Obédience : NC | Loge : NC | 13/10/2010 |
Je jure de respecter la Loi du Silence Retirons-nous en paix en jurant de garder la loi du silence ! Lors de nos tenues, ces mots sont les derniers prononcés par notre V\ M\. Il nous rappelle ainsi notre serment prononcé lors de notre initiation au cours de laquelle il est plusieurs fois fait appel à notre « silence » et aux conséquences symboliques que pourrait avoir le parjure. A mon sens, cette « injonction » recouvre trois notions :
Je voudrais commencer par évoquer notre rituel. Dès l’initiation, dans le cabinet de réflexion, le postulant est « abandonné à [lui]-même, dans la solitude, le silence et avec cette faible lumière… » Telles sont les paroles prononcées par le F\ Exp\ juste avant l’épreuve de la Terre. Plus loin le V\ M\ rappellera : « Vous engagez-vous à garder un silence absolu sur tout ce que vous pourriez entendre et découvrir parmi nous ainsi que sur tout ce que vous verrez et saurez par la suite ? » Nous sommes bien là au cœur de notre sujet : le postulant et, plus tard le F\, devra garder le secret absolu sur ce qu’il a vécu lors de son initiation ou sur ce qu’il entendra, verra et percevra lors des tenues. Après avoir bu une gorgée d’eau de la coupe des libations, le postulant répètera son serment : « Je m'engage sur l'honneur au silence le plus absolu sur tous les genres d'épreuves que l'on pourra me faire subir ». Lors de nos tenues, le mot « silence » apparaît souvent et avec plusieurs sens différents : à chaque fois que nécessaire, le 1er Surv\ indique : « Vénérable Maître, le silence règne sur l'une et l'autre Colonne ». Pour signaler qu’aucun F\ n’a demandé la parole. A l’approche de la fin de la tenue, alors que la Loge est fermée et que nous ne sommes plus à l’ordre et dégantés, le V\ M\ rappelle : « Retirons-nous en paix en jurant de garder la loi du silence ! ». Il nous rappelle notre serment initial. A la toute fin de la tenue, le M\ des Cér\ frappe le sol de sa canne et dit : « Mes FF\ gardons le silence, préparez-vous pour la sortie du V\ M\ et de son Coll\ » nous invitant à ne pas faire de bruit lors de la clôture de nos travaux. Juste avant la chaîne d’union et la fermeture des travaux, le V\ M\ dit, en mettant la main sur le cœur : « Mes Frères, les Travaux de ce jour sont terminés, nous avons droit au repos. Il ne nous reste plus, suivant l'usage ancien, que d'enfermer nos secrets dans un lieu sûr et sacré, et de nous unir en Fraternité ». Quel est ce « lieu sûr et sacré » ? Il s’agit de nous-mêmes, de chacun des F\ dont le « cœur » sera le lieu où le secret sera le mieux gardé. D’autant que, comme je le dirai plus loin, le secret des uns ne sera pas forcément le secret des autres. Dans le rituel le mot « silence » apparaît aussi plusieurs fois sans être prononcé simplement pour indiquer que la « cérémonie » doit se dérouler sans bruit (hormis les prises de parole des uns et des autres, le martèlement de la canne du M\ des Cér\, les coups de maillet et la musique). Le silence est propice à tout apprentissage : un enfant commence par entendre, écouter, apprendre avant de parler. Ses aînés sont là pour le guider, le faire progresser, donner du sens à ce qu’il perçoit. Il oblige à une grande écoute et à l’humilité. Il permet d’être totalement présent. Il impose une certaine discipline d’écoute. Il a un effet pédagogique : il apprend à écouter, à réfléchir avant de parler. Il est une marque de respect vis-à-vis de ceux qui parlent. En loge, comme ailleurs, le silence des uns permet la parole des autres. Il est favorable à l’introspection, la réflexion, la méditation, la réceptivité ; ainsi il apprend à mieux se connaître. Non seulement il aide à la réflexion mais il est aussi créateur en précédant et préparant l’action. Bien des grands penseurs ou philosophes ont eu leur période de retraite. Les prêtres égyptiens avaient personnifié le silence sous le symbole du dieu Harpocrate. Il était tout yeux et tout oreilles, mais sa bouche était close. Cette attitude est évocatrice : il faut voir, écouter, comprendre, mais, parmi les vérités ainsi découvertes, aucune ne doit être divulguée inconsidérément. Il en fut ainsi pour l’enseignement ésotérique de tous les mystères anciens, de même que pour les mystères de la foi des premiers siècles, distribués aux fidèles dans le silence des cryptes et des catacombes. La loi du silence est à l’origine de toutes les initiations véritables, elle se perd dans la nuit de la préhistoire. Toute entrée dans une fraternité initiatique se concrétise par l’assujettissement au silence le plus absolu comme par la nécessité de travailler sur les symboles, emblèmes ou allégories. Le fait de ne pas parler aide à comprendre que l’on ne peut plus laisser libre cours aux passions, ce qui doit se traduire par un refus volontaire d’exprimer tout avis ou jugement à l’égard de ses Frères car chacun est une lumière à l’état de veille. Cette entrée dans le « mutisme » va se traduire tout naturellement par l’exercice de la fraternité la plus accomplie, la plus chaleureuse, non par des démonstrations affectives, bruyantes et ostentatoires qui s’évanouissent à la moindre difficulté, mais par une compréhension, un soutien discret, une compassion vis-à-vis de ses semblables qui dépassent le cadre de la simple humanité. Tous les chercheurs du silence peuvent recevoir la lumière dans un apaisement de l’âme et du cœur. La loi maçonnique du silence est présentée à chaque adepte avant son admission dans l’Ordre et librement acceptée. Le récipiendaire se soumet de plein gré, en toute connaissance de cause aux incidences de la loi ; bien plus, il scelle son acceptation par un serment et se retire ainsi, consciemment, toute possibilité ultérieure de rupture ou de dérogation. La contrainte est donc bien effective, mais elle est d’une autre essence, elle est transcendante aux individus et repose sur la personne de l’initié. Ainsi la contrainte du silence n’engendre pas un état de servitude vis-à-vis de la loi, c’est une adhésion dont la nécessité, basée sur la raison, n’enlève rien à la spontanéité. C’est une norme initiatique sans laquelle aucune ascèse n’est possible. La loi du silence, procède de la raison. Or, en face de la raison, la maçonnerie est l’art de poursuivre, la méthode pour découvrir, la science pour intégrer, dans la spéculation et la pratique, les lois des rapports essentiels établis entre la vérité et l’intelligence humaine. Où est la vérité ? Elle n’est pas dans les expressions fuyantes du langage. Elle réside dans les choses elles-mêmes, dans les êtres, dans la vie. Ce n’est pas dans le tumulte des discussions, des vaines et pompeuses paroles que l’on pénètre la substance voilée par les concepts. La voix subtile des essences nous parvient seulement dans le silence de l’esprit, dans le recueillement de la méditation ; elle est interceptée par le fracas du monde profane, constitué, trop souvent, par des sonorités inconsistantes et sans valeur. Ainsi, la loi du silence, loin d’être une obligation arbitraire, est une contrainte rationnelle par laquelle notre corps et notre âme se mettent à la disposition de notre esprit, pour lui permettre d’écouter en toute quiétude la voix des êtres. Plus nos méditations seront prolongées, plus complet notre silence intérieur, mieux nous parviendrons à percevoir cette harmonie sublime. Voilà les raisons profondes du silence maçonnique. Retenons-en dès maintenant le principe directeur : l’Enseignement initiatique se donne et se reçoit dans le silence de tout l’être, il jette ses assises dans la méditation et il porte ses fruits dans les replis les plus secrets de l’esprit. Si dans notre Temple le silence est librement consenti et revendiqué, nous savons qu’il est momentané et fait pour faire germer notre esprit et l’ouvrir à l’écoute de soi-même, des autres et du monde. Comment ne pas évoquer le silence des peuples opprimés ? Aujourd’hui, en 2010, trop d’hommes et de femmes sont soumis à la dictature d’une poignée de tyrans politiques ou religieux. En Afghanistan, l’un des éléments de mesure de l’avancée des Taliban est le nombre de fermetures des magasins de musique… Depuis plusieurs mois, ce nombre augmente. Les intégristes ne supportent pas la musique ! Ils font régner le silence ! Contrairement à ce que peuvent affirmer bon nombre de ses ennemis, la franc-maçonnerie n’est pas une société secrète. Son but est publiquement avoué. Sa finalité, dont les maçons sont fiers, est le perfectionnement de l’homme et de la civilisation, l’amélioration de la condition humaine. Des rayons entiers d’ouvrages y sont consacrés dans les librairies, des revues y sont dédiées, de nombreuses émissions télévisées y sont régulièrement destinées. Cependant, si l’on entend par société secrète un groupe auquel est imparti une certaine somme de savoirs sous forme de méthodes de reconnaissance ou d’acquis traditionnels et légendaires, ouverte aux seuls adeptes étant passés par une forme donnée d’initiation non publique et ésotérique, alors, oui, sans aucun doute, la franc-maçonnerie est une société secrète. L’expression société discrète est probablement plus appropriée. Donc, si la franc-maçonnerie n’est pas vraiment une société secrète, qu’en est-il du secret ? quel est-il ? où est-il ? La Loi du Silence relève d’une nécessité initiatique autrement plus importante que la simple conformité à un engagement comportemental aussi solennel soit-il. Les véritables secrets maçonniques ne seront jamais communiqués à qui que ce soit tout simplement parce que la connaissance initiatique ne se donne pas. Ne relevant ni de l’intellect ni du mental, elle ne passe pas par les mots ou les gestes mais se reçoit intuitivement dans le silence de l’être. La vérité ne se transmet pas sous peine de se trouver dénaturée. La Loi du Silence se rapporte au secret par nature et n’a rien à voir avec le secret de convention déterminé par les termes de l’engagement ou serment qui se rapportent à la discrétion la plus totale relativement aux divers signe, attouchement, mot et parole du grade. Le Maçon ne parle que devant ses pairs, devant les ouvriers capables de réaliser son propre travail. C’est du reste la raison pour laquelle la maçonnerie est une institution progressive ; à ses adeptes elle donne la vérité par étapes et non pas d’un seul bloc. Voilà les arguments qui étayent la loi du silence, à l’extérieur et à l’intérieur de l’institution. Bien évidemment, il existe dans notre ordre quelques secrets formels dont, par exemple, la non-révélation de l’appartenance de tel ou tel à la Franc-maçonnerie. Chacun pouvant, s’il le souhaite, se dévoiler. Le « vrai » Secret du maçon est intact et le restera toujours. Car il n’est pas d’ordre matériel ou pratique et ne parle qu’au cœur de son détenteur. Il a pour non Fraternité et peut se communiquer aux autres maçons. Il est le cadeau du G\A\D\L\U\ à l’humanité. La maçonnerie, à sa manière et sans prétendre absurdement à l’exclusivité, aide l’homme à retrouver la Lumière. Là, est le secret. Quiconque lirait un rituel d’initiation n’en deviendrait pas, pour autant, « initié ». L’initiation ne se décrit pas ; elle se vit. Par nature, le secret est incommunicable. Sa connaissance est liée à l’initiation elle-même. Le secret, c’est la possibilité d’effectuer un travail intérieur, son propre travail intérieur, ayant pour fondement le symbolisme. Le « résultat » sera, par essence, différent d’un F\ à l’autre selon sa propre compréhension, son vécu, son éducation. Le secret est une affaire strictement personnelle. Avant de conclure, je voudrais rappeler les premiers versets de l’Évangile selon Jean. Au
principe était la parole, la parole était chez
Dieu et la parole était Dieu. L’Évangéliste utilise une structure voisine de celle des premiers versets de la Genèse. Je ne suis pas du tout féru en matière biblique mais je vois dans ces versets le fait que la parole est indissociable de la pensée et qu’elle peut en être la Lumière. En effet, le Verbe c’est l’acte créateur ; on crée quelque chose ou quelqu’un en le nommant.. Sans nom, on n’existe pas. Comme la loi du silence nous incite à surveiller nos paroles oiseuses et le débordement passionnel, elle nous invite également à surveiller nos pensées, à éliminer les dissonances capables d’obscurcir le Vrai, le Beau et le Bien. Le silence est le creuset dans lequel notre raison et notre volonté sont soumises au feu vivant de la nature. Par ce feu nous susciterons en nous des pensées de justice, de tolérance et de charité, des pensées susceptibles de nous conduire jusqu’aux confins du monde spirituel. Enfin, de ces attitudes diverses, il faudra en dernier ressort, réaliser une synthèse et obtenir le silence de tout notre être personnel. Nos passions et nos instincts seront utilisés en vue du bien individuel et du bien général. Nous arriverons ainsi progressivement à canaliser tous nos sentiments, toutes nos notions, concepts et idées dans la voie de la sérénité. Notre vie apparaîtra alors comme une vibration synchronisée dans l’harmonie universelle du cosmos, et cela par la Vertu de la loi du Silence, acceptée et respectée, parfois peut-être douloureuse, mais sans défaillance. Pour conclure je dirai que le silence dans notre Temple relève à la fois de la méthode maçonnique et du secret qui nous est librement imposé. D’ailleurs, livrer mon secret serait peut-être faire preuve d’orgueil et de dogmatisme puisque j’imposerai à d’autres ma vision, mon ressenti du secret. Mon secret, je le garde pour moi. J’ai dit. H\ B\ |
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