Obédience : NC Loge : NC 08/06/2009


Le Temple Intérieur ou : Conversation

Mes B.A.F., si j’ai intitulé ce travail sur le Temple Intérieur : « Conversation », la raison en est, vous le comprendrez plus avant, qu’il s’agit d’une conversation avec soi-même, avec les autres et avec les Temples qui peuvent n’en faire qu’un. J’ai aussi tenté de garder avec mes amis de réflexion : vous tous, le goéland, Saint Exupéry, le Bateleur entre autres, une cohérence et une ligne qui correspond à notre Loge et en particulier au thème de cette année Maçonnique. Vous ne vous étonnerez donc point d’entendre à nouveau des paroles de nos tenues ou de nos agapes.

La Nature est un Temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L’Homme y passe à travers des forêts de Symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité
Vaste comme la nuit et comme la clarté
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants
Doux comme des hautbois, vert comme des prairies
Et d’autre corrompus, riches et triomphants.
Ayant l’expansion des choses infinies

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Je pourrais m’arrêter là et engager avec tous une conversation sur le sens et l’exégèse de ce sonnet de Baudelaire dans Correspondances, sonnet qui nous plonge dans la réflexion des Temples de la nature et d’une intériorité certaine. « La Nature est un Temple ou de vivants piliers ».

Ou, me référer à d’autre poèmes du même Baudelaire comme : « Le Flambeau Vivant » :

Ils marchent devant moi, les yeux plein de lumières
Qu’un ange très savant a sans doute aimantés
Ils marchent ces divins frères qui sont mes frères
Secouant dans mes yeux leurs jeux diamantés.
Me sauvant de tout piège et de tout péché grave
Ils conduisent mes pas sur la route du beau
Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave
Tous mon être obéit à ce vivant flambeau.
Charmants yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu’ont les cierges brulant en plein jour ; le soleil
Rougit, mais n’éteint pas leur flamme fantastique.
Ils célèbrent la mort, vous chantez le réveil
Vous marchez en chantant le réveil de mon âme
Astre dont nul soleil ne peut flétrir la flamme.

Qui nous donne à penser et nous inspire l’aube spirituelle et l’initiation, qui peut nous rappeler la rencontre de Jonathan et des deux Goélands éclatant de lumière : « C’est un soir qu’ils arrivèrent, rencontrant Jonathan qui planait serein et solitaire dans son ciel bien aimé. Les deux goélands qui apparurent à toucher ses ailes étaient purs comme la lumière des étoiles, et l’aura qui émanait d’eux, dans l’air de la nuit profonde, était douce et amicale ». A nouveau, nous pourrions nous arrêter et engager une conversation suite de la première.

Continuons plutôt. Vous le savez, la Maçonnerie nous offre un chemin commun de symbolique et ce chemin devient le notre, par étapes, par étude et travail, par réflexion et par conversation, mot dont vous avez bien compris le sens que je lui confiais. Nous en avons le temps et cela prends du temps, un jour dans une maison marine je regardais rêveusement une horloge et pensais le temps « comme l’aiguille paresseuse des heures de l’horloge marine, cuivre sur bois, essayait par à-coups de rattraper l’heure qu’il devait être ».

J’ai donc essayé de suivre cette route et garder le souvenir des mémoires de moments et de sentiers en les mâchouillant et en les reliant du Temple de Salomon, des Bâtisseurs à quelques unes de mes réflexions et de celles de vous tous.

Si les Temples n’en font qu’un, c’est l’universalité du travail Maçonnique qui les réunit et, du Temple intérieur conduit au Temple cosmique de la Nature et de notre place dans le monde. Il est plus que soi, plus que la loge, il est l’universalité.

Ces Temples, ce Temple expriment la spiritualité de l’homme. Tous les temples, et le notre aussi, se pensent et se bâtissent sur un modèle ou une forme similaire : d’un extérieur exotérique à un intérieur ésotérique et du centre au cercle.

Ceux qui en Irlande ont visité ou connaissent le Tumulus de Newgrange monument mégalithique élevé plus de 3000 ans avant JC ont pu voir le décor extérieur de pierres, l’entrée protégée et le couloir sombre menant à la chambre mortuaire. Ce passage et cette chambre ne sont éclairés que quelques jours avec la plus forte intensité le jour du solstice d’hiver.

Les Temples Egyptiens (entre 2500 et 1000 avant JC) sont édifiés sur un plan incliné de manière à s’élever au fur et à mesure que l’on s’approchait du Saint des Saints. Cette marche, de la pleine lumière de la cour, à la pénombre de l’Hypostyle (salle dont le plafond est soutenu par des colonnes selon l’étymologie grecque) et à l’obscurité de l’Adyton symbolise le voyage divin.

Après le passage du Pylône, deux grandes tours ou piliers en forme de parallélépipède conique, la cour ensoleillée est accessible à tous. Le passage dans l’Hypostyle était réservé aux purs, enfin seul Pharaon et les Grands Prêtres avaient accès à l’Adyton, partie secrète ou siègent les Dieux (en égyptien Khem Sekhem « le lieu que l’on ne doit pas connaître »). Enfin, enfin dans l’Adyton était le Naos, chasse qui servait de demeure aux Dieux ou au symbole de la ou des divinités du Temple.

Le Temple de Salomon dont la construction sur le mont Horiya et les mesures sont décrites par Le Livre des Rois (I, Ch. 6 et suivants) qui vous a été présenté cette année daterait de 1000 ans avant JC. Il est composé d’une cour intérieure, l’Ulam, dans laquelle on entrait par des marches, entre deux colonnes passant par un parvis où étaient placées la mer de bronze ou cuve d’airain et l’autel des sacrifices, symboles de purification.

De l’Ulam on passait au sanctuaire ou Hekal seulement éclairé par des fenêtres grillagées. Enfin on arrivait au Saint des Saints ou Débir, lieu où était placée l’Arche d’Alliance, en un cadre de bois de cèdre, accompagnée de deux Chérubins plaqués d’or pur. Il n’est pas mentionné quelle lumière filtrait dans le Débir, mais une lucarne est mentionnée dans un autre rite. L’accès en était sombre comme les passages permettant d’accéder aux mystères des temples Grecs.

Les Cathédrales dont nous avons récemment suivi le voyage des Bâtisseurs correspondent à ce modèle de construction qui existait dans l’Art Roman avant de s’exprimer clairement dans l’art Gothique. C’est la Croix Latine. D’un Parvis, de marches et d’un Porche nous entrons dans la Nef, suivent le Transept et le Cœur liturgique ou l’Abside. Elles peuvent être dotées de bas-côtés, déambulatoires ou absidioles mais gardent une unité architecturale générant un clair obscur changeant avec la lumière perçant les couleurs des vitraux. En un sens différent, l’Autel liturgique reçoit souvent plus de lumière, halo assombrissant les contours.

Nous avons au cours de cette année parcouru un chemin qui nous  indique les étapes de notre parcours Maçonnique, du parvis, à l’initiation et plus loin, un peu plus loin. Nous avons rencontré avec l’étude du Temple une universalité spirituelle dessinée par une géométrie architecturale ternaire qui peut être considéré comme l’accès au secret du Temple Intérieur. S’il nous faut orner et accéder à notre Temple Intérieur, celui-ci devient un aboutissement ou une étape aboutie, comme un miroir qui renvoie les rayons de la vertu vers l’extérieur ou comme Le présente Cocteau dans Le Sang d’un Poète un miroir à deux faces qu’il faut traverser et retraverser pour, comme l’expriment deux très belles phrases de nos Rituels :

« Que la lumière qui a éclairée nos travaux continue de briller en nous pour que nous achevions au dehors l’œuvre commencée dans ce Temple » pour le REAA. et, « Nous n’avons donc qu’un seul but, celui de nous rendre mutuellement agréable et de communiquer le bonheur » pour Emulation.

Ou, comme nous l’a dit très récemment l’un d’entre nous : « Ayant creusé en moi, je dois aussi creuser autour de moi ». Nous entreprenons donc cette Conversation avec nous-mêmes et avec les autres et cherchons quelles vertus nous sont nécessaires à l’accomplissement d’être soi et homme du monde. De l’en-soi vers l’ex-soi, de l’harmonie de la nature vers l’harmonie parmi les hommes. Les vrais passages se faisant dans les deux sens, du cercle au point et du point au cercle.

La première de ces vertus est à mon sens l’Humilité, car l’Humilité élimine l’égoïsme, l’orgueil, l’envie, l’envie d’argent, de pouvoir, de gloire ou d’honneurs, tous et toutes nourricières de l’un des plus grands vices de toute époque, la Cupidité. Chacun en son en-soi choisit le chemin, les vertus à observer et les vices à occire pour accéder à la première des consciences, l’Ethique.

Quelques mots de l’éthique repris de l’une de mes planches de Grande Loge Provinciale : Y a-t-il une éthique Maçonnique ou bien le Maçon en tant qu'homme et Maçon se doit-il d'avoir une éthique ou plutôt d'être éthique ?

L'éthique peut-elle être associée à un adjectif qualificatif ou bien seul le substantif suffit. Dans le premier cas on peut assister comme l'a décrit Alain Etchegoyen à « la valse des éthiques » dans l'autre à la définition de Fichte dans « Le système de l'éthique » l'éthique se situant au-dessus de toute science philosophique particulière, au-delà de l'épistémologie.

J’ajouterai le concept d’Emmanuel Lévinas qui développe l’éthique comme devant être érigée en philosophie première bien avant l’ontologie (étude de l’être en tant qu’être) et que la responsabilité dont nous parlerons plus loin tient de l’altérité, c'est-à-dire « de la vue du visage de l’autre ».

« D'Aristote liant dans l'éthique à Nicomaque, l'éthique à la morale politique, à Platon prônant l'éthique des sages, et à Spinoza la faisant transcender du « causa sui » Divin, un champ de réflexion s’ouvre sur une idée d’Ethique.

Personnellement je suis sensible à l'éthique considérée comme vertu universelle proposée par Fichte comme une force de l'homme libre et de bonnes mœurs, comme état de « l'être éthique » ou être est employé en tant que verbe. Cette vertu nous est nécessaire dans notre vie de maçon, elle porte en elle la responsabilité de nos actes d'une manière universelle ».

Revenons à notre bergerie. Le Temple Intérieur étant le plus secret, le plus profond, c’est la lueur qu’il dégage qui devrait être le signal de sa sagesse et de son cœur. « Ainsi l’essentiel du cierge n’est pas la cire qui laisse des traces, mais la lumière » (Saint Exupéry, Citadelle)
Mais, mais, il est des enceintes dont les contours et les frontières ne laissent rien passer. Le miroir ne se traverse pas. Au cours de l’une de nos Agapes je vous avais déjà fait part d’une réflexion sur intérieur et extérieur décrits comme une osmose ou une contradiction. Le sujet me permettant d’y revenir, en voici les questions :

Peut-on voir en effet un extérieur lumineux sans savoir si l’intérieur l’est aussi ou s’il est sombre ?

A contrario un extérieur sombre, correspondrait-il au même ton ou à un intérieur ou luit une lueur qui n’est pas encore perceptible ?

Les images lumineuses du miroir ont-elles traversées depuis l’en-soi, ou bien ne sont-elles comme la Lune que reflets d’une autre source ?

Souvenez-vous de ce que dit Pascal dans ses discours sur la Condition des Grands en nous appelant à distinguer les Grandeurs Naturelles des Grandeurs d’Etablissement. Il n’est pas de notre ressort de colporter des jugements, mais de nous assurer que nous même puissions être reconnus et nous reconnaitre des grandeurs qui nous seraient attribuées. Mais, mais, il est d’autres cercles. Comme un galet lancé dans l’onde d’un lac calme qui engendre et forme des cercles concentriques, c’est ce point intérieur qui doit générer les lumières dans l’enceinte sacrée, c’est la lumière des Frères qui doit se distinguer au dehors parmi les proches, puis vers les autres en alter-ego.

La conscience de la vertu intérieure, épreuve de tout moment, armé de l’Humilité, est le travail de l’initié. Son rayonnement tiendra de l’Attitude Verticale du Maçon dans le monde. Son développement nécessite une conversation avec l’en-soi ou certains mots tiennent une importance capitale.

Réfléchissons un instant, entamons cette conversation et toujours mâchouillons les mots pour en avoir le sens et en garder la saveur. Faisons notre miel de quelques uns d’entre eux. Nous avons déjà mis en exergue l’Humilité qualité et condition indispensable à la réflexion intérieure comme à l’attention extérieure. Nous avons déjà placé l’Ethique en comportement et vertu universelle. Le suivant de ces mots lié à l’éthique et à la morale sera La Responsabilité qui doit nous mener à l’Exemplarité.

« Rien de ce qui se fait dans le monde ne se fait en vain » (nous dit Hegel). Et, même si nous pensons que les effets du battement de l’aile du papillon ne sont pas connus du papillon, l’homme lui, est toujours responsable de lui et de tout ce qu’il connait. Sartre (qui n’a pas fait que monter sur un tonneau lors des grèves 68 de Billancourt) nous dit que tout est choix, y compris le non-choix et il y corolle la liberté ; dans L’Etre et le Néant : « L’homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules, il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d’être » et dans L’Existentialisme est un Humanisme : « choisir d’être ceci ou cela, c’est affirmer en même temps les valeurs que nous choisissons ».

Est-ce si loin que ça de Saint Exupéry dans Terre des Hommes : « Etre homme, c’est précisément être responsable. C’est sentir en posant sa pierre que l’on continue à bâtir le monde ».

Dans la critique de la raison pratique, Kant lie l’action à une morale du devoir ou de lois et dit : « n’accomplissez que les actions dont vous savez qu’elles peuvent valoir de norme pour chacun ».

Ce qui conduit Max Weber à distinguer l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de la responsabilité, l’opposant à celui qui agit selon l’attitude de l’éthique de conviction (morale de l’état de Nicomaque ou lois religieuses). Vous le savez, je crois que l’Ethique, libre de tout qualificatif, représente la vertu primordiale.

Bergson lui, oppose deux morales (ce qui me parait plus juste que d’opposer deux éthiques) les morales closes qui reposent sur l’adhésion à la loi qui vaut pour tous et les morales ouvertes qui reposent sur « la présence d’un autre qui m’affecte et qui m’atteint. Je prends alors la responsabilité de m’ouvrir vis-à-vis de lui, celle de m’ouvrir au monde » c’est encore le principe d’Altérité.

Devons-nous balancer entre ces deux morales et nous diriger vers une morale close comme nous pourrions croire à tort que notre Ordre nous l’impose ou converser avec la morale ouverte. Je pense en réalité que la Franc Maçonnerie nous guide par un enseignement, une transmission et un respect de la tradition « car il est toujours possible de jeter bas le Temple et d’en prélever les pierres pour en construire un autre. Et l’autre n’est ni plus vrai, ni plus faux, ni plus juste, ni plus injuste. Et, nul ne connaitra le désastre, car la qualité du silence ne s’est pas inscrite dans le tas de pierres » Saint Ex. Citadelle). La Franc Maçonnerie  nous porte alors vers une Attitude de devenir permanent.

De la responsabilité occasionnelle « je réponds de ceci ou cela » ou il nous faudrait ne rendre compte que des effets provoqués, notre action d’homme et de Maçon tend vers une responsabilité permanente, quelle soit active ou passive, dont nous ne pouvons rendre compte qu’à nous même et en conversation en notre Temple Intérieur.

Un jour un de nos Bien Aimé Frère m’a confié qu’il avait parfois « crainte de faire mal sans s’en rendre compte ». Un jour j’ai trouvé cette phrase qui dit « faire le mal pour le bien est pire que le mal ». Un jour j’ai lu Saint Ex dans Citadelle : « Et si je fais la guerre pour obtenir la paix, je fonde la guerre. La paix n’est pas un état que l’on obtient à travers la guerre ».

Si nos temps modernes tendent à augmenter une non-responsabilité égoïste du risque zéro ; ils tendent aussi à diminuer une responsabilité individuelle, la part de l’individu par rapport à ses actes vis-à-vis de lui-même et des autres et générer ainsi le report vers une puissance état ou corps constitué qui se doit de tout résoudre même la mort.

Notre attitude de Maçon, celle de notre Loge et celle de tous nos Frères doivent se vêtir de la responsabilité individuelle et collective. Cette responsabilité ou conscience aurait soumis ses affects, nous dirions nos passions et imperfections, au contrôle suffisant pour orienter ses actes vers un but choisi. Ne vous semble-t-il donc pas alors évident que la responsabilité est le chemin de l’exemplarité ?

J’aurais pu bien évidement vous faire cheminer sur le voyage de Jonathan, accompagner le Petit Prince ou m’appuyer sur une étude des Arcanes Majeures du Tarot : du voile de la Papesse, aux conseils du Pape, au choix de L’Amoureux, au voyage solitaire de L’Ermite, à la paix de la Force jusqu’au Tétramorphe du Monde… Mais ceci est une autre histoire.

Enfin j’en terminerai en reposant la même question. Cette question aux aspects multiples semble d’extérieur, mais elle est aussi introspective. Le Temple Intérieur aussi pur qu’il peut être, est-il une forteresse, une chasse contenant un cœur fort, enfermé, sans effet, sans extériorité aucune, ou, la lueur miroir qui envoie ou reflète une vertu des hommes dans un espace aussi élargi que possible ?

Est-il tombe noire cachée par des miroirs en leurre et renvoyant une lumière venue d’ailleurs tellement enfouie que l’ombre s’y enroule ? Le Temple Intérieur fait-il partie d’un tout ? Temples ou chacun nécessite chacun, ou tous nécessitent tous. Temples se complétant et ne formant qu’un seul. « La nature est un Temple… »

P\ E\


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