Obédience : NC Bulletin de SUB ROSA : Une Parole Circule 01/2010

L’Homme, le Cercle et le Carré

A l’origine des quelques réflexions contenues dans la présentation de ces lignes, il y a les nombreuses évocations du «logo Manpower», à savoir l’homme dit «de Vitruve», dessiné par le grand Leonardo da Vinci.

Sans vouloir ici retracer toute la vie de Vitruve (lat. Vitruvius), il nous semble toutefois important de souligner qu’il fut non seulement architecte mais également l’auteur d’un traité technique, De Architectura, seul traité, qui nous soit parvenu de l’Antiquité et influença jusqu’aux architectes de la Renaissance.

Parmi ceux qui, de près ou de loin, s’inspirèrent de Vitruve, se trouve Léonard de Vinci qui, sur la base de la description de Vitruve, effectua le croquis qui servira de fil rouge à ces quelques lignes et que nous reproduisons donc ci-après (voir page suivante).

Alors que nous avons souvent vu ce dessin, sans jamais l’avoir vraiment regardé, il faut avouer que la première chose qui frappe est sa composition ternaire: l’homme, cen­tral, certes, mais également le carré et le cercle. Ce qui fait instantanément penser à la «Grande Triade» étudiée par René Guénon: la Terre (le carré), le Ciel (le cercle) et l’homme.

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Portrait de Léonard de Vinci dessiné par son assistant
Francesco Melzi vers 1485

Il est intéressant de remarquer du reste que les pieds de l’homme debout (pas des angles possibles, reposant sur le cercle), sont situés sur la tangente cercle-carré: comme pour signifier que l’homme repose aussi bien sur la Matière que sur l’Esprit.

Lorsqu’on dit «repose», il faudrait peut- être dire «tire son énergie», car la situation de l’homme, en tous les cas celle de l’hom­me en quête d’une vérité transcendante, n’est pas en position de repos, une position passive, mais dans bien celle d’un chemine­ment intérieur, d’une quête. La position des pieds de la figure, nous y reviendrons, incite à penser que cette dernière n’est pas pure­ment statique mais bel et bien dynamique.

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«L'homme de Vitruve» (1492) dessiné par Léonard de Vinci.

Si l’on se donne la peine d’observer cette figure, on s’aperçoit que l’homme, contenu tout entier dans le carré, n’occupe pas tout l’espace circonscrit par le cercle: pour l’homme, conditionné par la Matière, la totalité du domaine de l’Esprit reste pour lui un «possible», une potentialité, mais cette dernière n’est pas, une conséquence directe de sa condition.

De plus, cette possibilité requiert un effort, une ascèse, au sens étymologique, à savoir «exercice».

Ceci peut être vu, d’ailleurs, dans cette image, avec un peu d’imagination: s’il lui est possi­ble, à cet homme, d’atteindre le sommet du cercle, il lui faudra toutefois faire l’effort de lever les bras pour l’atteindre, voire pour prendre le sommet du carré comme une barre fixe pour se hisser et atteindre le sommet du cercle.

Qui dit «lever» fait penser à «levier», à un point d’appui, donc, à un mouvement, s’ar­ticulant autour d’un cercle; or cette dernière notion ne peut pas ne pas faire intervenir la concept même de «centre». Le Centre est «avant tout, l’origine, le point de départ de toute choses; c’est le point principal, sans forme et sans dimension, donc invisible et, par suite, la seule image qui puisse être donnée à l’Union primordiale».

La position de l’homme est entièrement dans le carré alors qu’elle n’occupe pas l’en­tier du cercle, comme l’on voit sur la figure. L’homme s’inscrit tout entier dans le carré, alors que subsiste au-dessus de lui un arc de cercle, dont le côté supérieur du carré dans lequel la figure humaine s’inscrit, représente la «corde».

Ce fait est d’autant plus intéressant à souligner que, de par sa forme, cet arc de cercle évoque la «voûte céleste» – tout comme le plafond d’une cathédrale d’ailleurs – renforçant encore cette idée de «ciel» comme l’un des éléments de la Triade précédemment évoquée.

L’homme est ainsi, symboliquement, au centre des figures du cercle et du carré, même s’il s’agit ici en premier lieu d’un centre sym­bolique, et non géométrique stricto sensu.

L’homme de cette figure occupe dès lors une position «intérieure»; ce qui représente un paradoxe, puisqu’il peut sembler «enfermé» par les figures géométriques du cercle et du carré, il n’en est pas moins seul capable d’en exprimer la dynamique et les potentialités.

On notera que l’homme tel que dessiné ici s’inscrit aussi dans notre «Étoile flamboyante», maladroitement illustrée ci- dessous.

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Si l’on reprend ce dessin et que l’on regarde d’un peu plus près, on constatera que, visiblement, presque «intuitivement», nous nous apercevons que le nombril de l’homme est, aussi, le centre du cercle.

Ceci pourrait n’être qu’un détail, pour­tant, ce fait est de la plus haute importance du point de vue symbolique.

Si l’on songe que le nombril peut aussi être considéré comme ce qui relie l’homme à la matrice, déjà au sens physiologique, il peut prendre aussi l’image du point d’ancrage d’une «chaîne d’union» qui, remontant au «Premier homme», comme nous le disent de nombreux mythes et des textes saints, émane bien du Principe, de ce centre immobile mais qui, pourtant, meut tout le reste.

Cette image est ainsi une représentation, parmi d’autres, de «l’homme universel» évoqué par René Guénon; ajoutons qu’il ne faudrait pas considérer la circonférence du cercle comme une «limitation de la Possibilité Universelle», mais au contraire, à notre sens, comme une représentation symbo­lique de celle-ci, un «artifice» permettant à notre conscience limitée de saisir l’indéfini.

Comme on le voit, ce nombril, en tant que centre, est, aussi, une représentation, de l’intériorité (le centre est, par définition, à l’intérieur du cercle).

L’homme est bien, si nous regardons cette figure, à l’intérieur du carré et à l’intérieur du cercle.

Le fait que le carré ne soit pas, lui, à l’intérieur de ce cercle, montre à l’évidence que notre plan de manifestation ne saurait, à lui seul, épuiser la Possibilité Universelle mais qu’il n’est que pure contingence, il n’est qu’une réalité parmi une multitude de possibles.

En revanche, la position centrale de cet homme incite à penser qu’il est comme un pont, un «moyen terme», une voie pouvant permettre une «union des complémentaires», pour reprendre l’expression de Guénon.

Nous ne pouvons résister à la tentation de faire remarquer que le carré, avec ses 4 angles droits est «équivalent du point de vue numérique» au cercle: car 4 fois 90° donnent bel et bien 360° !

Il y a là, manifestement, une sorte de clin d’œil, qui montre qu’en dépit de la différence essentielle entre la contingence d’un plan de manifestation et la Possibilité Universelle, la distinction est, pour l’homme, peu artifi­cielle: le corps est, lui aussi, le «Temple du Seigneur», comme le dit l’injonction biblique.

Le cercle, domaine de l’Esprit, est un peu, mutatis mutandis, à l’homme de bonne volonté, pour ne pas dire au «Maçon», ce que fut la Terre Promise à Moïse: il est visible, mais encore inaccessible; on le pressent plus qu’on ne le touche; ou, en d’autres termes, si le carré est, disons, «immédiatement présent», le cercle est encore «en puissance».

Cette figure de «l’homme de Vitruve» a d’ailleurs fait l’objet de commentaires par des symbolistes du Moyen-Âge, notamment Hildegarde de Bingen et Guillaume de St- Thierry, qui nous font remarquer que l’homme ainsi dessiné s’inscrit dans deux séries de 5 carrés égaux, l’une verticale et l’autre horizontale: outre la figure de la croix, nous pouvons former avec ces deux séries de 5 un carré parfait (5 x 5 = 25), qui fait également penser au triangle pythago­ricien de côtés 3, 4, 5 (32 + 42 = 52).

Nous trouvons là aussi une intéressante problématique: alors que, d’un point de vue profane, il serait tentant de chercher l’accès à l’extérieur. Le point de vue initiatique, lui, préférera bien sûr le cheminement intérieur: ce n’est pas vers l’extérieur du cercle que l’on se rapproche du Principe, car il n’est que trop évident que l’on ne saurait épuiser la Possibilité à partir de la contingence, mais bel et bien, en cheminant, péniblement, certes, vers l’intérieur du cercle, vers le Centre.

Pour conclure, deux petits détails semblent fort intéressants, dans cette image de Leonardo da Vinci, détails peu remar­qués auparavant et qui ont peut-être une importance certaine:

La position des mains qui s’élèvent (qui donnent à la figure une allure de divinité hindoue) vers le ciel, représenté ici par l’arc de cercle, qui forme en quelque sorte une voûte, n’est pas sans évoquer le mouvement de la branche du compas, dessinant le cercle.

La position des pieds de l’homme, posi­tion qui rappelle celle des pas de l’Apprenti Franc-Maçon, bien que cela ne soit pas notre propos ici. On est en droit de se demander si l’auteur de cette esquisse n’a pas voulu laisser un «signe» en dessinant ces pieds de cette manière ?

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Publié dans le Bulletin de SUB ROSA : Une Parole Circule - Bulletin N° 2 - Janvier 2010  -  Abonnez-vous

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