Obédience : NC Loge : NC 1995


L'initiation maçonnique

Trois minutes de symbolisme
L’initiation est l’acte fondateur par lequel le profane (pro fanum, celui qui attend devant le temple) est agrégé à une communauté. Il devient ainsi un Frère : l’emploi d’un terme à connotation génétique indique que le pacte acquiert la force d’un lien de sang.

Premier constat : l’initiation est, impérativement, sociale, communautaire. Certes, il peut y avoir expérience personnelle, intime, à caractère initiatique : la mort du Père dans Don Juan ou la découverte du véritable amour par delà la fragilité de la confiance et l’ambiguïté du désir dans Cosi Fan Tutte de Mozart. Mais seul le couple de la Flûte Enchantée est véritablement initié, au sens où nous l’entendons : en effet, le rite permet non seulement aux héros de se révéler à eux-mêmes, mais il les introduit de plain-pied et de plein droit dans une communauté, ici celle des prêtres d’Isis et d’Osiris.

Comme tel, ce rite de passage comporte des épreuves dont le but est évidemment d’éprouver le courage, la force de caractère de l’impétrant. Et de rassurer le groupe sur la qualité de celui qui prétend y entrer ! Mais aussi de forcer au dépassement de soi : c’est par la capacité d’assumer avec détermination la solitude et le danger physique que l’enfant accède au monde des adultes dans les sociétés dites « primitives ». C’est ainsi que le caractère se forge et s’épure. Nous retrouvons la trace de cette nécessité d’affronter crânement le dégoût dans le Calice d’amertume. Et de vaincre la crainte, l’appréhension, dans le premier voyage, référence implicite aux voyages initiatiques pleins d’embûches et de dangers que devait accomplir l’enfant pour découvrir « le monde du dehors » avant de pouvoir retrouver, transfiguré, sa communauté d’origine. Non plus comme un être inachevé, faible et ignorant, mais comme un adulte accompli, grandi par la connaissance et l’action.

En France du moins, les deux épreuves initiales de l’initiation maçonnique, comme nous le rapporte le Régulateur du Maçon de 1801, sont celles de l’Eau (à la fin du deuxième voyage de l’impétrant) et du Feu (à la fin du troisième voyage). Les Loges ont rapidement ajouté à ces voyages et épreuves, dans un souci de symétrie quelque peu artificiel, les deux autres « éléments primordiaux » de l’imaginaire alchimique : l’Air (à la fin du deuxième voyage de notre rituel contemporain) et la Terre, avant même l’entrée dans le Temple, à travers la symbolique du « Cabinet de réflexion » (si le Cabinet, appelé initialement « Chambre de réflexion » a toujours existé, la symbolique de la mort et de la résurrection tout comme celle de l’élément primordial « Terre » sont absentes du rituel de 1783 codifié dans le Régulateur, publié en 1801).

La Terre est pourtant un élément très souvent présent dans les rites primitifs car elle évoque l’origine et le terme de la vie : pour germer, c’est-à-dire pour acquérir sa forme définitive, le grain doit perdre en terre son apparence initiale. La chrysalide accomplit dans le silence et l’obscurité sa transformation prodigieuse. La Terre évoque ainsi, à travers le rituel de mort et d’enfouissement, la quête de la vérité profonde, intérieure, d’un au-delà des apparences qui touche au Sacré.

Sur le plan symbolique, la clé de cette action de transformation profonde nous est donnée par l’acronyme alchimique du Cabinet de Réflexion : V.I.T.R.I.O.L., Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultam Lapidem (Visite l’intérieur de la Terre et, en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée). Rappelons que le mécanisme alchimique du « Grand ‘œuvre » ­ à prendre bien évidemment au sens symbolique ­ commence par une indispensable putréfaction : par elle, les éléments perdent leur identité en se dissolvant avant de pouvoir se recombiner dans l’athanor sous l’action du feu purificateur pour donner la Pierre philosophale, symbole rayonnant de la vie triomphante.

Le caractère initiatique du voyage évoque l’incontournable tournure contemporaine, chérie des politiques, qui consiste à dire en « énarchien pur sucre » que « untel initie telle ou telle action ». La prétention de la tournure le dispute au ridicule. Mais cela ne doit pas occulter que l’initiation, outre son rôle d’agrégation au groupe et d’affermissement du caractère par les épreuves, est bel et bien le point de départ d’un cheminement, d’une transformation intérieure.
Comme il y a les tenues d’obligation, il y a ici obligation, au sens moral, d’avancer vers l’excellence, laquelle n’est au fond que la pleine appropriation par l’individu de ses propres potentialités. L’initié ne peut accepter la défaite intime que constituerait la soumission habituelle à un comportement « à faible valeur ajoutée ». L’initiation donne obligation de travailler à s’élever au-dessus de soi-même. Moralement, mais aussi intellectuellement, par un travail incessant.

Notons qu’il n’y a qu’une seule initiation : celle qui, comme le disent les Anglo-Saxons qui n’apprécient guère l’idée même d’initiation, « fait » l’Apprenti (« Entered Apprentice »). Les rites de transition aux grades supérieurs ne sont pas des initiations, mais de simples approfondissements des connaissances acquises pendant l’initiation par une ouverture spécifique sur telle ou telle dimension symbolique privilégiée à chacune des étapes de la vie maçonnique : rôle du travail, maîtrise des outils et appropriation de la parole au grade de Compagnon ; méditation sur la fidélité et la mort, réappropriation du silence au grade de Maître. Pour le passage à ces grades, on parle non d’initiation, mais seulement « d’élévation ». La Franc-Maçonnerie continentale utilise même parfois la riche symbolique des Bâtisseurs opératifs pour parler « d’augmentation de salaire ».

Pour conclure, je voudrais affirmer ici que l’initiation n’est pas un jeu gratuit, un acte sans conséquence : elle doit, pour être véritable, mettre en branle un processus de transmutation intime. Si nous restons aussi mesquins, médiocres, emportés et vains qu’avant ce voyage, c’est que nous n’avons rien compris. Nous devons impérativement nous modifier, nous améliorer. A travers de longs et pénibles efforts, nous devons tailler une pierre harmonieuse, susceptible de trouver sa place dans l’édification du Temple fraternel de l’Humanité. Sans cela, nous ne sommes que des sépulcres blanchis, des pharisiens hypocrites. La finalité opérative du symbolisme doit être clairement énoncée si nous voulons être dignes de nos anciens. N’ont-ils pas inlassablement travaillé à modifier la société, pour la rendre plus humaine et plus fraternelle ?

Alors, peut-être, cesserons-nous d’encourir la critique des Compagnons opératifs qui, eux, se frottent aux résistances du réel et mesurent concrètement leurs progrès à l’aune de leur capacité à modifier la matière. Puisse cette leçon de réalisme nous être profitable. Non seulement aux Apprentis, mais à tous les Francs-Maçons véritables qui se savent à jamais « d’Eternels Apprentis » !

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