Obédience : NC | Loge : NC | 5/01/2013 |
Mort et renaissance La mort est pour notre pensée, quelque chose à la fois de nécessaire et d’impossible. Nécessaire, parce que sans la mort, la vie serait différente, la lumière brillerait autrement. Impossible, parce que il n’y a rien dans la mort que nous pussions définir de manière rationnelle. La mort est toujours là. On apprend à vivre en cherchant les moyens d’exister avec elle. C’est probablement ce mystère qui rend notre vie si intense et si étrange parfois. Nous parcourons un chemin dont on connaît la fin, mais dont le parcours nous est inconnu. Et que dire de notre destination ; nous ne savons pas ce qui nous attend après, si il y a quelque chose. En travaillant sur la mort, quelqu’ait pu être mon idée avant cette planche, j’ai essayé de me reposer la question : qu’est ce que la mort ? Ceux qui me connaissent, savent que j’aime l’histoire de la pensée, et que je suis confronté aux deux camps philosophiques sur la mort. Les premiers m’affirment qu’il y a une autre vie, ou une continuité, les autres que la mort n’est que néant. Cela me rappelle une planche sur Epicure, et récemment sur l’amour ou je parlais de Platon. En me relisant, je m’aperçois qu’il n’y a pas de juste milieu, si ce n’est de l’ignorance la pluspart du temps, de l’indifférence ou de l’incertitude. Incertitude qui serait peut être proche de mon sentiment. J’ai essayé de travailler sur trois plans : réfléchir sur la mort d’un point de vue philosophique, me plonger dans notre symbolique sur la mort d’Hiram et ses conséquences, et exprimer mon expérience de la renaissance. En abordant la mort d’un point de vue philosophique, je me suis senti exclu, comme si mon sentiment à son égard était en contradiction avec les deux grandes pensées la définissant. Il fallait que la mort soit forcément quelque chose, ou rien. Et si l’incertitude était notre salut. Quand je parlais d’Epicure, la mort était un néant définitif, et c’est dans ce camp que j’ai retrouvé tous les philosophes matérialistes et athées. Dans l’autre camp, j’ai retrouvé tous ceux qui croient que la mort est un passage vers autre chose, une transition entre deux vies, comme l’annoncent du reste les religions ou les philosophies spiritualistes. Dans les deux cas, le mystère demeure, et quoique je pense cela ne me dispensera pas de mourir. Si j’affirmais aujourd’hui l’une ou l’autre de ces idées sur la mort, je renoncerai à y penser. Pourquoi s’intéresser à un problème résolu. Pourquoi devrais je arrêter de philosopher ? Car dans la pensée, la base de notre réflexion existentielle repose sur le questionnement. Je ne parle pas des sciences qui m’amènent des réponses incomplètes, je vous parle de questions métaphysiques. Y a-t-il quelque chose
après la mort ? En travaillant sur la mort, j’ai travaillé en même temps sur l’amour. Je me pose ces questions, et je me définis comme un être pensant, mais tous mes derniers travaux reposent sur une autre approche existentielle, je suis certes un être pensant, mais je suis surtout un être vivant, et si la mort est mon problème, je cherche moins à la résoudre qu’à l’affronter. En vous l’exprimant comme cela, je me rappelle la phrase de Montaigne : « philosopher c’est apprendre à mourir ». Dans cette phrase je retrouve les deux camps dont je vous ai parlé. Le sens selon Platon, qui sépare le corps de l’esprit, et qui rend ainsi cette dualité comme le but de la vie, l’esprit étant ainsi libéré du corps, et le sens de Montaigne qui dit que la mort n’est pas le but de la vie mais le bout, sa finitude et non sa finalité. Quelle leçon tirer de ces propos : je dois me préparer à ma propre fin, l’accepter, sans pour autant gâcher ma vie. Et là, je redéfinis la phrase, philosopher c’est apprendre à mourir, je me l’approprie en me disant : philosopher c’est apprendre à vivre. La mort est inéluctable et fait partie de ma vie ; vie que j’aime car j’aime vivre. Je suis conscient de faire partie d’un tout, et je ne cherche pas à résister à la mort. L’univers est plus fort que tout, et la nature plus forte que moi, c’est pour cela que j’y pense, mais pas toujours. En fait l’idée de la mort rend la vie plus acceptable. Je ne m’en accommode pas trop mal, en tout cas je le pense. La mort de mes proches m’inquiète moins que leur souffrance, et ma mort à moi moins que la leur. Si la mort doit m’angoisser, en fait je la considère plus comme un moyen de faire le tri entre l’inutile et l’essentiel, entre des préoccupations futiles et une vie authentique. Comme je vous l’ai dit la vie et la mort sont indissociables ; et si nous mourrons la vie, elle, continue. Depuis que l’homme a la capacité de vivre ensemble de manière organisée, en communauté, il a créé une relation affective avec les siens. C’est pour cela que la disparition de quelqu’un a engendré la nécessité de laisser une trace, de conserver en mémoire l’amour que nous ressentions. Nous avons pallié l’absence physique par une présence spirituelle, et crée toute une série de rituels pour accompagner la fin de la vie et entretenir le souvenir de ce qui était. La franc maçonnerie a un mythe fondateur, une tradition qui nous révèle une dimension cachée de notre réalité humaine. Il s’agit du mythe d’Hiram. Je ne pouvais pas parler de la mort sans vous évoquer ce que représentait pour moi le mythe d’Hiram, et ce que m’évoque le rituel du troisième degré. Sans les circonstances dramatiques de la mort du maître, il n’y aurait probablement pas de mythe. Je ne vais pas reprendre l’histoire de sa mort, mais plutôt vous parler de ce que j’ai ressenti et de ce que j’en ai conservé. Hiram était le maître architecte de la construction du temple de Salomon, il n’y avait personne au-dessus de lui. Il incarnait le savoir, et la transmission aux autres maîtres, qui eux mêmes transmettaient aux compagnons et aux apprentis. Après mon élévation, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux symboles de la franc maçonnerie, et de la pyramide surplombée de l’oeil de Dieu. Mon interprétation d’Hiram en tant que maître absolu, ou, peut être maître de l’absolu, faisait que je le plaçais au sommet de la pyramide. Détenteur du mot sacré. Il représentait pour moi le lien entre l’humanité et Dieu représenté par l’oeil qui voit tout. Sa mort nous a privés de ce lien sacré vers la vérité absolue, et notre quête dès lors a été de retrouver ce qui a été perdu. Si je place Hiram au sommet de la pyramide, je considère ainsi qu’il n’y a rien de plus important, il est le degré le plus haut de la connaissance. Comme je vous l’ai dit, en préparant mon travail de ce soir, je travaillais également sur l’amour. Sentiment que je plaçais aussi au dessus de tout. Je ne connais pas la plus part d’entre vous, mais pour vous dire qui je suis et ce que je suis, ma vérité est l’amour. J’ai trouvé dans la définition de l’amour selon Aristote, l’amour philia, ce que je vivais aujourd’hui. Pourtant, pensant que l’amour selon Platon, amour passion voué au manque et à l’incomplétude, ne m’emmenait pas vers ce que j’étais, il m’offrait pourtant une solution dans sa définition de l’amour par degré, et me proposait ainsi le plus haut degré de l’amour comme la vérité absolue. En abordant deux thèmes différents, je relie ainsi l’amour et la mort, j’y reviendrai plus tard en parlant de la renaissance. J’en reviens à Hiram. La symbolique de sa mort est la perte de la connaissance. Sans guide nous sommes perdus. Notre but en tant que maître est de nous retrouver afin de reprendre le chemin, de réunir ce qui est épars, Nous n’aimons pas le vide et cherchons ainsi à le combler. Nous mourrons pour renaître de nos cendres, meilleur qu’avant, plus fort, plus sage. Cette mort symbolique me montre que la mort est nécessaire à la vie. Comme la nature qui meurt en hiver et renaît au printemps. Symboliquement, la philosophie du cycle de la vie me convient, et me ramène à mon sentiment d’exclusion entre les deux pensées matérialiste et dualiste dont je parlais au début de ma planche. Sans croire en Dieu, en la résurrection, la réincarnation, je suis persuadé que la vie a un sens, une raison, peut être une raison pure mais que je ne critique pas. Mon interrogation me permet de m’améliorer, ou en tout cas d’essayer. Je pense que mon action est utile et efficace. Elle me permet de transmettre. Je recherche la connaissance pour moi-même, pour la partager, la transmettre, ce qui est pour moi une manière de prolonger la vie. Je dépasse la richesse matérielle et cherche la pensée qui transforme, améliore le monde. J’ai été adolescent, et j’ai du m’émanciper de mon père à l’age adulte, j’ai été compagnon, et la mort d’Hiram a fait de moi un maître. Notre drame me rappelle que l’action des compagnons représente l’ignorance, la convoitise, l’ambition, et Hiram choisit la mort plutôt que de manquer à son serment, à sa conviction. Dans cette mort je trouve une double vérité : une perfection incarnée par Hiram, ce que je dois trouver de meilleur en moi, et l’action des compagnons, qui représente mes défaillances et mes propres faiblesses. Cette double vérité me rappelle une phrase d’Anton Tchekhov, « tout ce que je sais de la nature humaine, je le sais de moi-même ». Enfin, Hiram est pour moi le maître d’une œuvre d’art. Sa mort et sa renaissance interprétées de manière symbolique me font penser à l’expérience esthétique. Pourquoi je vous dis cela : l’expérience esthétique est pour moi un perpétuel recommencement. Je ne suis jamais lassé d’un objet d’art, je le vois toujours d’un œil nouveau. Je suis pareil avec mon amour. Je le vois comme un tableau qui ne cesse de m’émerveiller. L’amour magnifie en fait mon existence. La définition de ce renouvellement me confronte à l’idée de la renaissance, dont je vais essayer de vous parler maintenant. Je me suis demandé combien de fois j’étais mort. Tous les soirs je m’endors, j’ai subi plusieurs anesthésies générales, il m’est arrivé de subir une modification de mon corps qui a entraîné une perte de conscience. Toutes ces expériences sont des petites morts et il est bien possible qu’il n’y ait qu’une différence de degré et non de nature entre ces expériences et la mort elle-même. Il y a également toute les expériences existentielles qui modifient notre parcours de vie, enfance, puberté, mariage, naissance, rupture. Toutes ces expériences de vie nous transforment, et nous permettent de continuer notre vie. En fait je me rends compte que je subis des dizaines de petites morts chaque jour, que je vis de petites morts en petites morts, et que je renais chaque fois, doucement, parfois merveilleusement. Je parle de merveilleux parce qu’il y a un sentiment qui existe par delà ces petites morts, c’est l’amour. Amour qui, quelle que soit l’épreuve affrontée, me permet de me remettre dans la bonne direction. Je reviens sur notre mythe d’Hiram, dans notre rituel. C’est un changement d’état entre avant et après. C’est une expérience qui agit sur ma conscience. Comme je le définissais, c’est un processus d’éveil qui élève mon esprit. Je meurs symboliquement et renais instantanément, mais différent, meilleur, en tout cas j’ose le croire. Ma renaissance est d’ordre spirituel. Je dois poursuivre mon travail, rechercher la parole perdue. Je suis maître, responsable de mes actes, je dois transmettre, me perfectionner en permanence, et rechercher la connaissance. De notre symbolique, je retiens qu’Hiram incarne la sagesse. Sagesse qui, elle, règle ma vie par apport à moi-même. Elle me suggère de me détacher de mes illusions, d’éviter tout enchantement. La sagesse dont je parle me fait réaliser que je tends vers un absolu, sans jamais l’atteindre. C’est un horizon vers le quel je me déplace mais que je n’habite jamais. Cette sagesse me fait prendre conscience de ma finitude. La renaissance de notre maître Hiram, relevé par 3 maîtres me fait comprendre que le moi autonome n’existe pas. En moi-même, pour moi-même je ne suis quasiment rien. Les trois maîtres représentent la fraternité mise en acte. Hiram renaît grâce aux cinq points parfaits de la maîtrise qui symbolisent l’amour et l’union, seul je ne peux rien. A présent, il faut que je m’efforce de continuer ce que j’ai commencé. Je ne dois pas laisser tomber l’élan que j’ai trouvé en entrant en franc maçonnerie. Je dois apprendre, transmettre, rayonner de manière immanente. Je vous disais au début de ma planche, que je pensais me trouver entre les deux grands mouvements philosophiques. Platon et ses disciples me disent que le sage se suffit à lui-même, et les Epicuriens matérialistes me disent que ma vie n’est qu’une succession d’instants parfaits. Dans le premier cas je suis seul, dans le deuxième je ne vis que des instants qui par définition sont volatiles. Pourtant l’élan que je vous décris, trouve ses racines dans les deux formes de pensée dont je vous parle. Mon éthique est une éthique de l’amour. Elle n’est en rien égoïste et repose sur la transmission d’une ferveur. Elle s’exprime quand mon émotion, ma joie, résonne en l’autre, ou quand la sienne m’envahit. Mourir et renaître c’est vivre, sans jamais se replier sur soi même. La mort rend la vie si précieuse, si rare, si bouleversante. Il faut donc que je pense la mort pour aimer mieux la vie, en tout cas pour l’aimer comme elle est. J’ai dit T\ R\ M\ P\ M\ |
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