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Tolérance : vice ou vertu ?

INTRODUCTION 

Il est demandé aux Maçons de fuir le vice et de pratiquer la vertu. Est-ce que la tolérance est LA vertu qu’il nous faudrait pratiquer ? Je connais, plus ou moins bien je vous l’accorde, les vertus théologales qui me guident dans mon rapport au monde et au GADLU (la foi, l'espérance et la charité) et les vertus cardinales qui devraient être à l’origine, chaque jour, de mes comportements (la prudence, la tempérance, la justice et le courage). Au nombre de sept, elles sont décrites comme les vertus « catholiques » et c’est probablement pour cela que le rituel ne parle pas DES vertus mais de LA vertu offrant ainsi une vision globalisante et se démarquant, par la même, d’un dogme.  Toutefois, force est de constater que la tolérance n’en fait pas partie ! Et pourtant nous la retrouvons dans nos rituels (Convent de Lausanne du 22/09/1875) où il est écrit :

  « La Grande Loge de France n’impose aucune limite à la recherche de la Vérité et c’est pour garantir à tous cette liberté, qu’elle exige de tous la tolérance. »

La tolérance, ainsi, ne serait pas une vertu mais une attitude qui permettrait de garantir la liberté de l’Autre. Voilà qui confirme les devoirs du FM :

D.- Quels sont les devoirs d’un F⸫ Maç⸫ ?  R.- Fuir le vice et pratiquer la Vertu.  D.-  Comment un F⸫ Maç⸫ doit-il pratiquer la Vertu ?  R.-  En préférant à toutes choses la justice et la Vérité.

 C’est bien au service de la pratique de LA Vertu, de la justice et de la Vérité que la tolérance apparait dans nos rituels mais avons-nous tous la même compréhension de ce qu’est la Tolérance au service de la vertu ? Quelquefois est-ce que je ne risque pas, en étant tolérant, d’encourager, soit chez moi, soit chez l’Autre, le vice, je veux dire la déraison, la lâcheté, la bassesse, l’intempérance voire l’injustice ? En quelque sorte dois-je tolérer l’intolérable et est-ce que cette notion est suffisamment claire pour que nous y mettions, vous comme moi, la même limite ? Certes, le pavé mosaïque nous montre que, avant d’être « contraires », le blanc et le noir sont tout simplement différents. Il me rappelle qu’il me faut accepter et reconnaitre ce qui est différent. C’est ce que nous appelons la « conciliation des contraires » qui peut, cependant, s’avérer dangereuse si elle est perçue telle quelle, sans réflexion, sans raisonnement. Concilier le bien et le mal peut conduire, de manière totalement absurde, à mon avis, à considérer que, finalement, il pourrait y avoir un soupçon de bien dans le mal absolu, ou bien que la domination voire l’esclavage pourrait présenter certains avantages par rapport à la liberté ! Concilier les contraires peut amener à une passivité extrême car à quoi servirait-il d’agir si tous les contraires peuvent s’associer dans une sorte de tolérance sans limite ? Pour moi, mes F⸫F⸫, la tolérance « a » des limites !  Je vais essayer de montrer que le pavé mosaïque ne doit pas être simplement le symbole de la « conciliation des contraires », mais plutôt le symbole de la «comparaison et de l'appréciation des contraires ».  J’évoquerai, pour cela, quelles sont, pour moi, les limites de la tolérance puis j’aborderai en quoi ma conception de la tolérance, si je suis obligé de l’appeler ainsi, peut être nécessaire à mon cheminement de Franc-Maçon.

1. LES LIMITES DE LA TOLERANCE (OU EST-ELLE UN VICE) ?

La notion de tolérance est relativement récente, il faut dire qu’avant le monothéisme, il était courant de vivre avec tellement de dieux que la façon de penser n’était pas limitée ! Elle est apparue au 16ème siècle et marquait alors « l'indulgence de l'Eglise à l'égard de croyances qu'elle juge erronées». Il s’agissait de laisser se produire, ou continuer à exister, une chose que l'on est en mesure de condamner. L'Edit de Nantes est bien un «traité de tolérance». Par lui, l'Eglise Catholique condamne le protestantisme mais accepte de laisser certains le pratiquer. Cette tolérance n'est en aucune façon un droit donné mais une manifestation unilatérale du bon vouloir toujours révisable ainsi que la suite de l'histoire l'a, hélas, démontré. [Je suis sûr que certains se disent que les maisons de tolérance sont du même type de concept… et ils ont raison !] Cette conception de la tolérance a prévalu jusqu'au siècle des Lumières. Quelle arrogance, en ces temps, de vouloir tolérer ! Goethe déclarait : « Le Droit ne doit pas être toléré, il doit être reconnu. Celui qui tolère insulte». La tolérance n’estelle pas en fait de l’intolérance cachée puisque je ne peux être en situation de tolérer QUE ce que je suis en situation d’interdire. Ainsi, les majorités tolèrent les minorités - bien que la réciproque ne soit pas toujours vraie !- Cette tolérance-là cache en réalité une intolérance notoire : la liberté de penser de l’Autre.

Notez bien que la tolérance peut-être aussi l’expression de son impuissance : je ne tolère que ce que je n’ai pas le pouvoir d’empêcher ! Je me souviens que « Tolérer » vient du latin tolero = endurer, supporter, souffrir patiemment. Sade a bien su exprimer cette notion en disant que « la tolérance est la vertu des faibles ». A l’inverse, Voltaire nous dit : « Qu’est-ce que la tolérance ? C’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs. Pardonnons nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature ». Dois-je le suivre dans ce raisonnement ? Dois-je être indulgent en tolérant les faiblesses, les vices, les passions des hommes ? Est-ce que je ne risque pas alors d’encourager ces comportements ? Et en allant plus loin, n’est-ce pas de la lâcheté ? A mon avis, ne pas tolérer, c’est prendre parti, c’est s’engager, c’est agir, certes contre, mais c’est avoir le courage de prendre des risques. Et, comme le disait Nietzsche  « la pensée est affaire de hiérarchie et non d'égalité des opinions et des idées. Il faut oser créer des hiérarchies de valeurs. » La tolérance, serait, certes, de reconnaître à l'autre le droit d'avoir tort mais aussi de se reconnaître à soi le devoir de le lui dire ! En effet, lorsque je me dis que tout est égal, je me dis tolérant mais, en réalité, ne suis-je pas indifférent ? (du style, face à un événement, « Oh vous savez, Moi… » sous-entendu « Je m’en fou » !).  La tolérance n’est-elle pas en fait une incapacité à dire "oui" ou "non" ? A ce stade de mon analyse, je me pose la question de la vertu qui est prônée dans notre Obédience. Comment cette tolérance synonyme, pour moi, de lâcheté, de laisser faire prudent, de manque de courage, peut être recommandée dans nos L⸫L⸫ ? Si elle est interprétée comme « une compréhension de l’Autre » ou encore comme « l’expression du pardon », je comprends mieux mais alors où est la frontière avec la complaisance ? Ou, si je le dis autrement, y-a-t-il des limites à la tolérance si elle est érigée en vertu.

2. LA TOLERANCE ERIGEE AU RANG DE VERTU

Pour pouvoir la valoriser, la tolérance doit être vue, à mon avis, non pas comme une vertu mais comme étant le contraire d’un des pires dérèglements : l’intolérance et, évidemment, de son corolaire le fanatisme. Montaigne déjà, au 16ème siècle, nous disait « C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif » ! Plusieurs épisodes récents nous ont montré que, sur ce sujet, rien n’est gagné. Permettez-moi de rappeler la définition du mot « Fanatisme ». Il vient de « fanum » : le temple. « Fanaticus » désignaient les prêtres des divinités qui, dans leur délire allaient jusqu’à faire couler le sang pour satisfaire leurs dieux ou leurs déesses. Aujourd’hui, le terme a un sens bien plus large : est
considéré comme fanatique celui qui a des certitudes et qui est prêt à perdre sa liberté, voire sa vie (et celles des autres par la même occasion !), pour les défendre contre l’Autre. Il n’y a ici pas d’échanges, pas d’argumentation mais la conviction de détenir la vérité et de vouloir l’imposer à l’Autre par la violence physique et/ou, quelquefois,  psychologiques. Je veux parler ici, des stratégies de domination par la propagande ou par la terreur. Je reviens maintenant sur le terme de « vertu ». Le Larousse nous dit que c’est « une disposition spirituelle à agir avec persévérance en accord avec la loi divine ». Or, j’ai argumenté précédemment, que la Tolérance ne faisait pas partie des vertus « catholiques ». En revanche, si je prends la définition du philosophe Alain,  « La Vertu, c’est la puissance de vouloir et d’agir contre ce qui plaît ou déplaît », elle devient alors un pouvoir de soi sur soi et en ce sens la tolérance pourrait être vue comme une vertu car en reconnaissant la pluralité des opinions elle garantirait la liberté au nom du respect dû à la personne humaine. Elle m’obligerait à faire un effort pour ne pas me laisser dominer par mes façons de penser mais, pour citer Kant, « de penser par moi-même » ET, également, « de penser en me mettant à la place de tout autre ». C’est ainsi que je peux supprimer  mon étroitesse d’esprit en acceptant la pluralité des opinions. Tolérer m’oblige à argumenter pour me confronter à l’Autre et vérifier l’exactitude de mon raisonnement. Lorsque je tolère, j’admets en fait que je ne peux pas démontrer de façon absolue mon savoir et mes idées et j’accepte que savoirs et idées découlent seulement du choix de mon esprit, d’une décision que j’ai prise soit de façon raisonnée, soit le plus souvent de manière mécanique. Ainsi, la tolérance ne résulterait pas de « la faiblesse de ma condition humaine » comme le prétendait Voltaire mais de la décision de respecter, comme en parlait Kant et, avant lui, Thomas Hobbes, « le droit naturel des hommes à la liberté », liberté que je revendique pour moi-même et que, de ce fait, je ne peux pas en déposséder les Autres ce que le Chevalier de Ramsay, bien connu des Maçons du R⸫E⸫A⸫A⸫, a exprimé dans son discours de 1736 : « la volonté d’aller vers une fraternité universelle fondée sur le respect de l’autre ». La vie en Loge est le respect de l’Autre mais aussi la reconnaissance du Frère comme homme détenteur de la richesse de sa différence. Ce n’est plus de la tolérance, qui sous-entend une relation entre un supérieur et un inférieur, mais un discours entre des hommes de même niveau.

CONCLUSION

Pour conclure, je me souviens, il y a 3 ans déjà, que notre B⸫ A⸫ F⸫ Patrick nous a éclairés sur sa vision de la tolérance. Il nous a dit que « pour vivre ensemble de manière plus fraternelle, nous ne devrions pas oublier que les valeurs de Tolérance et de Fraternité sont le ciment de notre institution » et bien je suis tout à fait d’accord  avec cette conclusion à part que pour moi, la tolérance n’est pas une valeur fondamentale nécessaire à la F⸫M⸫ mais une substitution à ce que nous devrions tous avoir les uns pour les Autres : LE RESPECT. Je suivrai ainsi Hannah Arendt qui dit sa conviction que « la pluralité est la loi de la terre » et pour cela,  je décide de ne pas me contenter de tolérer mais de RESPECTER L’AUTRE comme moi-même quel que soit, sa couleur de peau, son origine ethnique, son obédience, son parti politique, sa religion, sa préférence sexuelle ou encore sa fortune. RESPECTER L’AUTRE car sa parole peut m’indisposer simplement parce qu’elle met en évidence mes faiblesses les plus secrètes. Ainsi, si je tolère ce ne sera que par indulgence bienveillante et j’adhère à la citation  d’Alfred Auguste Pilavoine, un inconnu ou presque, qui affirme que « Plus j'avance dans la connaissance intime de moi-même, plus j'apprends à être indulgent à l'égard des autres ». MM⸫TT⸫CC⸫FF⸫, notre force, par rapport aux profanes, est que nous sommes sensibilisés aux faiblesses humaines et que nous savons comment il est difficile de s’améliorer. Au sein de nos loges aucun frère ne devrait s'attribuer une supériorité quelconque sur ses F⸫F⸫ car cette supériorité légitimerait sa capacité à interdire, réglementer ou tolérer l'opinion ou les comportements des autres.

Le R⸫E⸫A⸫A⸫ nous donne les outils pour mieux travailler sur nous-mêmes AVEC le soutien et la participation -plus ou moins active- de nos F⸫F⸫ et ce n’est pas un hasard si nous nous rencontrons sur le NIVEAU - qui fait disparaitre ce qui peut diviser- et que nous nous séparons sur L’EQUERRE -qui représente la droiture du cœur comme la droiture mentale-. En conclusion de la conclusion, ce Midi, comme vous tous j’en suis certain, je vous promets de mettre en pratique tous ces symboles car je suis conscient que je crois bien plus que je ne sais et que seuls les Vrais Initiés sont impartiaux car ce sont eux qui possèdent la Vérité suprême que je m’efforce à chercher.  Ne l’ayant pas encore trouvé mes TT⸫CC⸫FF⸫, je vous invite à m’assister en apportant vos remarques et suggestions car en planchant devant vous, si j’ai le droit à l’erreur, je n’ai pas droit au mensonge et c’est bien cela la « tolérance » telle que j’ai essayé de vous l’exprimer.

V⸫M⸫, j’ai dit.


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