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Pour une autre Vision des Symboles

Ma planche de ce soir est l'expression longuement retenue et réfléchie de ma gène, puis finalement de mon désaccord serein, mais profond, sur la manière dont trop d'ouvrages maçonniques - ou traitant de la symbolique maçonnique -, prennent leurs aises avec la rigueur du raisonnement et l'honnêteté intellectuelle, sous deux prétextes fallacieux et absolument récurrents :
* Premier prétexte : S'agissant de spiritualité et parfois de métaphysique, la raison commune perd ses droits. La rigueur de la logique ne s'appliquerait pas à la réflexion spirituelle.
* Second prétexte : cette affirmation qui est, à mon avis une négation embryonnaire de toute raison commune : on a le droit de tout penser et de tout démontrer, tout raisonnement est respectable, tout est démontrable et son contraire, au nom de la liberté de chacun à développer une opinion iconoclaste ou originale.

Tenue en respect pendant la période où, ne sachant rien, je n'avais pas à juger, mon gène n'a par la suite fait qu'augmenter au fil de ma courte progression en matière de symbolisme. J'ai tenté d'extraire, de comprendre la raison de ce désaccord que je sentais si profond, et, découvrant que les textes qui me gênaient étaient très courants, parfois même au sein de livres maçonniques célébrissimes, j'ai, depuis longtemps, conçu l'idée de vous en faire part au sein d'une planche. Je le fais aujourd'hui, cela va me faire du bien.

Laissez-moi le temps de quelques précautions : dans les lieux où je m'aventure, je cours le risque réel du procès d'intention, alors je vous avertis : je vais donner l'impression que je m'attaque aux sacro-saints principes qui régissent le débat maçonnique en loge : la fraternité de l'écoute, la tolérance des réactions, la liberté totale de l'expression. Je vais donc donner cette impression de toucher aux principes... Parfaits ! Les principes sont comme la peau, ils se renforcent de cals protecteurs lorsqu'ils sont agressés. Enfin, comme je l'ai dit, je vais être contraint de critiquer le discours de personnes qui sont des frères, et des frères imminents ou respectables, vous pensez !... Ils ont écrit des livres ! Ce n'est pas scandaleux tant que la critique est respectueuse de leur personne. Je leur offre donc ici l'instant d'un débat fraternel, de liberté et de respect, que j'en avais assez de me livrer à moi même et que je vous soumets pour examen.

Tout a commencé lors d'un voyage de toute la loge à Versailles, où nous allâmes écouter notre TCF Alain Pozarnik qui présentait son livre « Mystères et actions du rituel d'ouverture en loge maçonnique ». J'étais jeune apprenti, ouvert à l'étude des outils, des symboles et des rituels, prêt à l'acceptation du fait spirituel, et donc très attentif à la planche tracée par notre Frère ce soir là. J'étais attentif et ouvert, mais j'étais aussi moi-même : fils d'une biologiste et d'un ingénieur chimiste, ni des scientifiques de haut niveau, ni des chercheurs, ni des savants. Des gens raisonnables qui m'ont éduqués dans le respect de la rigueur d'un minimum de méthode et qui m'ont inculqué qu'on ne peut pas, ni au nom de la tolérance, ni au nom du droit à l'opinion, faire dire n'importe quoi aux mots, aux concepts et à la logique, sous peine de crime de lèse-intelligence. On ne peut pas ! C'est comme ça !

Ainsi, près deux années de réflexion consécutives à cette tenue de Versailles, je suis passé de la gêne indéfinie à l'analyse assumée, et je considère aujourd'hui que le principe de travail de notre TCFrère Pozarnik (que je cite uniquement à titre d'exemple, mais les grandes « bibles » analytiques des rituels maçonniques ne sont pas exemptes pour autant), et tous les discours sur le symbolisme dont l'architecture est parallèle, ne sont pas conformes à certains principes d'honnêteté intellectuelle. J'appellerai cette architecture de raisonnement : la post-rationnalisation, (poser en hypothèse une conséquence, et en créer les causes de toute pièces).

Rassurez vous, je vais vous livrer quelques exemples.
Exemple A : Le Compas.
La Maçonnerie spéculative utilise le langage symbolique pour trois raisons essentielles :
1. C'est un vecteur plus hermétique que le langage courant, susceptible de protéger un secret, et cette protection résulte de nécessités historiques datant de la maçonnerie opérative.
2. C'est par excellence un langage de communion, qui permet à des personnes de cultures et d'origines très différentes de communiquer parfaitement sur des sujets très fins et très abstraits.
3. Enfin, c'est un langage polysémantique, où les vecteurs, -les symboles-, se prêtent à l'interprétation personnelle, à la recherche initiatique, individuelle. C'est un langage ouvert qui permet la progression, l'évolution (et c'est pourquoi il perdure dans les siècles).
Le langage symbolique est donc : 1 : secret, 2 : communautaire, 3 : évolutif et ouvert.
C'est ce caractère évolutif qui pose problème : le sens des symboles est ouvert aux interprétations. Heureusement, me direz vous ! Certes. Mais il y a des effets pervers qu'il nous faut contrôler : car cette liberté d'interprétation immense, ouvre un champ libre pour l'habileté intellectuelle, qui n'est pas la vérité…

Le Compas peut symboliser, notamment, la mesure. Il suffit de lire ou d'écouter des planches sur le Compas pour constater qu'il peut symboliser bien d’autres choses. On dit alors : « c'est ma vision, c'est mon point de vue, cela n'engage que moi, etc. etc. » La question se pose donc trivialement : le Compas peut il tout symboliser ? (Le compas peut-il indifféremment symboliser l'intégrisme, les fausses factures, la RATP, le patriotisme ?). Mon opinion est que non. Le champ de chaque symbole est infini, mais pas dans toutes les directions. De même qu'un plan géométrique a une surface infinie, mais cette infinité est moitié plus restreinte que la surface de deux plans. On ne peut pas faire dire tout et n'importe quoi à un symbole, en se payant de cette simple justification : « c'est ma vision, elle m'est personnelle, elle n'engage que moi... » et la foule d'applaudir à la folle audace du concept. Tolérance ou complaisance ?
Or que constate-t-on : de nombreux ouvrages, dont celui que j'ai cité, se complaisent à ces créations de sens, pour parvenir (avec une aisance évidente) à démontrer ce qu'ils ont posé en hypothèse, à savoir que tel symbole symbolisait ceci ou cela, ce qui à mon avis égratigne sérieusement la raison.

Exemple B. Le cheminement des surveillants lors de l'ouverture de la Loge.
L'aboutissement pervers de la post-rationnalisation est rien moins que l'assassinat du langage symbolique. Si je dis que le compas peut tout symboliser (question de point de vue personnel), il est ramené au niveau de la machine à calculer et du chausse-pied et il ne peut donc plus rien symboliser de particulier. Ainsi en est-il, en matière de vocabulaire courant : étendre la signification d'un mot à trop de signification (comme truc, chose, machin) revient à lui retirer la possibilité de désigner quoi que ce soit. La tolérance nécessaire à l'opinion de chaque maçon sur les symboles doit butter strictement sur cette limite. Le maçon qui rédige un livre, ou qui rédige une planche symbolique doit s'imposer cette discipline, sans quoi, il n'y a plus de symbolisme qui tienne, il fait pire que casser l’œuvre, il casse l'outil.

Pour revenir à mon exemple, on nous a ainsi expliqué dans cette exégèse du rituel que, lors de la phase du rituel d'ouverture où les deux surveillants vérifient que tous les assistants sont apprentis francs-maçons, à leur place et à leur office, les trajectoires des deux surveillants ont une haute valeur symbolique: Ils montent d'abord vers l'orient, vers la lumière, symbolisant la tentative de progression des hommes vers la connaissance, puis ils se croisent, nouant une certaine relation qui est explicitée (mais je ne vais pas dans le détail), puis ils redescendent vers les ténèbres de l'occident, et cela signifierait à l'évidence que l'accession à la lumière est une bataille sans fin qui ne saurait avoir d'achèvement. C'est joli, c'est poétique, c'est symboliste, ça sonne bien, ça sonne vrai et, finalement, pourquoi pas ?

Lorsque j'ai entendu cela, j'étais ébahi. Cet aspect sympathique, mais flagrant de la post-rationnalisation a ceci de gênant qu'il envahit les pages des livres de symbolisme, fussent-ils les plus connus et qu'il faut avoir l'esprit singulièrement attentif à ce type d'abus pour les discerner des légitimes interprétations symboliques.
Que fait-on dans cette démonstration ? : On part du fait observable patent, c'est-à-dire de la trajectoire des surveillants telle qu'elle est, et on lui trouve une signification cachée, jolie de préférence, qu'on révèle, qui apparaît séduisante parce qu'adéquate avec les faits, et ensuite on explique que cette vision des choses est personnelle et n'engage que soit. On pourrait aussi bien dire que les surveillants se croisent et se tournent le dos pour marquer la haine qu'ils éprouvent l'un pour l'autre et le dégoûts que leur inspire leur vue réciproque, ce serait effectivement cohérent avec le rituel objectif, mais ce ne serait ni maçonnique, ni joli, ni sympathique.

Mon avis sur la question, oserai-je le dire, est que quelque soit la trajectoire des surveillants, s'ils de reviennent pas à leur place, ils devront assister debout à la tenue et s'en trouveront fatigués. Leur « redescente » de l'Orient est donc une conséquence obligée de leur montée. Ils retournent à leurs places, rien de plus. Suis-je, pour dire cela, un matérialiste subversif sacrilège intolérant briseur de rêves. Je pense qu'il faut protéger la beauté des symboles en refusant ceux qui ne sont que des jeux habiles de l'esprit, car :
* si tout est symbole, alors rien n'est symbole.
* les jeux habiles de l'esprit ne sont rien d'autres que des métaux, et ils n'ont rien à faire dans le temple et dans les livres maçonniques à vocation didactique.

Je vais essayer de vous le montrer très simplement en appliquant la technique que je dénonce à mon stylo qui, jusqu'à ce jour, n'était pas un symbole maçonnique.
Ceci est mon stylo (je le montre à l'assistance en loge), de marque Montblanc en argent, à bille, bleue. Il m'a été offert pour mes trente ans, avant que je sois initié. Et bien je vais vous démontrer que la personne qui me l'a offert avait deviné dans les astres que je deviendrai franc-maçon et que ce stylo était voué à m'accompagner en loge.

1. Cette étoile blanche sur son sommet, qu'on pourrait prendre bêtement pour le logo de Montblanc, un flocon de neige, est en réalité un hexagramme, soit le croisement de deux triangles isocèles, je n'ai pas besoin de préciser le rapport maçonnique. Sa couleur blanche est évidemment symbole de pureté.

2. Ici, trois chiffres : 925. Certains esprits étroits, dénués de toute spiritualité, pourraient penser qu'il s'agit du titrage en argent de 925/1000. En réalité, il s'agit d'un code numérologique khabbalistique. Le premier chiffre, 9 est un rappel angoissant : en le multipliant par 146 (date fatidique de la destruction de Carthage), j'obtiens 1314, date du bûcher de Jacques de Molay, date cruciale entre toutes pour ceux qui se sentent héritiers des traditions templières. La somme interne de ce nombre donne 7, (sur lequel je ne m’étendrais pas puisque nous sommes au premier degré, mais la septième lettre de l'alphabet est tout de même le G...sans commentaires). Par ailleurs, 925 mètres est rien moins que le périmètre de la base de la grande pyramide de Chéops, et si on divise 925 par le double de la hauteur de cette pyramide, qui est de 147,3 mètres, on trouve, PI bien sûr,  3,14 !

3. Je vous rappelle que ce stylo m'a été offert pour mes trente ans, dont la symbolique ternaire n'échappera qu'aux incrédules professionnels et que le mot Montblanc contient 9 lettres, soit trois fois trois.

4. Sa hauteur est de 13,5 centimètres, dont la somme interne fait curieusement 9 et enfin, il écrit d'une encre bleue, et nous sommes dans la maçonnerie bleue.

5. Le métal dont il est fait, l'argent, me rappelle que les métaux, s'ils ne peuvent être physiquement laissés à la porte du temple, ne peuvent entrer qu'en prenant une fonction humble, ici celle d'outil à tracer.

6. Et, pour finir en beauté, voici que je décrypte une inscription khabbalistique sur sa bague dorée : « Meisterstuck ». Serait-ce le nom du modèle, ou plutôt, c'est évident, la révélation finale de la nature maçonnique de l'objet : La pièce du Maître.

Voilà, cet objet est donc apparemment un véritable agrégat de signes hautement symboliques, et certains sont certainement cachés à mon analyse. Qui l'eût cru ?
Ca, c'est de la post-rationnalisation. On peut l'appliquer à n'importe quel objet, n'importe quel symbole, cela permet de commettre à peu de frais une planche sur n'importe quel sujet symbolique, c'est de l'escroquerie intellectuelle et, croyez moi, pour peu qu'on aie l'esprit attentif, on y est confronté en permanence dès lors qu'on s'intéresse au symbolisme. Pour le stylo, à l'évidence, vous avez vu qu'il s'agissait d'un abus. Mais si j'avais tenu un discours fondés sur les mêmes techniques, à propos d'une épée maçonnique par exemple, qui aurait décelé l'astuce et protesté, dans un climat d'écoute fraternelle ? Et encore, un vrai symboliste érudit ferait cent fois mieux que moi.

Que ce soit pour le compas, la trajectoire des surveillants ou le stylo, la technique est toujours là même. On part du résultat: montrer qu'il y a là un sens symbolique particulier, ou nouveau, ou secret, et on remonte à l'aide de superbes correspondances, numériques dans mon exemple, mais qui peuvent être des correspondances philosophiques, spirituelles, et même poétiques. On obtient alors forcément un système cohérent, une sorte de petite théorie personnelle sur ce symbole, il suffit de rajouter qu'il s'agit d'une vision personnelle, qu'on ne prétend sûrement pas à l'universalité ni à une vérité quelconque, et le tour est joué, on devient inattaquable.

Que dire lorsque à la prise de liberté avec la rigueur du raisonnement, on associe l'utilisation en rafale de termes donc la signification est si importante en volume qu'un seul de ceux ci par page demanderait déjà prudence et explications. Ah ! l'éblouissant mirage des mots, qui, bien mélangés, remplissent de signifiance ce qui n'est que vacuité :
Deux exemples, accrochez vous !
« L'égrégore est le réceptacle de l'énergie sacrée qui provient des deux pôles: la gnose spirituelle, et le travail temporel ».
Autre phrase :
« Le temple est un athanor sacré pour l'homme où se rencontrent les forces qui relient le corps au monde cosmique de l'esprit ».
Joli, n'est ce pas ? Et tellement vrai !
Sauf que l'une de ces deux phrases est tirée de « Mystères et actions du rituel » d'Alain Podzarnik, l'autre est de moi, et je vous promets que la mienne ne veut strictement rien dire. Rien que des mots empilés. Je ne vous ferai pas l'insulte de vous faire deviner laquelle. Cela ne donne-t-il pas à réfléchir ?

Pour conclure :
Et pourquoi pas ! Pourquoi cette forme de théorisation et de réflexion qu'est la post-rationnalisation serait-elle mauvaise en soi! Après tout, si chacun veut voir midi à sa porte et s'en trouve bien, où est le problème? C'est même une expression de tolérance que de s'écouter les uns les autres construire ces édifices intellectuels, amusants ou impressionnants, qui ne prêtent pas à grand-chose puisqu'ils ne prétendent à aucune vérité. C'est à coup sûr empêcher toute progression spéculative et spirituelle, que de contraindre et de limiter l'inventivité et la créativité dans le maniement des concepts et des symboles. Suis-je un dangereux contrôleur des pensées, lorsque je proteste ? Je ne le pense pas.

Mais c'est ma question et je n'y apporte qu'une réponse partielle.
J'ai d'une part ce sentiment obscur et angoissant que rien de bon ne se construit sur un raisonnement qui usurpe ce nom, même si l'apparence est appétissante.
J'ai d'autre part cette certitude de bon sens qui me dit que, s'il est midi à la porte de chacun, il n'est plus d'heure commune nulle part et alors à quoi bon écouter celui là me donner l'heure.
Si chacun à sa vérité, il n'y a plus de vérité. Alors, j'en suppose qu'une attitude intelligemment critique, non pas envers les opinions,- qui sont sacrées -, mais envers les raisonnements, est utile à la préservation de cette magnifique maison commune que nous ont légué nos anciens: un langage symbolique utile et vivant.

T\ V\


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