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Les 3 voyages...


J’étais dans le ventre de ma mère, j’avais la connaissance et j’étais bien. Un ange, de son index, me marqua d’un sillon la lèvre supérieure m’ordonnant le silence sur le Tout, le Un et la cosmogonie. Il était l’heure et j’étais prêt. Le passage fut étroit, l’extraction douloureuse et l’émergence basse. Mon sang battait chamade et mes poumons collés espéraient l’insufflage; mon corps endolori ne voulait qu’ablutions et mon cœur, sans raison, appelait à l’amour et son brasier de vie.

Ainsi suis-je né une première fois, physiologiquement, extirpé de l’amniotique germinatif par une main inconnue, peut-être charitable. Ainsi ouvrais-je mes yeux sur un monde flouté, nouveau, promesse de découvertes et de culture profane.
À l’instar de notre mise au monde, au sortir de l’œuf maternel, notre naissance philosophique, notre initiation, passe par les épreuves de l’Air, de l’Eau et du Feu et ce, après l’enterrement symbolique du vieil homme qui est en nous: Terre d’où l’on vient, terre où l’on retourne, terre de toute germination, ventre et caveau tout autant... Au post mortem puis post-partum depuis cette grotte, à l’unique sortie, commencent donc nos voyages d’apprenti, mort et résurrection du néophyte. Aveugle et dénudé, nous cheminons d’obstacles en obstacles sous un assourdissant vacarme (signifiant de nos batailles et passions humaines non maîtrisées), au travers d’un labyrinthe dont nous souhaitons assurément l’issue, inatteignable seul s’il n’y avait cette main experte, souhaitée fraternelle et responsable, nous soutenant et nous guidant tour à tour.

Et, parce que nous sortions de la terre, l’humus, dense et passive matrice, et que nous aspirions malgré nous à sa fécondation par le volatile, le fluide et le subtil qui nous feraient germer à la renaissance, notre premier voyage nous inflige l’élément premier de nos inconscientes attentes: L’AIR, l’air dont le futur apprenti ne connais rien et qui pourtant s’impose comme le prémice de la vie, tel le vent de Dieu tournoyant sur les eaux de la Genèse. Intermédiaire entre le Ciel et la Terre chez les égyptiens (Shou), souffle vital et cosmique par Vâyu dans la mythologie hindoue, Parole sèche chez les dogons, élément mâle et actif de par sa verticalité transportante de lumière, son et odeur et, de facto, symbole de spiritualisation, l’air, associé au vent, insuffle la vie, le verbe, l’âme qui devient le “moi” intérieur, psychique, inscrivant en profondeur l’Esprit et la surnaturalité. Ainsi, l’impétrant recevant le souffle en aveugle, car il n’a pas encore la lumière, peut enfin respirer et expirer et, si le potentiel ainsi inscrit en son tréfond lui permettra de recevoir et donner, apprendre, assimiler, analyser et puis... commencer à construire, cela ne sera que lorsqu’il lui sera révélé par progression en ses voyages. En cet instant, le souffle offre la Vie à celui qui n’en a pas encore la conscience; c’est le principe non manifesté. Il lui faudra espérer, attendre encore l’assimilation des autres “facteurs” essentiels à la symbiose universelle
dont il est partie prenante.

Car l’air est indissociable des autres éléments primordiaux. Sans quoi, les uns comme les autres, ne pourraient qu’être essentiellement destructeurs de par leur antithétisme et la sous Jacence ordalique qui les composent. Car, si l’air provoque la vie primaire, propose la communication entre l’homme et l’homme, l’homme et la nature, entre l’homme et le cosmos, il peut intrinsèquement détruire, ravager, tuer. Il en est de même, et peut-être plus inéluctablement encore, pour l’eau et le feu lorsque, séparé les uns des autres ils apportent le chaos d’avant la création, ramènent au Chéol et non à la vie.

Cette indissociabilité, cette nécessité de complémentarité participe d’une fusion originelle qui, partiellement mais notoirement s’inscrit dans leur composition chimique: L’air, mélange gazeux, contient principalement azote et oxygène, oxygène que l’on retrouve dans l’eau, constituant principal de l’être vivant, complété d’hydrogène sans lequel la combustion qui du feu dégage flamme, chaleur et lumière n’aurait pas lieu. Aussi, de l’eau, par le feu évaporée, pénètre en sustentation dans l’air dont elle devient part entière. D’aucuns chimistes hermétiques parleront d’“eau ignée” en désignant le mercure, comme solution du retour à l’état indifférencié. Nos anciens nous l’ont appris et par l’hexagramme représentation du Sceau de Salomon nous constatons l’évidence des liens unissant l’ensemble des éléments de l’univers et de leur interaction: l’Air combine l’humide et le chaud; l’Eau, l’humide et le froid; le Feu, le chaud et le sec; la Terre le froid et le sec. Ces combinaisons et correspondances se multiplient ainsi avec les sept planètes et sept métaux de base de la pensée hermétique (or-soleil/argent-lune/vénus-cuivre/mercure­mercure/plomb-saturne/étain Jupiter/ fer-mars), le tout dans la synthèse des opposés représentant l’unité cosmique et par deçà, la division des multiples tendances de l’être en union avec son principe créateur, comme la transmutation alchimique de l’imparfait, comme la transformation du plomb en or. Ce qui n’est pas sans nous rappeler le cabinet de réflexion qui nous présentait le soufre (tel l’Esprit), le sel (telle la Sagesse) et le mercure et où, en renaissant, nu, nous avons laissé nos métaux et autres sept péchés capitaux pour affronter les épreuves de l’initiation.

L’heure, hors temps, de notre deuxième épreuve sonne alors car le souffle nous a offert la première réflexion, une incitation à la sagesse et à la prudence sur le chemin à parcourir qui aurait pu être mortel si le secours de notre expert n’avait été compris... maintenant nous sommes prêts. Les bruits, frottements d’armes blanches, et les obstacles, de fait, s’apaisent sur notre route, comme si nous commencions à dominer les combats obsolètes et les pulsions corruptrices de notre quotidien profane avant de recevoir l’aspersion purifiante et regénératrice. L’EAU. L’eau, materia prima, primordiale parce que portant en son sein l’infini potentiel, creuset de la création et de l’éternité, la totalité des possibles manifestations, la source et le ressourcement de vie. De l’Islam au Japon en passant par les anciens taoïstes, les chrétiens... l’eau participe, par immesrsion de l’impétrant, de la rituelle purification et de la régénérescence dont elle est le centre; l’eau est symbole du vœu en initiation tibétaine et s’identifie en Asie à la Vertu et à la Sagesse. Que dire donc de cette aspersion vécue par l’apprenti maçon si ce n’est qu’il communique en l’instant avec son originel, se ressourçant, se purifiant et se regénérant. Voilà peut-être le sens du baptême tel que Jean le pratiquait au Jourdain tout en rappelant à l’immergé que celui qui viendrait après lui baptiserai par le feu. Par cette eau baptismale, par cette “Eau Vive” l’homme ancien meurt et conduit à une nouvelle naissance.

Mais peut-être plus encore que les autres éléments, l’eau est paradoxe. Elle donne la vie, précède la création comme le chaos décrit dans la genèse biblique, et inflige la mort par les Grandes Eaux et le déluge punitif. Elle tue le pêcheur et fait renaître le juste, elle est en cela et dans les textes ordalie divine. Elle est le meilleur et le pire à la fois... Etrange n’est-ce pas comme l’homme que je suis lui ressemble? Ainsi s’interroge l’éternel l’apprenti. Toujours plus duale, elle se scinde en Eaux supérieures, fécondantes venue du ciel, associée au sang céleste par le feu descendant, le soleil et la foudre, et les Eaux Inférieures, les mers amères, les eaux naissantes de la terre, associées au sang menstruel et à la lune. Alors que l’Eau, à l’instar de la Terre, est féminine dans son entité matricielle, liquide originel; dans sa forme supérieure, tel le feu, elle se fait masculine et active. Peut-on alors se permettre de parler d’androgynie, voire d’hermaphrodisme dont l’étymologie nous ramène au fils d’Aphrodite et d’Hermès (le Mercure romain), et retrouver ici l’Eau Ignée, l’eau en feu, de l’hermétisme alchimique ?

Par cette aspersion, l’apprenti purifié et régénéré retournerait à son état primal et indissocié. Mais il se doit de voyager encore pour contempler la vérité lumineuse inscrite en lui-même depuis son “baptême de l’air”, insufflée lors du premier voyage. C’est dans cet état qu’il va subir l’épreuve du feu et traverser persévérant les flammes pour s’en nourrir sans s’y brûler.

Si chacun s’accorde à dire que Le Feu, comme l’eau, est purificateur et source de régénérescence, qu’il symbolise l’amour et l’illumination, l’esprit et la transcendance, la doctrine hindoue, elle (dont Brahma, l’Esprit est identique au feu) offre à notre compréhension une ternarité dans sa représentation: Le feu ordinaire est Agni, la foudre est Indra et le soleil Sûrya. Au même titre que le nombre des 4 éléments fondateurs s’assimilent aux 4 saisons, aux points cardinaux ou aux dimensions du Nadir au Zenith, par une interprétation numérologique personnelle j’accorderais un nombre à chaque élément et ce dans l’ordre des voyages de l’apprenti. Un serait l’air (tel le logos du prologue de Jean), lien du ciel et de la terre; Deux, (a l’instar de la “terre mosaique”) serait l’eau dans sa séparation haute et basse; le feu serait Trinitaire... Le Tout se devant de retrouver en soi le Un (comme principe antérieur) dans l’ontogenèse vécue par l’apprenti lors de son initiation permanente.

Dans le Taoïsme, entrer dans le feu permet de se libérer du conditionnement humain comme à la Pentecôte l’esprit descend en langues de feu transcendant ainsi les messagers de La Bonne Nouvelle. Ainsi Le Feu est Révélateur et Vérité, Amour et Pureté (Pur et Feu ne forme d’ailleurs qu’un seul mot en Sanscrit) par le combustif prolongement de la lumière, car s’il brûle, dévore et consume, il éclaire l’homme de son incandescence, l’illumine de compréhension intérieure: “...et le feu fut surpris en nous avant d’être arraché au ciel”, comme l’écrivait Bachelard.

Mais le Feu ne se départit pas de sa propre antithèse à l’unisson de ses complémentaires, il offre la lumière mais peut être aveuglant: de la colère divine aux flammes de l’enfer jusqu’au pacte d’Amour des buissons ardents, tel celui passé avec Abraham, oubien le feu sacré du Temple préservé de sa destruction à sa reconstruction; il demande l’apprivoisement à celui qui ne veut pas s’en faire dévorer. Il oblige l’apprenti forgeron, ainsi que l’initié, à le maintenir en braise, le calmant parfois d’aspersions maîtrisées, avant qu’un simple souffle d’air vienne à le ranimer. Enfin, on concevra que le feu de la terre et le feu du ciel se distinguent dans leurs connotations respectives tantôt Esprit et purificateur (percussion et éclair), ouranien illuminant, tantôt chtonien, intellectuel et procréateur (obtenu par frottement) et que cette opposition apparente s’avère enrichissante à l’homme nouveau qu’est l’initié. Car c’est à la maîtrise et la compréhension du feu complexe, telle la Salamandre qui s’en nourrit sans en mourir, que l’apprenti est appelé, afin d’en propager intra et extra templum l’Amour résiduel.

Ainsi l’apprenti perçoit-il les trois éléments de ses voyages qui ne font que commencer sous la course solaire de sa vraie vie, de l’orient à l’occident, de l’aube au coucher, avec Sagesse, Vertu et Persévérance par l’Amour révélés. Ainsi l’Apprenti subit-il l’ontogenèse par ces 4 épreuves, dont les 3 initiatiques qui le font passer d’un état à un autre et découvrir ses potentialités en se recréant, enfin, en conscience.


J’ai dit V\M\.

H\ M\

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