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Le Pavé Mosaïque

Lorsque - apprenti naissant - je suis venu pour la première fois m'asseoir sur la colonne du nord, encore tremblant de cette bousculade d'émotions et le cerveau en ébullition, mes yeux se sont promenés de gauche à droite et de bas en haut, scrutant chaque visage, s'accrochant à chaque élément du décor. Pourtant ce n'est qu'à la tenue suivante, je pense, que j'ai vraiment remarqué le pavé mosaïque.
Ce n'est à première vue, qu'un grand échiquier ou manquent trois rangées de cases, un rectangle en damier noir et blanc mesurant cinq carreaux sur huit. Mais, situe au milieu du temple, entre le midi et le septentrion, entre l'Orient et l'Occident, notre pavé mosaïque est un carré long au milieu d'un carré long. Un espace sacré sur lequel on ne marche jamais et autour duquel, en un mouvement dextrogyre, s'organisent tous les déplacements du rituel comme autour d'un axe créateur de rythme et d'harmonie.

Le pavé mosaïque est un carré long qui, posé à même le sol au centre du temple, évoque la pierre tombale d'une sépulture. Un tombeau dont l'épitaphe serait ce damier noir et blanc.
Partant de ces observations, je vais tenter de développer ces deux aspects que je viens de dégager, d'une part l'axe de rotation dextrogyre et d'autre part cette idée d'épitaphe en damier. Puis j'essaierai de les réunir afin d'exprimer ce qu'aujourd'hui je crois avoir compris du pavé mosaïque.

J'ai insiste sur le fait que le pavé mosaïque est un carré long car c'est avec lui et grâce au nombre d'or que l'on parvient à dessiner une spirale dextre qui se retrouve partout, des mégalithes aux cathédrales, en passant par les coquillages et notre oreille interne. Mais cette spirale va bien plus loin encore et devient cosmique avec le voyage de notre planète qui décrit une gigantesque hélice d'une largeur de 299 millions de kilomètres et d'un pas de 625 millions de kilomètres qui représente le chemin parcouru par le soleil en 365 jours 1/4.
Le pavé mosaïque évoque alors un mouvement, c'est un axe vertical autour duquel s'enroule la spirale dextre. Il se révèle comme la meilleure représentation du temps; liaison entre une notion du temps et celle d'une mise en forme, comme entre l'esprit et la matière.
Ainsi, lors du rituel, quand nous nous déplaçons autour du pavé mosaïque dans le sens des aiguilles d'une montre, nous sommes en harmonie avec l'univers. Nous ne marchons ni à contre courant ni à contre temps.

La courte inscription qui figure sur les pierres tombales et qu'on appelle épitaphe, est un résumé, un indice révélateur de l'identité, voire du caractère de celui qui occupe le tombeau. Parfois cette épitaphe est un message qu'il faut décrypter.
Ces carreaux noirs et ces carreaux blancs disposés en alternance nous amènent logiquement à l'opposition des contraires et au retour cyclique des ténèbres succédant à la lumière. Cette opposition des contraires pourrait représenter notre pensée rationaliste qui nomme, sépare et oppose les choses et les êtres. Connaître une chose implique systématiquement une dissection, une classification, une catégorisation, un éclatement de ce que nous voulons connaître. C'est risquer d'ignorer l'essentiel.

L'épitaphe nous parle bien de ces contraires qui reposent dans le tombeau mais en y regardant d'un peu plus près, on s'aperçoit que le noir et le blanc sont en quantité égale, qu'ils sont au même niveau.
Aucun ne dépasse, il n'y a pas de supériorité de l'un sur l'autre. La sépulture devient un unificateur des opposés créant ainsi l'harmonie, l'équilibre et la paix.
Ainsi les contraires n'existent que l'un par rapport à l'autre. Ils sont complémentaires, indissociables comme le Yin et le Yang. Les opposés d'hier, la lumière et les ténèbres, le positif et le négatif, l'essence et la substance se trouvent enfin réunis après avoir été séparés par la pensée humaine. Mieux, Ils forment un Tout contenant plus que leur simple somme. Les réunir en nous c'est découvrir une petite flamme qui brûle dans nos ténèbres intérieures comme un souvenir de la vraie lumière vers laquelle nous cheminons.
Dès lors, La spirale devient une grande vis sans fin qui monte du pavé mosaïque à travers la voûte étoilée et nous entraîne avec elle. Elle s'enroule comme un serpent autour de l'axe vertical.
C'est le temps qui passe et suit son cours, imperturbablement, insensible aux querelles, aux affrontements du monde profane.

Le pavé mosaïque nous rappelle qu'il faut mourir à l'ancienne vie pour renaître un peu plus près de la lumière, qu'il faut savoir réconcilier en soi les opposés afin de réaliser l'harmonie qui libérera l'énergie nécessaire à cette élévation par la voie du milieu. Il symbolise aussi l'acceptation et la reconnaissance de nos frères tels qu'ils sont, avec leurs différences et leurs particularités car nous sommes, nous aussi, sur nos colonnes respectives autant de carreaux noirs et blancs, et ce n'est pas un hasard sans doute si c'est autour du pavé mosaïque que nous réalisons ce moment précieux de la chaîne d'Union, où nous sentons naître et circuler en nous un courant d'amour et d'harmonie.

Ce que personnellement je pense avoir compris du pavé mosaïque pourrait se résumer en deux mots : horizontalité - verticalité, en deux outils, le niveau et le fil à plomb. Avant de construire un édifice, d'ériger des murs, il est nécessaire, sous peine d'effondrement, de réaliser le terrassement, d'installer des fondations qui soient parfaitement de niveau. De la même façon je crois que le pavé mosaïque nous enseigne que pour construire notre propre édifice, pour nous élever nous-même, il nous faut avant tout résoudre le problème de nos propres fondations. Comment pourrais-je m'élever si j'en suis encore à me débattre entre bien et mal, entre noir et blanc sans comprendre qu'ils ne font qu'un ? Ces conflits intérieurs nous condamnent à l'horizontalité et nous nous retrouvons dans la situation de l'albatros de Baudelaire que des ailes de géant empêchent de marcher. Cet Albatros sans doute, avant d'être le jouet des hommes d'équipage, regardait-il hautain, le monde avec mépris, heureux d'être si haut. Mais pouvait-il apprécier à sa juste valeur cet avantage de pouvoir voler ? Je pense que, après avoir tant fourni de vains efforts à tenter de marcher, lorsqu'il peut enfin reprendre les airs se souvenant de l'utilité de ses ailes, le nouvel albatros ayant un regard neuf sur le monde, mesure tout à fait cette chance qu'il a de voler et l'apprécie d'autant plus. Ces deux Albatros me font penser aux deux types de labyrinthes qu'on trouve parfois dans certaines cathédrales.

Il y a des labyrinthes, comme à Chartres, qui emmènent le voyageur sur un parcours aux circonvolutions initiatiques, sur une voie unique et sinueuse déjà tracée par d'autres. Mais, comme à Reims, il y a des labyrinthes où l'on se perd, où le voyageur est celui qui devient. Il y emprunte des voies qui sont des impasses puis rebrousse chemin avant d'explorer d'autres voies. Dans ces labyrinthes, la traversée est aventureuse, le but se définit en cours de route et j'y trouve une grande ressemblance avec le pavé mosaïque et le cheminement de l'apprenti.

Pour conclure, je dirai qu'au commencement nous sommes pressés par notre notion du temps nécessairement liée à l'idée de notre fin prochaine. Nous sommes les jouets du dualisme, les jouets de nos passions, coincés entre nos désirs et nos aversions. Puis le jour où nous acceptons l'idée de mourir, de visiter les profondeurs de la Terre, pour peu que nous sachions nous éclairer à cette petite lueur intérieure, nous découvrons un joyau, une pierre brute. Alors, naissant une autre fois, notre notion du temps s'élargit. Nous travaillons à dégrossir la pierre et apprenons aux rythmes de nos travaux à réaliser la paix intérieure. Nous apprenons à ne plus disséquer, peser, évaluer, cataloguer les bons et les mauvais côtés de notre semblable, nous apprenons à déceler, reconnaître et à aimer cette flamme qui brûle en lui comme en chacun de nous. Lorsque cette nouvelle perception du temps nous libère enfin du binaire, nous parvenons à équilibrer les contraires et de cet équilibre naît une force qui nous guide vers la Lumière comme des voyageurs sur le chemin du retour...

J'ai dit.

L\ C\


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