La chaine d’union

Sur le plan rituel, la Chaîne d’Union se pratique en fin de Tenue, sur invitation du Vénérable Maître, mains dégantées, et peut revêtir deux formes :

Une forme courte, bras croisés sur la poitrine, bras droit au-dessus. C’est cette forme qui sera employée chaque fois qu’il sera question d’un Secret (comme la fermeture de la Loge, par exemple).

Une forme longue, bras ouverts, qui sera utilisée dans tous les autres cas.

Quelle que soit la configuration, la main gauche reçoit, et la main droite donne, favorisant ainsi la circulation, et donc la transmission de ce flux mystérieux, mais bien réel, qui parcourt tous les Frères réunis.

Si vous m’y autorisez, je souhaiterais revivre avec vous le processus initiatique du profane, processus qui le conduit vers sa première Chaîne d’Union et son statut d’apprenti de la Loge.

A l’intérieur du Cabinet de Réflexion, j’ai pu déjà observer les premiers signes : ce Testament que l’on rédige, dans le but de quitter une vie et de renaître dans une autre, n’est-ce-pas le symbole du Baptême pour tous les Catholiques, Apostoliques et Romains ?

La renaissance… Mais, la renaissance vers qui, vers quoi ?

La matière disparaît, l’âme s’évade vers un autre monde…

La Tenue Maçonnique régulière me rappelle précisément ce concept.

Lors de l’ouverture des Travaux, les Frères se sont débarrassés de leurs métaux, de leur statut social, de leur pouvoir dans le monde profane, de leur fortune ou de leur misère, et seuls les esprits tendent, en commun, vers la Lumière et la recherche de la Connaissance, mais également vers cette véritable Communion que représente la Chaîne d’Union qui aura lieu en fin de Tenue.

Mais qu’en est-il pour le profane ? Il en va différemment lors de la Tenue au cours de laquelle se déroule son Initiation…

Mon ressenti personnel à ce moment crucial que représente l’Initiation, est que, tout au long du déroulement de ce Rituel, l’objectif poursuivi sera, mais le profane que je suis l’ignore encore, la participation à ma première Chaîne d’Union.

Ca n’est qu’à la suite des Epreuves de l’Air, de l’Eau et du Feu, et à la fin d’une ultime délibération, hors ma présence, que l’on m’a invité à être introduit dans ma première Chaîne d’Union, non sans que le Vénérable Maître insiste sur la question de ma capacité à accorder le pardon à un éventuel ennemi que je serais susceptible de rencontrer au sein de cette Assemblée.

Je me suis senti alors un nouveau maillon qui, après que mon Parrain m’ait présenté le miroir et donné l’accolade, a véritablement été intégré à cette Chaîne.

Et c’est là, je crois, le moment de ma véritable entrée en Franc-Maçonnerie, l’instant précis où je me suis métamorphosé en Frère Apprenti de la Loge.

Pour conclure avec cette première approche, il me semble que tant le Cabinet de Réflexion que les Epreuves subies par le Profane, ne tendent qu’à l’emmener, qu’à l’emporter, vers la Communion Fraternelle, et donc vers sa première Chaîne d’Union, dont elle est le plus puissant symbole.

La chaîne constitue assurément le symbole des liens entre le Ciel et la Terre, entre deux extrêmes ou deux êtres.

Platon fait allusion à la corde lumineuse enchaînant l’univers : chaîne d’or qui, là aussi, relierait le Ciel et la Terre.

Une chaîne reliait la langue d’Ogmios, le dieu gaulois (1), aux oreilles de ceux qui l’écoutaient : symbole du dieu de la parole qui enchaînait ses auditeurs par son éloquence.

Pourrait-on imaginer que la Chaîne d’Union figure le mode abouti et le plus ultime de la transmission Maçonnique, à l’opposé en cela au Signe Pénal, symbole individuel abouti et ultime de l’engagement au Secret ?

La Chaîne est le symbole des liens de communication, de coordination, d’union, du mariage, de la famille, de la cité, de la nation, de toute collectivité et de toute action commune.

Dans le Temple et sur le Tableau de Loge, on retrouve une corde – ou cordeau – ou houppe dentelée – comportant des nœuds allongés formant chacun le signe de l’infini, mais également nommés « lacs d’amour ». Cette corde symbolise les liens qui unissent les membres d’un corps social. Elle symbolise la Chaîne d’Union qui unit tous les Frères.

Mais un examen attentif de cette corde révèle que les nœuds se trouvent placés au Nord, à l’Orient et au Midi. Ils semblent suivre le sens du déplacement en Loge, en mettant l’accent sur les points cardinaux essentiels de la symbolique initiatique :

- le Nord : domaine de la gestation, de l’initiation et de l’apprentissage.
- l’Orient : aire de la Création et de la Consécration.
- le Midi : zone dévolue à l’engagement dans le monde, au respect de ses obligations envers l’Ordre, envers ses Frères, et envers tous les Hommes, à l’accomplissement de sa mission avant que de se préparer au départ pour l’Orient Eternel.

Seule la région de l’Occident demeure dégarnie. On n’y trouve ni corde ni nœud, ce qui ne surprend pas véritablement, puisque cette zone, constituant l’aire du Ponant, s’avère constituer le lieu de la disparition de la lumière.

C’est la porte des ténèbres, dont le royaume s’étend du couchant au levant, et qu’il convient de ne pas confondre avec l’univers d’influence dévolu à la Lune, dont le cheminement s’accomplit du Septentrion au Midi.

Cependant, ne constatons-nous pas ici une troublante analogie entre cette chaîne ouverte à l’Occident et la seule forme de Chaîne d’Union ouverte à laquelle il m’ait été donné de participer : la Chaîne de Deuil, ouverte sur le corps et l’esprit du Frère passé à l’Orient Eternel ?

Les Maçons opératifs utilisaient une corde à nœuds pour prendre des mesures, dessiner des angles, établir des rapports de proportions, tracer les plans d’un édifice et déterminer son implantation. Et c’est avec beaucoup de logique que l’on constate tant de ressemblances, voire de similitudes entre nombre de monuments érigés dans l’Europe entière et au Moyen-Orient. Le Savoir et les « Modi Operandi » se transmettaient en effet de manière orale au sein des membres de l’Ordre, et c’est avec les bases communes à tous, transmises par cette forme de Chaîne d’Union, que s’exprimaient par la suite les talents et la créativité de chaque Frère dans son individualité.

En Chine, le Tao, ou la Voie, le Chemin, c’est-à-dire les principes métaphysiques et leur connaissance, est appelé la « chaîne de la création entière ». Adhérer strictement à la voie de la tradition antique, c’est avoir en mains tous les fils de l’existence actuelle, posséder tous les éléments du cycle présent (…) connaître le commencement de la tradition, les principes, origines primordiales d’où tout découle. C’est ce qu’on appelle la chaîne et la trame de la voie, son reflet, son évidage.

Dans toutes ces représentations de la Chaîne d’Union, et, sans doute dans bien d’autres encore, ne retrouve-t-on pas le symbolisme puissant de la Chaîne sans fin qui matérialise l’universalité de l’Ordre, et rappelle à chacun que « tous les vrais Maçons, quelle que soit leur patrie, ne forment qu’une seule famille de Frères, répandus sur la surface de la Terre » ? (2)

Peut-on considérer que quelque chose « circule », se transmet, lors de l’accomplissement d’une Chaîne d’Union ? Un courant électrique, un champ magnétique, un fluide mystérieux ? Quel que soit le substantif que l’on attribue à cet évènement – mystérieux ou pas – tous les Frères que j’ai interrogés m’ont fait part d’un ressenti comportant un point commun universel : le renforcement du sentiment de fraternité, auquel le contact charnel et durable de la main dégantée – en signe de pureté – aujourd’hui quasiment disparu de nos sociétés modernes, sinon entre membres d’une même famille, contribue assurément d’une manière significative.

La notion de chaîne conduit parfois à un rapprochement analogique entre la Chaîne d’Union et l’objet matériel « chaîne ».

D’aucuns prétendent que la force de la Chaîne d’Union est celle de son maillon le plus faible, l’idée sous-jacente étant que la Chaîne d’Union puisse se rompre.
Mais qui est ce maillon le plus faible ? Moi ? Vous ? L’un d’entre nous, c’est certain. Chacun de nous, un jour, c’est certain également. Il est de notre devoir de Maçons de soutenir et de renforcer ce maillon provisoirement faible, afin d’assurer la cohésion de la Loge.

Permettez-moi de croire, au contraire, que la Chaîne d’Union qui unit tous les Frères au sein du Temple possède la force de son maillon le plus fort, car c’est ce dernier qui insuffle à l’ensemble des participants sa force et sa puissance.

Pour ma part, j’ai été très fortement impressionné et ému par la Chaîne d’Union réalisée lors de la Cérémonie d’enterrement de notre Très Vénérable Frère Gilles GRANDJEAN, que je n’ai hélas rencontré qu'une seule fois de son vivant, mais dont je n’ai jamais entendu que de nombreuses louanges.

J’ai vécu ces quelques minutes passées devant sa dépouille, et uni à mes Frères par cette belle Chaîne d’Union, un vrai moment de recueillement, de profond respect, de Fraternité et d’Amour.
Et cette chaîne est réellement restée formée durant plusieurs minutes !

J'ai ressenti une émotion semblable, vive, forte et poignante, lors de la Tenue de Deuil présidée le 14 mars de cette année par notre Vénérable Maître en Chaire à la mémoire de notre Très Vénérable Frère Gilles passé à l'Orient Eternel.

La Chaîne d’Union réalisée en fin de Tenue mérite, à mon avis, de rester formée un laps de temps suffisant, au moins quelques minutes, car elle constitue un important moment de recueillement et de concentration d’énergie avant la clôture des Travaux et les échanges qui pourront désormais avoir lieu hors du Temple, et notamment lors de l’Agape.

Il ne s’agit pas seulement d’un passage obligé du rituel. Il s’agit de vivre une Communion de Fraternité et de partage. Et peut-être est-ce également le juste moment pour s'interroger sur nos Frères aujourd'hui absents, ou même absents depuis plusieurs Tenues, et sur les raisons de leur absence ?

Permettez-moi, mes Frères, de vous citer cet admirable passage tiré du Rite Français, présidant à la réalisation de la Chaîne d’Union :

« Mes Frères, n’oublions jamais que l’Amour fraternel est la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre vieille Confrérie. Que nos cœurs se rapprochent en même temps que nos mains, que l’Amour fraternel unisse tous les maillons de cette Chaîne formée librement par nous. Comprenons la grandeur et la beauté de ce rite ancestral, pénétrons-nous de son sens profond. Cette Chaîne nous unit à tous nos Frères, heureux ou malheureux, répandus sur la surface de la Terre. En elle, sont toujours présents ceux qui la formaient hier. Qu’elle soit l’emblème de la Tradition que nous avons régulièrement reçue, que nous maintenons sans faillir et que nous transmettrons dans sa plénitude aux générations à venir. Elevons notre esprit vers le Grand Architecte de l’Univers qui est Dieu, et jurons de travailler sans relâche, en bons et fidèles Francs-Maçons, au Grand-Œuvre de la Fraternité Universelle ».

Pour ne pas vous lasser de trop de paroles, Vénérable Maître et vous tous, mes Frères, j’aimerais conclure sur le fait que la Chaîne d’Union représente assurément l’un des symboles les plus puissants de la Maçonnerie, au moins au stade où j’en suis parvenu !

Elle a, au cours des siècles, permis la transmission du Savoir et de la Tradition aux Maçons, tant opératifs que spéculatifs.

Elle unit aujourd’hui tous les Frères répandus sur la surface de la Terre, ceux passés à l’Orient Eternel, et ceux des générations à venir.

La Chaîne d’Union est, à elle seule, le symbole le plus puissant de la Fraternité, de la Solidarité et de l’Amour unissant tous les Frères de la Terre.

Elle EST la Franc-Maçonnerie.

J’ai dit, Vénérable Maître.

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