Quelle
Fraternité ?
Vénérable
maitre etc…
Pourquoi le titre de ce travail contient-il un point d'interrogation ?
Outre que j'aime les incertitudes et les interrogations, tout est parti
d'une sentence anodine « cette
sœur n'est pas vraiment fraternelle »
et d'une réponse tout aussi péremptoire
« mais à quelle
fraternité fais-tu référence
? »
Cette augmentation de salaire m'a paru l'occasion de chercher la
réponse à cette question.
Si je prends un dictionnaire, je lis
« sentiment de solidarité qui
unit les hommes, responsabilité totale d'un engagement, qui
oblige les uns envers les autres ».
3 beaux mots : solidarité, responsabilité,
obligations que nous aurons à maintes reprises l'occasion de
retrouver.
J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler dans deux
directions qui sont la « fraternité
envers qui » puis ensuite la
« fraternité pourquoi »
?
I Tout d'abord Envers qui ou les
différentes situations de fraternité
Bien sûr nous savons tous qu'il existe une
fraternité de sang mais aussi une fraternité plus
universelle, une fraternité de cœur.
Je commencerai par parler de la fraternité de sang
Jusqu'à l'âge de 30 ans je l'avoue, j'ai cru que
la majorité des humains avait la chance d'être
nés dans une famille de sang comme la mienne, une
« Famille où l'on s'aime
gaiement » comme dit Françoise
Sagan.
C'est à dire chaleureuse, sans rivalités
exacerbées, où la joie autant que la souffrance
et la douleur peuvent se partager, où l'on sait trouver du
soutien en cas de coup dur mais sans pour autant être un
cocon refermé sur lui-même.
En fait, je me suis aperçue bien plus tard
que dans beaucoup de famille il n'en était pas ainsi.
La violence verbale ou physique, les conflits perpétuels
avec des causes plus ou moins (re)connues, sont monnaie courante.
Jusqu'à l'extrême, où la famille est
considérée comme un fardeau impossible
à porter, une douleur, une partie de sa vie à
effacer de sa mémoire.
Il ne faut pas oublier que d'après les
statistiques sur les meurtres, on a plus de chance de se faire tuer par
un membre de sa famille que par un étranger…
Comment peut-on en arriver à ces extrêmes ?
Chacun sait que la fratrie est le lieu des sentiments forts et
ambivalents. Nous pouvons passer aisément de la haine
à la complicité, de la jalousie à la
solidarité.
Pouvons-nous éviter ces disputes, jalousies,
rivalités, luttes fraternelles ?
Même devenu adulte, il est difficile d'avoir une attitude
raisonnable, se situant entre pulsions agressives et amour.
Pour les psys, la fraternité est source de conflits
violents. Le fondement en est la jalousie qui est en nous,
même quand elle est fortement refoulée, et le
sentiment de culpabilité qui en découle.
Ils considèrent même qu'il est sain que ces
conflits s'extériorisent. C'est la soupape de
sécurité pour l'équilibre personnel et
principalement chez les enfants.
Et même si nous ne choisissons pas nos Frères et
Sœurs de sang, il existe, et ce dès l'adolescence,
une solidarité dans la plupart des familles, qui
résulte du vécu de la petite enfance.
Par la confrontation de nos similitudes (mes
frères mes semblables) et de nos différences,
nous apprenons la socialisation auprès de notre fratrie de
sang et c'est cette socialisation bien vécue qui
amènera l'enfant à devenir un adulte
équilibré.
Il ne faut donc pas plus éviter systématiquement
les conflits, que les provoquer ; il faut savoir trouver la voie du
milieu.
Cette socialisation va de pair avec la découverte des
notions de responsabilité et d'obligation que je
développerai plus loin.
Un autre phénomène psychologique
est intéressant : la fraternité, toujours par la
socialisation, est une mort : c'est la mort de soi-même dans
son individualité égocentrique.
Car la découverte de la fraternité commence par
l'apprentissage du partage : de sa chambre, des câlins de
Papa et de Maman, du gâteau du dimanche, des
jouets… Qui n'a pas ressenti la culpabilité que
tout parent a su transmettre, lorsque nous avons refusé de
partager nos jouets ?
La fratrie, c'est l'obligation de partage ; partage indispensable si
l'enfant veut être reconnu par les parents, dans leur
affection et dans son identité…
J'en terminerai avec la fraternité de sang en signalant que
du fait de cette fonction prépondérante dans la
socialisation, le fratricide est souvent le mythe fondateur d'une
société (Abel et Caïn) ou d'une ville et
qui d'ailleurs met la plupart du temps en scène des jumeaux.
(Remus Romulus).
Signe ultime que la civilisation et la socialisation sont
liées à la violence fraternelle initiale.
Je vais maintenant aborder les autres fraternités humaines
ou la fraternité universelle
Les groupes sociaux sont fondés sur la parenté
réelle, sur les relations d'alliance, mais aussi sur des
fraternités fictives.
Ce rôle de socialisation qui est la base de la
fraternité de sang, nous le retrouvons dans d'autres types
de fraternité humaine, dont les plus courantes sont les
fraternités de corps, d'étudiants, de guerre,
nationale…
Le lien commun entre elles, est le partage d'une même
expérience, d'un vécu
« extraordinaire », partage de
l'épreuve de la souffrance ou de la joie, d'un patrimoine
commun, social ou culturel.
Dans ce sens la quête de la fraternité peut
être aussi la quête de l'amitié.
La socialisation qu'elle entraîne a pour
conséquence le sentiment d'avoir certaines
responsabilités et obligations envers nos Frères
et Sœurs de cœur.
Obligation de soutien et d'entraide, de vérité et
non d'hypocrisie.
Qui d'autre que celui qui se sent notre frère, peut nous
dire les choses terribles à entendre ?
Responsabilité de nos actes et de leurs
conséquences dans toutes leurs dimensions, sentiment de
responsabilité de l'autre.
Mais ces sentiments de responsabilité et d'obligation ne
sont pas pesants et c'est ce qui en fait leur valeur.
Parmi ces fraternités humaines, je voudrai
bien sûr faire une place particulière à
la fraternité maçonnique.
« Tendresse humaine, adhésion
de l'homme à l'homme, Oh ! joie de nous sentir des
cœurs contemporains et de multiplier nos esprits l'un par
l'autre » cette belle phrase de Jean
Guehenno est la synthèse de ce que la Franc
Maçonnerie représente pour moi.
Lors de la cérémonie d'initiation, nous devenons
dépositaires de la fraternité, nous nous
retrouvons entourés d'une fratrie que nous n'avons pas
choisie, même si nous avons choisi la famille, plus ou moins
en connaissance de cause.
Nous savons que notre devise est « Liberté,
Egalité, Fraternité »,
que nous sommes une fraternité initiatique, que nous
appartenons à une Loge mère, que nous devons
aimer notre frère et que nous apprenons à faire
régner la fraternité entre les hommes.
D'ailleurs, nos relations au sein de l'atelier
ressemblent aux relations au sein de la famille de sang.
Il y a l'aîné, le maître qui croit tout
savoir et fait parfois preuve de l'arrogance de
l'aîné d'une famille, vis-à-vis des
cadets.
Il y a aussi le cadet, le compagnon qui, j'en ai l'impression, mais mon
peu d'ancienneté fait que je peux me tromper, cherche sa
place, se sent tiraillé entre deux mondes.
Et enfin il y a le petit dernier, l'apprenti qui est le
chouchou, avec qui les aînés sont
prévenants, dont on surveille les premiers pas avec
émotion et que l'on couve. L'apprenti qui fera sa crise
d'adolescence pour se libérer de ce carcan et retrouver son
identité.
Il a besoin d'être guidé, aidé,
conseillé par ses F et S aînés qui
n'ont comme avantage que d'avoir plus d'expérience et de
connaissances que lui. Car les qualités profondes qui font
la valeur de chacun, sont déjà inscrites en nous
avant notre initiation.
Nous devinons aussi que si tout commence par la
connaissance de soi, chaque initié ne peut
accéder seul à la vérité.
Il a besoin des aînés pour fraterniser avec les
symboles et les concepts, c'est à dire les outils
déjà en sa possession, mais dont il se sert
malhabilement. La fraternité, c'est le ciment qui permet
d'utiliser au mieux ces outils.
La fraternité est la cohérence de
notre communauté et la solidarité
maçonnique en est une des conséquences.
Toutefois je ne peux résister à l'envie de poser
une question :
L'amour fraternel doit unir tous les maçons. Or les
différentes obédiences n'agissent pas entre elles
avec fraternité.
Comment dans ce cas montrer l'exemple et aboutir à une vraie
fraternité entre les hommes ? (je pense en particulier
à la non-acceptation des femmes dans la chaîne
d'union de certaines loges)
Je terminerai cette partie en déclarant que
pour moi le symbole de cette fraternité
maçonnique, restera le sentiment de joie partagée
que j'ai ressenti en lisant un journal annonçant les
décisions prises un certain 14 juillet 98.
II Après avoir vu la
fraternité envers qui, la deuxième partie de mon
travail est la « fraternité
pourquoi »
Je voudrais tout d'abord cadrer les limites de la
fraternité, avant de voir pourquoi l'on se sent en
fraternité.
Les limites ou frontières de la fraternité sont 4
: l'amitié, la charité, la complaisance et
l'honnêteté ; pour moi ces 4
éléments sont les frontières, car
s'ils peuvent faire partie de la fraternité, ils sont, pris
dans leur singularité, réducteurs.
L'amitié c'est un attachement, une affection
mutuelle, qui a beaucoup de point commun avec la fraternité.
Mais le type de relations est différent. La grande
différence c'est que nous choisissons notre ami, mais non
notre frère. Ce qui a pour conséquence qu'en
amitié, il y a souvent plus de similitudes que de
différences.
La fraternité ce n'est pas l'abandon total et sans
réserve de l'amitié.
Il y a en plus dans la notion de fraternité, une notion de
durée dans le temps, qui ne se pose même pas :
nous sommes frères à vie.
La charité, c'est l'amour de son prochain,
acte de bonté ou de
générosité envers autrui.
Mais la charité est universelle et peut même
porter à l'indifférence, étant
donné qu'il n'y a pas d'attachement à l'objet de
cette charité ; l'affectivité se reporte sur
l'acte et non l'objet.
La charité serait comme une fraternité des
mortels, et ce n'est pas rien, mais la fraternité est une
étape supérieure.
La complaisance, c'est la disposition à se
conformer aux goûts, à acquiescer aux
désirs d'autrui dans le but de plaire par vanité,
par facilité ou par indulgence.
C'est la bienveillance par intérêt personnel, qui
peut aller jusqu'à la faiblesse d'excuser tout.
La complaisance comme la charité n'est pas la
volonté profonde de reconnaître les
« différences » des
autres et d'excuser leurs défauts.
Pour être en fraternité, il faut savoir gommer la
complaisance.
Enfin l'honnêteté, la
dernière frontière qui impose parfois de
déplaire, de choquer, de heurter.
Nous ne pouvons être en fraternité qu'en
étant honnête vis-à-vis de nos
Frères et Sœurs, mais
l'honnêteté n'est pas à elle seule, la
fraternité.
La fraternité est une notion qui ne peut être
confondue avec ces quatre frontières car elle a une
dimension d'une portée supérieure.
Le ciment de la fraternité ou pourquoi se sent-on en
fraternité ?
En fait ce qui fait que nous nous sentons en fraternité
c'est la vie, le rythme du temps de cette vie : passé,
présent et avenir.
Tout d'abord le passé qui est le partage de
l'expérience.
Ce qui nous rend frère, c'est en premier lieu la
même famille, une même origine, un passé
commun, la même renaissance. C'est le partage du
même vécu qui crée une
complicité, qui fait fuser les rires ou les pleurs
à l'ébauche d'une évocation, sans
avoir besoin de finir l'histoire.
Le passé commun, c'est le ciment de la
fraternité de sang et de certaines fraternités
universelles.
C'est ensuite le même présent un but commun, la
même recherche, la même réflexion, la
volonté de suivre la même voie quitte à
prendre des chemins différents.
Notre confrérie est liée par ce qui n'existe pas
dans la fratrie de sang : un but commun, la recherche de la
vérité et la construction de notre temple.
C'est enfin notre futur à tous, la mort.
« Comment ne pas aimer, au moins un peu
celui qui nous ressemble, celui qui vit comme nous, qui va mourir comme
nous ? Tous frères devant la vie, même
opposés même ennemis, tous frères
devant la mort » nous dit Comte Sponville.
Mais la mort étant l'avenir de tout individu sur terre, ne
devrions-nous nous sentir en fraternité avec toute
l'humanité ?
Notre fraternité c'est une origine commune,
l'initiation, une (re)naissance vécue de la même
manière, un présent commun la recherche de la
lumière, un avenir commun ce chemin que nous allons partager
et un devenir commun la mort de chacun de nous.
Mais alors pourquoi se sent-on en fraternité avec l'un et
pas l'autre ?
Bien sûr ce discours sur le ciment de la
fraternité est d'ordre philosophique et conceptuel.
Nous pouvons avoir partagé des expériences, vivre
notre présent ensemble et avoir un avenir à
partager, comme par exemple dans le cadre professionnel, sans pour
autant avoir d'attachement fraternel. Ces
éléments peuvent simplement déclencher
ce sentiment de fraternité.
Les affinités personnelles sont aussi très fortes.
L'affectif prends le dessus chez nous et chacun d'entre nous sait qu'il
se sent plus en fraternité avec certains que d'autres, et
que la théorie n'est pas toujours facile à vivre
dans la vie courante.
CONCLUSION
Alors quelle fraternité ?
Dans la famille de cœur, on retrouve les mêmes
phénomènes que dans la famille de sang:
solidarité, notions de responsabilité et
d'obligation, confrontation des similitudes et différences,
socialisation, mort de l'individualité
égocentrique.
En résumé, la vraie fraternité c'est
vivre l'autre avec ses différences, sans flatterie, sans
préjugé, sans jugement.
Vivre en fraternité c'est offrir : chacun
fait don de ses forces, mais aussi de ses faiblesses. Les
différences ne sont pas rivalité mais partage.
Constitué d'êtres aux personnalités
différentes, aux vécus différents mais
qui ont les mêmes qualités de cœur, la
même nature en esprit et désir, qui ont la
volonté de pratiquer le même travail de
bâtisseurs, la fraternité est la
cohérence de notre communauté.
Le grand œuvre auquel nous aspirons tous ici est le fruit de
notre fraternité car nous savons que chacun apporte
à l'œuvre commune grâce à la
richesse de ses différences.
J'ai dit Vénérable Maître
Bibliographie :
Sylvie Angel des frères et des sœurs
Paul Laurent Assouan Frères et Sœurs le lien
inconscient
Fraternité et sœurité initiatiques.
Divers propos volés à mes Frères et
Sœurs
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