Le Miroir
V\ M\ et vous tous mes
frères en vos grades et qualités, je vous
parlerai du miroir. N'attendez de moi ni érudition, ni
perfection. J'ai laissé livres et dictionnaires à
la porte du Temple. Je ne me suis servi que des outils que vous avez
mis entre mes mains. Je procéderai souvent par
interrogations plutôt que par affirmation comme un bon
compagnon qui travaille, avec modestie, sur la pierre cubique.
Rencontre avec le miroir : Deux fois depuis le commencement de ma vie
maçonnique je suis passé de l'autre
côté du miroir. Il en a été
de même pour tous mes F\ qui sont autour de moi. Deux fois en
effet le futur apprenti d'abord, le futur compagnon, encore, se trouve
face au miroir, face à « lui-même »
dans la solitude d'une confrontation sans artifice. Extraordinaire
retournement d'usage du miroir ? Cet accessoire dévolu
à tous les artifices du monde profane est devenu, dans le
Temple maçonnique, instrument de
vérité. La première fois, lors de la
cérémonie d'initiation, le miroir
désigne au néophyte « L'ENNEMI
QUI EST EN NOUS ». La seconde fois, lors
de la cérémonie de passage au grade de Compagnon,
il nous confronte au JUGE SUPRÊME.
Qui d'entre nous oubliera jamais ce moment unique où, le
bandeau levé, nous contemplons pour la première
fois, nous scrutons (miroir en latin se dit « spéculum »
qui vient de « spéculaire »
qui veut dire « scruter le ciel, les
étoiles ») nous scrutons les
visages et les regards des frères formant la
chaîne d'union afin d'accomplir notre promesse de
réconciliation. « Ce n'est pas
toujours devant soi, dit alors le V\M\, que l'on rencontre des ennemis.
Les plus à craindre se trouvent souvent derrière
soi. Veuillez vous retourner ». Et quand
nous nous retournons, nous nous trouvons, pour la première
fois, face au miroir. Nous découvrons alors cet
« ennemi qui est en nous »
et que le maillet et le ciseau vont nous apprendre à mieux
connaître donc à mieux combattre.
Lorsque nous avons fait notre temps d'apprentissage, que nous nous
présentons à nouveau à la porte du
Temple pour être reçu parmi les compagnons, nous
nous retrouvons, pour la seconde fois, face au miroir. A l'indulgence
toute fraternelle du Sd Surv, l'Orateur oppose soudain
l'objectivité du miroir pour juger du travail de l'apprenti
: « Il est un JUGE à qui rien
ne demeure caché et qui est capable de porter un jugement
exact. Celui qui ose affronter son regard et consent à se
soumettre à son verdict, celui-là est sur la
voie...V\ M\, je requiers la comparution de ces Apprentis devant ce
juge ! »
Qui d'entre nous oubliera jamais ce moment solennel, ce
dévoilement terrible ?
Le F\ Expert se tient à l'occident, près de la
porte du Temple. Un voile dissimule le miroir. L'apprenti tourne le dos
à l'Orient, à la Lumière. Il se
retrouve entre les colonnes. Et le voile se lève sur le
miroir. L'apprenti reçoit-il alors cette Lumière
par réflexion, comme la Lune la reçoit du Soleil
? Ce JUGE SUPREME auquel le F\ Orateur en appelle est-il rien d'autre
que ce reflet de lui-même qu'il découvre
au-delà de lui-même dans l'œil du miroir
mais aussi dans le miroir de son propre regard ? Et son œil
n'est-il pas lui-même comme le miroir de l'âme ?
Miroir dans le miroir car l'âme en grec ne se nomme-t-elle
pas « Psyché »
qui est le nom qu'on donne aussi au miroir, une « psyché »
?
- F\ Sd Surv : Que s'est-il passé ? demande le V\M\.
- V\M\, les FF\ Apprentis ont comparu devant le Juge Suprême
qui est en eux, répond le Sd Surv\ ils méditent
sa sentence. Puissent leurs réflexions les aider
à marcher vers la Lumière.
Qu'y a-t-il donc de l'autre côté du miroir ?
Personne d'autre que celui que je suis et qui peut être celui
que je dois être si je suis la voie maçonnique.
Quelle saisissante figure de l'ésotérisme que ce
« miroir-là »
? L'ésotérique, c'est le sens caché,
ce qui se trouve au-delà de l'apparence. Le miroir est un
instrument redoutable. Il peut exalter l'amour de soi et nous projeter
comme Narcisse dans une quête égoïste et
sans issue où nous ne devenons plus que l'Écho de
nous-mêmes. Mais il peut aussi bien, nous aider à
marcher vers notre propre vérité. Il
reflète, révèle, renvoie,
réfléchit la lumière dans une
symétrie que l'on croirait trompeuse si l'on n'y prenait
garde parce quelle est inversée. Ce qui est à
droite devient ce qui est à gauche et ce qui est
à gauche, à droite. Dans ce basculement des
repères convenus, le miroir n'invite-t-il pas à
franchir la frontière des apparences pour aller au
delà, découvrir le sens caché de notre
être ? Ne nous révèle-t-il pas comme
« juge suprême »
de nous-mêmes dans ce face à face sans artifice ?
Le voile que le F\ Expert soulève pour permettre
l'accomplissement de cette révélation n'est-il
pas comme une dissipation des brumes du monde profane, c'est
à dire des passions et des ambitions, qui nous dissimulent
à nous-mêmes et qui sont le contraire des vertus
maçonniques : volonté de perfectionnement
(maillet), discernement (ciseau), rectitude (équerre),
mesure et comparaison (compas), recherche de la
vérité (fil a plomb),
égalité de tous (niveau),
persévérance et vigilance.
« Persévérance et
Vigilance » ? Le miroir ne nous
renvoie-t-il pas soudain au Cabinet de réflexion ? Dans ce
face à face qui n'est plus tout à fait un face
à face parce que d'un côté vous avez le
moi et de l'autre le soi, le compagnon est projeté de
nouveau vers le Cabinet de réflexion où il a
laissé les dépouilles du profane. La formule
hermétique « VITRIOL »
s'éclaire : « Visite
l'intérieur de la Terre et, en Rectifiant, (en te
corrigeant), tu trouveras la pierre cachée ».
Ce miroir tendu devant moi n'est-il pas comme une porte qui s'offre
à moi, une issue, une voie, un signe (je dis signe au sens
où l'entendent les livres sacrés : c'est
à dire miracle), le miracle de cette transmutation qui
s'opère en moi par les voies de la F\ M\ et qui me rapproche
peu à peu d'une forme en rapport avec une destination dont
je suis le Juge Suprême ?
« Que s'est-il passé ? »
demande le V\ M\. Dans cette comparution saisissante où le
temps s'arrête soudain, le miroir trace une verticale de part
et d'autre de laquelle le maçon se trouve
restitué dans une symétrie horizontale plus que
parfaite assignant au futur compagnon les axes majeurs de son
« travail ».
S'il le comprend, il peut s'attendre alors à ce que le
Temple de la Maçonnerie s'éclaire pour lui et que
sa marche vers la lumière continue. Il peut aller
œuvrer sur d'autres chantiers.
« Combien de temps encore
hésiteras-tu à te déclarer digne de
conquérir les plus grands biens et à ne
transgresser en aucune occasion le conseil de la raison ? On t'a
transmis des préceptes auxquels il fallait
adhérer et tu as adhéré. Quel
maître attends-tu encore pour lui remettre le soin de ton
redressement ? Tu n'es plus jeune homme, te voici un homme. Si tu
traînes, si tu ajoutes les délais aux
délais, si tu recules de jour en jour le moment
où tu te consacreras à toi-même, tu ne
te rendras pas compte que tu ne fais aucun progrès et tu
auras passé toute ta vie et seras mort comme le vulgaire.
Allons, juge-toi digne désormais de vivre en adulte et qui
fait des progrès. Que tout ce qui te semble le meilleur soit
pour toi une loi inviolable ».
A cette pensée cueillie dans le Manuel d'Epictète
(philosophe du 1er siècle) répond la voix du V\
M\ lançant aux Compagnons en partance : « Puissiez-vous
revenir capable d'un chef-d'œuvre digne d'un
maître, et alors être accueillis dans
l'allégresse ».
J'ai dit, V\ M\
T\ F\
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