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S’initier c’est apprendre à mourir
dans le monde antique

VM\ et vous mes SS\ et mes FF\ en vos grades qualités et fonction. C’est toujours avec une grande joie que je vous livre le fruit de mes réflexions à l’orient du temple. Celles-ci s’articuleront autour d’un extrait du rituel d’initiation au grade d’apprenti adressé au récipiendaire dans le cabinet de réflexion, et déclamé par le frère expert dans les termes suivants : Madame, Monsieur, « s’initier c’est d’apprendre à mourir » dans le monde antique.

L’intitulé de cette planche m’amène à aborder le concept d’initiation ainsi que celle de la mort du point de vue de la philosophie antique. Cette approche présente à bien des égards un intérêt certain. En effet, le rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm auquel nous avons été initiés plonge ces racines dans la tradition hermétique, héritière de la philosophie antique, c'est-à-dire des différents courants de pensées et de mystères du bassin méditerranéen.

Nous aborderons aussi la singularité initiatique proposée par la franc-maçonnerie car si l’initiation apparait depuis les temps les plus reculés, elle reste néanmoins toujours d’actualités. Elle est un moyen qui a permis depuis l’aube de l’humanité à d’innombrables cherchant de trouver les éléments de réponses aux questions existentielles.

En préambule il convient de souligner, que l’idée fondamentale de toutes les grandes visions philosophiques et religions, tant anciennes que modernes, et ce, sans exception aucune, est une tentative grandiose pour aider les humains à accéder à une vie bonne en surmontant les peurs et les tristes passions qui les empêchent de bien vivre, et si possible, de devenir sereins, aimants et généreux. Aussi elles apportent une réponse face à l’angoisse de la mort. Toute démarche tant spirituelle que religieuse est relative à la notion de salut dont l’acception étymologique réside dans le fait d’être sauvée. Certains verront l’accession au paradis, d’autres rechercheront la sérénité de l’âme afin de traverser sans aigreurs et sans angoisses les différents âges de la vie, et d’aucuns voudront être heureux dans l’ici et maintenant, en se détachant d’un passé accompli et d’un futur incertain.

Dans le monde antique, la conception du divin n’a rien à voir avec celle des religions monothéistes. Cette conception le considère comme transcendant, et extérieur au monde des religions. Radicalement immanent au réel, il se confond au contraire avec l’ordre dont le mot grec est cosmos. Le monde forme un tout cohérent et le devoir de chacun est de s’ajuster à cet ordre cosmique, trouver sa place et sa fonction propre.

De ce point de vue l’homme est ainsi un fragment de la conscience universelle et son salut passe par l’effort, en vue d’une harmonisation à cet ordre cosmique. Une vie bonne lui permettra d’intégrer cet ordre cosmique à sa mort.

De plus pour les anciens, le cosmos était habité par des Dieux, par de multiples divinités avec lesquelles ils pouvaient entrer en relation grâce à différents rites et cultes.

Toutefois, le triomphe du christianisme sur la philosophie antique à réduit celle-ci, à une scholastique, à une discipline purement scolaire dont l’objectif se réduit à un discours, à un exercice de l’esprit critique, à un commentaire réflexif sur des notions abstraites.

Les prémisses étant posées, abordons maintenant ce qui singularise notre démarche initiatique.

En se référant à son sens étymologie, le mot initiation qui veut dire commencement, se présente comme le passage d’un état profane de torpeur, à un état de veille à partir duquel l’initié accède à un éveil de la conscience qui progressivement s’éclaire.

L’initiation est un véritable commencement, une mise sur la voie, sur le chemin. Elle est le commencement d’une progression constructive et harmonieuse du candidat en vue de l’amener aussi près que possible à l’état de perfection.

L’initiation est donc l’éveil de l’homme à la conscience, d’abord de son identité propre, et ensuite de la place qu’il occupe dans le cosmos.

Ainsi, l’expérience initiatique est un voyage, un passage d’un monde à un autre monde, de l’ombre à la Lumière. C’est une véritable pérégrination constituée de mort et de renaissances successives. Nous devrions mourir constamment à nos préjugés, nos passions pour renaître à une compréhension de plus en plus grande de nous-même et de l’humanité. Connais-toi-toi même et tu connaîtras l’univers et les Dieux nous enseignent Socrate. Bien sûr, l’acception du mot passion doit être entendue au sens philosophique, c’est à dire un mouvement déraisonné, irrationnel et sans mesure du mental.

Au cours de la cérémonie d’initiation au grade d’apprenti, nous avons parcouru quatre voyages, lesquelles constituent la série des purifications naturelles que subit l’âme en ascension vers le divin. Nous avons accompli le cheminement permettant de passer du monde sensible, transitoire et périssable au monde intelligible, permanent et impérissable. Le suprasensible ou intelligible est caractérisé par le monde des Idées, tandis que le sensible est composé de copies, de prototypes, d’imitations des Idées, l’un appartient l’Être l’autre au devenir.

Ainsi, nous avons vécu symboliquement le processus opératoire permettant d’opérer la conversion de l’âme, passant d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour véritable, c'est-à-dire l’élever jusqu’à l’Être.

La philosophie maçonnique est d’ordre initiatique, elle est une conversion à l’Etre, une initiation à la Beauté comme disait Platon. Notre âme vient du monde spirituel et supérieur, monde intelligible dans lequel réside le Beau et le Bon. Pour notre Tradition, l’harmonie et la beauté sont de l’ordre du divin. La recherche de la beauté dans la nature, l’établissement de l’harmonie en un lieu nous rapproche du divin et élève notre âme des plans les plus grossiers vers les plus subtils.

Au-delà du discours il convient maintenant d’inscrire cette maxime « s’initier c’est apprendre à mourir » dans un vécu au quotidien permettant ainsi à la philosophie d’être fidèle à ces origines, d’être au service de l’action, de viser la sagesse.

Pour les psychanalystes, nos vies sont cernées par quatre peurs fondamentales. Il y a d’abord les dangers réels, qui, en un sens ne soulèvent guère de questions.

Mais il y a d’autres peurs, plus subtiles moins aisément repérables qui nous saisissent lorsque nous sommes mal à l’aise dans une situations sociale un peu délicate, de l’obligation de parler en public, face un hôte prestigieux etc.

A quoi s’ajoutent les angoisses psychiques, que les psychanalystes nomment phobies : peur de noirs, des algues, des cafards, des souris etc.

Toutes ces petites peurs sont « vivables » on peut les apprivoiser, on peut faire avec, par exemple lorsqu’on craint l’ascenseur on peut pendre l’escalier.

Derrière ces trois peurs se dissimule une quatrième, fondamentale, en ce qu’elle commande toutes les autres : la peur de la mort ou comme les philosophes le disent le sentiment propre à notre espèce, la finitude.

En vérité, en vérité nous le savons, notre seule certitude, c’est de mourir un jour, et nous pourrons dire à la suite d’Epictète qu’« on est jamais assez vieux pour mourir ».

En revanche pour que le concept de mort s’inscrive dans une démarche initiatique nous pouvons souligner que la mort n’est pas seulement la fin de la vie. Elle présente bien des visages différents dont la présence est paradoxalement tout à fait perceptible au cœur de la vie, elle se confond, tout simplement, au sein de la vie, la plus vivante et la plus joyeuse.

La mort désigne en général tout ce qui appartient à l’ordre du jamais plus, ce qui ne reviendra pas, et que l’on a aucune chance de retrouver un jour. Tout ce qui est de l’ordre du jamais plus, appartient au registre de l’irréversible et est donc du domaine la mort.

Pour vivre libre, capable de joie de générosité et d’amour il nous faut d’abord et avant tout vaincre les peurs, mais également les multiples manifestations de l’irréversible.

Elles nous entrainent dans des dimensions non réelles du temps qui corrompt l’existence, d’abord celle du passé, ou viennent se loger ces grands corrupteurs du bonheur que sont, la nostalgie et la culpabilité, le regret et le remords. Ensuite, celle d’un futur, qui invite à contempler les mirages de l’espérance.

Le passé et le futur sont les deux maux qui pèsent sur la vie humaine, les deux foyers de toutes les angoissent qui viennent gâter la seule et unique dimension de l’existence qui vaille d’être vécue tout simplement parce qu’elle est la seule réelle : celle de l’instant présent, celle qui relève de l’ici et maintenant.

Cette vision développée par les philosophes antiques et les hermétistes invite à une attitude de non attachement, assez proche de celle de la tradition orientale. Se défier de tout attachements, qui nous font oublier l’impermanence, le fait que rien n’est stable en ce monde, que tout change et passe, ne pas le comprendre c’est se préparer soi-même aux tourments terribles de la nostalgie et de l’espérance, il faut vivre dans la plénitude de l’instant présent.

La particularité de la démarche initiatique est de soutenir l’approche philosophique par un travail sur les symboles, par une étude des mythes, et surtout, par l’exécution et l’animation d’un rituel.

Nous observons que dans une démarche hermétique, le symbole est une interface entre le plan des Archétypes, des Idées au sens platonicien du terme, c'est-à-dire le lieu ou gît la racine existentielle de toute chose et ce monde ici-bas. Par le truchement des analogies, nous alimentons le symbole pour enrichir notre propre compréhension afin de favoriser une transmutation intérieure par une mise en résonnance avec les plans supérieurs.

Ainsi les outils de l’apprenti à savoir le levier, le tablier, le maillet et le ciseau sont en correspondance avec le Feu, la Terre, l’Eau et l’Air, lesquelles sont aussi en correspondance avec les vertus cardinales, la Force, la Prudence, la Tempérance, et la Justice.

Par la manipulation des outils qui nous ont été confiés, plus précisément en manifestant dans notre vie quotidienne leur différente correspondance symbolique nous mourrons jours après jours, instant après instant ; nous nous ouvrons graduellement à la Gnose.

De plus, le rituel constitue le moyen par excellence auquel l’initié rééquilibrera les différents niveaux de son être et permettant ainsi à la franc-maçonnerie de remplir véritablement sa fonction initiatique.

L’efficience du rituel se caractérise : par le geste et la circumambulation, les invocations et les évocations, les parfums et les batteries. Les officiers vont ébranler les vagues subtiles des nivaux physiques et astraux dans le temple.

Ils vont agir sur ce monde par l’intermédiaire, du rituel, du mouvement, et du son. Il importe peu que les termes utilisés soient lumière astrale, égrégore, invisible. C’est la même réalité invoquée, et c’est elle qui permet à certains de dirent, dans cet atelier on travaille bien et on s’y sent bien. C’est une réalité souvent ressentie, mais rarement évoquée.

En conséquence, le caractère sacré du temple, par la présence de sa dimension invisible, implique que chacun des initiés ait un comportement différent du monde profane. Nos comportements et nos gestes doivent être empreints d’une certaine solennité. L’énergie invoquée irrigue, distingue et unifie les niveaux de notre être, de notre psyché et du groupe.

En guise de conclusion, la spécificité de l’initiation maçonnique moderne se présente sous deux aspects différents, que certains qualifieront de traditionnel et spiritualiste, d’autres d’humaniste et rationaliste. Ces deux approches doivent être considérées comme complémentaires car elles puisent leur raison d’être dans la philosophie antique. Tout dépend de la direction dans laquelle la recherche est entreprise, orientée soit vers une transcendance (verticale), soit vers un perfectionnement humaniste (horizontal) toujours d’actualité.

L’expérience initiatique avons-nous dit, est un voyage, un passage d’un monde à un autre monde, de l’ombre à la lumière. Cette une véritable pérégrination constituée de mort et de renaissance successive pour éveiller le divin qui est nous, afin de parvenir à la plénitude de l’être.

Un jour viendra, où nous rencontrerons, et nous emprunterons la voie de notre propre mort. Présent face à la Dame de Vérité, nous oserons dire :

Voici mes mains, elles sont pures. Voici sur ma paume, mon cœur de ma mère, et il est pur. Qu’il soit pesé, ce cœur, dans la balance de Vérité, car il est pur. Car l’eau Vive, jamais je ne l’ai souillé, la Flamme de l’intelligence, jamais je ne l’ai soufflée.

Les Energies, jamais je ne l’ai abolie. La Clarté, jamais je l’ai voilée, la divine Lumières, jamais je ne l’ai masquée. La Beauté, vérité des formes, jamais je ne l’ai offensée. Jamais je n’ai altéré la Vérité.

Ma vie, point ne l’ai sauvée aux dépens de celle d’autrui. La dureté de cœur, je ne l’ai point connue, l’eau fraîche, je l’ai donnée à qui avait soif, le froment à qui en manquait, et le lin à qui était nu. Car je suis pur, je suis pur.

Mes SS\ et mes FF\ laissons au philosophe Pascal le dernier mot : « si je me trompe, je ne perds rien, mais si je gagne, je gagne tout, je gagne l’immortalité ».

J’ai dit.

J\ M\ A\


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