Obédience : NC Loge : NC 02/2008

L’apprentissage du silence

Le mot silence vient du Latin « silentium », lui même du mot « Silere » qui signifie rester silencieux.

L’une des premières choses que l’Apprenti fraîchement initié apprend après le bruit et le vacarme de l’initiation c’est qu’il va devoir garder le silence pendant toute la durée de son apprentissage.

Ce silence, il en a déjà fait l’expérience avant l’initiation en étant livré à ses seules pensées un long moment dans le cabinet de réflexion.

Ce devoir de silence qui semble donc être la continuité du cabinet de réflexion n’apparaît pourtant pas explicitement dans aucun rituel et il n’est pas non plus mentionné dans les « old charge » ou les Constitutions.

Cette obligation ne semble pas non plus figurer parmi les traditions développées par la Grande Loge Unie d’Angleterre où l’Apprenti peut s’exprimer.

Aujourd’hui le silence imposé à l’apprenti est une pratique reconnue par presque toutes les obédiences.

Le mémento du Grade d’apprenti qui est remis à l’Apprenti après son initiation est parfaitement clair et rappelle que dans la maçonnerie ouvrière du Moyen age, l’apprenti était le serviteur des maîtres, qu’il regardait, apprenait, silencieux dans le chantier du travail, qu’il suivait l’œuvre des Maîtres.

Dans la description des devoirs de l’Apprenti, il est indiqué que l’Apprenti doit observer strictement la loi du silence et méditer.

Cette obligation apparaît donc bien comme une épreuve obligée dans l’apprentissage de la Franc Maçonnerie.

Avec ses yeux d’initiés, à peine entré dans la Loge, l’apprenti perçoit immédiatement que la parole au cours des travaux obéit à des règles strictes, qu’il n’est pas question de bavardages mais d’échange.

Pourtant cette obligation à de quoi déconcerter le nouvel arrivé, cette règle ne va t-elle pas à l’encontre de ce qu’il a toujours appris, comment expliquer un apprentissage sans dialogue et sans communication, sans intervention de l’étudiant ?

En réalité ces questions vont toutes trouver rapidement réponses au fur et à mesure de l’apprentissage.

Les séances d’instruction avec le deuxième surveillant vont en premier lieu permettre à l’apprenti de comprendre qu’il est possible de concilier une formation et un enseignement du rituel et des symboles tout en respectant l’obligation de silence pendant les travaux de la loge.

Et puis les différentes tenues auxquelles l’apprenti va assister vont lui faire comprendre que silence n’est pas synonyme de passivité.

Pendant les tenues de la Loge, l’apprenti se tait, la règle le contraint au mutisme pendant les travaux.

Mais s’il reste muet, l’apprenti participe néanmoins aux travaux, présente peu de temps après son initiation ses impressions d’initiation, participe aux élections pour le renouvellement du collège des officiers, participe à certains rituels comme la tenue dédiée au solstice d’hiver, peut participer au travail des commissions qui rédigent des rapports sur des questions soumises par le convent et peut même faire valoir par écrit pendant une tenue ses observations en passant un message à un maître.

A l’extérieur du temple et pendant les agapes l’Apprenti qui n’est plus tenu à son obligation de silence retrouve un rôle actif et communicatif.

Si le silence n’est donc pas une forme d’oisiveté et de passivité il n’est pas non plus une sanction, ou une brimade.

• Le silence et le secret

Dès son initiation, l’Apprenti est invité à la discrétion et au secret.
La position de l’ordre est un rappel à l’interdiction de trahir le secret.
Ces deux notions sont complémentaires du silence, mais ne peuvent y être assimilées. Si le silence est la forme la plus absolue de la discrétion celle-ci n’est pas synonyme de silence. Cette obligation de discrétion est commune à tous les FM et n’est donc pas l’apanage de l’Apprenti.

Il y a donc une distinction évidente entre le silence pendant la tenue et les travaux et l’obligation de silence qui est commune à tous hors le temple et dans la vie profane.

La position de l’ordre et le signe peuvent être analysés dans un premier sens comme une volonté farouche du Maçon à ne pas transgresser l’obligation du secret qui préfère avoir la gorge tranchée que de trahir les secrets Maçonniques.

Le silence est donc bien en étroite relation avec la notion de secret.

Lors de la fermeture des travaux, le vénérable déclare : « la loge étant fermée, promettons de garder le silence sur nos travaux et retirons nous en paix »

Les Maçons se quittent sur cette promesse qui est bien une invitation au silence hors du temple sur les travaux.

La tenue de la Loge est la source du travail du Franc Maçon, c’est ici que l’apprenti y apprend les clefs qui vont lui servir à déchiffrer les symboles et le silence peut être appréhendé comme étant la forme première de la symbolique Maçonnique.

Le but de la FM est d’aider l’être humain à se construire, à atteindre les vérités au travers d’exercices, d’épreuves avec l’aide d’outils symboliques dont la nature se révèle peu à peu.

Le silence apparaît ainsi comme une forme d’enseignement fondée sur l’écoute de l’autre et sur le réapprentissage de l’usage de la parole.

Apprendre à être Maçon c’est peut-être déjà apprendre à écouter ?

• Le silence : outil de construction

L’apprenti commence son parcours avec ses connaissances avec ce qu’il est au jour de l’initiation. Il va devoir réapprendre une autre forme de communication avec lui- même. Avant il parlait et le silence lui donne une place autre que celle qui était la sienne et qui va l’amener à se concentrer sur l’essence de la parole et à mieux en comprendre le sens.

Complément des voyages de l’initiation, le voyage silencieux est propice à découvrir ce qui se cache derrière la première vision des choses et c’est la combinaison du silence et de l’observation qui va permettre la compréhension.

En écoutant et en observant l’apprenti commence en fait un autre voyage initiatique.

Le silence observé pendant les tenues est propice et indispensable à s’approprier les symboles, le rituel et la Loge.
L’apprenti est une pierre brute et il doit travailler pour que la pierre qu’il taille vienne se juxtaposer et trouver sa place dans la construction de l’édifice.
Il est nécessaire de comprendre et de découvrir ce qui se trouve derrière les mots, la différence entre le signifié et le signifiant, de comprendre les autres avec leur différences.

• Le silence : outil de réflexion.

Celui qui se tait n’est pas seulement à l’écoute de celui qui parle mais aussi et en même temps à l’écoute de ses pensées.
L’apprenti n’est pas uniquement silencieux, il est aussi plus attentif à sa voix intérieure saisissant l’occasion de se taire pour mieux s’exprimer et profite de la parole des autres pour se livrer à un véritable travail d’introspection.
Les maîtres et compagnons composant la Loge donnent l’exemple.
J’ai été personnellement frappé dès les premières tenues de voir comment le silence pouvait s’installer et durer pendant les travaux lorsque le vénérable demande après qu’une planche ait été présentée si des frères ou des sœurs souhaitent apporter leurs lumières.
S’interdire de parler pour s’astreindre à écouter est une excellente discipline intellectuelle, lorsqu’on veut apprendre à penser.
Les idées se mûrissent par la méditation silencieuse. Le sage parle peu et pense beaucoup.

• Le silence : outil de contrôle de soi

Dans une loge pendant les travaux, la prise de parole obéit à un rituel strict. Si la parole circule, il n’y a pas de mots qui peuvent être dit directement. Celui qui veut parler doit demander l’autorisation au surveillant qui lui-même sollicitera l’autorisation auprès du vénérable. Le sollicitant reste silencieux jusqu’à l’autorisation lui soit donnée.
La prise de parole est faite de façon réfléchie, sans impulsion et n’est destinée qu’à enrichir le débat.
Dans la position de l’ordre la main droite placée en équerre sous la gorge peut aussi être interprété comme retenant le bouillonnement des passions qui s’agitent dans la poitrine et préserver ainsi la tête de toute exaltation fébrile, susceptible de compromettre la lucidité d’esprit.
Alors l’Apprenti apprend par le silence à faire le tri parmi ses réflexions, à freiner ses impulsions de le vie profane.
L’apprenti est à l’écoute et constate que le rituel gère l’échange de la parole de manière à assurer la paix, le calme et la liberté de chacun.
Un jeune maçon doit donc de façon générale se montrer réservé et il doit apprendre à se forger une opinion sans le moindre parti pris pour devenir penseur indépendant ou libre penseur.
Combien de fois l’Apprenti pendant les tenues aurait aimé apporter son point de vue sur une question.
Cette intervention ne reste que virtuelle et, passé un temps de frustration, progressivement survient le moment ou l’on comprend que le mieux est de se construire soi même et l’on en vient à se satisfaire de n’intervenir que pour soi.

• Le silence est-il un confort ?

Parmi les réflexions qui surgissent à l’apprenti il y en a une qui continue de m’interpeller. Et que se passe-t-il si le FM s’enfonce dans le confort qui lui procure le silence, celui d’être un spectateur permanent et d’assister aux débats des autres sans avoir la volonté d’apporter sa lumière, sa pierre à l’édifice.
Le silence peut être un confort, donner un sentiment de sécurité.
Chacun en fait prend le temps de polir sa pierre et le silence n’est pas l’exclusivité de l’Apprenti.
Même silencieux chaque FM travaille à la construction du temple.
A la clôture des travaux, le Vénérable demande au 2èm surveillant : « ou les FM recouvrent-ils leurs salaires ? » et au 1er Surveillant : « les ouvriers sont-ils contents et satisfaits ? »
La réponse du 1er surveillant « ils le témoignent sur l’une et l’autre colonne »
Alors le vénérable conclu : » Puissent ils continuer à travailler ainsi dans la liberté, la ferveur et la joie »
Il est donc réducteur de ne considérer l’obligation de silence que comme la seule marque de l’apprentissage.
Il n’est pas nécessaire d’user de la parole pour travailler et mériter salaire.
Chacun y retrouve à sa façon le soin d’utiliser les outils que le procure le silence.

Toutes ses réflexions me conduisent à penser que l’Apprenti après avoir franchi les étapes du feu, de l’air et de l’eau doit commencer en tenue un autre voyage plus calme et initiatique.

L’obligation de silence ne doit pas être considéré comme une interdiction mais comme une mise à disposition d’un nouvel outil qui va lui permettre de se construire et d’apprendre à écouter.

Le silence apparaît bien comme le premier des outils maçonniques.

J’ai dit.

Pascal G\.

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