Obédience : NC Loge : NC 11/2009

Le cabinet de réflexion

Impressions d’un néophyte


C’est le premier lieu que le profane découvre le jour J de l’Initiation. J’apprends de la bouche du Maître qui me prépare qu’il s’agit de l’épreuve de la TERRE. Le Frère  expert m’y conduit les yeux bandés. Descente dans le noir, pour me retrouver ensuite dépouillé de mes métaux, c'est-à-dire montre, porte-monnaie dans cette petite pièce peinte en noir, éclairée par une bougie. Je me souviens surtout qu’il y faisait froid. Le frère expert me demande de rédiger un testament philosophique en répondant à 3 questions. Il viendra le chercher en temps utile. Je reste alors seul dans un silence de mort confronté à des symboles que je vais tenter de comprendre. Cette pièce d’apparence morbide aux allures de crypte prend son sens de cabinet de réflexion quand il s’agit de rédiger ce testament. Mais avant de le remplir, j’explore le lieu dans ses moindres détails !


Chacun de nous a vécu différemment cette épreuve et a pu en rendre compte lors de ses impressions d’initiations. Elle a été pour moi la plus marquante. Cette longue attente face à moi-même à un moment que l’on sait très important dans sa vie d’Homme crée les conditions idéales pour faire le point sur ce qui m’a amené dans ce lieu de mon plein gré. Mes réflexions intimes, mon angoisse aussi et une vague perception d’un changement profond participent à une métamorphose de mon être que je ne perçois pas alors comme faisant partie de mon Initiation. J’en prendrai conscience bien après. Néanmoins je me pose des questions.
Pourquoi ai-je vraiment frappé à la porte du Temple ? Suis-je prêt à vivre un changement profond de mon rapport aux autres, à moi-même ? Qu’est-ce qui va m’arriver ? Je sens bien que l’Initiation et ma vie d’après sera différente. Mais je n’ai aucune idée de ce qu’elle sera. Alors face à l’incertitude (suis-je bien à ma place ?) le doute m’envahit. Je me suis heureusement ressaisi en repensant à tout mon cheminement volontaire vers la maçonnerie, aux démarches que j’ai faites, aux enquêtes auxquelles j’ai répondu en toute sincérité, au passage sous le bandeau qui m’a bien impressionné. Je suis arrivé là par ma volonté. Je sais que ce moment est unique. Je veux le vivre pleinement et en conscience.
Le Profane que je suis encore se retrouve davantage dans un cabinet de curiosités que dans un cabinet de réflexion, entouré de symboles qui apparaissent comme des énigmes auxquelles j’essaie de donner du sens.
Certaines sont compréhensibles, d’autres restent mystérieuses et inquiétantes comme ce mot VITRIOL qui rappelle plus un acide qui brûle la chair qu’un acrostiche dont la signification  me restera longtemps inconnue « visite l’intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée » Cette énigme alchimiste  me laisse perplexe. Pourtant elle résume à elle seule le long travail du Frère maçon tout au long de sa vie !
Et ne sachant ni lire ni écrire, je ne perçois que le sens littéral de V.I.T.R.I.O.L.

Ce travail sur soi est long et difficile. L’apprentissage m’a aidé à mesurer la difficulté de ce travail que je dois faire sur moi-même pour progresser.  Je dois travailler avec rigueur à consolider mes connaissances des symboles, à leur donner un sens qui participe à ma construction. Ce que je comprends dans cette phrase, c’est « descends en toi-même et en t’améliorant tu trouveras la Sagesse » Apprendre à être soi en se recentrant sur le cœur de son être et en se mettant en harmonie avec le monde extérieur. La formule invite le profane à pénétrer le monde obscur de la terre et à découvrir son être profond. C’est le travail de toute une vie ! Certes, il s’agit de « rectifier », de rendre droit au sens strict. Le redressement se fait dans un mouvement ascensionnel : de la terre vers la Lumière. IL se fait après la descente au cœur de cette même terre, dans le cabinet de réflexion après la mort symbolique. Pour commencer ce long travail, le maillet et le ciseau d’apprenti vont m’aider à dégrossir ma pierre brute. Et pour me guider dans ce travail, j’ai aussi besoin du soutien des Frères de la Loge ! C’est aussi un travail collectif.

Visiter, Rectifier et Trouver sont les 3 verbes qui composent la formule VITRIOL.
3 verbes pour 3 étapes.

Au stade d’Apprenti, je visite le Temple comme l’intérieur de la terre, j’observe les rites, le rituel, j’écoute les planches de mes Frères. Je visite aussi mon propre temple intérieur en observant mon fonctionnement, mes défauts et qualités. Cette étape correspond au symbolisme du fil à plomb, le décor du 2nd Surveillant. Celui qui guide le travail des apprentis. On y retrouve cette notion de verticalité.

Les outils du Compagnon permettent-ils  de Rectifier le Travail commencé? Le niveau est l’outil symbole de cette étape. Et les outils du Maître aident-ils à  enfin trouver la Sagesse ? L’équerre en est le symbole. J’espère découvrir ces étapes dans ma future vie maçonnique.
Les outils seuls ne permettent pas d’avancer. Le travail régulier et continu ainsi que la volonté du Franc-maçon sont indispensables. « Vigilance et Persévérance » inscrit sur la bannière près du coq sur la paroi du cabinet de réflexion font écho à ce nécessaire travail personnel.
Le miroir posé sur la table est aussi un outil qui aide à accomplir cette descente en soi. Il est le révélateur de mon âme. Pour me voir autrement, je dois être capable de me rectifier après m’être vu dans ma vérité nue. Le verbe réfléchir vaut à la fois pour la lumière qui renvoie mon image dans le miroir que pour mon esprit.

Le Souffre, le Mercure et le Sel restent aussi mystérieux à mes yeux. C’est bien après l’Initiation que je vais découvrir par une lecture la signification de ces symboles alchimiques. Les énergies contraires (féminin / Mercure et masculin / souffre) que le Sel cristallisent en un point d’équilibre. Ce Sel c’est moi, ces énergies sont en moi (le Sel de la Vie) je dois d’abord travailler à m’approprier ces symboles et à travailler à comprendre dans ma personnalité ce qui est du ressort du Féminin et du Masculin, du Yin et du Yang. Cette analyse « au centre de Moi » se fait par palier, progressivement, à l’aide des symboles et en étant capable d’être aussi mon objet d’étude.

Mais au moment de l’épreuve de la terre, ce symbole restait pour moi source d’interrogation.

Les symboles qui apparaissent comme des énigmes qui font  sens sont le crâne, le miroir, le coq, le pain et l’eau, le sablier et les prophéties écrites sur les murs.

Le crâne, pour rappeler notre destin : la mort, et le miroir qui reflète mon visage à coté de ce crâne à peine éclairé par une bougie. Je suis dans ma tombe, peinte en noir et je ne peux que m’interroger sur ma propre fin : ma mort, mon destin ultime.
 Cette perspective met en paradoxalement en évidence la Vie que je dois mener et le temps qui passe. D’ailleurs le sablier symbolise  bien ce temps précieux qui s’écoule si vite ! Et à l’heure de mon Testament, je ne peux pas échapper à cette question terrible : qu’ai-je fais de ma vie? Que resterait-il de moi si je mourrai maintenant ?

Ces symboles qui posent des questions morbides sont renforcés par ces sentences explicites sur le sort réservé aux curieux, aux malhonnêtes qui pourraient ici avoir un cas de conscience. Elles me sont adressées personnellement, en commençant par :
« Si tu  crains d’être éclairé sur tes fautes, tu seras mal venu parmi nous »
« Si tu es capable de dissimulation, tremble, on te pénétrera »
« Si ton âme a senti l’effroi, ne va pas plus loin »
« On pourra exiger de toi les grands sacrifices, même celui de ta vie. Y es tu résigné ? »
Je ne les cite pas toutes. Il y en a 7. Encore un symbole.
Sans véritablement m’effrayer, ces sentences m’oblige à faire le point sur ma réelle motivation et teste ma volonté d’engagement, jusqu’au sacrifice ultime éventuellement. Je me souviens bien de mon hésitation quand lors de mon Initiation le Vénérable Maître m’a demandé au moment du serment si j’étais prêt à mourir pour défendre la Franc maçonnerie. Le doute fait aussi partie de mon cheminement. Mon courage et ma volonté doivent être plus forts.
A travers ce questionnement,  le profane se meurt, l’homme nouveau  commence à germer.

Mais  d’autres symboles apportent de la vie et de l’espoir : cette cruche d’eau et ce pain sec : aliments basiques et essentiels de notre alimentation. C’est suffisant pour survivre ou renaître. Ces symboles me rappellent à mon essence : mon corps est fait d’eau. Le pain, fruit de l’homme et du blé le nourrit.

Ce coq majestueux et fier apporte de l’espoir dans cet espace clos et macabre : il chante à l’aurore : il symbolise le retour à la vie. Ainsi après m’être plongé sur ma propre mort, je peux garder l’espoir de renaître, en homme nouveau.
Néanmoins cet homme nouveau ne naît pas d’un coup et par magie après l’initiation. Je ne suis pas sorti transmuté des épreuves. Mais il s’est passé quelque chose.
Ce quelque chose est la définition même de l’Initiation :
Initiation = mutation / changement de conscience « faire passer par la mort »
Mourir pour devenir / mourir au vulgaire pour devenir un homme libre / mourir au profane par l’initiation. Passage d’un état réputé inférieur de l’être à un état supérieur qui nous incite à travailler sur soi.  Le cabinet de réflexion agit comme une matrice au plus profond de mon être. Il est le point de départ et d’arrivée aussi d’ailleurs de ma nouvelle vie qui commence. Les symboles agissent bien au-delà du cabinet, petit à petit. Je suis sorti de la Terre, j’y retournerai inévitablement après ma mort physique. Tous ces symboles observés séparément dans le cabinet de réflexion sont cohérents dans leur ensemble et participent à la transformation du Profane.
Tout ce cheminement, ce questionnement devant ces symboles exposés ont lieu parce qu’un autre symbole, non écrit envahit le cabinet : le SILENCE. Ce silence qui me calme loin de l’agitation extérieure et permet une réelle méditation et descente en soi. C’est alors le moment de se pencher sur la rédaction du testament philosophique.

Le testament philosophique : les questions posées portent sur les devoirs de l’Homme face à lui-même, la société et l’Univers et m’obligent à réfléchir sur ce que j’ai fait ou pas dans ma vie d’homme avant d’arriver ici. Ce questionnement n’a pas été simple. Je l’ai d’abord trouvé présomptueux et fastidieux. Je ne voyais rien d’autre à écrire que des banalités impersonnelles. Je prends alors conscience de la médiocrité et de l’étroitesse de ma vie de profane. Ces questions ne me parlaient pas. Au fonds, j’étais persuadé de n’avoir rien fait qui vaille la peine d’être ici mentionné. Et le devoir de l’Homme donc de moi-même face à l’Univers me laissait bien perplexe. Qu’ai-je à léguer au monde à ce jour ? Quoi écrire qui ne paraisse pas présomptueux ou trop banal.
 
Petite parenthèse :
 Je me souviens avoir été soulagé lors de mon Initiation quand le testament fut brûlé par le Vénérable Maître. Mais c’est lors de l’Initiation de notre F\ Gérald que j’ai vu avec un certain malaise que le testament était lu à tous les F :. Présents avant d’être brûlé!

Au-delà des mots et des définitions, il y a d’abord une prise de conscience qui mûrit petit à petit : celle que vraiment, ma vie, ma personnalité seront différentes à partir de ce jour. Je ne sais pas comment cela va se faire, mais j’ai volontairement entamé un processus de mutation. J’ai aussi l’impression d’une germination en moi de quelque chose. Peut-être de moi-même, tout simplement : mon être nouveau, en devenir. Et cette impression se symbolise par la remontée à la surface quand le Frère Expert vient me chercher :
Du dessous de la terre à la surface, je monte comme une graine qui germe. Il me tient la main comme un Tuteur. Le fruit dans la terre s’est putréfié et en son cœur,  le noyau s’est nourri de cette même terre pour faire germer une nouvelle plante.
J’apparais comme Postulant pour les Frères de la Loge, les yeux bandés, genoux découvert et épaule dénudée.

Je remonte à la Vie. J’expérimente la verticalité de mon travail d’apprenti. Je serai qualifié de  néophyte quand j’apercevrai la Lumière. Puis reçu Apprenti au terme des épreuves de l’air, de l’eau et du feu. Toutes ces étapes constituent le processus de l’Initiation qui débute par la Mort. La mort du Profane que j’étais. J’ai pris conscience de cette mort symbolique après plusieurs tenues et un travail de réflexion progressif sur moi. La conscience du changement opéré commence par un retour en moi de ce que j’ai vécu. C’est un travail d’observation et d’analyse, de distanciation par rapport à soi. La première étape de VITRIOL : « Visita Interiorem »

Aujourd’hui je m’interroge beaucoup sur mon rapport au monde, aux autres :
J’essaie d’agir au mieux  en conscience en toute circonstance dans le monde profane. Je me « visite »  pour me « rectifier » dans mon comportement.

Puis-je  prétendre  participer à la construction d’un monde meilleur et fraternel en étant parfois superficiel et léger ? Ma de progression est immense ! J’y travaille aussi avec votre soutien fraternel.

Le travail de mutation qui a commencé lors de mon passage dans le cabinet de réflexion se poursuit par l’écoute en Tenue, et mon travail d’apprenti. J’ai conscience sans en mesurer l’amplitude du chantier qui m’attend dans mon temple intérieur, en Loge et dans le monde profane.

J’ai dit.

R\ H\

3012-F L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \