Le
Compas dans le Serment
Nous
avons tous vécus notre initiation comme un
évènement inoubliable qui marquera à
jamais nos vies et ce souvenir, toujours présent, se
renforce à chaque
initiation d’un nouveau Frère à
laquelle nous assistons et participons.
L’initié
garde en mémoire, dès le début de sa
démarche Maçonnique, les moments qui lui
ont paru les plus forts, ces moments peuvent être, selon les
frères : le
cabinet de réflexion, les voyages, le miroir…mais
le Serment ou plutôt les
Serments représentent véritablement le point de
passage du monde profane vers
l’engagement solennel dans la Franc Maçonnerie.
Ce
second travail sur le « Compas dans le
Serment » m’a conduit à
travailler sur et avec le Rituel.
Le
Rituel, ce petit recueil de quelques dizaines de pages que
l’on croit connaître
après l’avoir lu peu de temps après
notre initiation et sur lequel l’on revient
sans cesse au cours de nos séances d’instruction,
et c’est avec le temps que
l’on mesure à quel point chaque phrase, chaque mot
nous amène à comprendre, découvrir
le sens caché des choses, chaque lecture est porteuse
d’une nouvelle
découverte… C’est pour
l’Apprenti un creuset de savoir à la condition de
chercher, chercher encore et toujours, le sens des mots et des
symboles…
Le
serment occupe une part importante pour ne pas dire primordiale dans la
cérémonie de réception d’un
futur Frère. Par trois fois ce dernier va prêter
Serment. Une première fois sur la coupe des libations. Les
deux autres fois,
avec ou sans bandeau, sur la Bible, l’Equerre et le Compas.
Prêter
Serment… ! c’est un acte rare dans une
vie…que beaucoup d’hommes ne
connaîtront jamais… Certains sont
confrontés à des engagements au sein
d’un
profession, en regard d’une autorité
publique : les magistrats, les
Officiers ministériels, ou d’une
déontologie : les médecins…
Tous ces
serments peuvent être classifiés comme
étant
« laïcisés »
en
s’apparentant à une promesse solennelle, une
parole d’honneur, parfois, voire
trop souvent oubliée ou trahie… Regrettant le
temps passé et l’évolution des
mentalités et des comportements Chateaubriand ne disait-t-il
pas en son temps
que la fidélité au Serment passait encore pour un
devoir.
Le
Serment Maçonnique ne se formule pas uniquement devant et en
regard de l’Ordre
et de ses représentants, le Serment Maçonnique
est un engagement pris devant
Dieu. Si l’on se réfère à
l’histoire, et même si les historiens divergent sur
certains points, il semblerait que trois textes d’origine
écossaise rédigés
entre 1696 et 1714 (Le manuscrit des archives d’Edimbourg en
1696, le manuscrit
Chetwode Crawley en 1700 et le manuscrit Kevan en 1714/1720) aient
servis de
base au texte du Serment tel qu’il est prononcé
aujourd’hui même si de nombreux
manuscrits du 18eme siècle ont été
porteurs d’évolutions tant de forme que de
fond. Ce qui, a priori apparaît évident,
c’est le lien entre la Maçonnerie
opérative et spéculative. En effet
l’apprenti maçon, bâtisseur de
cathédrale,
qui allait recevoir des secrets de
« fabrication » devait
être
croyant voire pratiquant puisqu’il consacrait sa vie
à la glorification de Dieu
au travers de la construction qu’il édifiait. Il
pouvait également subir une
forte répression morale s’il trahissait son
engagement, en outre, quant au
châtiment physique s’il a très
certainement existé , il a été aboli
en Angleterre
dès le 18ème
siècle.
Les
serments dans la Maçonnerie spéculative
déterminent la condition préliminaire
à
la transmission des secrets.
Le
premier Serment est prêté par le profane,
à genoux devant l’autel des serments.
Après avoir entendu du Vénérable
Maître les devoirs du Maçon :
o
Garder
le silence absolu sur tout ce que l’on entend ou
voit tant dans le présent que dans le futur.
o
Combattre
les passions.
o
Pratiquer
les vertus.
o
Secourir
ses Frères.
o
Se
conformer aux statuts de la Franc Maçonnerie
régulière
et aux lois du rite Ancien Ecossais et Accepté.
Le
profane, très impressionné, si je me
réfère à ma propre
expérience, prononce,
la main droite sur le cœur le Serment suivant.
« Je m’engage sur l’honneur
au silence absolu sur tous les genres d’épreuves
que l’on pourra me faire
subir », puis il boit la Coupe des Libations dont le
goût amer qui reste
en bouche lui fait immédiatement comprendre combien le
remord hanterait son
cœur et son âme, mais aussi quelle sanction morale
il subirait s’il sombrait dans
le parjure.
Les
deux
autres Serments seront prononcés dans des circonstances
assez similaires :
sur l’autel des Serments, agenouillé sur le genou
gauche, la jambe prenant
ainsi la forme de l’Equerre, la main droite sur le Volume de
la Loi Sacré,
l’Equerre et le Compas. Alors, sous le bandeau, le profane va
prononcer
l’obligation solennelle dont chaque mot, chaque phrase sont
tellement chargés
de gravité et d’engagement que l’on ne
peut que ressentir à cet instant une
émotion intérieure profonde.
« Moi….de
ma propre et libre volonté, en présence du Grand
Architecte de l’Univers et de
cette respectable Loge de francs Maçons, je jure et promets
solennellement et
sincèrement de ne jamais révéler aucun
des mystères de la Franc Maçonnerie qui
vont m’être confiés, et de ne
m’en entretenir qu’avec de bons et
légitimes
Maçons ou dans une loge régulièrement
constituée.
Je
promets d’aimer mes Frères, de les secourir et de
leur venir en aide, je
préférerais avoir la gorge coupée
plutôt que de manquer à mon Serment.
Que le
Grand Architecte de l’Univers me vienne en aide et me
préserve d’un tel
malheur. »
A
l’issue de ce Serment on ôtera le bandeau au
profane qui, pour la première
fois, découvrira dans un environnement faiblement
éclairé le Temple, les Frères
et leurs épées pointées vers lui et le
parjure, allongé sur un drap noir la
tête vers l’Occident (vers la mort), sans gants ni
tablier (ayant perdu ses
habits de Maçon), un linge tâché de
sang sur le cœur.
Bien
entendu tous ces détails m’ont personnellement
échappés en grande partie lors
de mon initiation, j’étais impressionné
par ce corps étendu, mais la notion de
mort en cas de renoncement à mon Serment
m’était apparue évidente.
Enfin,
l’ultime Serment, dans les mêmes conditions que la
« déclaration
solennelle »
se déroule sans le bandeau. Cette ultime phrase
« Je le confirme et je le
jure » scelle définitivement
l’engagement du nouveau Frère. Je confirme
sans restriction le Serment solennel et je jure
d’obéir fidèlement aux chefs de
notre Obédience. Ces Serments sont, nous l’avons
dit, prononcés devant les
trois grandes lumières de la Franc Maçonnerie le
Livre Sacré de la Loge,
l’Equerre et le Compas.
A ce
stade, je m’interroge sur la motivation de mon Second
Surveillant qui a voulu
que mon travail s’oriente plus particulièrement
sur le Compas dans le Serment.
Pourquoi le Compas ? Pourquoi pas également
l’Equerre quasi indissociable
du Compas ? Pourquoi pas le Volume de la Loi Sacrée
toujours ouvert lors
de nos tenues ?
Le
Compas – Le mot compas vient du verbe latin
« compassare » qui veut
dire : mesurer.
D’abord
outil opératif, cet outil est adopté par la
Maçonnerie spéculative en tant que
symbole actif doté de deux branches mobiles
articulées autour d’un axe. Il sert
à transposer précisément des
longueurs, à tracer des circonférences.
C’est un
des outils les plus anciens inventé par l’homme
que l’on retrouve dans d’autre
corps de métiers avec des branches différentes
selon son utilité. Dans la
marine, par exemple, il permet la mesure d’angles horizontaux
afin de ne pas
« perdre le nord ».
Historiquement,
en 1710, dans le quatrième manuscrit Dumfries, il devient
l’une des trois
colonnes de la Loge avec la Bible et l’Equerre. En 1727, dans
la
« confession d’un
Maçon », il est lié au Serment
de l’initié qui le
tient alors « ouvert, piqué sur sa
poitrine ».
Je
me
dois de reconnaître que lors de l’initiation le
fait de tenir le compas de la
main gauche, la pointe posée sur le cœur, est un
souvenir particulièrement
marquant… Je n’y ai vu tout d’abord que
la sanction physique qui serait la
mienne si je devenais parjure à mes Serments et la mort qui
s’ensuivrait.
J’étais sans doute marqué par mes
souvenirs d’enfant, le compas étant un
instrument que l’on manipulait avec maladresse au
début pour tracer un simple cercle,
puis qui nous révélait toutes sortes de
créations, des rosaces, des figures
géométriques qui
m’émerveillaient au fur et à mesure que
j’acquerrais de plus
en plus de dextérité… Mais le compas
restait un outil de travail doté d’une
connotation mystérieuse et dangereuse ; il ne
fallait pas jouer avec car
le compas pouvait blesser.. plus particulièrement les yeux,
peu de temps après
j’ai connu une grande perplexité en entendant
l’expression « avoir le
compas dans
l’œil… ! »
Ce
n'est
que plus d’une année après
qu’un adulte m’a expliqué que le compas
était
l'emblème de la précision et que certains
êtres, souvent des artistes, des
peintres, des sculpteurs étaient capables
d’évaluer une mesure d’un simple coup
d’œil. D’où
l’expression que l'on prête à Michel
Ange, mesurer en un "clin
d'oeil" de façon aussi exacte qu’avec le Compas.
Après
un
peu plus d’une année d’apprentissage,
cette scène du Serment et du Compas reste
pour moi la plus forte, même si d’autres
l’ont été : les voyages, le
miroir. Mais j’ai la sensation ancrée en moi
d’avoir ce soir là communiqué avec
Dieu, de l’avoir approché comme jamais cela ne
s’était produit dans ma vie.
Après le premier Serment sur la Coupe des Libations qui
symbolise le remord,
les deux autres Serments nous emportent dans une dimension nouvelle
à laquelle
le Vénérable Maître nous
prépare en disant « dès lors,
vous ne vous
appartiendrez plus ». En la circonstance,
à qui donc appartiendrions-nous
si ce n’est à Dieu par
l’intermédiaire de l’Ordre ?
Quelques instants
après, il est fait référence pour la
première fois au Compas dans l'initiation
dès lors que le Vénérable
Maître informe le profane qu'il va prêter Serment
sur
les trois grandes lumières qui sont le Volume de la Loi
Sacrée, le Compas et
l'Equerre. L’ultime Serment sans le bandeau
représente un véritable acte de
purification, une forme de mort spirituelle du profane qui
s’apprête à recevoir
la « lumière » lors de
la consécration qui va suivre.
Lors
de
cet ultime Serment le Compas représente bien
l’outil de Dieu créateur. Faisant
référence à Dieu, Dante
écrira dans le
« Paradis » (Chant
XIX) :
« Celui qui de son Compas marque les limites du
monde et régla dedans tout
ce qui se voit et tout ce qui est caché »
Dans
le
dessin de William Blake, le Grand Architecte de l’Univers est
représenté tenant
le Compas de la main droite, traçant et dessinant le monde.
Il a ainsi crée le
point d’origine de la vie, celui d’un nouvel homme
en quête de perfection.
N’est ce pas là le symbole parfait de
l’homme qui va devenir un Apprenti en
quête de vertu ?
Ce
Compas tenu appuyé sur le cœur, les branches
ouvertes à 90 degrés, comme
l’Equerre, représente la rectitude de la
régularité de nos devoirs qui se
rapportent directement aux paroles énoncées dans
le Serment. On parle alors
« d’Equerre juste ».
Outil actif, il indique symboliquement l’emprise
de l’esprit sur la matière (équerre)
par l’écartement de ses jambes. A 180
degrés, en ligne droite par conséquent, il
n’apporte aucune possibilité
effective et nous renvoie aux limites à ne pas
dépasser. On comprend mieux
alors la symbolique de l'Equerre sur le Compas au grade d'Apprenti
où l'esprit
est dominé par la matière première.
Si
lors
de l'initiation il est ouvert à 90°, une pointe
vers le cœur et l’autre vers
le ciel, n'est ce pas pour faire le lien entre la matière et
l’esprit, entre
notre cœur et le divin ? Ainsi, ce contact du Compas
sur le cœur, centre
de tous les sentiments et animé par l'esprit, sera le
"centre actif"
de l'évolution vers la vertu du futur maçon...
Son cœur sera sondé par le Divin
et ses Frères le verront peu à peu se transformer.
C’est
bien cela que je vivais lors de mon initiation, j’avais
prononcé mes Serments
et invoqué l’aide du Grand Architecte de
l’Univers afin qu’il me protège de ne
point faillir en regard de mes engagements. Ce Compas dressé
vers le ciel était
bien un contact direct avec Dieu, la verticalité de la
pointe allait bien
au-delà des édifices construits par les
hommes : les flèches des
Cathédrales, les « grattes
ciel ».., Ce Compas-là, il touchait le
ciel, ce Compas-là, il fixait un cap, ce
Compas-là, il traçait comme lorsque
j’étais enfant des spirales dynamiques qui ce soir
là s’élevaient
jusqu’à Dieu.
Une forme de magnétisme s’exerçait
entre mon cœur, mon esprit et je le pense,
Dieu.
Je
sais
que tout a changé en moi à ce
moment-là.
L’homme
en cours de transformation que je suis devenu a,
ce soir-là, donné son cœur et son
esprit à l’Ordre, à ses
Frères et à Dieu.
Dans cette communion transcendantale le Compas était une
sorte d’antenne ou de
paratonnerre fonctionnant à double
sens : j’offrais mon cœur,
mon esprit et mon âme et en même temps je recevais
mille fois plus la
« lumière » qui
aujourd’hui a fait de moi un homme nouveau, un homme
qui s’efforce de devenir meilleur. Le Compas, j’en
suis convaincu, peut être un
outil de transmission et de réception
bénéfique, mais le Serment n’est
t’il pas
également un lien invisible entre tous les
Maçons, un héritage commun ?
Cet engagement du Serment restera à jamais la clé
de voûte de la transmission
Maçonnique et de ses secrets.
Cet
engagement mes Frères, nous le renouvelons à
chaque
tenue où nous jurons de garder le silence sur nos travaux.
Ce Serment, à chaque
tenue, va au-delà du secret ; il recouvre aussi
notre engagement envers
nos Frères, l’Ordre et le Grand Architecte de
l’Univers à qui nous
disons : OUI, nous le voulons ! Nous voulons
respecter nos
engagements pris solennellement devant Vous afin
d’œuvrer toute notre vie à
votre gloire.
J’ai
dit V\ M\
B\
L\ |