GLNF Loge : NC 09/11/1998


Le Miroir

V\ M\ et vous tous mes frères en vos grades et qualités, je vous parlerai du miroir. N'attendez de moi ni érudition, ni perfection. J'ai laissé livres et dictionnaires à la porte du Temple. Je ne me suis servi que des outils que vous avez mis entre mes mains. Je procéderai souvent par interrogations plutôt que par affirmation comme un bon compagnon qui travaille, avec modestie, sur la pierre cubique.

Rencontre avec le miroir : Deux fois depuis le commencement de ma vie maçonnique je suis passé de l'autre côté du miroir. Il en a été de même pour tous mes F\ qui sont autour de moi. Deux fois en effet le futur apprenti d'abord, le futur compagnon, encore, se trouve face au miroir, face à « lui-même » dans la solitude d'une confrontation sans artifice. Extraordinaire retournement d'usage du miroir ? Cet accessoire dévolu à tous les artifices du monde profane est devenu, dans le Temple maçonnique, instrument de vérité. La première fois, lors de la cérémonie d'initiation, le miroir désigne au néophyte « L'ENNEMI QUI EST EN NOUS ». La seconde fois, lors de la cérémonie de passage au grade de Compagnon, il nous confronte au JUGE SUPRÊME.

Qui d'entre nous oubliera jamais ce moment unique où, le bandeau levé, nous contemplons pour la première fois, nous scrutons (miroir en latin se dit « spéculum » qui vient de « spéculaire » qui veut dire « scruter le ciel, les étoiles ») nous scrutons les visages et les regards des frères formant la chaîne d'union afin d'accomplir notre promesse de réconciliation. « Ce n'est pas toujours devant soi, dit alors le V\M\, que l'on rencontre des ennemis. Les plus à craindre se trouvent souvent derrière soi. Veuillez vous retourner ». Et quand nous nous retournons, nous nous trouvons, pour la première fois, face au miroir. Nous découvrons alors cet « ennemi qui est en nous » et que le maillet et le ciseau vont nous apprendre à mieux connaître donc à mieux combattre.

Lorsque nous avons fait notre temps d'apprentissage, que nous nous présentons à nouveau à la porte du Temple pour être reçu parmi les compagnons, nous nous retrouvons, pour la seconde fois, face au miroir. A l'indulgence toute fraternelle du Sd Surv, l'Orateur oppose soudain l'objectivité du miroir pour juger du travail de l'apprenti : « Il est un JUGE à qui rien ne demeure caché et qui est capable de porter un jugement exact. Celui qui ose affronter son regard et consent à se soumettre à son verdict, celui-là est sur la voie...V\ M\, je requiers la comparution de ces Apprentis devant ce juge ! »

Qui d'entre nous oubliera jamais ce moment solennel, ce dévoilement terrible ?

Le F\ Expert se tient à l'occident, près de la porte du Temple. Un voile dissimule le miroir. L'apprenti tourne le dos à l'Orient, à la Lumière. Il se retrouve entre les colonnes. Et le voile se lève sur le miroir. L'apprenti reçoit-il alors cette Lumière par réflexion, comme la Lune la reçoit du Soleil ? Ce JUGE SUPREME auquel le F\ Orateur en appelle est-il rien d'autre que ce reflet de lui-même qu'il découvre au-delà de lui-même dans l'œil du miroir mais aussi dans le miroir de son propre regard ? Et son œil n'est-il pas lui-même comme le miroir de l'âme ? Miroir dans le miroir car l'âme en grec ne se nomme-t-elle pas « Psyché » qui est le nom qu'on donne aussi au miroir, une « psyché » ?

- F\ Sd Surv : Que s'est-il passé ? demande le V\M\.

- V\M\, les FF\ Apprentis ont comparu devant le Juge Suprême qui est en eux, répond le Sd Surv\ ils méditent sa sentence. Puissent leurs réflexions les aider à marcher vers la Lumière.

Qu'y a-t-il donc de l'autre côté du miroir ? Personne d'autre que celui que je suis et qui peut être celui que je dois être si je suis la voie maçonnique.

Quelle saisissante figure de l'ésotérisme que ce « miroir-là » ? L'ésotérique, c'est le sens caché, ce qui se trouve au-delà de l'apparence. Le miroir est un instrument redoutable. Il peut exalter l'amour de soi et nous projeter comme Narcisse dans une quête égoïste et sans issue où nous ne devenons plus que l'Écho de nous-mêmes. Mais il peut aussi bien, nous aider à marcher vers notre propre vérité. Il reflète, révèle, renvoie, réfléchit la lumière dans une symétrie que l'on croirait trompeuse si l'on n'y prenait garde parce quelle est inversée. Ce qui est à droite devient ce qui est à gauche et ce qui est à gauche, à droite. Dans ce basculement des repères convenus, le miroir n'invite-t-il pas à franchir la frontière des apparences pour aller au delà, découvrir le sens caché de notre être ? Ne nous révèle-t-il pas comme « juge suprême » de nous-mêmes dans ce face à face sans artifice ? Le voile que le F\ Expert soulève pour permettre l'accomplissement de cette révélation n'est-il pas comme une dissipation des brumes du monde profane, c'est à dire des passions et des ambitions, qui nous dissimulent à nous-mêmes et qui sont le contraire des vertus maçonniques : volonté de perfectionnement (maillet), discernement (ciseau), rectitude (équerre), mesure et comparaison (compas), recherche de la vérité (fil a plomb), égalité de tous (niveau), persévérance et vigilance.

« Persévérance et Vigilance » ? Le miroir ne nous renvoie-t-il pas soudain au Cabinet de réflexion ? Dans ce face à face qui n'est plus tout à fait un face à face parce que d'un côté vous avez le moi et de l'autre le soi, le compagnon est projeté de nouveau vers le Cabinet de réflexion où il a laissé les dépouilles du profane. La formule hermétique « VITRIOL » s'éclaire : « Visite l'intérieur de la Terre et, en Rectifiant, (en te corrigeant), tu trouveras la pierre cachée ». Ce miroir tendu devant moi n'est-il pas comme une porte qui s'offre à moi, une issue, une voie, un signe (je dis signe au sens où l'entendent les livres sacrés : c'est à dire miracle), le miracle de cette transmutation qui s'opère en moi par les voies de la F\ M\ et qui me rapproche peu à peu d'une forme en rapport avec une destination dont je suis le Juge Suprême ?

« Que s'est-il passé ? » demande le V\ M\. Dans cette comparution saisissante où le temps s'arrête soudain, le miroir trace une verticale de part et d'autre de laquelle le maçon se trouve restitué dans une symétrie horizontale plus que parfaite assignant au futur compagnon les axes majeurs de son « travail ». S'il le comprend, il peut s'attendre alors à ce que le Temple de la Maçonnerie s'éclaire pour lui et que sa marche vers la lumière continue. Il peut aller œuvrer sur d'autres chantiers.

« Combien de temps encore hésiteras-tu à te déclarer digne de conquérir les plus grands biens et à ne transgresser en aucune occasion le conseil de la raison ? On t'a transmis des préceptes auxquels il fallait adhérer et tu as adhéré. Quel maître attends-tu encore pour lui remettre le soin de ton redressement ? Tu n'es plus jeune homme, te voici un homme. Si tu traînes, si tu ajoutes les délais aux délais, si tu recules de jour en jour le moment où tu te consacreras à toi-même, tu ne te rendras pas compte que tu ne fais aucun progrès et tu auras passé toute ta vie et seras mort comme le vulgaire. Allons, juge-toi digne désormais de vivre en adulte et qui fait des progrès. Que tout ce qui te semble le meilleur soit pour toi une loi inviolable ».

A cette pensée cueillie dans le Manuel d'Epictète (philosophe du 1er siècle) répond la voix du V\ M\ lançant aux Compagnons en partance : « Puissiez-vous revenir capable d'un chef-d'œuvre digne d'un maître, et alors être accueillis dans l'allégresse ».

J'ai dit, V\ M\

T\ F\


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