruits.

De cette avancée, apparemment de moins en moins non maîtrisée, il en résulte des angoisses. Des interrogations et des attentes naissent de la modernité.

A mon avis, l'observation de ces craintes ne doit pas être ressentie comme un phénomène nouveau mais comme la découverte d'un questionnement ayant toujours existé.

Dès lors que l'homme constate les conditions matérielles d'un aujourd'hui par rapport à un hier, il lui vient à l'esprit l'observation corollaire des  conditions morales et sociales d'aujourd'hui, par rapport à hier, et 'esquisse de leurs perspectives d'évolution. La référence à l'expérience du passé pour construire le futur dans la continuité d'une tradition prend alors l'aspect, sinon d'une valeur refuge, du moins d'un support appréciable.

Cela semble d'autant plus vrai à l'aube du 21ème siècle qu'il faut bien reconnaître que l'accélération de la modernité, notamment des progrès scientifiques, et plus particulièrement dans les domaines du transport et de la  communication, ont précipité ce phénomène évolutif sur des trajectoires exponentielles inimaginables en 1900.

Pour essayer de maintenir ou de redonner du sens à leurs pratiques les individus et des groupes qu'ils forment se tournent de nouveau vers des modes d'identification où prévaut plus le symbolique que les argumentaires de rationalité. 

Le rite s'oppose à la désintégration du lien social. Les rites sont une manière de raviver les liens sociaux, de se référer à des valeurs anciennes, renouvelées ou rénovées voire peut être de nouvelles qui témoignent d'un retour au sacré. Mais s'engage-t-on tout à fait ? Une grande leçon de la modernité est celle de la distance critique.

Par exemple, faut-il pour autant estimer que la ritualité séculière serait un mécanisme de compensation à la perte du religieux ? Cette corrélation inverse n'aurait de pertinence que si les rites n'avaient pas existé de tous temps (rites propres à la vie codifiée d'une communauté d'hommes ou d'animaux). Il est une forme générale d'expression de la société et de la culture.

Le rite n'est pas figé, il a sa vie propre, des désordres, des improvisations sont possibles. Il est amené à se transformer ou à disparaître selon la force de la créativité sociale. Mais il peut, aussi, être ravivé, après un certain temps de sommeil.

La mise en évidence de ses multiples dimensions fait du rite un phénomène socialement riche, complexe, aux facettes diversifiées. La maçonnerie nous en offre de nombreux exemples.

D'ailleurs cette diversité montre que le rite est toujours actuel. 

Est-ce pour cette raison que les sociétés contemporaines se sont réappropriées des formes anciennes plus qu'elles ne les ont détruites ?

Pour encourager des énergies créatrices et l'affirmation d'une moralité, les sociétés contemporaines, comme celles qui les ont précédées ont autant besoin de mythes, de rites et de symboles pour donner sens à l'existence sociale, qui, elle, ne peut être vécue dans le contexte exclusif de l'expression d'une stricte rationalité instrumentale.

Nous pouvons alors transposer dans la modernité bien des outils utilisés dans les rites anciens et qui nous viennent de nos aïeux par la chaîne de la Tradition.

Est-ce à dire que rien n'ait changé dans l'ordre imaginaire social ?

Il me semble qu'en cette fin de 20ème siècle, en quittant son adolescence l'individu quitte plus encore rapidement que jadis ses aînés, ses certitudes d'antan, les ordres hiérarchisés figés, la représentation fixe. Nous avons affaire, de plus en plus, à un être en mouvement, ballotté par les tendances de l'opinion et le jeu des apparences, qui élabore des images et des symboles sur une sorte de scène sociale où l'on doit se reconnaître, se protéger, se réassurer, se démarquer.

Dès lors chacun est tenté de recréer ses propres mythes, rites et symboles, en puisant dans les vastes gammes d'invariants accumulés par le patrimoine de l'Humanité, et ces compositions provisoires ont une grande vitesse d'usure.

L'esprit de liberté de pensée, permet d'éclairer les aspects contrastés du social sous différentes échelles, passant de l'individuel au collectif sans définir de façon préconçue ce qui devrait l'emporter dans l'ordre et le désordre, le rassurant et l'inquiétant, le familier et l'étrange, curieux des variables qui font le sens.

Pourquoi certains rites « prennent-ils » et d'autres pas ?

Au plan profane, le rite d'offrir du muguet au 1ier Mai, comme celui de la Saint Valentin ou celui de la fête des mères sont des rites qui « ont pris ». 

Par contre prenons deux exemples récents, au plan musical.

La « Fête de la musique » est un nouveau rite qui a pris. 

Giscard d'Estaing avait essayé de changer l'exécution de la Marseillaise. Cette modification dans un autre rite n'a jamais pris. Nous en déduisons donc qu'un rite ne se décrète pas. C'est la communauté auquel on le propose qui l'accepte ou le rejette... En maçonnerie, aussi, des rites ont « pris », d'autres moins. Une analyse des causes entraînerait une vaste étude aujourd'hui hors sujet par rapport la question qui m'est posée.

Il existerait donc des conditions pour qu'un rite s'installe et se perpétue. Autrement dit qu'il s'installe de lui-même dans la Tradition.

Cet ensemble souligne donc avec vigueur l'importance des représentations sociales lorsqu'elles sont vécues de l'intérieur, ressenties par les individus, car ce sont les sujets qui leur donnent vie qui les animent.
C'est le rôle actif de l'imagination individuelle dans la circulation des représentations sociales. C'est un regard nouveau qui nous est proposé, regard qui invite à de nouvelles approches.
 
Les rites, comme les mythes, peuvent mourir mais ils peuvent aussi engendrer, sans doute parce qu'ils sont au fondement de notre société, pour donner un sens aux activités et aux groupes quelques qu'ils soient, car sans cela il n'y aurait que des individus face à face, dépourvus de relation à autrui, c'est-à-dire qu'il n'y aurait que de l'impensable, que de l'invivable.

DE CES DERNIERES OBSERVATIONS, QU'EN EST-IL AU PLAN MACONNIQUE ?

Lors de l'initiation, le rite étant émotionnellement expressif, le jeu dramatique rituel est opérateur d'un changement : il comporte une phase d'action réorientée. A cette occasion, le rite souligne les relations asymétriques entre deux positions sociales appréciées ici comme entre deux degrés de compréhension, si l'on admet, que philosophiquement la notion d'Egalité avec un grand E existe néanmoins dès le départ.
 
Si, comme du troisième au quatorzième degré, les rituels jouent, par épisodes, un drame pour dénouer une crise et constituent ainsi un mécanisme de réponse sociale aux changements et conflits, on remarque que la performance culturelle consiste à gérer les indéterminations d'une situation par des déterminations partielles puisées dans des références historiques, mais dont l'ordre chronologique n'est pas forcément respecté, dans des légendes ou des anecdotes qui servent de cadre au sens général que l'on veut exprimer.

L'idée qui guide la réflexion est celle selon laquelle chaque collectivité intègre progressivement sa propre expérience en l'exprimant dans un drame social joué. Pour être crédible, la crise ne doit pas être seulement définie objectivement, c'est-à-dire narrée, mais vécue avec émotion. Utilisant un jeu de transfert entre la fiction et la réalité, la forme théâtrale apparaît comme une expression originale des crises et le rite théâtralisé investit cette expression d'un surcroît d'émotion par un investissement personnel.

Cette action invitant à une réorientation, qui comporte une concentration des intentions et une densification pour conduire à un processus final, montre plus particulièrement que le rituel est processus, lié à la vie sociale, comme indiqué précédemment.

Comme le théâtre, le rite fournit une représentation du drame social selon les règles et selon une succession ordonnées des séquences.

Le symbolique permet la manœuvre, voire à la limite, la manipulation dans le processus rituel.

A cet instant, il y a invitation à la recherche par soi-même. L'on guide, mais l'on n'impose pas. Si donc à cet instant, il n'y a pas de voie de libération, il n'y a pas non plus voie de limitation de la pensée puisqu'elle doit rester libre et éviter d'être sous influence.

Dans ce processus, en loge, les participants se caractérisent plus par leur hétérogénéité que par leur uniformité, par leur confrontation que par leur unanimité, mais sans nier leur participation à un même corpus, ni leur indépendance, leur cheminement dans leur connaissance de soi étant faites de tâtonnements personnels et de négociations envers eux-mêmes par apport aux autres, en atelier, et ayant le devoir d'appliquer à l'extérieur ce qu'ils auront acquits, au profit de la société en général.

Le rite vise à faire du continu de la vie à partir du discontinu de la pensée. La répétition peut avoir des aspects positifs : c'est un recommencement, une même chose, mais indéfiniment nouvelle.

Pour ce qui est des références symboliques à des objets anciens, quelques fois différents dans certains rites maçonniques, il s'agit moins de changement de langage que de changement de perspective.

En fait, l'homme est un être de désir, qui ne peut désirer seul, mais dont l'objet de désir est toujours désigné par un tiers. Au fond, de la nature humaine ce désir mimétique serait une force d'imitation qui pousse à désirer ce que les autres désirent déjà. D'où une violence originelle exprimée par le drame d'Hiram pour l'appropriation du rare et de l'autre dans son être et son savoir. Il s'agit bien là d'une violence pour la satisfaction des désirs personnels, qui est la conséquence d'une imitation, source d'apprentissage et de conformisme, en même temps que de rivalité pour le partage de ce qu'un autre ou de ce qu'une communauté a acquis.

Alors se pose une question. De quel droit isoler le rite de ses contextes socioculturels, comme un signifié flotterait hors de ses signifiants ?

La très forte capacité d'apprentissage de l'homme engendre une grande complexité et variabilité de rites. La franc-maçonnerie n'échappe pas à cette observation.

CHAPITRE IV : LE RITE « VOIE DE LIBERATION » OU « RISQUE DE LIMITATION » ?
OU QUE FONT LES RITES DES HOMMES ? QUE FONT LES HOMMES DES RITES ?

De tout ce qui précède, émergent les points d'analyse suivants pour cerner le fait de savoir si le rite est une voie de libération ou un risque de limitation :

Sans projet autre que celui de son propre accomplissement et sans rattachement à un mythe, mais seulement à des valeurs importantes, le rite profane ou maçonnique trouve sa logique dans son accomplissement et se satisfait de son intensité émotionnelle.

Reconnu comme forme générale d'expression de la communauté maçonnique, mais aussi de la société toute entière et de sa culture, le rite s'émancipe, au Grand Orient de France à la fin du 19ème siècle, du contexte religieux et de l'obligation de croire en Dieu. Ce n'est pas le cas des rites des obédiences « reconnues » par la maçonnerie anglo-saxonne. Malgré tout, on ne peut pas dire que cette différenciation est bien nette. Certains rituels de notre obédience ont une symbolique qui, souvent mal comprise par les récipiendaires, risque d'être perçue, comme un ensemble d'allégories à connotation métaphysique « orientée » (exemples : références à la Cabale et à l'ancien testament ).

Le fonctionnement des rites est à relier à leur utilité sociale. Leur exécution est impérative pour recréer périodiquement l'être moral de la société.

Dans l'initiation s'opère une transgression de limite ayant pour effet une assignation dans un statut sensé être plus « éclairé ».

Le rite sollicite et règle l'action, mais ses opérations matérielles sont révélatrices d'opérations mentales, car on y joue avec des symboles.

Faut-il percevoir les rites comme réducteurs de risques et créant un sentiment de sécurité, ou bien à l'inverse comme ajoutant à l'anxiété ? La première solution paraît la plus habituelle.

Les rites sont des systèmes de signalisation à partir de codes culturellement définis.

Les rites utilisent des modèles d'action puisés dans un registre de déférence entre statuts inégaux. Leur ordre expressif s'inscrit dans un ordre de négociation.

Les rituels de rébellion subvertissent temporairement et exceptionnellement l'ordre afin de mieux le restaurer (Hiram). 

Par l'adoption de règles et de rôles, dans le cadre d'un ordre qu'il exprime, il renforce le lien social intégrateur.

Fonctionnant selon l'axe contrôle/dépendance, le rite souligne à la fois les relations asymétriques interindividuelles, la réciprocité des rôles et le partage d'idéaux communs.

Le rite est une manière dont le social assure et énonce sa permanence.

Le rite maçonnique semble moins rigide que le rite religieux qui se fonde sur le rapport de l'homme et des puissances sacrées.

Néanmoins, le rite arc-boute le sujet à une matrice de réponses inscrites dans un ordre social, perçues comme cohérentes et déjà existantes :

Comme marquage des termes de la différence dans une stratégie d'échange, chacun ayant des rôles séparés, différenciés, hiérarchisés, qui sont déclencheurs d'expériences singulières au sein du même théâtre rituel où se négocient éventuellement des réajustements de positions dans des situations conflictuelles.

Comme pédagogie d'intégration de la culture à l'individu, puisque s'y façonnent les personnalités qui, bénéficiant de la mémoire du groupe, tendent à se laisser guider par les signes rituels d'anciennes expériences objectivées.

Le rite fonde aussi une identité sociale à un groupe. Il produit et contient sa propre reproduction, l'initié devenant ensuite l'initiateur.

Le rite met d'abord le sujet en rapport avec la collectivité et le délivre de son isolement. Chaque individu ne se connaît que dans la dépendance symbolique d'un autre, cautionné par le rite.

Le rite a pour finalité essentielle de faire communiquer des êtres et des choses entre eux, selon des règles codées. Il apparaît comme une langue commune à toute l'humanité depuis ses origines, et peut-être même à l'animal, si l'on en croit les éthologues.
 
On pourrait définir le rite comme un système culturellement construit de communication symbolique, constitué de séquences réglées et ordonnées de paroles et d'actes, fréquemment exprimés par des moyens multiples, dont le contenu et la disposition (l'ordonnance) se caractérisent par des degrés différents de formalisme (conventionnalisme) stéréotypie (rigidité), condensation (fusion) et redondance (répétition).
Les rituels servent de modèles de comportement normatif, de codes de conduites légitimés, de guide dans les stratégies d'interaction.

Habituellement toutefois, le rite, en affirmant les valeurs et codes communs, montre qu'il y a temporairement au moins désir réciproque chez les participants de transcender leurs différences et contradictions, donc qu'existe un mouvement adaptatif.

La structure du rite, comme la structure sociale, n'est pas unifiée. Composée d'éléments jamais tout à fait ajustés, toute structure laisse une place au paradoxe et au conflit. Une perspective dynamique du rite, qui n'est plus alors supposé trop péremptoirement répétitif, stéréotypé, reproduit selon les mêmes schèmes, conduirait à mieux comprendre la ritualité profane.

L'ordre des uns n'est pas l'ordre des autres, mais le rite entre cependant comme stratégie dans la négociation entre partenaires se réclamant d'ordres différents.

Si nous admettons que le rite porte des messages et est un instrument opératoire de la pensée, il importe de dire quel est le contenu axiologique de ces messages et qu'elle est la sémantique utilisée pour les déchiffrer.

L'axiologie justifiant le rite varie évidemment selon le type de rite.
Par l'imagination symbolique, l'esprit s'émancipe du réel immédiat et confère aux choses et événements un second sens figuré d'une profondeur exceptionnelle.

Si l'on observe une redondance dans le rite des signifiants pour une grande variété de signifiés, cette redondance permet de relier les divers plans de l'existence selon certaines correspondances symboliques qui référent à l'axi mundi, tout en variant au cours de l'histoire.

Les rites assurent même l'efficacité symbolique en inscrivant les symboles dans une certaine réalité de la chose et du corps. Il serait erroné d'opposer arbitrairement le réel et le symbolique. Car beaucoup de nos actions sont simultanément réelles, visibles, présentes et symboliques.

Elles renvoient à des intentions, habitudes, fantasmes hérités du passé, à des codes et orientations que nous nous donnons pour l'avenir.

Les rituels révèlent les valeurs à leur niveau le plus profond. Les hommes expriment dans le rituel ce qui les touche le plus et puisque la forme de l'expression est conventionnelle et obligatoire, ce sont les valeurs du groupe qui y sont révélées.

Dans ce sens la liberté de pensée reste entière et nous invite à élargir le champ de nos réflexions.

La force du rite se mesure en partie à l'émotion qu'il suscite : une émotion par l'attention qu'il réclame de la part des officiants comme de l'auditoire engagés dans ce type de communications, une émotion touchée par les métaphores que le rite véhicule et qui font d'autant plus vibrer qu'elles sont en référence à des situations vitales.

Que le corps soit ou non sollicité, certaines valeurs spirituelles, jointes à des émotions intérieures fortes, donnent parfois au rite un caractère tellement fort qu'il faut bien se garder que certains de ces rites entraînent des rituels si accentués, si dirigés vers le dogme qu'ils en deviennent mystiques.

Que le rite consiste en séries d'actes est évident. Qu'il incite à agir d'une certaine manière l'est un peu moins. Qu'il ait des effets inconscients structurateurs de la personnalité, un rôle dans la négociation, un pouvoir de façonnage des consciences et de renouvellement du lien social l'est beaucoup moins.

La question actuelle est moins : que font les rites sur les hommes ? que celle-ci : que font les hommes avec les rites ? 

Les rites fondent et constituent la société, il est difficile de penser que les hommes font autre chose que de les exécuter, d'autant qu'une erreur ou une omission d'exécution entraîne une réparation, rituelle elle aussi. Mais on fait d'autres choses avec les rites : on négocie, on contracte, on apprend, on réfléchi, on initie...mais n'oublions pas que dans les sectes, par ces techniques, on lave aussi les cerveaux.

En raison de son pouvoir immanent et d'une certaine force de spirituelle, Le rite opère une visée régulatrice par la foi,  Son efficacité tient au retentissement de ses symboles, et à la fermeté du support collectif à l'adhésion au rite. Les rites sont utilisés comme des outils pour contacter l'autre, pour frapper son sens de l'affectif.

Le rite est un processus de négociation. Il travaille aux relations sociales à travers des explications singulières dans chaque contexte. 

Le rite a un pouvoir de structuration des comportements, représentations et attitudes.

Qui contrôle le rite, contrôlera ce que le rite contrôle.

Attention donc à ne pas verser dans un rite politique ou dogmatique et une subtile  politique du rite.

Le rite réclamant l'adhésion des valeurs, agit avec force sur la volonté, en suscitant un engagement décisif, une pratique constante, un militantisme, tout en domestiquant de puissantes émotions (la haine, la crainte, l'affectivité, la douleur).

S'il est possible de repérer des invariants logiques dans les formes rituelles, il faut faire attention qu'un rite peut en cacher un autre. Dont il serait la résurgence ou la transformation.

Tout rite implique une situation de coprésence d'acteurs décédés à suivre l'ordre du rite, ses séquences, ses procédures.
 
La réciprocité fonctionne sur la base de la reconnaissance et de la constitution de relations d'interdépendance. Elle est manifeste dans la négociation rituelle qui vise à ajuster les intérêts des diverses parties.
 
Une première tension, d'une part, entre le caractère contraint, rigide, des espaces, temps, symboles, séquences d'action ; et d'autre part, entre le sentiment de plasticité, d'intentionnalité, de créativité, de maîtrise et d'appropriation des règles que les acteurs peuvent mettre en jeu, leur ouvrent la possibilité de créer, progressivement, un nouveau modèle, un nouveau rite.

Une seconde tension apparaît entre l'aspect de réalité du rite, parfois plus consistant que celui que donne la vie elle-même (encore que le rite soit plutôt une reflet déformé de la vie) parce que les acteurs sont capables de s'y situer, de se légitimer et qu'à travers cette tradition, ils ont une sécurité pour l'avenir. Les rites peuvent aussi renforcer la conception d'une réalité forte.

Le rite est à la fois un jeu et un non jeu, quotidien et non quotidien… Des univers se superposent dans le rite.

Le rite peut, dans cette perspective, être conçu comme performant, et comme incomplet et jamais achevé.

Que le jeu soit présent dans le rite, cela peut se comprendre dans le fait que jeu et rite ont en commun des situations de négociation avec l'Autre et que, d'autre part, ils se fondent sur des codes acceptés, exaltent la socialité et sont l'occasion d'un faire-valoir des acteurs.

L'issue d'un rite est toujours fixée d'avance, hautement conventionnel et expression symbolique d'un statut.

Néanmoins il ne convient pas de forcer l'opposition rite-jeu, le rite appelant d'abord le sérieux et l'engagement, alors que dans le profane s'énoncent des choix transitoires, se supportent des distances et des dérisions.

Dans un rite, il y a oscillation entre des moments de forts désirs fusionnels et d'autres où l'individu réflexif prend distance par rapport au scénario qui rarement l'engage totalement, comme par rapport à l'emphase du vécu rituel.

Ceux qui dans un rite voudraient hypervaloriser les adhésions à des croyances minimisent la maîtrise individuelle des adhésions intellectuelles comme celle du registre affectif.
 
Alors, le rite ? Voie de libération ou risque de limitation ?...affaire de point de vue, de circonstance, d'investissement personnel.
S'il visibilise un certain ordre, et des relations sociales, le rite agit pour leur rénovation, aussi bien que pour leur maintien, en tant que facteur d'intégration identitaire, que sublimateur de pulsions et qu'acte d'institution de nouveaux rapports sociaux. 

Axé sur un présent à vivre, le rite ne capte le passé que comme tradition respectable et non comme archétype du devenir. Pour être récurrent, donc légitimateur d'un passé culturel et ponctuel du présent, il n'en porte pas moins un projet de dynamique personnelle et sociale.

Point de rite sans négociation avec l'Autre, soit présent, soit imaginé, duquel le sujet apparaît interdépendant dans une situation de maîtrise (relative) par les partenaires des mêmes codes connus et acceptés pour réguler le contact. 

Le rite énonce l'ordre de la culture structurant l'expérience individuelle et une même apparente subversion d'un groupe, marque de la singularité qu'il affirme  par le rite lui-même.

Les FF\ MM\ croient-il en leurs rites ?

Pour beaucoup assez mollement, il suffit d'observer, notamment en loge bleue, certaines interventions lors d'une planche sur le symbolisme. On s'implique certes. Mais s'engage-t-on tout à fait ? 

Une grande leçon de la modernité est celle de la distance. Joue-t-on à croire ce que l'on veut croire ?

Est-ce un moyen de se conforter mutuellement en se donnant l'impression d'une action pas complètement inutile ?

Apprentissage moral et apprentissage de la sociabilité  sont conjoints.

Le Temple est un sanctuaire de ritualité.

Si l'initiation maçonnique manifeste le changement de statut, elle s'arc-boute à tout un corpus mythique et à une idéologie du faire bien et du bien faire de même que le soutien de frères.

Un rite choisi et non imposé, ne constitue pas une fin en soi. 

Les Rites seraient comme des fils conducteurs qui conduisent à l'univers intime d'une culture ?

Le Rite personnalise les valeurs universelles.

La vie imaginative et émotionnelle de l'homme est toujours et partout riche et complexe. Le symbolisme du rituel est-il aussi riche et complexe ? Sa richesse est due à une grande diversité d'expériences culturelles.

Les rituels révèlent les valeurs à leur niveau le plus profond. Les hommes expriment dans le rituel ce qui les touche le plus et puisque la forme d'expression est conventionnelle et obligatoire, ce sont les valeurs du groupe qui y sont révélées. Je vois dans l'étude du rituel la clé pour comprendre l'essence de la constitution des sociétés humaines.

Ces clés peuvent permettre de comprendre comment les gens pensent et ressentent les choses à propos de ces rapports et à propos de l'environnement naturel et social dans lequel ils agissent.

Le rite est un engagement spécial et une obligation, mais il est aussi un élément de connexion entre un territoire connu et un territoire inconnu, mais présupposé.

Le Rite est composé d'une chaîne d'éléments appelés Rituels, eux-mêmes composés de symboles mais formant à la fois des clés et des éléments de symbiose, mais apparemment non juxtaposés ou tout au moins ne se suivant pas forcément de manière très ordonnée à l'intérieur du rituel qui exprime pour la première fois leur signification. Ils forment néanmoins des ensembles de suites logiques.

Ainsi un rite comporte, dans le développement de certains rituels l'opposition du structuré et de l'ordonné, au non-structuré et au chaotique.   

Le Rite, par la réflexion qu'il entraîne, voire la méditation qu'il suggère, est aussi un des moyens d'échapper d'un endroit ou d'un lien.

Ce qui est rendu perceptible sensoriellement, sous forme, par exemple d'un symbole, est de ce fait rendu accessible à l'action de la société.

Le Rite, et les rituels, tendent vers une condensation, une unification de référents disparates et une polarisation de la signification.

L'individu fait dans sa vie l'expérience d'être exposé alternativement à la structure et à la communauté, ainsi qu'à des états différents et à des transitions de l'un à l'autre.

La communauté est dépositaire des valeurs, normes, attitudes,  des sentiments et des liens propres à sa culture.

Ses représentants dans les rites et leurs rituels spécifiques représentent l'autorité générique de la Tradition.

Les multiplicités de rites, et des rituels qu'elles entraînent, peuvent naître alors lorsque des groupes importants ou des catégories sociales propres à ces sociétés passent d'une position culturelle  à une autre. Il s'agit de phénomènes de transition. C'est peut être la raison pour laquelle tant de ces mouvements empruntent une bonne part de leur mythologie et de leur symbolisme à ceux des rites de passages traditionnels des cultures où ils prennent naissance ou bien des cultures avec lesquelles ils ont un rapport dramatique.

Mais par le Rite une communauté comporte également un aspect de potentialité ; elle est souvent un mode subjonctif. Les relations entre les êtres pris dans leur entier engendrent les symboles, des métaphores et des comparaisons.

Peut-on dire alors qu'il y a morale ouverte ?

En tout cas, dans les productions issues d'un rite et de ses rituels, nous pouvons entrevoir ce potentiel d'évolution inutilisé de l'Humanité qui n'a pas encore été extériorisé et fixé dans une structure.

Ces formes culturelles fournissent aux hommes un ensemble des références ou de modèles qui sont, à un certain niveau, des reclassifications périodiques de la réalité et des relations de l'homme à la société, à la nature et à la culture. Mais elles sont plus que des classifications puisqu'elles incitent les hommes à l'action tout autant qu'à la pensée.

La démocratie dans le gouvernement, la fraternité dans la société, l'égalité dans les droits et les privilèges et l'éducation universelle, font pressentir le degré supérieur de société auquel nous allons parvenir et vers lequel l'intelligence et le savoir tendent fortement. Dans les sociétés sans écritures, les cycles du développement social et individuel sont ponctués des instants plus ou moins prolongés de ritualité contrôlée et stimulée, chacun avec son noyau de lien avec la communauté potentielle et spontanée.

Ce que l'on cherche, c'est une expérience qui transforme l'être de chaque personne en allant jusqu'à son fondement et qui trouve dans ce fondement quelque chose de profondément communautaire et partagé.

La sagesse consiste toujours à trouver la relation appropriée entre structure et esprit de communauté dans les conditions données de temps et de lieu, à accepter chaque modalité au moment où elle est prépondérante sans rejeter l'autre et à ne pas s'accrocher à l'une lorsque son élan est épuisé.

On trouve dans un Rite  les relations sociales simplifiées, qui amènent d'elles-mêmes l'élaboration d'un, puis des symboles, d'abord épars, puis d'un et des mythes, et concomitamment un rituel puis des rituels. Le Rite est alors entré dans son propre perfectionnement par la subdivision en divers rituels.

ET DEMAIN ?

Enfin une question en suspens : Et demain ? répondrons-nous de la même façon à la question que l'on se pose aujourd'hui ?

Actuellement, se pose une problématique nouvelle difficilement inimaginable il y a encore cinquante ans, sauf dans quelque roman de science fiction. 

Je veux parler de la virtualité.
Déjà sur Internet, l'idée d'effectuer des tenues virtuelles a été évoquée. Le risque de ne pas être à couvert et de ne pas pouvoir tuiler selon le grade, a empêché, pour l'instant, cette pratique, tout au moins, sur les sites francophones Mais des planches, des bulletins et même des rituels circulent au niveau mondial, hors de toutes les barrières obédientielles.

Du fait de son importance, FIF1 a été raccordé en début d'année 1998 au réseau mondial de la Franc - Maçonnerie, composé des Obédiences et de fraternelles « représentatives » y adhérant.

Nonobstant son appartenance, un F\ lance un thème de réflexion et du monde entier convergent des réponses, des idées. Dans un premier temps, poser une question et recevoir de suite dix réponses à la fois du Canada, de Suisse, de Belgique, des USA, d'Israël, de Thaîland…est exaltant. Mais...

Comme on voit un match de football à la télévision, l'on peut lire chez soi un nouveau rituel. Néanmoins, dans les deux cas il manque l'ambiance le sanctuaire qu'est un Temple n'est pas là et l'égrégore non plus.

La pratique d'un rite est-elle alors possible ? Ou alors comment se limiter à des relations épistolaires qui, de toutes les façons, ne peuvent pas être « ordinaires » ?

Durant la guerre du Golfe, les américains ont expérimenté un système qui leur a permis de faire visiter virtuellement à leurs pilotes l'intérieur même des sites qu'ils allaient bombarder, et ceci avec une résolution de cinquante centimètres.

Aujourd'hui cette technique a évolué à un tel point que dans les parcs d'attraction, au moyen d'un « casque-lunettes » il est possible de pénétrer et de participer comme acteur à une scène virtuelle.

Dans moins de vingt ans, et je pense que je suis large, les ordinateurs individuels domestiques qui permettent déjà de visiter en trois dimensions le musée d'Orsay, et dont les puissances de calcul se multiplient par deux tous les deux ans, permettront, pour un prix raisonnable, de participer chez soi, à des activités de ce type, je veux dire à des scènes virtuelles.

Actuellement la technologie est telle, que sous réserve d'avoir un ordinateur d'une puissance non encore diffusée dans le public, qu'elle permet de créer des jeux de rôle où, vous, homme de 1998, vous pourriez participer, en tant qu'acteur, à une conférence virtuelle à laquelle participeraient à la fois Platon et Bachelard, Sartre ou Malraux en étant les meneurs de jeu.

Seuls sont en vente actuellement, chez les spécialistes comme la Fnac, des CD de Platon nous permettant de le voir discourir dans son cadre de vie d'époque, reconstitué virtuellement.

Si nous ne prenons pas garde, les marchands pourront envahir le Temple et vous offriront en CD le rite de votre choix, et les rituels qui iront avec.

Comme sur les sites américains il est déjà possible d'obtenir n'importe quel rituel (expérience réalisée l'an dernier en prenant pour base les banquets d'ordre) il est vraisemblable que ces mêmes sources permettent de  telles perspectives.

Alors, si actuellement, une tenue virtuelle est difficilement réalisable, il n'est plus utopique de penser, que dans vingt ans chacun pourrait s'organiser sa petite tenue virtuelle avec les acteurs qu'il pourra choisir. Et c'est là que réside tout le danger.

Sur un effectif de 38 FF\, ma Loge bleue compte actuellement 9 Internautes, dont je fais partie.

Le problème de la virtualité ne peut plus être considéré comme secondaire.

D'où ma question subsidiaire,

QUE FONT LES RITES DES HOMMES ? QUE FONT LES HOMMES DES RITES ?

Dans l'hypothèse où l'on admet cette perspective nouvelle d'évolution, qui vraisemblablement pourra se dégager parallèlement à l'enseignement reçu dans les temples, le rite ne sera pas ressenti comme un risque de limitation mais plutôt, par certains, comme une voie de libération, voire d'accélération de la communication et de l'échange d'idées.

Le rite redeviendra alors, comme à l'origine des temps une simple règle de jeu, voire de conventions universelles...

Mais là encore, je dis attention ! 

Cette règle de jeu n'aura plus rien à voir avec le déclenchement chimique du coup de foudre animal relevé par nos zoologistes, fait générateur d'un rituel d'amour issu d'un rite génétique de relation intra-communautaire.

Mais alors, comment transposer le propos que j'avançais au début de ce travail ? « Animal social, l'homme est un animal rituel. Il n'y a pas de rapports sociaux sans actes symboliques. Les rites sociaux créent une réalité, qui sans eux ne serait rien. »

A cet instant, je suis contraint d'avancer que nous sommes face à un nouvel angle d'analyse de causalités possibles, donc de conséquences possibles face à l'avancée technologique.

Il est permis de penser que nous aboutirons à l'alternative suivante :

Soit, à un déviationnisme maçonnique latent, où ne peut qu'éclore, sous différents aspects, des suites réductrices du champ maçonnique actuel s'offrant à nous au plan universel,
Soit à l'élargissement du champ de réflexion des hommes, en complémentarité du travail en loge à l'intérieur d'un Temple réel, d'une obédience spécifique.

Tout dépendra soit :

de la maîtrise des maçons face à ce nouvel outil, « de la soif du savoir, plus important que la savoir lui-même » (pour reprendre une expression de Jean Rostand).

Ou

à l'inverse, de l'usage qu'en feront ces intellectuels, dont je parlais également en début de cet exposé, ces intellectuels élevés dans une tradition utilitariste, et qui jugent le rite comme irrationnel, ne représentant à leurs yeux qu'un risque important de limitation.

Les accès aux sites maçonniques étant très faciles, des incursions profanes sont rares, mais possibles. Le Rite étant mis souvent en exergue, mais de fait sans rituel en appui, les discours y sont de qualités très diverses. Si on y décèle avant tout de la bonne volonté, l'absence de rituel et le fait qu'un apprenti peut y adhérer dès le lendemain de son initiation, font que les comportements profanes y sont pas fréquents.

Néanmoins, il faut bien reconnaître que les éclairages qui nous parviennent des quatre coins du monde sont enrichissants. Malgré l'amalgame de rites, l'esprit maçonnique y est présent, même en l'absence d'un formalisme rituel marqué.

Mais attention au danger ! Ne nous lassons pas glisser vers cette pente facile ! Utilisons cet outil exceptionnel de communication pour ce qu'il est, sans plus.

Redisons alors encore une fois ce que nous a dit Jean Mourgues :

N'y a-t-il pas mieux à faire pour assurer la liberté qu'à réduire la diversité que de vouloir qu'unifier le Rite ?

Laisser s'éteindre un rite c'est appauvrir le patrimoine. Mais, c'est aussi et surtout accepter la sclérose d'une organisation dont l'engagement parce qu'il est la libération de l'homme, implique la reconnaissance de la diversité.

CHAPITRE IV : CONCLUSION

A la question : « Le Rite, voie de libération ou risque de limitation ? », je répondrai qu'au plan strictement maçonnique, et sans référence à un dogme religieux, un Rite, quelle que soit sa qualité, ne peut s'identifier à soi. Il ne peut suffire à la connaissance de soi, ni même à son approche.

Le Rite et ses rituels ne fournissent que quelques pistes de recherche et c'est tout. Néanmoins, ne nous méprenons pas, leurs apports sont loin d'être négligeables.

En d'autres termes :

Si le Rite permet de fournir des éléments nécessaires, ils ne sont pas suffisants à la compréhension de soi, c'est à dire à l'ajustement notre propre compas dont la précision n'est fonction que de notre investissement personnel, ressentir le Rite comme une voie de limitation, marquerait une certaine forme d'incompréhension, sans doute due à des résurgences pas encore nivelées lors de notre initiation et que notre éternel comportement d'apprenti errant n'aurait pas encore dominées, tout comme croire que le Rite est une voie de libération résulterait d'une considération béate, naïve de ce même état d'apprenti qui oublierait son obligation de questionnement permanent, de remise en cause permanente. En effet, ressentir le Rite comme une voie de libération sous entendrait une forme de détachement de son état d'être avec son environnement et la communauté des hommes, ce qui est aux antipodes des concepts maçonniques.

J'ai dit.

P\ R\

ANNEXE : OU AI-JE TROUVE LES MATERIAUX POUR NOURRIR MES REFLEXIONS… ?

Les matériaux ayant nourri mes réflexions d'approche générale contenues dans cette planche sont issus de la lecture des parutions de :

Claude Rivière Professeur d'Anthropologie à l'Université Paris V, qui s'est penché sur les microrituels de la vie enfantine, le bizutage comme rite initiatique, les rites d'exhibition d'une adolescence marginale, la présentation régulée du corps, religion-magie-rites du sport, le cérémonial du manger, la ritualité dans l'entreprise, les bribes de rites au cœur des loisirs. Les principales conclusions de chacun de ces thèmes sont éditées sous le titre « Les rites profanes « collection » sociologie d'aujourd'hui » P.U.F.

Monique Segré, chercheur au Centre des Institutions et Dynamiques historiques de l'Economie, Hélène Puiseux Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes,  Michel et Monique Pinçon, chercheurs au CNCS, Régine Sirota, chercheur en sociologie de l'éducation au CNRS, professeur à Paris V, Marie-Françoise Doray, chercheur au CNRS, professeur à Dijon, Michèle Fellous, chercheur au CNRS, membre du Laboratoire « Sens, Ethique et Société ».

Les principales conclusions de leurs travaux sur les mythes, rites et symboles dans notre société contemporaine sont éditées dans la collection « logiques sociales » dirigée par Bruno Péquigot, éditions l'Harmattan.

Quant au plan maçonnique, volontairement, je n'ai consulté aucun livre ou traité maçonnique. Je me suis limité à citer, au Chapitre concernant le G\O\D\F\ quatre réflexions à de Jean Mougues empruntées à son livre « La pensée maçonnique (une sagesse pour l'Occident) » 1988, éditions PUF.


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