Obédience : NC Loge : NC Date : NC

La Fraternité ?

Le Vénérable Maître annonce à l'ouverture des travaux :

« ...élevons nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la lumière ! »

A la fin de la tenue il porte la main droite à son cœur et dit :

« ...et de nous unir en fraternité. »

Notons déjà la relation du cœur et de la fraternité.

Au cours de l'initiation au premier degré il prononce ces mots :

« Monsieur cette épée que vous sentez sur votre poitrine est toujours levée pour punir le parjure. » « Elle est le symbole du remords qui déchirerait votre cœur si vous deveniez traître à la fraternité dans laquelle vous avez demandé d'être admis. »

Une menace, au cas où nous deviendrions des traîtres ?

Certes nous nous appelons Frères. L'article 1 de la Constitution de la GLDF dès ses premières lignes énonce :

« La franc-maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité. » Plus loin nous lisons :

« Les francs-maçons se reconnaissent comme frères et se doivent aide et assistance, même au péril de leur vie. » «  Ils doivent de même porter secours à toute personne en danger. »

« Ils respectent la pensée d'autrui et sa libre expression. »

Au chapitre 1 de conclure :

« Ainsi est maintenu le caractère universel de l'Ordre Maçonnique dans le respect » et plus loin « de la liberté individuelle de chaque frère afin qu'entre tous les francs-maçons  règnent l'amour, l'harmonie et la concorde. »

Au point d’orgue de l’Initiation le Vén\Maît\dit :

« Relevez-vous, mon Frère, car dorénavant vous ne recevrez plus d’autres qualificatifs parmi nous, approchez-vous et recevez de moi le baiser fraternel, au nom de tous les Frères de cette Respectable Loge. » Une fraternité que le vouvoiement ponctue solennellement ?

Cela signifie-t-il que les francs-maçons doivent tous pratiquer l’amour fraternel et la tolérance en toute liberté ?

Quelle fraternité ? Quelle implication pour le Franc-Maçon ?

Ce mot ne figurait pas dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans la Déclaration universelle des Droits de l'homme et du citoyen de 1948, l'article premier précise :

« Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits." "Ils sont doués de conscience  et de raison et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Observons l'obligation morale de fraternité rédigée par et pour tous les peuples de la Terre, ce qui parait fondamental.

Ne négligeons pas pour autant les principes de la liberté et de l'égalité conditions indispensables à une véritable fraternité. Elles impliquent d'ailleurs la justice, la tolérance et la paix universelle. Ainsi le maître et l'esclave, le vainqueur et le vaincu, le dominant et le dominé dans l'absolu ne pourraient sincèrement s'appeler frères.

Il serait bon de développer ici les principes de solidarité et d'amitié avant de poser les fondements et les conditions de la fraternité. Cela nécessite un développement qui sort du cadre de ma planche. Je me bornerai cependant à dire que la solidarité peut se colorer de fraternité, ce qui atteste la différence des deux termes. Une amitié peut devenir fraternelle, mais par contre la fraternité ne peut pas, à mon avis, être amicale.

Proudhon a écrit : « La fraternité n'existe pas; elle est seulement de l'ordre du possible. »

La fraternité n'est pas passive. Elle n'attend pas de pouvoir s'épanouir, elle veut devenir réalité et c'est à elle qu'il appartient, en premier lieu, de créer ses conditions.

La fraternité se rattache étymologiquement à l'idée de famille. Procéderait-elle de l'instinct ? Soyons prudents, la controverse pourrait vite s'installer avec les grands mythes de Caïn et Abel, des frères ennemis, etc..

L'idée de fraternité implique celle d'une communauté d'origine ou d'identité de nature : ne sommes-nous pas tous « enfants de la veuve ? »

La fraternité résulte de l'individu qui s'ouvre de toute sa force affective, elle procède du sentiment et de la raison. Elle est un suprême degré qu'il faudrait parvenir à créer, chef d'œuvre d'une architecture opérative et spéculative. Elle est la vertu cardinale de la Franc-maçonnerie, elle est foncièrement instinctive, on ne la subit pas, on la sent, on la vit.

Il importe que dans notre comportement quotidien et plus particulièrement à l'intérieur du temple, chaque frère, à quelque grade que ce soit, ressente, s'emploie et développe le sentiment de fraternité. N'est-il pas navrant parfois, et à mon avis trop souvent mes frères, de constater, à défaut d'hostilité, des divergences s'amplifier au point de créer des malaises latents. N'est-il pas navrant de constater, lors de nos retrouvailles sur les parvis, à l'occasion des tenues, un simple "bonsoir" indifférent, alors que la fraternelle accolade de certains nous traduit la joie de ces retrouvailles périodiques. Si chacun d'entre nous, abstraction faite de toute affinité, faisait davantage appel au chemin du cœur et à celui de l'esprit, quelle chaleur communicative régnerait alors dans nos temples!

Je citerai une phrase de notre frère Persigoud vieille de quelques dizaines d'années et qui s'adresse à nos frères apprentis :

« A travers le silence de vos grades vous aimerez savoir certes, mais vous devrez d'abord commencer à savoir aimer. »

Saint Jean grand patron de notre loge dans son premier épître (2.8 à 2.11) énonce :

« D'autre part, c'est un commandement nouveau que je vous écris (ce qui est vrai en lui et en vous) parce que les ténèbres passent et que la lumière, la véritable, brille déjà. »

« Celui qui dit être dans la lumière tout en ayant de la haine pour son frère, est dans les ténèbres jusqu'à présent. »

« Celui qui aime son frère demeure dans la lumière, et il n'y a pas en lui d'occasion de chute. »

« Mais celui qui a de la haine pour son frère est dans les ténèbres et marche dans les ténèbres; et il ne sait où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux. »

L'article I de notre constitution nous rappelle les fondements de notre institution : respect des autres et de soi-même; tolérance mutuelle, travailler à l'amélioration de l'humanité.  

La fraternité a le caractère spécifique de donner aveuglément, d'exclure le besoin de choisir et de pratiquer l'élitisme. On attribue à Guynemer, l'as français de guerre aérienne en 14/18, une belle devise :

« Quand on n'a pas tout donné, on n'a rien donné. »

Platon écrivait :

« Il ne peut y avoir de fraternité qu'entre ceux qui ont un même idéal philosophique et moral. »

Notre fraternité n'est pas qu'une attitude de bonheur de vivre, c'est surtout une volonté de bonheur d'agir.

Je vous énonce une autre citation dont la formule est belle mais qui me semble légèrement négative :

« La fraternité est comme un grand amour sans espoir qui a accepté de n'être pas payé de retour. »

Souvenons-nous et vous plus particulièrement frères apprentis, qu'au nom de la fraternité, de l'amour de son prochain, nos anciens ont eu des gestes magnifiques. Ce furent :
- le frère Victor Schœlcher apôtre de l'abolition de l'esclavage qui prépara le décret du 27 Avril 1848,
- le frère Henri Dunant et la création de la Croix Rouge, il en était le principal fondateur (Prix Nobel 1903),
- le frère Léon Bourgeois qui défendait avec vigueur la solidarité internationale et était l'un des fondateurs de la Société des Nations (Prix Nobel de la paix 1920),
- la législation sociale où l'action inlassable du frère Arthur Groussier fut exemplaire,
- dès 1954 le G\O\D\F\proclamait le droit des peuples d'Afrique à disposer d'eux-mêmes et à une émancipation immédiate.

Longue est la liste et notre mémoire est gravée de leurs hauts faits. Toutes ces actions, dont nous n'avons pas à tirer vanité, ont été basées sur l'amour fraternel et l'amour de ses semblables.

Pardonnez ce long développement, mais ceux de nos frères qui s'intéressent au sujet, constateront avec moi que beaucoup a été dit ou écrit, qu'il reste un long chemin à parcourir et que l'ouvrage est loin d'être achevé.

Je traiterai succinctement l'aspect symbolique de la fraternité afin de laisser une ouverture à la discussion qui suivra la planche ou de donner du champ à d'autres frères qui pourraient le développer une prochaine fois.

Dès le cabinet de réflexion une phrase s'impose : « connais-toi toi-même, » et là, déjà, s'inscrit la notion de fraternité base des relations humaines.

Tout le long du mur du temple, au-dessus de nos têtes, court un cordeau avec 12 nœuds emblématiques et qui se termine au niveau de chaque colonne par une houppe dentelée. Cette corde est le berceau des frères unis et réunis dans une même chaîne d'union et qui rappelle le beau poème de Paul Fort : « si tous les gars du monde pouvaient se donner la main… . »

Le pavé mosaïque alternance de carrés noirs et blancs, symbiose plus frappante en terre d'Afrique où deux civilisations, deux races sont unies, est l'expression même de la fraternité dans le temple. Ces carrés dont le symbolisme est vaste : obscurité ou lumière, jour ou nuit, affirmation ou infirmation, thèse ou antithèse, reflet de ce qui est visible ou de ce qui est invisible, attirent toute notre attention, du moins je le souhaite. Je vais développer si vous le voulez bien une rapide argumentation sur ce symbole de la fraternité.

Comme tous les symboles, le pavé mosaïque est polyvalent en raison même de la polyvalence des niveaux auxquels il est reçu par le sujet. Dans la légende peul de Kaydara, le vieux mendiant (l'initiateur) dit à Hammadi (le pèlerin en quête de connaissance) : « ô mon frère, apprends que chaque symbole a un, deux ou plusieurs sens. » Le symbole peut être interprété de plusieurs façons, n’est-ce pas ce qui en fait sa richesse et sa force.

A Denderah, à 70 kilomètres de Louxor en Egypte, des fouilles ont mis à jour un sanctuaire dédié à la triade divine (Osiris, Isis, Horus) et dans lequel un pavé mosaïque a été retrouvé, datant de 8000 avant Jésus Christ.

Tertullien, l'historien romain, nous apprend également que le prétoire de Ponce Pilate était décoré d'un pavé mosaïque ou lithostrote qui était le symbolisme de l'élévation en hébreu et que les Juifs appelaient Gabbatha; c'est dans ce lieu que Jésus comparut.

Enfin je signale que l'emblème des Templiers, dont on sait les liens étroits qu'ils ont contractés avec le compagnonnage, était un « échiqueté » blanc et noir le Baussant. Le noir était pour les ennemis et le blanc pour les amis.

En loge il est l'emblème de la variété du sol terrestre, formé de pierres blanches et noires, unies par un même ciment. Il symbolise l'union de tous les maçons de la Terre malgré leur différence de couleur, d'opinion et de confession. Il fait dire a Raoul Vergez « frère si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m'enrichis. »

C'est aussi l'opposition entre nos vies profanes et sacrées, que notre frère Rudyard Kipling montre dans son poème de la loge mère : « dehors, on se disait : sergent, colonel, monsieur, salut, salam, dedans, c'était mon frère et c'était bien ainsi. »

Enfin, c'est aussi une excellente illustration de l'histoire de l'Ordre maçonnique où alternent les périodes de stagnation et les périodes de construction, comme en témoignent les dernières refontes de rituels, la renaissance de la Franc-maçonnerie dans les pays de l'Est et en Espagne et la volonté des Obédiences de se rapprocher.

Le pavé mosaïque est dans sa géométrie sans faille, sans ligne de séparation. Il nous montre la voie de l'osmose, l'influence réciproque qui engendre la fraternité.

Il m'est impossible de conclure sans parler de la solidarité maçonnique. Je ne le ferai jamais aussi bien que le font notre frère Jean-Louis et les membres de l’ACTIPE. Il m'a indirectement obligé à reprendre un travail qui me paraissait assez complet. Je vous donne donc ici quelques réflexions qu'il a suscitées.

L’Ordre maçonnique, dans son fondement et son essence, s'appuie sur la solidarité et le serment maçonnique. C'est ainsi, qu'à la fermeture des travaux, le vénérable maître fait jurer à tous les frères de se retirer sous la loi du silence. Ceci pour que ces mêmes frères, rentrés dans le monde profane, ne divulguent pas ce qu'ils ont appris en loge.

Dans le temple les frères peuvent s'exprimer, livrer leur âme dans la certitude que leur pensée intime ne franchira pas la porte dont le frère couvreur est le gardien. Cette règle de discrétion, qui doit se manifester impérativement, renforce la connaissance des frères et fait avancer l'idéal de paix, de vérité et d'amour qui sous-tendent la solidarité.

Cette solidarité est l'appartenance à un même devoir de création qui fait de la voie initiatique la plus exaltante et la plus enrichissante des expériences humaines. C’est ce que je ressens profondément. En effet, si nous cherchons la lumière, c'est afin d'accroître notre capacité de solidarité, celle-là même qui a été enseignée au jour de notre initiation comme le principe fondamental de notre Ordre. Si la pratique de la solidarité peut comporter certains risques, nous devons néanmoins, à l'écoute des frères, saisir chaque opportunité pour manifester notre sens de fraternité et solidarité agissantes. Ceux qui ont besoin de se sentir entourés ne s'attendent pas nécessairement à un secours matériel. Ils savent bien que dans ce domaine chacun a ses problèmes et qu'il ne faut pas se fier aux apparences qui sont souvent trompeuses. Ce que les autre attendent surtout de nous, c'est notre compréhension et notre amour désintéressé, sincère et spontané. Redonner courage aux autres, amener un sourire de confiance sur un visage rongé par le souci et l'amertume, cela aussi est une manifestation de fraternité et c'est peut-être la plus grande. « ...les actes de bienfaisance d’un Franc-Maçon ne doivent jamais être des actes d’ostentation, ni de vanité, propre à enorgueillir celui qui donne, comme à humilier celui qui reçoit. »

« Ils doivent être uniquement l’accomplissement d’un Devoir et rester ensevelis dans le secret. » (Rituel du 1er D\).

Nos outils, correctement utilisés, permettront d'affirmer que la pratique de la solidarité est une réalité vivante. « Nous devons poursuivre au-dehors l'œuvre commencée dans le temple » car la solidarité doit être universelle et rester l'Art de vivre dans l'égalité,  en toute fraternité dans le respect de l'autre, sans atteinte à sa liberté. C'est ainsi, qu’en partie, les grands problèmes de notre fin de siècle seront résolus par la pratique d'une solidarité maçonnique, résultant de l'exercice d'une fraternité entre tous les peuples de la Terre et de l'Univers. Pour le plus grand bien de notre Ordre demeurons fidèles à nos engagements et à notre serment.

Méfions-nous cependant de ceux qui au nom de la liberté, de la fraternité, de l’égalité et de la solidarité nous entraîneraient sur des voies peu maçonniques donc parjures aux serments que nous avons prêtés. Soyons vigilants, ne nous égarons pas. Notre société de pensée permet tout car elle est à la fois initiatique, philosophique et surtout progressive. L'heure n'est point au repos, le vaste chantier nous attend.

Me voici parvenu au terme de ce modeste travail. Peut-être n'ai-je point répondu à votre attente ? Dans ce cas d'autres frères ne manqueront pas alors de l’améliorer et de le compléter en toute fraternité. Je les en remercie d'avance.

Pour moi la franc-maçonnerie ce n'est pas y être qui importe, c'est en être et ce n'est pas y naître une fois, c'est y renaître sans cesse et sans cesse ... à l’infini.

En toute fraternité, Vénérable Maître, vous tous mes TT\CC\FF\, en vos degrés, qualités et fonctions, j’ai dit aussi bien que j’ai pu.

J\P\ B\


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