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Voyage vers Le bleu

J’évolue avec vous depuis plus d’un an dans un univers de symboles. C’est d’abord la réalité d’un nouvel espace, le Temple et les tenues qui s’y déroulent. J’ai appris peu à peu que chaque donnée de cet espace apporte du sens, un sens qu’il me faut aller chercher, je suis devenu parmi vous un explorateur et pour cela je repars chaque fois en voyage.
Ces voyages ont commencé lors de mon initiation, au pays de la terre, de l’air, de l’eau et du feu. Depuis je n’ai plus cessé de repartir, même si je semble la plupart du temps assis sur mon banc au septentrion. Les voyages que j’effectue n’ont pas forcément besoin de mes déplacements physiques, ceux de mes frères et sœurs devraient me suffire, je dis bien «  devraient » car le billet de départ n’est pas automatique, il faut le gagner, ce qui honnêtement n’est pas toujours le cas. Parfois je m’assois vraiment et pourtant mon esprit s’en va, je rêve, je m’évade, les voix et la musique me portent, et là…je vois du bleu partout !…

Oui, regardez autour de nous, tout est bleu ici : l’espace symbolique de la Voûte étoilée, le tissu des banquettes et le revêtement des murs, les cordons des maîtres. Je suis tombé dans une frénésie de bleu, je ne sais pas d’ailleurs pourquoi j’emploie ce mot « frénésie » qui s’accommode bien mal avec la couleur bleue. Le bleu est peut-être la couleur la moins frénétique qui soit, comment pourrait-on la qualifier ?… Je ne sais pas… J’allais dire : « je ne vois pas ». Le bleu n’est pas une couleur voyante, on dirait qu’elle nous échappe en partie.

Et pendant que je suis là à vous parler depuis quelques instants, à commenter mes rêveries sur la ligne bleue des loges, je suis parti en voyage mine de rien. Car l’univers où vous m’avez initié a une autre réalité que celle du Temple et des tenues qui s’y déroulent, une réalité qui procède de celle-ci, par résonances, par associations, par correspondances, une réalité qui m’est propre que l’on pourrait situer dans mon esprit, mon cœur, mon âme, aucun de ces mots ne me satisfait vraiment, cet espace existe c’est indéniable mais où, je ne sais pas, nous l’appellerons faute de mieux mon existence. Et là, dans cet espace, à partir d’une rêverie, j’ai entrepris avec vous un voyage vers le Bleu qu’il me faut à présent organiser.

Cette couleur est la destination la plus impalpable qui soit, ma sœur Barbara avec qui vous poursuivrez le voyage vous le montrera si je puis dire. Pour ma part en bon apprenti je vais m’interroger à partir de ce que je vois et j’entends.

L’univers des loges ne brille pas par leur couleurs, ce n’est sans doute pas un hasard. Nous sommes en quête de lumière et nous devons nous méfier des illusions d’optique, des fausses lumières qui brillent ici ou là. Notre univers est essentiellement marqué par le blanc et le noir. Je ne vais pas m’attarder sur ces deux couleurs dont la symbolique est très accentuée dans nos traditions culturelles. J’ai déjà attiré votre attention sur cette troisième couleur qui passerait presque inaperçue bien qu’elle soit partout présente et n’est elle pas là seulement pour ça, passer inaperçue ?

Le bleu pourrait-on dire est une couleur passe partout. La plupart de nos panneaux de signalisation profane, à moins qu’ils ne marquent un interdit, sont écrits sur un fond bleu. Notre monde vu de l’espace est une planète bleue et notre vision terrestre baigne dans le bleu, celui du ciel et des océans. C’est une couleur qui fait partie du décor ambiant, on ne s’en soucie pas vraiment. On se préoccuperait plutôt pour le vert, celui des végétaux et de l’espérance ou pour le rouge, celui de la violence mais aussi de la vie. Le bleu ne préoccupe pas, il n’est pas attaché à des symboles qui sont des enjeux moraux comme le blanc ou le noir, il n’a pas  non plus l’intensité symbolique du rouge (c’est un méditerranéen qui parle… Il me semble que dans les pays du Nord le bleu est une quête perpétuelle… La carte postale du paradis sur terre est toute bleue…).

Le bleu semble naturellement doté d’une  puissance à l’infinie douceur, car tel nous apparaît le ciel les jours de beau temps. Et paradoxalement la puissance du bleu nous semble modeste, presque humble. Elle n’en rajoute pas, elle ne fait rien pour se mettre en avant, pour briller. C’est pour cette raison peut-être que nous l’avons choisie comme couleur emblématique de nos ateliers qui travaillent aux trois premiers degrés.

En effectuant des recherches pour ce voyage je me suis d’abord rendu compte que la valeur symbolique du bleu n’avait pas une place essentielle de nos jours, beaucoup de commentateurs maçonniques ne s’y attardent pas. Au contraire semble-t-il  du 18ème siècle où une abondante littérature a justifié son rôle, sans doute parce que cette première époque de la Franc-maçonnerie était influencée par des symboles à la fois religieux et aristocratiques où le bleu, nous le verrons, est une référence. De nos jours, les auteurs d’ouvrages symboliques que j’ai consultés n’insistent pas sur cette couleur et s’ils l’évoquent, ils mettent en avant  diverses sources qui ne permettent pas une lecture unique. Tous s’accordent pour l’interprétation de la couleur de la Voûte Etoilée qui symbolise le ciel et au-delà le cosmos, mais pour la couleur des cordons et  pour l’explication du titre générique « Loges bleues » les interprétations sont plus diffuses.

J’essaierai de vous donner par la suite des repères historiques, mais partons de notre réalité, de notre usage de cette couleur dans les expressions courantes, ce qui révèle nos différentes façons de la concevoir.  Si l’on vous dit  « nous sommes dans une loge bleue », comme ça, au débotté, à quoi songez-vous ?…

« Une loge bleue ? »… Mais où sommes nous ?… Cette couleur est une promesse d’événements surnaturels, son écran passe-partout est aussi une issue de secours qui nous mène de l’autre côté d’un miroir… Le bleu est un horizon chimérique, c’est d’ailleurs le titre d’une chanson que vous écouterez tout à l’heure. Pourquoi cette couleur nous évoque-t-elle un autre univers, indéfinissable, mystérieux ? C’est ce que nous allons essayer d’éclaircir.
Cette autre dimension qu’ouvre le bleu n’est d’ailleurs pas forcément positive : songez à Barbe-Bleue… Dans le langage populaire cette couleur est souvent dévalorisée, synonyme d’illusion, de mensonge…« il se fait des contes bleus », « je n’y vois que du bleu » ou alors synonyme de sentimentalité un peu naïve « une histoire fleur bleue »… Sans doute parce que la sagesse populaire privilégie la réalité, les forces vitales représentées par le vert « c’est un vieillard encore vert » ou le rouge, « rouge comme un coq », les manifestations rouges de nos sentiments même si elles sont excessives sont préférables aux bleues qui sont inquiétantes.

Etre bleu de froid, de peur ou de surprise est la manifestation d’une grande faiblesse, d’une perte de réalité… Pourquoi ? Le bleu n’est pas seulement la couleur du ciel ou de la mer pour nous pauvres humains qui nous sommes débattus pendant des millénaires, rivés à la surface de notre petite planète, nous avons dû longtemps lutter pour survivre et bleue est la teinte de notre sang lorsqu’il tourne au noir, la couleur d’un sang qui se vide de forces vitales, celle des hématomes, des bleus sur notre corps périssable.

Nous voyons ainsi s’ouvrir plusieurs champs d’interprétation : chaque culture et chacun de nous s’empare d’une réalité puis du mot qui la désigne et lui associe ses propres images. Le bleu, comme les autres couleurs, évoque un univers multiple ; chacun de nous le vit en fonction de son histoire personnelle mais aussi en fonction de sa culture d’origine où tout se mêle, l’histoire, la religion, les paysages, les mots de la rue, les chansons, le cinéma... On pourrait même distinguer une perception purement biologique des couleurs et leur vision qui dépend de notre culture. Dans l’Antiquité grecque et romaine on n’avait pas de mot précis pour désigner le bleu, certains historiens se sont même demandés si ces peuples percevaient cette couleur… Ils la voyaient bien sûr, tout comme nous, mais  ne lui attachaient pas la même signification. Quant est-il dans notre culture et plus particulièrement dans la symbolique maçonnique ? Et je reprends ma question de tout à l’heure, si je vous dis « loge bleue » à quoi pensez-vous ?

Est-ce une façon de désigner notre apprentissage, comme  par exemple dans l’expression «  c’est un bleu » ? Cette signification semble assez récente et désigne d’abord la couleur des vêtements des nouvelles recrues de l’armée sous la troisième République; par extension cela désigne un débutant dans un métier ou une tâche quelconque. Cette interprétation pourrait s’adapter à nos ateliers d’apprentis, on ne peut y voir une explication historique mais l’histoire n’est pas la seule voie légitime pour interpréter notre vécu, il serait peut-être plus important de se rappeler qu’ici nous sommes tous et pour longtemps des bleus dans la recherche de la vérité et dans le perfectionnement de nos actes. Oui nous sommes des bleus même si notre bleu de travail consiste en un tablier et des gants blancs.

Le deuxième thème possible et que j’ai déjà évoqué est celui des hématomes. On se fait des bleus quand on se cogne, ce qui est souvent le cas dans le travail sur la pierre brute. On se fait des bleus aux jambes, aux bras et même à l’âme. Le bleu est peut-être la seule couleur à définir un état d’âme, on en a tiré une musique que l’on nomme le blues. Le bleu est la couleur du sang morbide, il évoque un deuil sans cesse renouvelé dans nos veines et par extension  une mélancolie qui n’est pas aussi funeste que celle du noir, une mélancolie que l’on pourrait même qualifier de radieuse, celle de la Vierge Marie sur les vitraux des cathédrales sur laquelle nous reviendrons. Le bleu est la teinte d’une mélancolie sereine et personnellement il me plaît de voir dans ce Temple où nous sommes réunis l’idée d’un deuil que j’ai déjà vécu dans le cabinet de réflexion mais aussi du deuil prévisible d’un idéal par trop inaccessible, le deuil en fait qu’il est nécessaire d’accomplir pour ne pas se perdre dans un monde illusoire et pour tout simplement avancer.

Le bleu n’a pas l’éclat du rouge ou de l’or, s’il nous permet de nous évader il ne nous enivre pas, c’est une couleur raisonnable et sa paisible mélancolie génère de nouvelles valeurs qui nous sont chères dans ce Temple.

D’abord celle de l’humilité. Les siècles passés sont parcourus dans notre tradition chrétienne par une polémique sur les couleurs. Les courants les plus spiritualistes, les moines du Moyen-âge et plus tard les Protestants, ont assimilé la couleur au luxe, au monde de la matière, ici nous dirions aux métaux. Nous sommes en quelque sorte les héritiers de cette longue quête spirituelle qui recommande une absence de couleurs en privilégiant les teintes sobres, le blanc, le noir et le bleu qui a longtemps été considéré comme une couleur neutre.

Une deuxième valeur est celle du travail. Depuis le Moyen-âge, des paysans au bleu délavé jusqu’aux ouvriers, cette couleur habille les gens simples oeuvrant dans leurs champs ou leurs ateliers.

La troisième valeur qui transcende les deux premières et leur donne un sens est celle de la spiritualité. Le blues par exemple trouve son origine dans les negro spirituals, le chant des esclaves noirs. Ils l’entonnaient  pour se donner du cœur à l’ouvrage, ils chantaient leur douleur mais le fait de chanter tous ensemble nous élève, notre voix prend la teinte du ciel, celle de la nuit comme celle du jour.

Car le bleu permet une continuité dans l’alternance du jour et de la nuit, il nous mène de midi à minuit en seulement s’obscurcissant à la clarté de la lune. Il adoucit ainsi cette dualité qui rythme notre existence, le diurne et le nocturne. On jurerait même que c’est lui le fil conducteur, que c’est le bleu qui transmet la lumière.

Là, au-dessus de nos têtes le bleu nuit de la Voûte céleste permet de distinguer les étoiles. Le bleu ciel des cordons distingue une autre lumière, celle que doivent apporter les maîtres de notre atelier. Le bleu profond de notre Temple est un passage vers l’éclat du Soleil, de la Lune et du Delta lumineux qui scintillent à l’Orient au dessus du Vénérable Maître. Et ici, où j’ai été conduit aujourd’hui, c’est le rouge qui règne.
Le bleu nous a ouvert des portes invisibles, il nous guide et nous permet de nous frayer un chemin vers la lumière.

En fait le bleu est la couleur la plus immatérielle qui soit. Le ciel et la mer ne sont constitués d’aucune particule bleue et c’est pourtant bleus qu’ils nous apparaissent. Le bleu est presque une couleur imaginaire qui induit un mouvement celui de l’esprit, du moins c’est ainsi que l’ont conçue plusieurs traditions mystiques. Le bleu correspond souvent à l’ouverture à la transcendance, à l’immortalité. C’est le cas dans le bouddhisme tibétain où il désigne la Sagesse du Dharma-dhâtu, la Conscience universelle. Chez les anciens Egyptiens, comme dans la plupart des peuples du Moyen-Orient, le bleu porte bonheur, il éloigne les forces du mal et protège les défunts dans l’Au-delà. Dans de nombreuses religions le bleu symbolise l’ouverture à la vie éternelle, ainsi dans la Bible, Luz, ville d’immortalité, ville de Lumière, est appelée la Cité bleue. 

L’interprétation de certains commentateurs francs-maçons privilégient cette thématique, soit dans l’évocation du deuil, soit en insistant sur l’ouverture à la vérité éternelle. Je ne sais pas, le Tibet, les anciens égyptiens et même la Bible désormais semblent éloignés de ma réalité. Par contre il m’a paru intéressant de noter le lien du bleu avec la lumière. Tout se passe comme si dans le ciel, celui que l’on perçoit tous les jours comme celui hypothétique de notre vie éternelle, la lumière avait besoin du bleu pour nous apparaître. Si nous appartenons à la maçonnerie bleue n’est-ce pas pour percevoir une lumière au bout du chemin ?…

Je me souviens de ma chevauchée automobile à travers le désert de la Crau. C’était un soir de décembre, tout était bleu et sombre dans ce vaste horizon où j’aurais pu m’engloutir. Vous, vous prépariez à m’accueillir, moi j’étais bleu de trouille et lorsque le bandeau s’est détaché de mes yeux, la lumière a jailli dans un univers étrange,  une caverne bleue où je ne sais plus lire, ni écrire. Et c’est encore le bleu qui m’amène aujourd’hui à chercher autour de moi et tout au fond de moi, à réapprendre à lire et à écrire.

Et depuis mon initiation, même si je n’ai pas encore de cordon, je deviens certains soirs comme d’autres frères et sœurs un  « cordon bleu ». Comme vous le savez cette expression désigne un excellent cuisinier. Cela a-t-il un rapport avec les cordons bleus de nos maîtres ? Pourquoi pas, certains d’entre vous ont été maîtres des banquets et y ont révélé leur talent ou leur dévouement. Mais cette expression est aussi très utile sur le plan historique. D’après l’ouvrage de Claude Duneton Le Bouquet des expressions imagées qui a été pour moi une source d’informations, cette expression « cordon bleu »  fait allusion, sur le mode humoristique, au cordon de l’Ordre du Saint-Esprit, une décoration similaire à notre légion d’honneur mais qui était réservée sous l’Ancien Régime aux aristocrates. Certains peuvent même y voir une explication historique de la couleur des cordons maçonniques, du moins en France : depuis le début de la maçonnerie le cordon des maîtres serait bleu afin d’imiter le baudrier d’un autre Ordre royal, les Chevaliers de St Louis. D’autres expressions désignent la noblesse par la couleur bleue  « avoir du sang bleu » et même les ancien jurons « sacrebleu », « morbleu » qui permettaient  aux nobles de ne pas employer le mot Dieu, blasphème que le peuple se permettait.

Le bleu est une couleur indissociable dans notre pays d’une symbolique politique, elle a d’abord été l’emblème de la France royale avant de devenir celui de la République. Afin de vous le montrer, notre voyage va se poursuivre par une rapide archéologie du bleu en Occident comme symbole du pouvoir à la fois religieux et politique.

La civilisation gréco-romaine dont en grande partie est issue la nôtre ne connaissait que trois couleurs symboliques : le blanc, le noir et le rouge. Le bleu n’est mentionné nulle part, dans aucun rituel, ni même dans le spectre de l’arc-en-ciel. C’était alors une couleur neutre symboliquement et même dévalorisée dans l’empire romain. Il est instructif de noter que le mot bleu en français vient d’un terme germanique,  contrairement à la plupart des mots désignant les autres couleurs que nous avons hérité du latin, même le mot « azur » vient de l’arabe.

L’église Chrétienne jusqu’au 12ème siècle a repris la symbolique des rites antérieurs où le blanc, le noir et le rouge prédominent, elle y a seulement ajouté le vert.
A partir du 12ème siècle on assiste à un retournement en faveur du bleu, que s’est-il donc passé ?
D’abord un essor économique qui va permettre un développement artisanal et artistique : le 12ème  et le 13ème siècles sont  l’âge des cathédrales où travaillaient les premiers francs-maçons. C’est  l’art du vitrail qui va mettre en valeur le bleu, couleur lumineuse du ciel et des vêtements de deuil de Marie et lui donner ainsi une valeur spirituelle.

Le 12éme siècle est également l’âge des armoiries : chaque seigneurie va se choisir un blason et celui de la Maison de France sera constitué d’un fond azur frappé de fleur de lys d’or. Dans la symbolique héraldique l’azur signifie la justice, la loyauté. Ce sera également la couleur des armes du roi Arthur, ce roi légendaire, héros de la quête du Saint-Graal, qui deviendra un des mythes fondamentaux de notre culture.

Ainsi, après avoir été dénué de valeur symbolique, le bleu va progressivement devenir un emblème qui supplantera le rouge comme symbole du pouvoir associé à celui de la spiritualité. Le bleu va se répandre dans les modes vestimentaires et  les techniques artistiques et va représenter la couleur royale, la plus noble des couleurs. Au 18ème siècle, lorsque les premiers ateliers vont s’ouvrir en Europe, la franc-maçonnerie sera nommée l’Art Royal et même de nos jours certains l’appellent la voie royale. Cette expression est depuis dénuée de tout sens politique encore moins aristocratique, le bleu serait même devenu et dès le début de la maçonnerie un symbole d’égalité puisque tout frère qu’il soit ou non noble ou catholique peut porter le cordon des maîtres. N’oublions pas par ailleurs que notre rituel n’est pas d’origine française. Le choix des couleurs ne peut se comprendre en négligeant les nationalismes qui ont joué un rôle prépondérant dans les Temples, surtout à cette époque de changements politiques.

La Franc-maçonnerie s’est répandue à partir des îles britanniques. Notre rite est de tradition écossaise, et justement la couleur nationale de l’Ecosse est le bleu, ce qui apporte un nouvel éclairage à la présence de cette couleur dans nos ateliers.
Les événements historiques  vont rapidement lui attribuer d’autres valeurs. Nous sommes alors à la fin de cette époque charnière appelée siècle des Lumières, celles des révolutions qui apportent la Liberté,  l’Egalité, la Fraternité que nous acclamons ici à chaque tenue. Il serait tentant de mettre en relation ces trois valeurs de notre République avec les trois couleurs du drapeau national : bleu, blanc, rouge. Ce serait  une interprétation forte et idéaliste mais encore une fois la réalité me semble  plus à chercher du côté des symboles politiques. Le travail de l’historien Michel Pastoureau fait référence pour l’étude des couleurs, notamment son ouvrage récent Le bleu, histoire d’une couleur. D’après lui,c’est l’indépendance des Etats-Unis qui a influencé les révolutionnaires français pour l’adoption de la cocarde tricolore. La jeune nation américaine en reprenant sur son drapeau  les couleurs du Royaume Uni,  son ancienne puissance coloniale,  avait fait  de l’association du bleu, du blanc et du rouge, l’emblème des forces de progrès, porteur des idées d’émancipation, de démocratie et de droits de l’homme.

La République française a progressivement promu le bleu pour la représenter, alors que le blanc correspondait alors à l’idéal monarchique et le rouge, aux forces de la gauche radicale.
Le bleu représente depuis l’idéal républicain, raisonnable, modéré et de nos jours plus ou moins conservateur. Au 20ème siècle le bleu est devenu en France la couleur de l’Etat : la plupart des uniformes l’arborent, cette couleur représente  l’ordre et le service public. Couleur de la République et même couleur de la France surtout lorsque l’ensemble du pays, que l’on soit blanc, black ou beur, se retrouve derrière ses équipes sportives.
C’est ainsi que la couleur bleue, tout comme nos bleus ateliers, a traversé les siècles et les régimes politiques ; elle a su s’adapter bien mieux que toutes les autres couleurs aux bouleversements historiques. A l’heure actuelle elle a été choisie pour représenter l’Europe dont le drapeau parsème d’étoiles un fond bleu.

Elle est même devenue couleur universelle, les drapeaux de l’UNICEF, de l’UNESCO, de l’ONU,  les casques de nos soldats qui œuvrent  pour la paix sont également bleus. Le bleu triomphe dans notre société, mais toujours à sa manière, sobre, pacifique, on pourrait même dire morale.

Avant de laisser la parole à Barbara, permettez moi de finir sur une touche moins officielle,  je pourrais vous chanter la java bleue, la java la plus belle, ce ne serait pas convenable, nous attendrons les agapes, j’ai préféré un passage d’un poème de Jacques Prévert qui nous parle d’un étrange regard bleu qui pourrait être le nôtre. 

« A Arles où coule le Rhône
 Un homme de phosphore et de sang
 Pousse une obsédante plainte
 Il a le regard bleu et doux
 Le vrai regard lucide et fou
 De ceux qui donnent tout à la vie
 De ceux qui ne sont pas jaloux ». 

…j’ai dit.


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