Un
pavé mosaïque
Pourquoi
m'être engagée dans cette aventure avec le
Pavé Mosaïque ? C'est un travail sans fin qui est
à lui seul un symbole truffé de symboles : les
couleurs, les nombres, le binaire, le noir, le blanc, le gris, le
labyrinthe, la spirale, la géométrie, le miroir,
le nombre d'or. Peut-être je me trompe, mais certainement
j'en oublie !
J'ai 3 ans, je ne sais ni lire, ni écrire, je ne sais
qu'épeler. Sur la colonne du Nord avec un air passablement
ahurie de la nouvelle initiée, je regarde le temple. Deux
symboles ont surtout retenus mon attention, la corde à
nouds, et le pavé mosaïque.
Quelques mois plus tard, le premier surveillant chargé de
mon instruction me demandera de rédiger un petit
tracé symbolique sur le fameux pavé. Rien n'est
venu, enfin si peu que nous avons d'un commun accord
décidé de changer de sujet ! Mais il est
resté dans mes archives ce papier non terminé,
j'avais le titre, et les couleurs. Oui et après. En onze ans
on a le temps de réfléchir. En cinq jours aussi
(le Vénérable de la Loge m'ayant
sollicitée) ! Depuis près de dix
années je travaille ce sujet. Eh oui ! J'ai tout
mélangé et j'ai fait un petit plat à
ma façon, sauce Nathalie !
C'est instinctivement que je me suis demandé ce
qu'était ce petit échiquier. Mais il n'y avait
pas assez de cases pour tous les pions ! Peut-être dans des
tenues auxquelles nous n'assistions pas, nous les petits, les officiers
de la loge remplaçaient le roi, la reine, le cavalier, la
tour, le fou ! Je venais d'être initiée et ma
matière grise encore intacte chevauchait ardemment les
arpents de l'imaginaire. Je pensais que sans doute les
frères et sourds sur les colonnes étaient des
pions qui risquaient de se retrouver mats, s'ils venaient à
manquer à leur serment ! On leur trancherait la gorge ! Les
bonnes décisions prises sur les cases blanches et les
mauvaises sur les noires ! Un rêve fou genre Alice au pays
des francs-maçons ! Mais avec des pièces
d'échec géantes qui selon qu'elles seront noires
ou blanches vous tordrons ou pas le cou ! C'était un
horrible cauchemar qui date de quelques années ! Je me suis
réveillée en sursaut, n'ayant pas de cognac je me
suis satisfaite d'un verre d'eau ! Je sais à
présent que sur cet échiquier on y
dispose des idées et des opinions.
Bien entendu je me suis posée de nombreuses questions :
d'où vient-il ? Quelles sont les traces de son apparition ?
Que signifie t-il ? Comment nous fait-il travailler ? Et bien d'autres
encore.
Les textes maçonniques Edinburgh Register House 1696, qui
sont ce qu'on peut nommer les plus anciens « catéchismes
maçonniques du 18èmes siècle
», disent qu'il est le pavé de Moïse, car
il représente le dallage du Temple de Salomon sur lequel
marchait le Grand Prêtre ! Et lui seul lors du jour de
Kippour. Attachée à l'histoire du Temple sous
plusieurs de ses facettes, j'ai quand même cherché
à approfondir les choses, et je n'ai personnellement rien
trouvé (j'ai quand même cherché
près de huit ans), qui corrobore ces dires, purement
fantaisistes, sans offenser les fondateurs. Et en dépit de
son nom le Pavé Mosaïque n'a rien à voir
avec une quelconque origine hébraïque ! Mais
plutôt gréco-romaine ! J'ai ainsi
découvert au fil de mes recherches que la plus ancienne
mosaïque connue, était celle de Gordin au Nord de
l'Asie Mineure, conçue au 8ème siècle
avant J\ C\, elle est composée de galets noirs et blancs !
C'est uniquement pour cela que j'y fais
référence. On la nommera Mosium opus ou plus
brièvement mossium, la mosaïque ; d'où
sans aucun doute la confusion avec le terme hébreu.
Et je voyais ce pavé composé de dalles noires, de
dalles blanches, opposées les unes aux autres,
bêtement. Opposées ou complémentaires ?
C'était sans doute le moment d'ouvrir
l'oïl, et le bon !
Je l'observais. Tout d'abord je remarquais que seul le Frère
Grand Expert avait le droit de le toucher avec les mains
gantées lors de l'ouverture et de la fermeture des travaux,
en ouvrant et fermant le tapis de loge. Selon les Auteurs Ragon,
Plantagenet, Boucher, Lhomme, le tapis de loge serait un filtre une
fois ouvert sur le pavé mosaïque, pavé
qui passe alors du géométrique au symbolique. Du
profane au Sacré.
Pendant la durée de nos Travaux lors des
déambulations, nous devons le contourner, en aucun cas le
traverser, ou même l'effleurer du bout du pied. Je vous ferai
grâce de son point de vu géométrique,
(géométrie : science qui nous donne la
connaissance de la mesure de l'univers). Mais je vous livre cela :
Notre pavé mosaïque est une dynamique
créatrice, car le 2 est le premier nombre qui naît
du 1. 1 ne se multiplie pas mais se développe par
lui-même. (De ce fait il est en tout ce qui est). Il voit ses
dimensions dictées par le nombre d'Or : 1,618. Il parait que
sa place est déterminée par le fil à
plomb se renseigner. (Chemin de la connaissance ai-je lu) ?
Le Pavé mosaïque c'est le miroir dans lequel se
reflète le voûte céleste sous laquelle
nous travaillons, il met en relation la terre et le ciel lors du rituel
d'ouverture des travaux. C'est un carré long. C'est un lieu
de stabilité et pas seulement symbolique. Il se trouve au
cour du temple (selon certains auteurs Wirth et Boucher notamment, il
en serait même le fondement, et la clé de
construction- je ne discuterais pas cette théorie n'ayant
rien pour l'étayer). Trois de ses angles
délimitent l'emplacement des piliers qui soutiennent le
temple, la force au nord ouest, la beauté au sud ouest et la
sagesse au sud est, cela en fait un lieu d'harmonie dans le temple.
Il est formé de cases noires et blanches en alternance, en
opposition, en complémentarité, en contraste. Je
crois qu'il est une approche simple de ce que doit être la
démarche initiatique du franc-maçon. Je vais
commencer par les cases blanches. Le blanc, fusion des couleurs,
n'évoque-t-il pas le silence absolu comme ces espaces
enneigés à l'infini ? Il est dans nos travaux
maçonniques le midi, l'ouverture des travaux, puisqu'il est
le jour (ciel blanc), c'est un symbole masculin, c'est
l'être, le yang, la lumière, le réel,
la joie, l'esprit, la vie.
Les cases noires quant à elles sont significatives de
l'absence de lumière, dépourvue de
résonance, telle est la couleur noire, couleur du
féminin, des ténèbres, de la
matière, de la nuit, du non-être, du yin, dans le
rituel maçonnique c'est la couleur de la fermeture des
travaux, minuit, la couleur de la peine, des illusions, des
rêves, de la mort.
Sur le pavé mosaïque, je vois les cases noires et
blanches se contester en permanence. Ainsi va le chemin de ma vie, avec
des différences, des pluralités, des prises de
décisions ambiguës. Je ne sais pas pour les autres,
mais moi très souvent je dois détruire mes
certitudes intolérantes, car si elles ne sont pas
étouffées dans l'ouf elles pourraient bien
devenir ce que je nomme volontiers mes petits intégrismes
domestiques. Dans des circonstances ordinaires si
j'appréhende la dualité du pavé
mosaïque de façon exotérique, sans tenir
compte de son milieu et cela m'arrive, je génère
des attitudes plutôt radicales, radicalisme que je vilipende
chez certains car je le crois porteur du dogme, de
l'intolérance et de la haine. Nos
vérités sont créatrices des pires
intransigeances pour ceux que nous côtoyons, et là
nous nous éloignons de l'essentiel, de la voie du milieu,
à l'opposé de l'extrême, soit-il blanc
ou noir. Heureusement, on peut rapprocher les
éléments, qui d'entre nous ne s'est jamais
essayé à mêler du noir au blanc ? Nous
obtenons une couleur étrange nommée le
gris. Elle représente pour moi la couleur androgyne de
l'intelligence, du discernement, c'est la couleur
syncrétique de l'essence et de la substance à la
fois. La couleur de la voie du milieu, ni trop, ni trop peu. Ni oui, ni
non. En quelque sorte, la représentation
Aristotélicienne de l'acte et de la puissance, au sens
ontologique.
Il symbolise la juxtaposition des contraires. Je sais que tout concept
peut être réfuté. Si je veux avancer
dans ma quête de franc-maçon, je dois
acquérir impérativement un discernement suffisant
en mettant toujours un pied devant l'autre sur la ligne grise. Ainsi je
peux relativiser le bien, le mal, dépasser mes propres
apparences, celles que je perçois chez les autres, celles
qui parfois me retiennent pour avancer avec eux et les
découvrir. Cette ligne grise me permet de m'approcher du
principe d'unité, je prends soudain pleinement conscience
que l'autre est un autre moi-même. Mais pour combien de temps
? Sur cette ligne imaginaire je suis le funambule du pavé
mosaïque. Je risque de tomber dans le noir, dans le blanc,
mais toujours dans un extrême, c'est-ce que je veux pourtant
éviter, à tout prix.
Ma vie, est un itinéraire qui me renvoie parfois au
labyrinthe. Épreuve à surmonter. Comme celui de
Minos, comme ceux des cathédrales qu'ils soient ronds ou
carrés. Entre les pavés noirs et blancs il y a le
fil du rasoir. Cet infime fil gris que l'on perçoit
à peine. Le fil du discernement. C'est lui mon fil d'Ariane.
En effet je pense qu'on peut voir le pavé mosaïque
comme un pavé d'autocritique, comme une leçon
d'humilité, quand je dis on peut voir, c'est surtout moi qui
le voit ainsi. Et quand je vois le pavé mosaïque,
notamment les jointures des dalles, je me dis que je suis ici pour
apprendre à écouter l'autre, apprendre
à polir encore et toujours ma pierre brute. Ces cases qui
deviennent comme des marches à gravir.
Les circumambulations dextrogyres dans le temple, lors de l'ouverture,
de la fermeture des travaux, mais aussi lors des diverses
nécessités rituelles, évoquent de
petites spirales, se développant autour du pavé
en partant d'un point sans forcément revenir à
celui-ci.
Il m'apparaît soudain que ce que j'ai pris pour un
échiquier est tout simplement, pour moi la scène
de notre persévérance. Tout ensuite est une
question d'approche selon notre degré de
compréhension, de compassion, d'empathie. C'est le centre
où toutes les oppositions sont résolues. C'est un
point d'union entre les Frères et les Sours d'un
atelier maçonnique. Il se développe
d'ailleurs quelque chose de particulier entre les membres d'une loge
puisque certains ont cru bon de nommer cela l'Egrégore.
C'est du domaine du spirituel, mais bien entendu adogmatique. Le rite
doit être vécu en fraternité et ce
n'est pas du fait du hasard si nous formons notre chaîne
d'union autour de notre pavé mosaïque. Unis ainsi
nous nous renforçons les uns avec les autres, et nous
ressortons de cette chaîne d'union toujours
élevés, (en principe). Autour de ce
pavé les bras entrelacés, nous nous souvenons de
la permanence de notre quête. Nous avons alors l'esprit et la
cour ouverte.
Il est le symbole maçonnique le plus
épuré que je puisse voir dans le temple,
à cause de la rigueur de sa composition. Il me montre le
sens à suivre, la voie. Sa
sérénité m'incite à la
concentration. Il m'offre des instants de réflexions au cour
de la sagesse.
Pour conclure, je dirais que les valeurs des deux teintes sont parfois
croisées et leurs vertus sont toujours
symétriques. La valeur médiane pour moi reste
grise. Le gris, couleur de sagesse et d'intelligence, de calme, de
sérénité, de
pérennité. Il naît de tout cela un
état d'équilibre et les convergences me
permettent d'estomper les disparités. Je crains encore ces
visions manichéennes qui guident si souvent
l'humanité sur les chemins de l'arbitraire.
En Occident dans des loges, qui sont aussi des écoles de
sagesse et de tolérance, la dualité s'exprime
dans la composition de carrés noirs et blancs. En orient,
une autre école de sagesse et de tolérance
développe un symbole pour évoquer le Yin et le
Yang, mais tout en rondeur. Ce sont les deux synthèses des
principes essentiels de l'univers que j'ai pu trouver.
Peut-être en existe-t-il d'autres ? Dites-moi.
Un jour les pavés mosaïques ne seront plus
constitués de dalles noires et blanches avec une voie du
milieu, un jour le carré long sera d'un gris aux diverses
nuances. A un moment l'un se forma du multiple, à un moment
il se divise et de l'un sortit le multiple. Empédocle.
J'ai dit.
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